II. LES TURBULENCES DE LA CRISE SANITAIRE ET DU CONTEXTE INTERNATIONAL NE DOIVENT PAS OCCULTER LE BESOIN D'UNE VÉRITABLE STRATÉGIE DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE
A. L'ÉTAT ACTIONNAIRE RECAPITALISÉ PAR LE CONTRIBUABLE
1. L'apparent rattrapage de la valorisation du portefeuille coté de l'Agence des participations de l'État résulte en réalité de l'offre publique d'achat sur EDF
Depuis 2020, l'État actionnaire est venu en soutien des entreprises du portefeuille , tout en se tenant prêt à intervenir pour aider d'autres entreprises jugées stratégiques mais au bilan très dégradé.
Sur les 20 milliards d'euros mis à disposition par le Parlement dès avril 2020, ce sont environ 8,7 milliards d'euros qui ont, à ce jour, été consommés , dont 8,2 milliards d'euros dès 2020. Les opérations ont concerné trois entreprises , faisant partie du portefeuille avant la crise, à savoir :
- la SNCF , qui a fait l'objet d'une augmentation de capital souscrite intégralement par l'État le 15 décembre 2020, pour un montant de 4,05 milliards d'euros ;
- Air-France-KLM , qui a d'abord bénéficié dès 2020 d'une avance d'actionnaire de 3 milliards d'euros , ensuite convertie en dette subordonnée, puis d'une souscription par l'État à l'augmentation de capital à hauteur de 593,2 millions d'euros au printemps 2021 et la conversion de 645 millions d'euros d'obligations en actions en juin dernier ;
- EDF , dont l'État a souscrit en septembre 2020 à l'émission d'Oceanes 29 ( * ) pour un montant de 1,03 milliard d'euros - sans, d'ailleurs, que le lien avec la crise sanitaire ne soit réellement avéré, et qui a maintenu sa participation dans le groupe le 7 avril dernier en investissant 2,65 milliards d'euros en fonds propres 30 ( * ) .
Trente mois après le déclenchement de la crise sanitaire, il est possible de dresser un premier bilan de l'action de l'État actionnaire face à la tempête.
Comme le graphique ci-après l'illustre, la valorisation du portefeuille coté a rattrapé, depuis cet été, son niveau de décembre 2019. Cependant, il s'agit ici d'une performance en trompe l'oeil, dans la mesure où le rattrapage observé au mois de juillet est lié à l'offre publique d'achat sur l'EDF, qui a dopé la valorisation de l'entreprise (+ 44 % en juillet 31 ( * ) ).
Ainsi, alors que la performance du portefeuille coté de l'État entre décembre 2019 et juin 2022 s'établissait à - 12,88 %, le retour d'une performance positive en juillet est la conséquence de l'OPA et non d'une amélioration de la situation des entreprises du portefeuille.
Évolution de la valorisation du portefeuille
coté
de l'État actionnaire de fin décembre 2019
à fin septembre 2022
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat
Comme l'indiquent les schémas ci-après, on constate une sur-performance du portefeuille de l'État actionnaire par rapport au CAC40. Néanmoins, une fois isolée l'entreprise EDF, la performance du portefeuille de l'État reste nettement inférieure au CAC40.
Comparaison de l'évolution du portefeuille
coté
de l'État actionnaire et du CAC 40 depuis fin 2019, avec
et sans EDF
(base 100 à fin décembre 2019)
Source : commission des finances du Sénat.
Certaines valeurs restent durablement affectées , à l'instar d'Aéroports de Paris, mais aussi de Renault et Orange. Pour ces deux dernières, les raisons de leur recul excèdent largement la crise sanitaire et doivent être recherchées dans des difficultés structurelles qu'elles n'ont, avec leur principal actionnaire, toujours pas surmontées .
Les difficultés par le groupe Renault du fait de son implantation en Russie, devraient néanmoins pouvoir être surmontées dans les mois à venir, du fait de la transformation engagée par son nouveau directeur général, Luca de Meo et son président, Jean-Dominique Senard. La première phase de la « renaulution », à savoir la « Révolution », dont l'objectif est de « redevenir compétitifs en réduisant les coûts et en générant du profit », semble en effet porter ses premiers fruits.
2. L'Agence des participations de l'État, un gestionnaire d'actifs recapitalisé par le budget général
La performance du portefeuille doit néanmoins être évaluée en regard des moyens budgétaires exceptionnels qui ont été mobilisés.
Sur le périmètre de l'État actionnaire, ce seront, d'ici la fin de l'année près de 20 milliards d'euros qui ont ainsi été versés depuis le budget général vers le compte d'affectation spéciale depuis le début de la crise sanitaire.
Autrement dit, le compte a dû lui-même faire l'objet d'une recapitalisation par le budget général pour être en mesure de faire face à ses obligations.
Ces éléments soulèvent la question de la stratégie de sortie , à savoir la façon dont l'APE procèdera au retour progressif de l'État actionnaire à ses niveaux de participation d'avant-crise, ce qui correspond à une exigence du cadre temporaire des aides d'État.
Deux interrogations se posent, concernant :
- d'une part, l'horizon et les conditions financières dans lesquelles cette sortie pourra être progressivement mise en oeuvre ;
- d'autre part, l'utilisation qui sera faite des crédits qui seront versés sur le compte dans le cadre de ce retrait.
Plus largement, ces observations confortent le rapporteur spécial dans sa conviction de l'inadéquation du cadre budgétaire de l'État actionnaire avec les exigences d'une réelle gestion des actifs financiers de l'État.
3. Le risque d'un rendez-vous manqué de la transition du portefeuille ?
L'APE met en avant l'effet de la crise sanitaire pour accélérer, au sein des entreprises du portefeuille, d'indispensables mutations en faveur de la compétitivité et de la transition écologique.
Cette évolution est à appréhender conjointement avec la démarche engagée par l'APE en faveur de la responsabilité sociale, sociétale et environnementale (RSSE) des entreprises du portefeuille. À cet effet, la Charte dédiée a été actualisée début 2021 32 ( * ) autour des quatre axes suivants :
- « intégrer pleinement les enjeux RSE dans la stratégie des entreprises ;
- « s'assurer de la transition vers une économie bas carbone ;
- « agir en employeur responsable ;
- « générer un impact sociétal positif » 33 ( * ) .
Tout en approuvant cette initiative, le rapporteur spécial ne peut que la lire à l'aune des débats sur la conditionnalité des aides publiques qui ont jalonné les différents textes financiers au cours de la crise sanitaire.
À défaut d'une stricte conditionnalité, la troisième loi de finances rectificative pour 2020 34 ( * ) a prévu que toute prise de participation effectuée par l'APE au moyen des crédits exceptionnels dans une entreprise de plus de 500 millions d'euros de chiffre d'affaires devait être conditionnée à des engagements de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre , en cohérence avec les budgets carbone sectoriels et par catégorie de gaz à effet de serre prévus par la stratégie nationale bas carbone.
Le rapporteur spécial a eu l'occasion de l'indiquer l'an dernier : en assortissant son soutien de stricts engagements des entreprises aidées, la puissance publique assure le double rôle qui lui revient d'acteur de dernier ressort lorsque le marché ne suffit plus et de « maître des horloges » doté d'un horizon de long terme.
Pour suivre la mise en oeuvre de ces engagements, les entreprises doivent publier, dans un délai d'un an à compter de la prise de participation par l'État, un rapport annuel présentant les engagements pris, assortis d'un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre au cours de l'exercice clos.
D'après les réponses du directeur général de l'APE, auditionné par le rapporteur spécial, 100 % des entreprises cotées dans lesquelles l'agence détient des participations se sont dotées d'objectifs de réduction des gaz à effets de serre. Parmi les entreprises non cotées, la part est de 57 %.
* 29 Obligations à option de conversion et/ou d'échange en actions nouvelles ou existantes.
* 30 Voir le rapport n° 743 (2020-2021) de M. Victorin Lurel sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020, fait au nom de la commission des finances, 7 juillet 2021.
* 31 Au 29 juillet 2022, d'après les données transmises par l'Agence des participations de l'État.
* 32 Voir la Charte de l'État actionnaire en matière de RSSE, édition 2021.
* 33 Voir le Rapport d'activité de l'APE 2020-2021, page 24.
* 34 Loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020.