C. INTERDIRE LA PÊCHE DE FOND MOBILE : UNE SOLUTION EXCESSIVEMENT SIMPLISTE

Les travaux du rapporteur ont montré que le recours, à grande échelle, à des fermetures de zones pour la pêche de fond mobile, constituait une solution excessivement simpliste, faisant abstraction d'au moins deux facteurs :

- l'impact des engins de fond dépendant de plusieurs paramètres, différents types de solutions peuvent être envisagées pour diminuer la pression de pêche ;

- l'effet des fermetures de zones à la pêche n'est pas univoque.

1. Un bannissement de principe injustifié au regard de l'impact différencié des arts traînants

D'importants progrès ont été réalisés au cours de la dernière décennie dans la mesure des différents paramètres déterminant l'impact des arts traînants : engins utilisés, fréquence des passages, espèces ciblées, ou encore degré de vulnérabilité des habitats.

Les chercheurs de l'Ifremer sont ainsi parvenus à modéliser les différents types de pression exercés par les engins de pêche sur les fonds marins (abrasion, charges en particules, remaniement des sédiments), modifiant la morphologie des fonds28(*).

Types d'impacts occasionnés par le passage d'un chalut de fond à panneaux

Source : Ifremer

Des travaux d'observation menés en conditions réelles ont ensuite permis l'élaboration d'une matrice indiquant l'amplitude moyenne de chaque type de pression selon la nature des fonds, le chalutage n'ayant pas les mêmes conséquences sur des sols sableux, vaseux ou rocheux.

Matrice engins-pressions développée par les chercheurs de l'Ifremer

Source : Ifremer.

L'impact des arts traînants varie également selon la fréquence de passage de ces engins. Si les fonds marins en France métropolitaine sont en moyenne soumis au chalutage entre une et cinq fois par an, la pression de pêche est particulièrement élevée dans certaines zones subissant chaque année plusieurs dizaines de passages.

Enfin, les effets du chalutage diffèrent selon les espèces - en fonction de leur fragilité, de leur nature fixée ou non sur le fond, de leur capacité d'enfouissement ou de recolonisation - et le degré de sensibilité des habitats. Tandis que les habitats constitués d'organismes vivants particulièrement vulnérables (coraux, herbiers) peuvent être durablement modifiés, voire même irrémédiablement détériorés par le passage d'un seul chalut, d'autres habitats, soumis à des perturbations naturelles fortes (tempêtes, courants, marées), se révèlent plus résistants au chalutage.

Les travaux scientifiques ont ainsi permis de développer des indicateurs de la vulnérabilité des écosystèmes marins. Les matrices de sensibilité des habitats benthiques aux pressions physiques29(*) élaborées par l'Unité mixte de service Patrimoine naturel concourent notamment à évaluer la capacité des habitats à tolérer une pression externe (c'est-à-dire leur résistance) ainsi que le temps nécessaire à leur récupération suite à une dégradation (c'est-à-dire leur résilience), la combinaison de ces deux facteurs permettant d'attribuer un score de sensibilité aux habitats.

Dans ce contexte, le rapporteur déplore que la Commission mette sur le même plan tous les engins de pêche de fond mobile, en faisant abstraction de leur impact différencié sur les fonds marins. Dans son avis30(*), le Comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP) relève ainsi que les travaux préparatoires au plan d'action évaluent la pression de pêche à l'aide du seul indicateur « nombre de jours de pêche », sans opérer de distinction entre les différents types de pêche au chalut, alors qu'il est scientifiquement établi que l'impact de cette pratique dépend de la taille des navires et du type d'engins de fond (Eigaard et al. 2016)31(*).

Il convient, à cet égard, de relever que de nombreux progrès ont ainsi été accomplis pour mettre au point des techniques moins invasives : diminution de la profondeur des dents des dragues à coquille par exemple, réduction de la taille des surfaces exploitées, ou encore recours à des chaluts à bourrelets qui s'enfoncent moins profondément dans le sol.

L'efficacité de ces évolutions techniques demeure variable et dans certains cas, seule une interdiction de la pêche de fond mobile pourra permettre de préserver les écosystèmes. Néanmoins, dans d'autres situations, le recours à des procédés moins nocifs, associé à une diminution des passages pourrait fournir une alternative tout à fait valable, à moyen terme, sur le plan économique et environnemental.

Le rapporteur note, enfin, que de nombreux outils peuvent également être mobilisés dans le cadre de la PCP (la « boîte à outils de la PCP ») pour réduire les captures accidentelles et améliorer la sélectivité des engins : taille des mailles des filets, restrictions relatives à l'utilisation de matériaux de filet ou à la circonférence des culs de chalut, etc.

In fine, pour le rapporteur, toute une palette de mesures et d'étapes intermédiaires peuvent être envisagées avant d'opter pour une interdiction pure et simple des engins de fond. Le plan d'action de la Commission semble délibérément faire abstraction de cette multitude d'options au profit d'un bannissement de principe, dont le caractère iconique interpelle.

2. La gestion spatiale des activités de pêche : un outil controversé, assorti d'effets indésirables

Les associations de défense de l'environnement soulignent les bénéfices à attendre des fermetures de zones à la pêche. En effet, les zones sans capture constituent les aires marines les plus efficacement protégées selon le Conseil international pour l'exploration de la mer32(*), permettant la régénération des ressources halieutiques et le renforcement de la résilience de l'écosystème concerné.

Le recours à des fermetures de zones à la pêche constitue néanmoins un outil débattu : pas toujours nécessaire mais parfois insuffisant pour garantir la restauration des fonds, il s'accompagne de nombreux effets indirects.

Les travaux récents ont montré, en premier lieu, qu'il n'était pas toujours nécessaire de fermer totalement des zones à la pêche de fond pour permettre la restauration d'un habitat dégradé ; certaines espèces naturellement adaptées à des milieux perturbés (sédiments mobiles, courants) et caractérisées par un cycle de vie court seront en mesure de recoloniser un milieu en quelques semaines si la pression de pêche diminue - sans que la pêche soit totalement interdite.

En parallèle, la dégradation des fonds marins étant un phénomène multifactoriel, les fermetures de zones à la pêche sont dans certains cas insuffisantes pour assurer une restauration des écosystèmes. Le rapporteur regrette ainsi que le plan d'action de la Commission, en se focalisant sur la pêche de fond, ignore toutes les autres sources de perturbation du milieu et des espèces, que ces dernières soient d'origine anthropique (extraction minière, installations de parcs éoliens) ou naturelle (espèces invasives, réchauffement climatique).

Il a ainsi été indiqué au rapporteur que le réchauffement climatique aurait vraisemblablement une incidence sur les habitats, comme l'a détaillé l'Ifremer dans une étude récente : « face au changement des conditions environnementales, certaines zones deviennent progressivement invivables pour les poissons. Au contraire, de nouvelles zones, plus au nord ou plus profondes, peuvent progressivement devenir plus favorables. Le mouvement est déjà à l'oeuvre, avec un déplacement des aires de répartition vers le Nord [...] Toute la carte de répartition traditionnelle des populations de poissons se trouve modifiée »33(*).

L'adoption de mesures spatiales fondées sur une approche statique des stocks halieutiques constitue donc un écueil à éviter. Il en est de même pour les activités de pêche, puisque les flottes s'adaptent et se déplacent, reportant l'effort de pêche vers d'autres zones ; les mesures spatiales tendent ainsi à se répercuter sur les habitats non protégés, comme l'a rappelé le CSTEP34(*), avec pour corollaire des effets indésirables sur les stocks halieutiques et une augmentation de la consommation de carburants.

Il arrive également que la gestion spatiale des activités de pêche soit décriée pour son caractère injuste, les restrictions affectant toujours proportionnellement davantage les pêcheurs situés à proximité des zones protégées et entraînant donc parfois de nouveaux conflits d'usage.

La spatialisation soulève enfin des enjeux en termes d'information et de contrôle des usagers. Or, cet aspect est encore insuffisamment pris en charge pour les pouvoirs publics, comme en conviennent les associations de protection de l'environnement.

Il semblerait dès lors inopportun de faire de la gestion spatiale des activités de pêche le pivot d'une politique européenne de protection de la biodiversité, au détriment des autres outils de gestion des stocks halieutiques.


* 28 Ifremer, Comment la science évalue-t-elle les impacts de la pêche sur les fonds marins ?, 9 février 2023.

* 29 https://inpn.mnhn.fr/programme/sensibilite-ecologique

* 30 Scientific, Technical and Economic Committee for Fisheries (STECF), « Support of the Action plan to conserve fisheries resources and protect marine ecosystems » (STECF-OWP-22-01), 2022.

* 31 Eigaard O.R., Bastardie F., Breen M.l., Dinesen G.E., Lafargue P., Nielsen J.R., Nilson H., O'Neil F., Polet H., Reid D., Sala A., Sköld M., Smith C., Sørensen T.K., Tully O., Zengin M., Hintzen N.T., Rijnsdorp A.D. (2016). Estimating seafloor pressure from trawls and dredges based on gear design and dimensions. ICES J. Mar. Sci. 73(1): 27-43

* 32No-take marine reserves are the most effective protected areas in the ocean - Enric Sala et Sylvaine Giakoumi, Conseil international pour l'exploration de la mer (2017).

* 33 Ifremer, Des populations de poissons perturbées par le changement climatique, 23 mai 2022.

* 34 Scientific, Technical and Economic Committee for Fisheries (STECF), « Support of the Action plan to conserve fisheries resources and protect marine ecosystems » (STECF-OWP-22-01), 2022.