TITRE IV
OUVERTURE ET MODERNISATION
DE L'INSTITUTION JUDICIAIRE

CHAPITRE 1ER
JURIDICTIONS JUDICIAIRES

Article 11
Statuts des attachés de justice et des assistants spécialisés

L'article 11 consacrerait un chapitre du code de l'organisation judiciaire à « l'équipe autour des magistrats ». Toutefois, seuls deux articles définissant les statuts des attachés de justice et des assistants spécialisés y figureraient, excluant de facto les greffiers.

Les attachés de justice succéderaient aux juristes assistants dans le cadre d'un statut plus pérenne - qui autoriserait un détachement de fonctionnaires ou la signature d'un contrat à durée indéterminée - et de fonctions élargies, tandis que les assistants spécialisés pourraient exercer leurs fonctions au civil, et non plus exclusivement au pénal.

Les deux statuts permettraient de recevoir des délégations de signature en matière de réquisitions pénales et, pour l'attaché de justice, selon des modalités à définir par décret, en matière civile. Ce même décret fixerait le niveau de diplôme et la durée d'expérience requis pour ces deux fonctions, ainsi que la formation dispensée, la « doctrine d'emploi durable pour chacun d'entre eux234(*) » restant quant à elle à définir.

À l'initiative de ses rapporteurs et dans la lignée de ses précédents rapports et des États généraux de la justice, la commission a choisi de ne pas exclure les greffiers de l'équipe autour du magistrat et a renommé le chapitre III bis en conséquence. Elle a accepté la création d'un statut pérenne d'attaché de justice et l'extension des missions des assistants spécialisés au civil, tout en appelant à une clarification des rôles respectifs des membres de l'équipe du magistrat qui ne ressort pas du texte.

La commission a adopté cet article avec modification.

1. Un constat partagé : la nécessité d'une « équipe autour des magistrats »

« Permettre au juge de se recentrer sur son office, sur le coeur de sa fonction, c'est-à-dire décider, trancher des litiges, grâce au développement d'une équipe de collaborateurs du juge, doit aussi contribuer à des décisions de meilleure qualité, si le juge peut être déchargé de tâches secondaires qui seraient effectuées par d'autres et de la participation à des commissions administratives où sa présence n'est pas indispensable », telle était l'une des recommandations du rapport d'information de la commission des lois « Cinq ans pour sauver la justice ! » en 2017235(*), se plaçant ainsi dans la continuité de nombreux rapports antérieurs236(*).

Force est de constater qu'au fil des années, le binôme magistrat-greffier s'est étoffé et que le profil et le statut des personnes sur lesquelles les magistrats peuvent désormais s'appuyer se sont diversifiés.

 

Base législative

Statut

Conditions de recrutement

Missions

Assistant de justice

Article 20 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative

CDD de 2 ans renouvelable deux fois (maxi : 6 ans)

Temps partiel237(*)

Diplôme sanctionnant une formation juridique d'une durée au moins égale à 4 années d'études supérieures après le baccalauréat

Apportent leur concours aux travaux préparatoires réalisés pour l'exercice de leurs attributions par les magistrats238(*)

Assistant spécialisé

Article 91 de la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier

Détachement nommé pour une durée de 3 ans renouvelable

ou

CDD de 3 ans renouvelable

Fonctionnaires de catégorie A ou B

ou

Diplôme national dans des matières définies par décret sanctionnant une formation d'une durée au moins égale à 4 années d'études supérieures après le baccalauréat

et

4 années d'expérience professionnelle

Toutes les tâches qui leur sont confiées par les magistrats et notamment:

Assister les juges d'instruction dans tous les actes d'information ;

- Assister les magistrats du ministère public dans l'exercice de l'action publique ;

- Assister les officiers de police judiciaire agissant sur délégation des magistrats ;

- Remettre aux magistrats des documents de synthèse ou d'analyse qui peuvent être versés au dossier de la procédure ;

- Mettre en oeuvre le droit de communication reconnu aux magistrats en application de l'article 132-22 du code pénal239(*).

Juriste assistant

Article 24 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle

CDD de 3 ans, renouvelable une fois (maxi : 6 ans)

Temps partiel ou complet

Diplôme de doctorat en droit ou sanctionnant une formation juridique au moins égale à 5 années d'études supérieures après le baccalauréat

et

1 année d'expérience240(*) professionnelle dans le domaine juridique

Contribuent par leur expertise, en matière civile et en matière pénale, à l'analyse juridique des dossiers techniques ou comportant des éléments de complexité qui leur sont soumis par les magistrats sous la direction desquels ils sont placés. Ils ne participent ni à la procédure ni aux audiences. Ils ne peuvent assister aux délibérés241(*).

À ces trois catégories bien identifiées mais dont les champs d'intervention se recoupent parfois, s'ajoutent les contractuels « Justice de proximité » recrutés en 2021 et 2022 afin d'accélérer le traitement des affaires civiles et de réduire le stock dans les tribunaux. Agents de catégorie A ou B, ils sont destinés à apporter un renfort aux greffes dans les services civils ou pénaux de la juridiction ou, sous la responsabilité du magistrat, à participer au pilotage de dossiers non-juridictionnels (comme par exemple les chargés de mission VIF). Ces personnels, un temps qualifiés de « sucres rapides » par le garde des sceaux « ont vocation à devenir des renforts pérennes et s'installer durablement en tant qu'acteurs de la communauté judiciaire » selon son annonce faite à Reims le 27 février 2023.

Enfin, les juridictions accueillent également des apprentis et des stagiaires, en particulier des élèves avocats au cours de leur projet pédagogique individuel (PPI).

Dans son rapport de 2022242(*), Dominique Lottin, Première présidente honoraire et ancienne membre du Conseil constitutionnel, faisait le constat que « le développement et la structuration d'équipes pluridisciplinaires sont de nature à apporter une assistance précieuse aux juges et aux procureurs afin de contribuer à renforcer la qualité de leur office et à améliorer leurs conditions de travail ».

2. Le projet de loi : une équipe qui semble exclure les greffiers sans le dire clairement

L'article 11 du projet de loi entend, selon l'étude d'impact, répondre au constat mis à jour par les États généraux de la justice d'une confusion entre les compétences respectives des juristes assistants, assistants spécialisés et greffiers. Il vise également :

- à permettre d'accompagner le développement et l'animation de politiques publiques et partenariales incombant à l'autorité judiciaire ;

- à revaloriser le statut des juristes assistants et à pérenniser ces postes, affectés par un renouvellement important ou qui restent non pourvus faute d'un vivier universitaire local suffisant.

D'un point de vue strictement législatif, l'article se contente toutefois de renommer le chapitre III bis du titre II du livre Ier de la partie législative du code de l'organisation judiciaire « Équipe autour des magistrats », d'y insérer un article relatif aux assistants spécialisés qui n'apparaissent à présent que dans le code de procédure pénale et de redéfinir les statuts de juristes assistants et de juristes spécialisés.

Quelques chiffres

Au 1er janvier 2023, on décomptait 935 juristes assistants et 141 assistants spécialisés.

En 2023, 300 juristes assistants et 20 assistants spécialisés devraient être recrutés.243(*)

De 2024 à 2027, il est prévu de recruter 1 700 attachés de justice.

La direction des services judiciaires évalue le besoin d'attachés de justice à environ 1 pour 3 magistrats, soit 3 000 ou 4 000 agents à terme, en considérant que toutes les activités des magistrats puissent donner lieu à une aide à la décision244(*).

2.1. La proposition : créer un statut plus pérenne pour les juristes assistants et étendre les fonctions des assistants spécialisés

L'article 11 vise :

- à pérenniser le statut contractuel des juristes assistants, qui seraient désormais appelés « attachés de justice » et pourraient être recrutés par contrats à durée indéterminée ;

- à permettre le recrutement de fonctionnaires en détachement sur cette fonction, à l'instar des assistants spécialisés ;

- à leur permettre d'assister aux audiences et aux délibérés ;

- à leur accorder des délégations de signature : en matière pénale, il s'agirait des mêmes que celles données aux assistants spécialisés245(*) et, en dehors du champ pénal, de « matières particulières », à déterminer par décret ;

_ à intégrer les assistants spécialisés dans le code de l'organisation judiciaire et à élargir leur domaine d'intervention au civil.

Une large marge d'appréciation serait laissée au pouvoir réglementaire, qui aurait à déterminer les délégations de signature conférées aux attachés de justice, les conditions à remplir pour être nommé à ces deux fonctions, la formation préalable qui serait dispensée et, pour les assistants spécialisés, la durée pour laquelle ils seraient nommés.

La pérennisation des juristes assistants semble faire l'unanimité tant auprès des magistrats que des juristes assistants eux-mêmes. Le choix de maintenir un statut contractuel a également été retenu par le rapport des États généraux et le rapport Lottin précité. La Conférence nationale des Premiers présidents s'est déclarée intéressée par l'évolution du statut des juristes assistants vers un double recrutement de contractuels et de fonctionnaires en détachement, qui permet de gommer les inégalités territoriales, et a salué la facilitation de l'accès à la magistrature des attachés via le concours professionnel de recrutement de magistrats de premier grade (voir l'article 1er du projet de loi organique). Elle a relevé que la « CDisation » pourrait être une voie d'accueil à des anciens avocats.

L'appellation soulève quant à elle plus d'interrogations : l'Association des juristes assistant-e-s de magistrat-e-s souhaiterait conserver la qualification de « juriste246(*) », tandis que le rapport Lottin préférait « assistants juridictionnels » et que l'Union syndicale des magistrats propose la dénomination « juristes judiciaires »247(*)

Les rapporteurs ont noté l'absence de réflexion commune avec les juridictions administratives qui conserveraient un statut inchangé de juristes assistants248(*), tout en relevant qu'elles peuvent déjà recourir, comme les juridictions financières, aux membres du corps interministériel des attachés d'administration de l'Etat - de catégorie A - relevant du Premier ministre qui « apportent leur soutien aux membres de ces juridictions pour la conduite de l'instruction, pour les contrôles et enquêtes, ainsi que pour la tenue des formations d'instruction et de jugement » 249(*).

2.2. Les flous de la réforme : la place des greffiers et la structuration de l'équipe

La rédaction proposée laisse les greffiers manifestement en dehors de l'équipe autour des magistrats puisqu'aucune disposition les concernant ne figure dans le nouveau chapitre III bis. Or ceux-ci sont bien « dans l'équipe » : c'est le sentiment exprimé par les organisations syndicales entendues par les rapporteurs et la déclaration faite par le Garde des sceaux le 23 mai 2023 devant la commission semble sans équivoque : « Quant à la place du greffier dans l'équipe autour du magistrat, elle est absolument essentielle ».

L'assistance des magistrats dans le cadre de la mise en état et du traitement des dossiers, ainsi que dans le cadre des recherches juridiques figure d'ailleurs dans les missions fixées par l'article 4 du décret n° 2015-1275 du 13 octobre 2015 portant statut particulier des greffiers des services judiciaires.

L'équipe autour des magistrats ne peut se structurer sans une réflexion sur la manière dont le travail des différents contractuels qui sont arrivés au fil des ans s'articule avec celui des greffiers, qui ont maintenu, aux côtés des magistrats, les juridictions en état de marche pendant des années malgré les difficultés et se plaignent désormais d'une perte de sens de leurs fonctions. Le rapport des États généraux de la justice détaille cette situation : « Du côté des agents des greffes, les indicateurs témoignent d'un réel mal-être, en même temps sans doute que d'un déficit de management : on constate ainsi un taux d'absentéisme anormalement élevé, de près de 9 %, au niveau des services judiciaires, contre 5 % sur l'ensemble du ministère de la justice. Entre 2015 et 2019, les demandes de détachement des greffiers ont augmenté de plus de 400 %, pour des départs notamment en préfecture où ils sont mieux payés et travaillent dans de meilleures conditions ».

Parmi les pistes, l'enrichissement des tâches des greffiers est régulièrement évoqué. Il irait de pair avec un recentrage du juge sur ses fonctions juridictionnelles.

Ainsi, dans son rapport « Cinq ans pour sauver la justice » de 2017, la commission avait recommandé de confier à un « délégué du juge » qui pourrait être issu du corps des greffiers des missions de conciliation ou de coordination des différents acteurs de la conciliation, ou encore d'expérimenter le déploiement de greffiers assistants du magistrat auprès des magistrats du siège pour leur confier, par exemple, la mise en état des affaires civiles. À l'occasion de l'Agora de la justice qu'elle a organisée le 27 septembre 2021, elle a réaffirmé l'importance de « recentrer le juge civil sur son office et encourager la délégation de certaines missions à l'équipe du juge, en particulier aux greffiers ».

Le comité des États généraux de la justice a été dans le même sens en proposant « de renforcer les effectifs des greffiers de 2 500 à 3 000 personnes, dont certaines participeront aussi à l'aide à la décision ». À propos des greffiers des conseils des prud'hommes, il a relevé que leur rôle et leurs compétences doivent être étendus pour offrir une assistance plus poussée aux conseillers prud'homaux dans la prise en charge de la mise en état.

À la lecture du rapport annexé à l'article 1er, le greffier semble plutôt cantonné aux audiences et à l'accueil du justiciable, tandis que, selon les informations transmises par la direction des services judiciaires du ministère de la justice, il est envisagé de conférer une délégation de signature aux attachés de justice pour certains contentieux comme la mise en état.

Cette organisation semble aller à l'encontre des préconisations rappelées ci-dessus.

3. La position de la commission : accepter les nouveaux statuts d'attachés de justice et d'assistants spécialisés en les encadrant

La commission est tout à fait favorable à l'idée de pérenniser une équipe d'intervenants de qualité autour des magistrats et de lui permettre de sortir d'« une solitude inhabituelle dans notre société » selon les termes utilisés par un avocat représentant le Barreau de Paris entendu par les rapporteurs. Elle est parfaitement consciente des effets bénéfiques que cette équipe pourrait avoir sur les délais de jugement.

Elle a donc accepté d'adopter les dispositions relatives aux statuts des attachés de justice et assistants spécialisés, en regrettant que le renvoi au règlement ne permette pas d'avoir une idée claire du profil des attachés de justice, ni des fonctions réellement exercées. S'agissant de leur assistance aux délibérés, à laquelle les magistrats sont très opposés, la commission a estimé que le fait d'assister aux délibérés, dès lors que c'est en lien avec les dossiers qu'ils traitent, améliorerait la qualité de leur travail et rendrait plus efficace leur soutien aux magistrats. Il appartiendra au Gouvernement de veiller à ce que la formule du serment prêté par les attachés couvre bien le secret du jugement250(*).

La commission note, en revanche, que l'article 11 ne règle en rien la question de l'organisation et de la structuration de cette équipe. Ainsi que l'a déclaré un représentant de la Fédération CFDT Interco Justice, « l'invention d'attaché de justice vient pallier l'absence de volonté de se poser les vraies questions », et en particulier : « qui fait quoi ? » 

À l'initiative des rapporteurs, elle a souhaité restaurer symboliquement les greffiers dans l'équipe autour des magistrats en modifiant l'intitulé du chapitre III bis qui les exclut de facto, et ainsi également signifier que la simple existence de dispositions législatives relatives aux statuts d'attaché de justice et d'assistant spécialisé est bien insuffisante à structurer une équipe autour des magistrats. Elle a adopté l'amendement COM-126 à cette fin.

Des mesures transitoires pour l'application de cet article sont prévues en ce qui concerne les juristes assistants dont le statut disparaîtrait dans l'année suivant la publication de la loi. Il s'agirait d'une part de conserver le vivier actuel des juristes assistants par dérogation aux règles de durée des contrats actuellement applicables et, d'autre part, de nommer automatiquement tous les juristes assistants sur des fonctions d'attachés de Justice dès l'entrée en vigueur de l'article 11. Sur cette dernière mesure, la commission a souhaité rétablir un droit d'option251(*).

La commission a adopté l'article 11 ainsi modifié.

Article 12
Participation des parlementaires aux conseils de juridiction

L'article 12 rétablit la participation des parlementaires aux conseils de juridiction des tribunaux judiciaires et des cours d'appel à raison d'un membre par assemblée parlementaire. Conformément aux dispositions n° 2017-1338 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique régissant la participation des élus à des organismes extra-parlementaires il rehausse, pour ce faire, les conseils de juridiction au niveau législatif.

Tout en adoptant cet article, la commission a rétabli la possibilité pour l'ensemble des parlementaires élus d'une circonscription située sur le ressort de la juridiction de participer au conseil de juridiction. Elle a également créé des conseils de juridiction auprès de la Cour de Cassation, du Conseil d'État, des cours administratives d'appel et des tribunaux administratifs.

1. L'impossibilité juridique pour les parlementaires de participer aux conseils de juridiction depuis 2017

1.1. Les conseils de juridiction : un espace de dialogue entre les juridictions et les acteurs de la cité

La volonté de créer un espace de dialogue entre les juridictions et les acteurs de la cité remonte à l'origine au rapport de Didier Marshall intitulé « Les juridictions du XXIe siècle » et remis à la Garde des sceaux le 16 décembre 2013. Celui-ci y plaidait pour la création de conseils de justice afin de « donner un cadre [aux partenariats organisés par les juridictions] en mettant en place, au sein de chaque département et de chaque région, des conseils de justice au sein desquels les juridictions, dans un souci démocratique de transparence, [présenteraient] leurs actions et leurs politiques juridictionnelles à leurs principaux partenaires, qui [feraient] part de leurs besoins et de leurs attentes »252(*).

Cette instance a finalement vu le jour trois ans plus tard sous la dénomination « conseil de juridiction » et à titre expérimental. Trois cours d'appel et dix-sept tribunaux de grande instance étaient ainsi concernés253(*). Le dispositif a ensuite été généralisé en avril 2016 à l'ensemble du territoire national par l'article 9 du décret n° 2016-514 du 26 avril 2016 relatif à l'organisation judiciaire, aux modes alternatifs de résolution des litiges et à la déontologie des juges consulaires. Les dispositions correspondantes dudit décret sont codifiées aux articles R. 212-64 et R. 312-85 du code l'organisation judiciaire qui définissent les conseils de juridiction, respectivement pour les tribunaux judiciaires et les cours d'appel, comme un « lieu d'échanges et de communication entre la juridiction et la cité ».

Le conseil de juridiction se réunit au moins une fois par an sous la co-présidence du président du tribunal judiciaire et du procureur de la République (ou du premier président de la Cour d'appel et du procureur général). Il « n'exerce aucun contrôle sur l'activité juridictionnelle ou sur l'organisation de la juridiction ni n'évoque les affaires individuelles dont la juridiction est saisie ». Sous cette réserve, son ordre du jour est relativement libre et s'étend potentiellement à l'ensemble des dossiers qui intéressent la vie de la juridiction.

De la même manière, la composition de l'instance n'est en principe pas figée. Les articles R. 212-64 et R. 312-85 du code de l'organisation judiciaire dressent ainsi une liste indicative des personnalités locales pouvant être conviées à siéger aux côtés des magistrats et des fonctionnaires de la juridiction, en fonction de l'ordre du jour (voir encadré infra). La composition du conseil de juridiction est en revanche précisément encadrée lorsque celui-ci est consulté en application de dispositions législatives ou règlementaires. Une telle procédure est prévue à deux reprises dans le code de l'organisation judiciaire : dans le cadre d'un projet de spécialisation de certains tribunaux judiciaire, en application de l'article L. 211-9-3, ou d'un ajout de compétences au profit des chambres de proximité, en application de l'article L. 212-8254(*).

Article R. 212-64 du code de l'organisation judiciaire

« I. - Le conseil de juridiction, coprésidé par le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République, est un lieu d'échanges et de communication entre la juridiction et la cité. Il se réunit au moins une fois par an.

« L'ordre du jour est arrêté par les chefs de juridiction après avis du directeur de greffe en comité de gestion et de l'assemblée plénière des magistrats et des fonctionnaires, qui peuvent également faire des propositions d'ordre du jour.

« Le conseil de juridiction se compose de magistrats et fonctionnaires de la juridiction désignés par la commission restreinte ou l'assemblée plénière en fonction de la taille de la juridiction et, en fonction de son ordre du jour, notamment :

« 1° De représentants de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse ;

« 2° De représentants locaux de l'État ;

« 3° De représentants des collectivités territoriales ;

« 4° De personnes exerçant une mission de service public auprès des juridictions ;

« 5° Du bâtonnier de l'ordre des avocats du ressort et de représentants des autres professions du droit

« 6° De représentants d'associations ;

« 7° De représentants des conciliateurs de justice désignés par le magistrat coordonnateur de la protection et de la conciliation de justice pour le ressort de la juridiction.

« Cet organe n'exerce aucun contrôle sur l'activité juridictionnelle ou sur l'organisation de la juridiction ni n'évoque les affaires individuelles dont la juridiction est saisie.

« II. - Lorsque sa consultation est requise par des dispositions législatives ou réglementaires, le conseil de juridiction, coprésidé par le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République près ce tribunal, est composé :

« 1° Du directeur de greffe ;

« 2° D'au moins un magistrat du siège désigné par l'assemblée des magistrats du siège ou son suppléant ;

« 3° D'au moins un magistrat du parquet désigné par l'assemblée des magistrats du parquet ou son suppléant ;

« 4° D'au moins un fonctionnaire désigné par l'assemblée des fonctionnaires du greffe et, le cas échéant, du secrétariat de parquet autonome, ou son suppléant ;

« 5° Du maire de la commune siège du tribunal judiciaire ;

« 6° Du président du conseil départemental ou du président de l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale exerçant les compétences du département ou, en Guyane, du président de l'Assemblée de Guyane ;

« 7° Du bâtonnier de l'ordre des avocats du ressort.

« Les personnes mentionnées aux 1°, 5°, 6° et 7° peuvent se faire représenter.

« Le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République près ce tribunal recueillent l'ensemble des observations présentées lors de la réunion du conseil de juridiction. Ils rédigent, dans un délai de huit jours suivant la réunion, une synthèse de ces observations. »

1.2. Des dispositions organiques qui font désormais obstacle à la participation des parlementaires aux conseils de juridiction

La possibilité pour les parlementaires élus du ressort de la juridiction de participer au conseil de juridiction était à l'origine explicitement prévue par les articles R. 212-64 et R. 312-85 du code l'organisation judiciaire.

À compter de l'entrée en vigueur de la loi organique n° 2017-1338 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, celles-ci sont toutefois devenues incompatibles avec l'article LO. 145 du code électoral nouvellement créé qui dispose qu'« un député [ou un sénateur]255(*)ne peut être désigné en cette qualité dans une institution ou un organisme extérieur qu'en vertu d'une disposition législative ». Cette disposition issue d'une initiative sénatoriale avait un double objectif. Dans le prolongement des conclusions du groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat conduit par Roger Karoutchi et Alain Richard, elle visait, d'une part à ce « que soit limitée la dispersion des sénateurs dans divers organismes afin d'encourager leur participation effective aux travaux du Sénat ». Sur le plan des principes, il s'agissait, d'autre part, de garantir que, au nom de la séparation des pouvoirs, la présence d'un parlementaire au sein d'un organisme extraparlementaire ne puisse relever que de la loi256(*).

Tirant les conséquences de cette incompatibilité, le décret n° 2019-912 du 30 août 2019 a abrogé les dispositions règlementaires précitées ouvrant la possibilité pour les parlementaires de siéger au sein du conseil de juridiction257(*). Comme le relève Philippe Bonnecarrère dans un rapport d'information de mars 2022 intitulé « Judiciarisation de la vie publique : le dialogue plutôt que le duel »258(*), « Il en résulte une certaine confusion dans les juridictions dont certaines ne savent plus si elles peuvent ou non y convier des parlementaires ». Certaines ont continué à les inviter, comme par exemple le tribunal judiciaire de Soissons dont le conseil de juridiction s'est réuni en présence de députés et d'un sénateur le 8 juillet 2022.259(*) Si Philippe Bonnecarrère estime que rien ne s'oppose en effet en droit à ce que des parlementaires soient conviés au conseil de juridiction, il appelle néanmoins à clarifier la situation dans la loi.

2. L'article 12 : rehausser le conseil de juridiction au niveau législatif pour rétablir la représentation des parlementaires en son sein

Afin de rétablir la représentation des parlementaires au sein du conseil de juridiction, l'article 12 rehausse au niveau législatif les conseils de juridiction.

Pour ce faire, deux nouvelles sections sont créées au sein du code de l'organisation judiciaire, respectivement au chapitre II du titre Ier du livre II pour les tribunaux judiciaires et au chapitre II du titre Ier du livre III pour les cours d'appel. Cette méthode est conforme à la démarche précédemment retenue par le Parlement au cours de l'examen de la loi n° 2018-699 du 3 août 2018 visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination. Les dispositions règlementaires prévoyant la participation de parlementaires dans ceux organismes extraparlementaires où leur présence se justifiait avaient ainsi été relevées au niveau législatif. Sans être exhaustif, on peut citer les cas du conseil d'administration du Centre national du livre, du Conseil national du développement et de la solidarité internationale ou du Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires.

Sur le plan rédactionnel, l'article 12 reprend à son compte la proposition du Conseil d'État qui se borne à préciser dans la loi que le conseil de juridiction est un lieu d'échanges et de communication entre la juridiction et la cité, dont les missions, la composition, l'organisation et le fonctionnement sont fixés par décret en Conseil d'État.

La présence des parlementaires est enfin prévue pour l'ensemble des réunions du conseil de juridiction, y compris pour les cas où sa consultation est exigée par des dispositions législatives ou règlementaires260(*). Compte tenu du nombre de parlementaires concernés et de la taille réduite de certaines juridictions, le Gouvernement a en revanche fait le choix de limiter à un député et un sénateur le nombre de parlementaires participant au conseil de juridiction, et ce alors même que la rédaction antérieure des articles R. 212-64 et R. 312-85 du code l'organisation judiciaire ne prévoyaient pas de telles restrictions.

3. La position de la commission : rétablir la possibilité pour tous les parlementaires de participer au conseil de juridiction de leur circonscription et généraliser cette instance à l'ensemble des juridictions

La commission n'a pas retenu la limitation à un député et à un sénateur du nombre de parlementaires autorisés à siéger au conseil de juridiction. Cette restriction n'est dictée par aucun impératif juridique et serait synonyme de recul par rapport à la situation ayant eu cours entre 2016 et 2019 où l'ensemble des parlementaires élus des circonscriptions du ressort de la juridiction pouvaient siéger au conseil de juridiction. Cette organisation n'a d'ailleurs engendré aucune difficulté particulière au cours de la période. Alors que la capacité du conseil de juridiction à faire vivre le dialogue de proximité sur la vie de la juridiction repose directement sur son degré d'ouverture, il serait paradoxal de limiter sa composition à un nombre restreint de parlementaires.

Sur le plan pratique, cette solution emporte également plus d'inconvénients que d'avantages. Comme cela est mentionné dans l'étude d'impact261(*), son application se traduirait concrètement par l'obligation de procéder à près de 200 nominations à l'Assemblée nationale et autant au Sénat. Par l'adoption d'un amendement COM-127 des rapporteurs, la commission a donc rétabli la possibilité pour l'ensemble des parlementaires élus d'une circonscription située sur le ressort de la juridiction de participer au conseil de juridiction.

La commission a également adopté un amendement COM-128 des rapporteurs visant à créer des conseils de juridiction auprès de la Cour de Cassation, du Conseil d'État, des cours administratives d'appel et des tribunaux administratifs. Une évolution de cette nature avait été préconisée par le rapport d'information de Philippe Bonnecarrère précité. Celui-ci y décrit en effet le conseil de juridiction comme « l'instance idoine au dialogue institutionnel de proximité entre les parlementaires et tous les acteurs de la justice ». S'il relève le caractère parfois convenus des échanges qui se tiennent dans ces instances, il conclut qu'elles « facilitent cependant les rencontres, peuvent s'accompagner d'échanges informels en marge de la manifestation [et que] beaucoup dépend de la manière dont l'ordre du jour est conçu et la circulation de la parole favorisée ».

Suivant cette recommandation, la commission a généralisé le conseil de juridiction à l'ensemble des juridictions des deux ordres. Pour ce faire, elle a retenu, à trois exceptions près262(*), la même rédaction que celle du Gouvernement. La première de ces exceptions concerne le conseil de juridiction créé auprès de la Cour de cassation dont les missions, la composition, l'organisation et le fonctionnement seraient, afin de garantir la séparation entre les deux ordres de juridiction, arrêtés par son premier président. La deuxième concerne à la fois le Conseil d'État et la Cour de cassation, pour lesquels seuls les présidents de la commission des lois des deux assemblées siégeraient au sein des conseils de juridiction.

La commission a enfin estimé nécessaire de rehausser au niveau législatif les dispositions selon lesquelles le conseil de juridiction n'exerce aucun contrôle sur l'activité juridictionnelle ou sur l'organisation de la juridiction, ni n'évoque les affaires individuelles dont elle est saisie. Cette exigence découle directement de la séparation des pouvoirs et son inscription dans la loi permettra de lever tout doute sur le fait que le conseil de juridiction ne pourrait interférer avec l'activité juridictionnelle.

La commission a adopté l'article 12 ainsi modifié.


* 234 Voir l'étude d'impact, page 239.

* 235 Cinq ans pour sauver la justice ! Rapport d'information n° 495 (2016-2017) de Philippe Bas, président-rapporteur, Esther Benbassa, Jacques Bigot, François-Noël Buffet, Cécile Cukierman, Jacques Mézard et François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois, par la mission d'information sur le redressement de la justice, déposé le 4 avril 2017 (recommandation n° 92).

* 236 L'ambition raisonnée d'une justice apaisée, commission sur la répartition des contentieux présidée par Serge Guinchard ; Le juge du XXIe siècle, un citoyen acteur, une équipe de justice, rapport remis par le groupe de travail présidé par Pierre Delmas-Goyon.

* 237 Le nombre de vacations horaires allouées à un même bénéficiaire ne peut excéder 80 par mois dans la limite de 720 par an en application de l'article 8 du décret n°96-513 du 7 juin 1996 relatif aux assistants de justice.

* 238 Article 1er du décret n°96-513 du 7 juin 1996 relatif aux assistants de justice.

* 239 Article 706 du code de procédure pénale.

* 240 Avant l'entrée en vigueur de l'article 61 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, deux années d'expérience étaient requises.

* 241 Article R. 123-30 du code de l'organisation judiciaire.

* 242 Rapport de Mme Dominique Lottin, Première présidente honoraire et ancienne membre du Conseil constitutionnel, au garde des sceaux sur la structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires.

* 243 Annonce du garde des sceaux le 27 février 2023.

* 244 Voir l'étude d'impact, page 239.

* 245 Pour certaines catégories de réquisitions visées par les articles 60-1, 60-2, 77-1-1, 77 1 2, 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale.

* 246 Communiqué de presse du 3 mai 2023.

* 247 Observations de l'USM sur le rapport Lottin sur la structuration des équipes autour des magistrats, 19 octobre 2022.

* 248 Article L. 228-1 du code de justice administrative.

* 249 Article 3-1 du décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011 portant statut particulier du corps interministériel des attachés d'administration de l'Etat.

* 250 La formule de serment des juristes assistants fixée par l'article R. 123-39 du code de l'organisation judiciaire, est actuellement la suivante : « Je jure de conserver le secret des informations sur les affaires judiciaires ainsi que sur les actes du parquet et des juridictions d'instruction et de jugement, dont j'aurai eu connaissance à l'occasion de mes travaux au sein des juridictions ».

* 251 Voir le commentaire de l'article 28.

* 252 Didier Marshall, « Les juridictions du XXIe siècle », 16 décembre 2013, p. 16 (disponible à cette adresse : https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/134000861.pdf).

* 253 Étude d'impact, p. 243

* 254 En application des articles R. 212-63 et R. 312-84, le conseil de juridiction est également réuni afin que lui soit présenté le projet de juridiction.

* 255 En application de l'article LO 297 du code électoral.

* 256 Amendement de séance n° 88 du rapporteur Philippe Bas, président de la commission des lois.

* 257 Article 14 du décret n° 2019-912 du 30 août 2019 modifiant le code de l'organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 258 Philippe Bonnecarrère, Rapport d'information n° 592 (2021-2022), « Judiciarisation de la vie publique : le dialogue plutôt que le duel », p. 131.

* 259 Étude d'impact, p. 253.

* 260 Voir infra

* 261 Étude d'impact p. 253.

* 262 Outre la possibilité pour l'ensemble des parlementaires élus d'une circonscription située dans le ressort de la cour administrative d'appel ou du tribunal administratif de participer au conseil de juridiction.