II. UN BUDGET TRANSITOIRE ?
Le présent projet de loi de finances prévoit l'affectation d'une part du produit de la TVA aux sociétés de l'audiovisuel public d'un montant de 3 815,7 millions d'euros.
Répartition de la part du produit de TVA affectée aux sociétés de l'audiovisuel public en 2023
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
L'exercice 2023 devrait marquer une rupture avec la trajectoire de réduction des crédits mise en place lors du précédent quinquennat (-190 millions d'euros entre 2018 et 2022). La dotation accordée à l'audiovisuel public devrait, en effet, progresser de 3,1 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022 (+114,4 millions d'euros).
En déduisant les compensations mises en oeuvre afin de neutraliser les effets fiscaux liés à la suppression de la CAP (cf infra), le montant de la dotation atteint 3 737,1 millions d'euros , soit là encore une progression de 3,1 % par rapport au montant hors taxe accordé en loi de finances initiale pour 2022 (les sociétés devaient alors s'acquitter d'une TVA réduite à 2,1 %, cf infra ). Toutes les sociétés de l'audiovisuel public sont concernées, à des degrés divers, par cette progression des crédits.
Évolution des dotations accordées aux sociétés de l'audiovisuel public entre 2022 et 2023
(en millions d'euros)
Note de lecture : les montants indiqués pour 2022 s'entendent déduction faite de la rétrocession de TVA à l'État et les montants indiqués pour 2023 s'entendent déduits des compensations des effets fiscaux liés à la suppression de la CAP.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
A. UNE PROGRESSION DES CRÉDITS DE 3 %
1. Une prise en compte limitée de l'inflation et une intégration des incidences fiscales de la suppression de la CAP
La progression des crédits dévolus à l'audiovisuel public est motivée par deux éléments : la prise en compte de l'inflation d'un côté et la compensation des conséquences fiscales de la suppression de la CAP.
La contribution à l'audiovisuel public était en effet soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) depuis 1969 31 ( * ) . Un taux réduit de 2,10 % était ainsi appliqué. Cette taxation permettait d'exonérer les opérateurs du paiement de la taxe sur les salaires, prévue à l'article 231 du code général des impôts . Aux termes de celui-ci, la taxe sur les salaires est due par les employeurs qui ne sont pas assujettis à la TVA. Le taux réduit de TVA pour les sociétés de l'audiovisuel public n'avait pas de réelle incidence budgétaire pour l'État, au point d'être retiré de la liste des dépenses fiscales annexée au projet de loi de finances pour 2020. Il constituait cependant un soutien indirect en ce qu'il permettait aux entreprises publiques du secteur d'être exonérées de taxe sur les salaires. La direction du budget avait estimé cet avantage à environ 100 millions d'euros en 2021 pour les sociétés de l'audiovisuel public 32 ( * ) . Dès lors que la nouvelle ressource affectée aux sociétés de l'audiovisuel public n'est plus assujettie à la TVA, ces entités doivent s'acquitter de la taxe sur les salaires. Le montant prévu pour 2023 - 42 millions d'euros - est uniquement assis sur le second semestre 2022, les sociétés de l'audiovisuel public ayant reversé de la TVA sur la dotation publique perçue de janvier à juillet 2022.
La mise en place d'un financement via la TVA aboutit également pour certaines entreprises, à un changement de statut vis-à-vis de cette taxe et, par conséquent, à une modification de leur régime de droit à déduction sur leurs factures fournisseurs (actuellement, les six entités de l'audiovisuel public bénéficient d'un droit à déduction intégrale). En effet, dans le cadre du nouveau mode de financement de l'audiovisuel public, la proportion de recettes assujetties à la TVA (soit les ressources propres) de certaines entreprises ne sera pas suffisante pour leur permettre d'être qualifiées d'« assujetties intégrales à la TVA » par l'administration fiscale. Ainsi ARTE France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel deviennent « assujetties partielles », statut qui induit la perte de leur droit à déduction intégrale de TVA. Une hausse de la dotation pour deux de ces sociétés (7,9 millions d'euros pour ARTE France, et 6,8 millions d'euros pour France Médias Monde) avait ainsi été prévue au sein de la première loi de finances rectificative pour 2022 afin de couvrir la perte estimée pour la période août-décembre 2022.
Le coût total de la compensation des effets fiscaux devrait atteindre 78,6 millions d'euros en 2023, soit 2 % de la dotation totale accordée aux sociétés de l'audiovisuel public.
Montant des compensations fiscales versées aux sociétés de l'audiovisuel public prévues dans le projet de loi de finances pour 2023
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Ce montant représente 68,5 % de la progression des crédits constatée entre la loi de finances initiale pour 2022 et le présent projet de loi de finances.
Affectation de l'augmentation des crédits dédiés à l'audiovisuel public
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
2. Une hausse des crédits répartie inégalement
La progression des crédits prévue par le présent projet de loi de finances ne s'applique pas uniformément aux sociétés de l'audiovisuel public. Elle contribue à modifier marginalement les équilibres mis en place, en majorant en valeur absolue la part des concours publics (hors mesures de compensation fiscale) versés à Radio France ou à ARTE France.
Répartition des dotations au sein du compte de concours financiers en 2022 et 2023
(en pourcentage)
Loi de finances initiale pour 2022
Projet de loi de finances pour 2023
Note de lecture : les montants indiqués pour 2022 s'entendent déduction faite de la rétrocession de TVA à l'État et les montants indiqués pour 2023 s'entendent déduits des compensations des effets fiscaux liés à la suppression de la CAP.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
S'agissant de cette dernière, le rapporteur spécial rappelle les conclusions de ses derniers rapports budgétaires, saluant la capacité d'adaptation de l'entreprise franco-allemande aux nouvelles habitudes de consommation télévisuelle et invitant le Gouvernement à encourager budgétairement cette stratégie ambitieuse. La revalorisation budgétaire proposée - 10,9 millions d'euros hors compensations - va dans le bon sens.
Celle accordée à France Médias Monde - 8,8 millions d'euros hors compensations fiscales - ne modifie malheureusement pas le poids de l'audiovisuel extérieur dans le financement global de l'audiovisuel public, dans un contexte de renforcement de la concurrence avec nos partenaires traditionnels et de lutte d'influence croissante avec de grandes puissances comme la Chine ou la Russie. Le montant accordé, même revalorisé et renforcé des moyens prévus par ailleurs pour Canal France International (cf infra ), reste ainsi nettement en deçà des crédits versés par le gouvernement allemand à Deutsche Welle .
Financements publics de l'audiovisuel extérieur en 2021
(en millions d'euros)
Note de lecture : les crédits accordés à France Médias Monde intègrent la dotation versée à sa filiale Canal France International via la mission « Aide publique au développement »
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Le rapporteur spécial insiste sur le fait que l'État considère qu'une partie des activités de France Médias Monde, valorisée à hauteur de 20 millions d'euros, correspond à des actions directes d'aide publique au développement (magazines de RFI, Réseau de distribution en Afrique) et sont labellisées comme telles par la direction générale du Trésor avant transmission à l'OCDE. Reste que ces actions sont aujourd'hui financées par la TVA et non par l'Agence française de développement, ce qui peut interroger.
La mission conjointe de contrôle du Sénat sur le financement de l'audiovisuel avait, en outre, souhaité qu'afin de renforcer la visibilité des moyens dévolus à l'audiovisuel extérieur, les crédits dédiés à l'agence Canal France International (CFI) actuellement versés sur le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » rattaché à la mission « Aide publique au développement » soient fléchés vers le programme 844 « France Médias Monde ». Le présent projet de loi de finances prévoit une dotation de 10,6 millions d'euros, soit une majoration de 3 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2022. CFI est, depuis le 27 juin 2017 une filiale de France Médias Monde. Créée en 1989, elle agit, dans le cadre de l'aide publique au développement, pour favoriser le développement des médias en Afrique, dans le monde arabe et en Asie du Sud Est. CFI soutient ainsi les efforts de modernisation des médias audiovisuels et numériques publics et privés des pays en sortie de crise et en développement, en valorisant l'expertise française. 85 % de son budget est couvert par le programme 209.
3. Une dotation qui ne reflète pas tous les concours de l'État en faveur des sociétés de l'audiovisuel public
Le compte de concours financiers ne résume pas tous les financements de la tutelle en faveur des sociétés de l'audiovisuel public. L'État prend ainsi sa part dans le financement des plans de départs volontaires au sein de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, induits par la trajectoire d'économie.
Plan de départs volontaires mis en oeuvre au
sein de France Télévisions,
Radio France et France
Médias Monde
France Télévisions |
Radio France |
France Médias Monde |
Total |
|
Nombre de départs volontaires prévu par le plan de rupture conventionnelle collective |
1 800 |
340 |
30 |
2 170 |
Nombre de postes remplacés |
700 |
183 |
883 |
|
Solde net |
1 100 |
157 |
30 |
1 287 |
Départs effectifs à fin 2021 |
1 124 |
271 |
21 |
1 416 |
Source : mission conjointe de contrôle u Sénat sur le financement de l'audiovisuel public d'après les données transmises par la direction générale des médias et des industries culturelles
Cet apport financier prend la forme d'une augmentation de capital en année n+ 1 venant financer deux tiers du coût des départs effectués en année n dans la limite de 67 000 euros par départ. Le montant de ces dotations a ainsi atteint 67,1 millions d'euros sur la période 2020-2022 pour 2 170 départs attendus (883 devant être remplacés). Une nouvelle augmentation de capital à hauteur de 21 millions d'euros est attendue en 2023 pour France Télévisions.
Dotations en capital attribuées aux sociétés de l'audiovisuel public en vue de financer les plans de départs volontaires
(en millions d'euros)
2020 |
2021 |
2022 |
Total 2020-2022 |
|
France Télévisions (1 800 départs attendus /700 remplacements) |
17 |
15,2 |
14,9 |
47,1 |
Radio France (340 départs attendus / 183 remplacements) |
2 |
9,8 |
6,6 |
18,4 |
France Médias Monde (30 départs attendus) |
1,6 |
1,6 |
||
Total |
19 |
25 |
23,1 |
67,1 |
Source : mission conjointe de contrôle u Sénat sur le financement de l'audiovisuel public d'après les données transmises par la direction générale des médias et des industries culturelles
Les travaux de de la Maison de la radio doivent également être regardés de près . Lancé en 2010, le coût du chantier de réhabilitation de la Maison de la radio devrait atteindre 493,2 millions d'euros à l'horizon 2023 , date retenue pour la remise des travaux. À cette somme s'ajoute le coût des travaux des studios de création , lancé en 2017 et estimé à 78 millions d'euros . La fin du chantier devrait intervenir à l'horizon 2026.
Le financement de ces travaux est assuré à 70 % par l'État via :
- une subvention d'investissement intégrée à la dotation de Radio France, dont le montant cumulé atteint 337 millions d'euros sur la période 2010-2022 ;
- une augmentation du capital de 44 millions d'euros de 2020 à 2022, dont 9 millions d'euros en 2022 .
L'État a pour l'heure dépassé le plafond de 70 % s'agissant des travaux de réhabilitation, prenant à sa charge 75 % des coûts de ceux-ci. Dans ces conditions, les coûts restants des studios de création ne seront financés à l'avenir qu'à hauteur de 35 %, afin d'atteindre au global, en fin de période, les 70 % initialement arbitrés. Il reste à financer 61 millions de travaux de 2023 à 2026 : 5 millions d'euros pour le chantier de réhabilitation et 56 millions d'euros pour les studios de création.
* 31 3° du III de l'article 257 du code général des impôts.
* 32 Cour des Comptes, Compte de concours financiers Avances à l'audiovisuel public, Note d'analyse de l'exécution budgétaire 2021.