CHAPITRE 2
DIVERSES DISPOSITIONS RELATIVES À LA FORMATION
ET À LA RESPONSABILITÉ DES JUGES NON PROFESSIONNELS

Article 8
Élargissement du vivier des candidats aux fonctions de conseillers prud'hommes et renforcement de la responsabilité de ces derniers

L'article 8 élargit le vivier des conseillers prud'hommes salariés en permettant à ceux qui n'ont plus d'activité professionnelle (personnes en recherche active d'emploi et retraités) ou qui exercent dans des lieux divers de candidater dans un conseil de prud'hommes limitrophe de leur domicile. Il vient également renforcer la responsabilité des conseillers prud'homaux, salariés et employeurs, en autorisant l'engagement de poursuites disciplinaires et le prononcé d'éventuelles sanctions malgré la cessation des fonctions des intéressés.

La commission s'est prononcé de manière favorable à ces modifications utiles et pragmatiques étant précisé que dans le rapport d'information sur la justice prud'homale réalisé en 2019 par les commissions des affaires sociales et des lois du Sénat avait déjà préconisé d'assouplir les conditions de candidature des retraités aux fonctions de conseiller prud'hommes187(*).

La commission a adopté cet article sans modification.

1. Un manque structurel de candidats pour exercer les fonctions de conseillers prud'homaux

1.1. Une juridiction ancienne composée de juges non professionnels

Depuis plus de deux siècles, les conseils de prud'hommes (CPH), juridictions paritaires composées d'un nombre égal de salariés et d'employeurs, tranchent les litiges individuels nés à l'occasion d'un contrat de travail unissant employeurs et salariés.

Il existe 211 conseils de prud'hommes188(*) et cinq tribunaux du travail189(*). Dans le ressort de chaque tribunal judiciaire se trouve au moins un conseil de prud'hommes190(*), divisés en deux collèges (salariés et employeurs) et en cinq sections autonomes191(*).

Les conseillers prud'hommes sont nommés par le garde des sceaux, ministre de la justice, et le ministre chargé du travail, sur proposition des organisations syndicales et professionnelles, en fonction de la mesure de l'audience syndicale et patronale, pour un mandat de quatre ans192(*).

Les candidats peuvent être des salariés, employeurs, des personnes à la recherche d'un emploi ou ayant cessé d'exercer toute activité professionnelle193(*).

Les salariés et les employeurs peuvent être candidats dans le conseil de prud'hommes dans le ressort duquel ils exercent leur activité principale ou dans un conseil de prud'hommes limitrophe.

Les personnes en recherche d'activité ou retraitées peuvent être candidates dans le CPH situé dans le ressort où elles exerçaient leur dernière activité, dans un CPH limitrophe ou dans celui situé dans le ressort de leur domicile.

Les voyageurs-représentants-placiers peuvent être candidats dans le CPH situé dans le ressort de leur domicile. Les employés de maison et leurs employeurs peuvent être candidats dans le CPH situé dans le ressort de leur domicile ou dans le CPH d'un ressort limitrophe.

1.2. Une vacance de 8 % de conseillers prud'hommes

Les 13 261 conseillers prud'homaux actuellement en fonction194(*) ont vu leur mandat débuté en 2023195(*). Il s'achèvera, exceptionnellement, en 2025, dans la mesure où leur mandat a été raccourci d'une année en raison de la crise sanitaire qui avait mené à la prolongation d'une année supplémentaire du précédent mandat.

Des opérations de désignation complémentaire sont conduites (une à deux par an) par la direction des services judiciaire afin de pourvoir les sièges vacants et procéder au remplacement des conseillers mettant fin à leur mandat196(*).

À ce jour, les conseils de prud'hommes connaissent une vacance structurelle de 8 % de leurs membres197(*).

2. La discipline des conseillers prud'hommes présente une faille en cas de démission préalable au prononcé d'une sanction disciplinaire

Les conseillers prud'hommes sont soumis aux principes déontologiques attachés à leurs fonctions de juge198(*). Ils doivent exercer leur mission en toute indépendance, impartialité, dignité et probité. Ils s'abstiennent, notamment, de tout acte ou comportement public incompatible avec leurs fonctions. Ils sont tenus au secret des délibérations. Le droit de grève est interdit dans le cadre de leurs fonctions de conseiller prud'homal. Ils prêtent le serment suivant : « Je jure de remplir mes devoirs avec zèle et intégrité et de garder le secret des délibérations199(*) ».

Depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, en dehors de toute action disciplinaire, les premiers présidents de cour d'appel peuvent rappeler à leurs obligations les conseillers prud'hommes des juridictions situées dans le ressort de leur cour200(*).

La loi du 6 août 2015 a également précisé la faute disciplinaire comme étant « tout manquement à ses devoirs dans l'exercice de ses fonctions par un conseiller prud'homme »201(*) .

L'organe disciplinaire en charge des conseillers prud'hommes est la commission nationale de discipline des conseillers prud'hommes (CNDCPH), présidée par un membre de la Cour de cassation et composée d'un membre du Conseil d'État, de deux magistrats du siège de cour d'appel ainsi que quatre représentants de salariés et d'employeurs exerçant ou ayant exercé un mandat de conseiller prud'homal.

La CNDCPH peut être saisie par le garde des sceaux ou par le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle siège le conseiller prud'homme concerné par une procédure disciplinaire202(*). Cette procédure doit respecter les principes du contradictoire et les droits de la défense.

Quatre sanctions disciplinaires sont applicables aux conseillers prud'hommes :

- le blâme ;

- la suspension pour une durée de six mois maximum ;

- la déchéance assortie d'une interdiction d'exercer les fonctions de conseiller prud'homme pour une durée maximale de dix ans ;

- la déchéance assortie d'une interdiction définitive d'exercer les fonctions de conseiller prud'homme.203(*)

Par leur nature, ces sanctions n'ont de sens (le blâme) ou de faisabilité (suspension ou déchéance) que si le conseiller prud'homme est toujours titulaire de son mandat. Tel n'est justement plus le cas si le conseiller prud'homme a démissionné avant la décision de la CNDCPH. Cette démission fait donc échec à l'engagement des poursuites disciplinaires et au prononcé d'une sanction.

Sanctions prononcées par la CNDCPH depuis 2017 

Sur 22 saisines, la CMDCPH a prononcé :

- 2 déchéances avec interdiction définitive d'exercer les fonctions de conseiller

- 4 déchéances avec interdiction d'exercer les fonctions de conseiller pour une durée maximale de 10 ans

- 3 suspensions des fonctions pour une durée ne pouvant excéder six mois ;

- 4 non-lieux pour absence de manquement ou absence de sanction malgré le constat de manquements ;

- 3 non-lieux en raison de la démission d'un conseiller prud'homme au cours de la procédure.

6 affaires sont pendantes.

Source : Étude d'impact du projet de loi d'orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027.

3. Le projet de loi vise à augmenter le vivier des candidats (salariés) des conseils de prud'hommes et à renforcer la responsabilité des conseillers prud'homaux

3.1. Permettre la nomination de certains candidats dans une juridiction prud'homale limitrophe de leur domicile

L'article 8 vise à assouplir les règles prévues à l'article L. 1441-11 du code du travail afin d'augmenter le vivier de candidats aux fonctions de conseillers prud'hommes.

En premier lieu, les salariés qui exercent à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement204(*) pourraient être candidats dans le CPH situé dans le ressort de leur domicile, à l'instar des voyageurs-représentants-placiers.

En second lieu, le dispositif proposé vise à permettre à ces différentes catégories de salariés, ainsi qu'aux personnes en recherche active d'emploi ou ayant cessé toute activité professionnelle, d'être candidats dans un CPH situé dans un ressort limitrophe de leur domicile.

En outre, la direction des services judiciaires a indiqué aux rapporteurs que dans le cadre dans le cadre du renouvellement général des conseillers prud'hommes de 2022, environ 50 demandes de candidature n'ont pas pu être prises en compte du fait des règles relatives aux ressorts limitrophes. Ce chiffre doit être relativisé dans la mesure où d'autres candidats potentiels ont probablement renoncé à faire acte de candidature aux fonctions de conseillers prud'hommes, ne pouvant siéger dans une juridiction d'un ressort limitrophe de leur domicile.

3.2. Permettre de prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre d'un conseiller prud'homal démissionnaire

Le dispositif proposé par le Gouvernement vise à répondre à la situation particulière où il est reproché une faute disciplinaire à un conseiller prud'hommes, à l'égard duquel des poursuites disciplinaires pourraient ou sont engagées, mais qui démissionne avant tout engagement des poursuites ou décision de la CNDCPH. Depuis 2017, cet organe disciplinaire a dû prononcer à trois reprises des décisions de non-lieu à sanction compte tenu de la démission de conseiller prud'hommes mis en cause devant cette instance.

Cette situation permet à des conseillers prud'hommes, après avoir démissionné, de solliciter un nouveau mandat de juge lors du renouvellement des membres des CPH, alors même qu'ils allaient ou ont été mis en cause disciplinairement.

L'article 8 entend donc permettre l'engagement de poursuites disciplinaires et le prononcé d'une éventuelle sanction malgré la démission du conseiller prud'hommes concerné. L'objectif étant, le cas échéant, de l'empêcher d'être à nouveau désigné en qualité de conseiller prud'hommes lors du renouvellement des effectifs des CPH.

4. La commission a estimé qu'il était pertinent d'élargir le vivier des candidats salariés aux fonctions de conseiller prud'hommes et d'assurer un renforcement de la responsabilité de ces derniers

Face à un manque structurel de près de 8 % de conseillers prud'hommes, il apparaît nécessaire de trouver des assouplissements raisonnables des conditions pour élargir le vivier de candidats aux fonctions de juges au sein des conseils de prud'hommes.

En 2019 déjà, Agnès Canayer, Pascale Gruny, Nathalie Delattre et Corinne Féret proposaient, dans un rapport d'information sur la justice prud'homale, d'assouplir les conditions de candidature des retraités afin de leur permettre de se porter candidat dans les conseils de prud'hommes de ressorts voisins de celui de leur domicile205(*).

La commission estime bienvenu le dispositif proposé, qui va au-delà de cette proposition en l'étendant aux personnes en recherche active d'emploi et en permettant aux salariés qui exercent dans leur activité professionnelle dans un lieu non fixe d'être candidat dans le CPH situé dans le ressort de leur domicile. .

De la même manière, la commission juge nécessaire de renforcer la discipline des conseillers prud'hommes en s'assurant que ceux qui ont commis des fautes disciplinaires ne puissent pas échapper à leur responsabilité en démissionnant de leur mandat avant toute sanction éventuelle.

La commission a adopté l'article 8 ainsi rédigé.

Article 8 bis (nouveau)
Instauration d'une obligation de déclaration d'intérêts
pour les conseillers prud'hommes

Introduit par la commission à l'initiative des rapporteurs, l'article 8 bis vise à instaurer une obligation de déclaration d'intérêts pour les conseillers prud'hommes afin de renforcer leur obligation d'impartialité et leur permettre d'identifier et de prévenir d'éventuels conflits d'intérêts.

Dans la mesure où le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 porte notamment sur la discipline des juges prud'homaux, les rapporteurs ont souhaité mettre en oeuvre la recommandation n° 23 formulée dans le rapport d'information des co-rapporteurs Agnès Canayer, Pascale  Gruny, Nathalie Delattre et Corinne Féret sur la justice prud'homale réalisé en 2019 au nom des commissions des affaires sociales et des lois du Sénat206(*).

Initialement prévue pour les magistrats professionnels par la loi n° 215-990  du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, la déclaration d'intérêts a également était entendue aux juges consulaires des tribunaux de commerce par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Dans le prolongement de la loi du 6 août 2015207(*) ayant instauré dans le code du travail un certain nombre d'obligations déontologiques (indépendance, impartialité, dignité et probité), l'obligation de déclaration d'intérêts s'appliquant aux conseillers prud'hommes, contribuerait à mieux identifier en amont les risques de conflit d'intérêts et à faire une meilleure application des règles de déport.

La commission a en conséquence adopté l'amendement COM-121 des rapporteurs.

Selon le dispositif adopté, cette déclaration d'intérêts, remise dans un délai de deux mois à l'issue de la prise de fonctions, est le support à un entretien déontologique, avant d'être adressée à l'autorité (président du conseil de prud'hommes pour les conseillers prud'hommes et premier président de cour d'appel pour le président du CPH). Elle n'est pas accessible aux tiers, sa divulgation étant pénalement réprimée208(*), mais peut être sollicitée par la commission nationale de discipline des conseillers prud'hommes en cas de poursuites disciplinaires. Le fait de ne pas remettre sa déclaration d'intérêts ou d'omettre une partie substantielle de ses intérêts serait puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Enfin, la commission a jugé opportun, par le même amendement, d'harmoniser le régime déontologique des différents juges (professionnels, consulaires et prud'homaux) afin de permettre d'affirmer clairement l'idée selon laquelle les conseillers prud'hommes sont avant tout des juges même s'ils ne sont pas des magistrats professionnels. Cette obligation peut également permettre de renforcer la confiance des justiciables dans la justice prud'homale.

La commission a adopté l'article 8 bis ainsi rédigé.

Article 8 ter (nouveau)
Instauration d'une limitation du cumul des mandats de conseiller prud'hommes et d'une limite d'âge pour l'exercice de cette fonction

Introduit par la commission à l'initiative des rapporteurs, l'article 8 ter vise à instaurer une limitation du cumul des mandats de conseiller prud'hommes au sein d'une même juridiction et une fin d'exercice en qualité de conseiller prud'hommes après l'âge de 75 ans.

Cet article, issu de l'adoption de l'amendement COM-122 des rapporteurs, s'inscrit également dans une volonté de la commission de renforcer la déontologie des conseillers prud'hommes. Le dispositif proposé s'inspire de la recommandation n° 24 du rapport d'information sénatoriale sur la justice prud'homale de 2019209(*).

Il permet d'assurer une cohérence et une harmonisation avec les règles applicables aux juges consulaires et professionnels. En effet, les juges professionnels sont astreints à des obligations de mobilité professionnelle210(*) et doivent cesser leurs fonctions à l'âge de 67 ans211(*) (75 ans en cas d'honorariat212(*)). Les juges consulaires des tribunaux de commerce ne peuvent exercer plus de cinq mandats successifs dans un même tribunal de commerce et ne peuvent siéger au-delà de l'âge de 75 ans213(*).

En revanche, aucune règle similaire ne s'applique pour les conseillers prud'hommes. Or si l'expérience acquise est un atout incontestable, le poids des habitudes prises peut parfois être un obstacle à un fonctionnement fluide des conseils de prud'hommes.

Soucieuse de renforcer le régime déontologique des conseillers prud'hommes et l'harmoniser avec celui des juges consulaires des tribunaux de commerce, la commission a donc institué d'une règle limitative de cumul des mandats de conseillers prud'hommes au sein d'une même juridiction et d'une fin d'exercice l'année du soixante-quinzième anniversaire des juges prud'homaux.

La commission a adopté l'article 8 ter ainsi rédigé.

Article 9
Sanction de l'obligation de formation du président du tribunal
de commerce et du refus de siéger d'un juge consulaire

L'article 9 vise d'une part à réputer démissionnaires, de leur fonction de président, les présidents des tribunaux de commerce qui n'auraient pas réalisé la formation spécialisée relative au rôle de chef de juridiction. D'autre part, il introduit une nouvelle cause de cessation des fonctions des juges du tribunal de commerce s'ils refusent de siéger sans motif légitime.

La commission a adopté cet article tout en modifiant son dispositif afin de renforcer les garanties du mécanisme mettant fin au mandat des juges consulaires refusant de siéger. À l'initiative des rapporteurs, elle a également renforcé la portée de l'obligation de formation des juges consulaires.

1. L'absence de formation obligatoire des présidents des tribunaux de commerce

Le président du tribunal de commerce est un juge consulaire choisi parmi les juges du tribunal qui ont exercé des fonctions dans un tribunal de commerce pendant six ans au moins214(*). Il est élu pour quatre ans au scrutin secret par ses pairs réunis en assemblée générale215(*).

Les juges consulaires ont une obligation de formation initiale et continue216(*). S'ils n'effectuent pas leur formation initiale dans un délai de vingt mois217(*), ils sont réputés démissionnaires.

Les présidents des tribunaux de commerce n'ont, actuellement, pas d'obligation de suivre une formation spécifique pour l'exercice de leur mandat de chef de juridiction.

Pour autant, leurs missions sont nombreuses. En effet, ils doivent notamment être garants du respect des règles déontologiques, des exigences de disponibilité, de la formation initiale et continue de leurs pairs et de la compétence de ces derniers. Ils doivent également s'assurer de la continuité, de la conformité et de la diligence procédurale du traitement des affaires. Ils se voient aussi confier des compétences juridictionnelles propres. Enfin, ils sont responsables de l'administration et la gestion du tribunal. Ils doivent veiller à son bon fonctionnement et à son efficacité218(*).

Compte tenu de ces enjeux, l'École nationale de la magistrature a mis en place depuis plusieurs années une formation de deux jours intitulée « Présider  un  tribunal de commerce ». À ce jour, cette formation est néanmoins peu suivie : seulement 50 % des nouveaux présidents la suivent et constituent 50 % des stagiaires219(*).

2. Une problématique persistante au sein des juridictions commerciales : le refus de siéger des juges consulaires

Depuis 2021, la Conférence générale des juges consulaires de France (CGJCF) alerte le Sénat sur les difficultés organisationnelles engendrées par le refus de siéger de certains juges consulaires des tribunaux de commerce.

Lors de la mission d'information de la commission des lois sur le droit des entreprises en difficulté à l'épreuve de la crise, la question du refus de siéger a été abordée. Les rapporteurs François Bonhomme et Thani  Mohamed Soilihi estimaient que ce comportement pourrait éventuellement caractériser un manquement disciplinaire, justifiant le recours à une procédure disciplinaire, à l'initiative du premier président de la cour d'appel220(*).

La proposition de la sénatrice Nathalie Goulet visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, examinée en septembre 2022221(*) prévoyait notamment de sanctionner le refus de siéger des juges consulaires en les rendant démissionnaires, conformément à la demande formulée par la CGJCF. Cependant, compte tenu de la position récente de la commission sur cette question, du fait que le texte portait principalement sur des questions relatives au collège électoral et à l'éligibilité des juges consulaires et de l'annonce du dépôt d'un futur projet de loi sur la justice au cours de l'année 2023, la commission a supprimé ce dispositif de la proposition de loi.

Le Gouvernement a donc repris cette mesure dans le projet de loi en indiquant que le refus de siéger est toujours une situation « fréquemment rencontrée » et qu'il s'agit d'un facteur de désorganisation pour les juridictions commerciales. La charge de travail du juge absent doit être répartie sur les autres juges, étant précisé qu'en 2022, sur 3 513 sièges de juges consulaires localisés, 3 477 étaient en fonction, le nombre de juges consulaires par tribunal étant fixé limitativement par décret222(*). Le Gouvernement précise enfin qu'« A ce jour, le refus de siéger n'est pas sanctionné. Dès lors, aucun juge consulaire n'a fait l'objet de poursuites disciplinaires sur ce motif au cours des dernières années223(*) ».

Les auditions des rapporteurs ont mis en avant l'actualité et la persistance de la problématique du refus de siéger au sein des juridictions commerciales. Pour tenter de faire face à ces situations, certains présidents ont notamment recours à des entretiens informels avec les intéressés afin de les convaincre de démissionner pour permettre l'élection d'un autre juge qui aura une réelle volonté d'exercer son office une fois élu.

3. Le projet de loi entend renforcer l'obligation de formation des présidents des tribunaux de commerce et sanctionner le refus de siéger de manière automatique

3.1. Mettre fin au mandat du président du tribunal de commerce qui ne se forme pas à ses attributions de chef de juridiction

Dans l'hypothèse où le président du tribunal de commerce ne réalise pas une formation spécifique à la gestion d'une juridiction commerciale, le projet de loi prévoit de mettre un terme à son seul mandat de président, en le rendant automatiquement démissionnaire.

L'objectif poursuivi par le Gouvernement est de s'assurer que les présidents des tribunaux de commerce, outre leur expérience juridictionnelle, disposent des outils théoriques nécessaires pour l'exercice de leurs missions de chef de juridiction.

3.2. Le refus de siéger : une nouvelle cause de cessation automatique des fonctions du juge consulaire

Actuellement, il existe quatre causes de cessation de fonctions de juge d'un tribunal de commerce envisagées par l'article L. 722-8 du code de commerce :

- l'expiration du mandat électoral ;

- la suppression du tribunal ;

- la démission ;

- la déchéance.

Ces causes résultent toutes de situations sans équivoque, dans lesquelles, à l'exception de l'hypothèse d'une démission, le juge consulaire n'est pas à l'origine de la fin de son mandat. A l'inverse, le refus de siéger, s'il est volontaire, peut résulter de causes différentes et temporaires, et il convient d'apprécier l'absence de « cause légitime ».

Le dispositif de l'article 9 du projet de loi instaurerait une cinquième cause de cessation de fonctions en raison du refus de siéger du juge consulaire. Une mise en demeure est prévue, selon des conditions fixées par décret en Conseil d'État.

4. La position de la commission : faire du refus de siéger une problématique disciplinaire et renforcer l'obligation de formation des juges consulaires

À l'initiative des rapporteurs, la commission des lois a adopté un amendement COM-123 apportant plusieurs modifications.

4.1. Le refus de siéger est un comportement qui doit relever de la discipline des juges consulaires

Sensible au caractère persistant de la problématique du refus de siéger et estimant le véhicule législatif plus adapté que lors de l'examen de la récente proposition de loi de Nathalie Goulet, la commission a souhaité renforcer l'équilibre du dispositif.

Dans la mesure où ce comportement s'apparente davantage à un manquement aux devoirs d'un juge, l'automaticité de la cessation des fonctions en cas de refus de siéger n'apparait pas comme une réponse adaptée face à une situation qui peut avoir des origines éventuellement temporaires.

La commission a donc fait le choix de déplacer les dispositions relatives au refus de siéger dans le chapitre concernant la discipline des juges des tribunaux de commerce, tout en précisant que le prononcé de cette sanction devient une possibilité qui nécessitera la mise en oeuvre d'une procédure contradictoire (mise en demeure, entretiens avec l'intéressé) dont les modalités seront précisées par décret en Conseil d'État.

La commission a estimé que le mécanisme existant pour les conseillers prud'hommes pouvait utilement être appliqué aux juges consulaires étant précisé que c'est également l'option envisagée par le Gouvernement selon les termes de l'étude d'impact du projet de loi.

Le refus de siéger aux prud'hommes

Le refus de siéger des conseillers prud'hommes est sanctionné au titre de la discipline224(*). Il est réputé démissionnaire à titre disciplinaire.

Cette procédure est régie par un décret en Conseil d'État qui prévoit l'organisation d'un entretien préalable entre le président de la juridiction prud'homale et le conseiller prud'homme qui refuse d'effectuer son service. À l'issue de cet entretien, le président de la juridiction dresse un procès-verbal après avis du vice-président de la juridiction et de la section ou la chambre dans laquelle siège habituellement le conseiller prud'homme. Ensuite, la cour d'appel statue sur la démission de l'intéressé après l'avoir convoqué.

Cette procédure est peu employée : selon la direction des services judiciaires du ministère de la justice, seulement six conseillers prud'hommes ont fait l'objet de cette procédure depuis le 14 décembre 2017.

Source : Rapport n° 901 (2021-2022) de Thani Mohamed Soilihi,
fait au nom de la commission des lois du Sénat, le 28 septembre 2022, pp. 12 à 15.

4.2. Renforcer l'obligation de formation des juges consulaires et des présidents de juridiction commerciale

La commission est favorable au mécanisme proposé par le projet de loi pour renforcer la formation des présidents des tribunaux de commerce.

En outre, le Conseil national des tribunaux de commerce fait état d'une difficulté pratique relative à la sanction de l'obligation de formation de l'ensemble des juges consulaires, qui manque d'efficacité.

En effet, les juges consulaires, dont c'est le premier mandat ou n'ayant jamais suivi la formation initiale, sont soumis à une obligation de formation initiale. Conformément à l'article L. 722-17 du code de commerce, à défaut d'avoir satisfait à cette obligation dans le délai de vingt mois, ils sont réputés démissionnaires.

Toutefois, les juges consulaires ainsi réputés démissionnaires restent éligibles. En effet, dès lors qu'ils ne sont frappés par aucune inéligibilité, ils peuvent être élus à nouveau dès la fin prématurée de leur précédent mandat, ce qui prive de réel effet cette obligation de formation.

La commission a instauré une inéligibilité de quatre années pour tout juge consulaire réputé démissionnaire. Cependant, afin de prendre en compte les circonstances susceptibles de justifier la non-réalisation de cette formation dans le temps imparti, une procédure de relèvement d'inéligibilité après examen des demandes par le ministère de la justice est également créée.

4.3. Clarifier les modalités de computation des mandats après annulation de l'élection du juge consulaire

Au cours des travaux des rapporteurs, il est également apparu que certaines préfectures rencontrent des difficultés concernant la computation de mandats des juges consulaires.

En effet, le code de commerce prévoit que le tribunal judiciaire peut annuler l'élection des juges des tribunaux de commerce en cas de non-respect des règles relatives à l'électorat, à l'éligibilité et aux opérations électorales225(*). Dans ce cas, un juge élu après une annulation de l'élection précédente ne commence pas son mandat en même temps que tous les autres.

La commission propose donc de prévoir également que la durée de deux ans du mandat de juge consulaire ne soit pas comptabilisée à compter de l'annulation, à l'instar de ce qui est prévu pour les élections complémentaires.

La commission a adopté l'article 9 ainsi modifié.

Article 10
Sanction de l'obligation de formation des assesseurs des pôles sociaux des tribunaux judiciaires

L'article 10 vise à réputer démissionnaires les assesseurs (magistrats non professionnels désignés parmi les représentants de salariés et d'employeurs) des pôles sociaux des tribunaux judiciaires qui n'ont pas réalisé la formation obligatoire d'une journée prévue pour l'exercice de leurs fonctions.

La commission a adopté cet article en complétant son dispositif afin de permettre de sanctionner les cas de refus de siéger d'un assesseur et de limiter la prestation de serment aux seuls assesseurs n'ayant jamais exercé cette fonction au préalable.

1. L'obligation de formation des assesseurs des pôles sociaux des tribunaux judiciaires

Depuis la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, les pôles sociaux des tribunaux judiciaires sont compétents pour connaître des contentieux de la sécurité sociale et une partie du contentieux relatif de l'admission à l'aide sociale.

La composition de la chambre du pôle social est présidée par un magistrat professionnel et deux assesseurs représentant les travailleurs salariés ainsi que les employeurs et travailleurs indépendants226(*).

Les assesseurs sont désignés pour une durée de trois ans par le premier président de la cour d'appel, après avis du président du tribunal, sur une liste dressée dans le ressort de chaque tribunal par l'autorité administrative, sur proposition des organisations professionnelles intéressées les plus représentatives227(*). Au 1er janvier 2022, 2 968 assesseurs ont été recensés228(*).

La loi du 18 novembre 2016 a imposé aux assesseurs nouvellement nommés au sein des pôles sociaux des tribunaux judiciaires et de la formation de jugement de la cour d'appel d'Amiens229(*), le suivi d'une formation initiale préalable à l'exercice de leurs fonctions230(*). Cette formation d'une journée est organisée par l'École nationale de la magistrature.

L'assesseur qui ne justifie pas du suivi de la formation initiale ne peut pas siéger s'il n'a jamais exercé de mandat au préalable. En revanche, aucune autre sanction n'est prévue, le mandat de l'assesseur subsistant et son siège ne pouvant être attribué à un autre candidat.

Au 11 janvier 2023, sur 1 521 assesseurs en formation, 1 034 ont validé l'intégralité de leur parcours de formation en ligne, 335 ne se sont jamais connectés à la plateforme, 132 ont débuté leurs parcours et 68 % de la promotion a validé sa formation initiale.

2. Le projet de loi introduit une sanction du non-respect de l'obligation de formation des assesseurs des pôles sociaux des tribunaux judiciaires

Lorsqu'un assesseur n'effectue pas sa formation obligatoire, l'empêchant de siéger, la juridiction peut initier une procédure disciplinaire231(*), inviter l'assesseur à démissionner ou recourir au dispositif de vacances des fonctions232(*). Cependant, le Gouvernement estime que ces mécanismes sont inadaptés au besoin des juridictions.

Le dispositif proposé permettrait donc de mettre automatiquement un terme au mandat d'un assesseur qui refuse ou tarde à exécuter son obligation de formation en le rendant démissionnaire.

3. La position de la commission : renforcer l'obligation de formation des assesseurs des pôles sociaux des tribunaux judiciaires et sanctionner les éventuels refus de siéger de ces derniers

Si la commission est favorable au dispositif proposé pour mettre un terme au mandat des assesseurs qui n'effectuent pas leur formation initiale, elle entend également, via l'amendement COM-124 présentée par les rapporteurs, sanctionner les assesseurs qui refusent de siéger.

En effet, les juridictions sont parfois confrontées à des assesseurs injoignables ou qui ne se présentent pas au tribunal pour les audiences auxquelles ils ont été convoqués. Face à ces assesseurs qui occupent un siège sans remplir leurs missions, les pôles sociaux ne disposent pas de dispositif efficace pour mettre un terme à ces mandats et désigner de nouveaux assesseurs.

Il est alors nécessaire soit de mettre en oeuvre la procédure disciplinaire prévue à l'article L. 218-11 du code de l'organisation judiciaire, soit recourir au dispositif de vacances des fonctions. Or aucun de ces deux mécanismes n'est adapté au cas de figure particulier de l'assesseur qui refuse d'exercer ses fonctions juridictionnelles et porte ainsi atteinte au bon fonctionnement du pôle social.

La commission entend donc harmoniser la réponse à donner à ce type de situation, à l'instar de ce qui est déjà prévu pour les conseillers prud'hommes233(*), et de ce que l'article 9 du présent projet de loi prévoit pour les juges consulaires des tribunaux de commerce. Dès lors, en cas de refus de siéger, l'assesseur du pôle social du tribunal judiciaire sera réputé démissionnaire selon une procédure dont les modalités seront fixées par décret en Conseil d'État.

Par ailleurs, par mesure de simplification l'amendement adopté par la commission, outre une simplification rédactionnelle, supprime l'obligation de prestation de serment pour les assesseurs qui ont déjà exercé, par le passé, des fonctions judiciaires au sein du pôle social d'un tribunal judiciaire.

La commission a adopté l'article 10 ainsi modifié.


* 187 Recommandation n° 39 du rapport d'information n° 653 (2018-2019) fait au nom de la commission des affaires sociales et la commission des lois du Sénat par Agnès Canayer, Pascale Gruny, Nathalie Delattre et Corinne Féret, enregistré le 10 juillet 2019, p. 72.

* 188 Dont huit répartis en Guadeloupe (2), Martinique (1), La Réunion (2), Guyane (1), Saint-Pierre-et-Miquelon (1) et Mayotte (1).

* 189 Trois tribunaux du travail sont situés en Polynésie française, un en Nouvelle-Calédonie, un à Wallis-et-Futuna.

* 190 Article L. 1422-1 du code du travail.

* 191 Encadrement, industrie, commerce et services commerciaux, agriculture et activités diverses.

* 192 Articles L. 1441-1 et L. 1441-2 du code du travail.

* 193 Article L.  1441-6 du code du travail.

* 194 Étude d'impact du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, p. 193.

* 195 Arrêté du 14 mars 2022 portant attribution des sièges de conseillers prud'hommes pour le mandat prud'homal 2023-2025, NOR : MTRT2206617A.

* 196 Articles L. 1441-25 et suivants du code du travail.

* 197Étude d'impact du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, p. 194.

* 198 Article L. 1421-2 du code du travail créé par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

* 199 Article D. 1442-13 du code du travail.

* 200 Article L. 1442-13-1 du code du travail.

* 201 Article L. 1442-13 du code du travail.

* 202 Article L. 1442-16 du code du travail pour les mesures provisoires et L. 1442-13-3 du code du travail pour la procédure au fond.

* 203 Article L. 1442-14 du code du travail.

* 204 L'étude d'impact du projet de loi d'orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 évoque par exemple des « techniciens après-vente, travailleurs agricoles, saisonniers, visiteurs médicaux, personnels navigants, intermittents », p. 195.

* 205 Recommandation n° 39 du rapport d'information n° 653 (2018-2019) fait au nom de la commission des affaires sociales et la commission des lois du Sénat par Agnès Canayer, Pascale Gruny, Nathalie Delattre et Corinne Féret, enregistré le 10 juillet 2019, p. 72.

* 206Rapport d'information n° 653 (2018-2019) fait au nom de la commission des affaires sociales et la commission des lois du Sénat par Agnès Canayer, Pascale Gruny, Nathalie Delattre et Corinne Féret, enregistré le 10 juillet 2019, pp.  61-62.

* 207 Loi n° 215-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

* 208 Article 226-1 du code pénal : un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.

* 209 Rapport d'information n° 653 (2018-2019) fait au nom de la commission des affaires sociales et la commission des lois du Sénat par Agnès Canayer, Pascale Gruny, Nathalie Delattre et Corinne Féret, enregistré le 10 juillet 2019, p. 62.

* 210 Voir par exemple les articles 28-3 (limite de dix ans pour l'exercice des fonctions spécialisées), 38-2  (limite de sept ans pour l'exercice des fonctions de chef de juridiction de première instance), 76-4 (obligation de mobilité statutaire) de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

* 211 Ibid., article 76.

* 212 Ibid., article 41-32.

* 213 Article L. 723-7 du code de commerce.

* 214 Article L. 722-13 du code de commerce : le premier président de la cour d'appel peut décider que l'ancienneté requise n'est pas exigée lorsqu'aucun des candidats ne remplit la condition d'ancienneté.

* 215 Article L. 722-11 du code de commerce.

* 216 Article L. 722-17 du code de commerce.

* 217 Article D. 722-29 du code de commerce : à compter du premier jour suivant l'élection du juge au tribunal de commerce.

* 218 Étude d'impact du projet de loi orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027, pp. 211-212.

* 219 Ibid.

* 220 Les outils juridiques de prévention et de traitement des difficultés des entreprises à l'aune de la crise de la covid-19, rapport d'information n° 615 (2020-2021) de François Bonhomme et de Thani  Mohamed Soilihi fait au nom de la commission des lois du Sénat, 19 mai 2021, pp. 119-120.

* 221 Proposition de loi n° 768 (2021-2022) visant à réactualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce de Nathalie Goulet, déposée le 7 juillet 2022.

* 222 Annexe 7-2 du livre VII du code de commerce.

* 223 Étude d'impact du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, pp. 212.

* 224 Article L. 1442-12 du code du travail : « Tout conseiller prud'homme qui, sans motif légitime et après mise en demeure, refuse de remplir le service auquel il est appelé peut être déclaré démissionnaire ».

* 225 Article R. 723-24 du code de commerce.

* 226 Article L. 218-1 du code de l'organisation judiciaire.

* 227 Article L. 218-3 du code de l'organisation judiciaire.

* 228 Étude d'impact sur le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, p. 219.

* 229 Compétente pour connaître du contentieux de la tarification des accidents du travail.

* 230 Article L. 218-12 du code de l'organisation judiciaire.

* 231 Article L. 218-11 du code de l'organisation judiciaire.

* 232 Article R. 218-8 du code de l'organisation judiciaire.

* 233 Article L. 1442-12 du code du travail.