III. LA RÉFORME DU CORPS JUDICIAIRE : COROLLAIRE INDISPENSABLE DES RECRUTEMENTS ATTENDUS

A. OUVRIR LE CORPS JUDICIAIRE

La commission a partagé le constat d'un corps judiciaire insuffisamment ouvert sur la société et les autres professions, qui peut apparaître comme un obstacle aux recrutements, prévus dans les prochaines années, indispensables pour permettre au service public de la justice de fonctionner dans des conditions acceptables.

La commission a en conséquence salué le renforcement de l'ouverture et de la lisibilité des voies de recrutement, ramenées de douze à neuf. Elle s'est néanmoins montrée intransigeante sur l'exigence du recrutement et de la formation, garantie de la qualité des décisions rendues, en portant la durée minimale de stage pour les titulaires du concours professionnel à 18 mois et en limitant le moratoire sur les quotas de recrutement au titre du concours professionnel à la période 2025-2027. Elle a également souhaité favoriser davantage l'ouverture du corps judiciaire, en prévoyant que les magistrats constituent moins de la moitié du nouveau jury professionnel, et en portant d'un vingtième à un quinzième le quota des magistrats détachés au sein du total des emplois du grade concerné.

Par ailleurs, alors que l'article 12 du projet de loi ordinaire rétablit la participation des parlementaires aux conseils de juridiction des tribunaux judiciaires et des cours d'appel, la commission a veillé à ce que l'ensemble des parlementaires élus d'une circonscription du ressort de la juridiction puissent siéger au sein de cette instance. Elle a également créé des conseils de juridiction auprès de la Cour de Cassation, du Conseil d'État, des cours administratives d'appel et des tribunaux administratifs.

B. MODERNISER LA GESTION DU CORPS

1. Favoriser la mobilité au sein du corps judiciaire

L'article 3 du projet de loi organique prévoit de modifier la structure du corps judiciaire, en prévoyant une progression de carrière au sein de trois grades, en lieu et place des actuels second et premier grades et du grade « hors hiérarchie ». L'accès au troisième grade serait accessible de droit aux magistrats choisissant d'occuper des fonctions de chef de juridiction. Soutenant l'harmonisation de la structure du corps avec celle des autres corps d'encadrement supérieur de la fonction publique, la commission a néanmoins souhaité favoriser la mobilité au sein du corps judiciaire en prévoyant des durées minimale et maximale d'affectation, conformément à la position qu'elle avait retenue en 2017 lors de l'examen de la proposition de loi pour le redressement de la justice7(*).

Soucieuse de favoriser la mobilité au sein du corps judiciaire, la commission a accueilli favorablement la création d'une priorité d'affectation sur un poste de leur choix pour des magistrats affectés sur des emplois souffrant d'un déficit d'attractivité. Elle a néanmoins rejeté certaines dispositions prévues à l'article 5 du projet de loi organique - dont la délégation de magistrats des ressorts des cours d'appel de Paris et Aix-en-Provence vers les juridictions d'outre-mer et de Corse - au profit d'un assouplissement des outils de délégation à la main des chefs de cour : il lui a paru préférable de renforcer, corrélativement à l'augmentation des effectifs, le pouvoir de décision des chefs de cour, futures clés de voûte de la déconcentration des services judiciaires, plutôt que de pérenniser des solutions reposant sur la prémisse d'une pénurie perpétuelle d'effectifs.

2. Moderniser la gestion des carrières des magistrats judiciaires

Poursuivant l'objectif d'une évolution de carrière modernisée, la commission a approuvé les dispositions de l'article 2 du projet de loi organique prévoyant une évaluation approfondie - dite « à 360° » - des chefs de cour et de juridiction. Elle a néanmoins aligné son contenu et ses modalités sur d'autres évaluations similaires dans l'encadrement supérieur de l'État et renforcé en contrepartie les garanties d'indépendance du collège d'évaluation ainsi créé. Elle a également souhaité préciser, dans le souci de renforcer la transparence des nominations de chef de cour et de juridiction, les critères pris en compte dans de telles nominations par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

L'article 6 du projet de loi organique propose de réformer le dialogue social avec les magistrats en fusionnant la commission d'avancement, désormais déchargée du recrutement, et la commission des études appelée à se prononcer sur les réformes touchant au statut des magistrats. Il reconnaît aussi une plus grande place aux syndicats pour discuter des questions relatives à l'hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail et, surtout, pour négocier et étendre aux magistrats les accords collectifs conclus au sein de la fonction publique. L'article 7 entend permettre un recours plus large aux magistrats à titre temporaire (MTT) et aux magistrats honoraires (MHFJ). Les MTT, dont les conditions de recrutement sont assouplies, pourront exercer davantage de fonctions, dont celle de substitut, fonctions que la commission a souhaité limiter, en conformité avec la jurisprudence constitutionnelle.

Enfin, l'article 9 du projet de loi organique prévoit de substituer au mode de scrutin indirect, actuellement prévu pour l'élection de trois des sept membres magistrats au sein de chaque formation du CSM, un mode de scrutin direct. Favorable à cette évolution, la commission a néanmoins souhaité une réforme de plus grande ampleur pour le CSM, en prévoyant en particulier que les personnalités qualifiées en son sein sont renouvelées par moitié, dans le but de favoriser la permanence de l'institution et de sa jurisprudence.

Quelques mesures relatives aux magistrats de l'ordre administratif

Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 comporte quelques mesures relatives aux magistrats administratifs et financiers.

L'article 22, qui a reçu l'approbation de la commission, vise à permettre aux élèves de l'Institut national du service public (INSP) de rejoindre directement les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel ainsi que les chambres régionales des comptes (CRC), sans avoir à justifier préalablement de deux ans de services publics en qualité d'administrateurs de l'État, les soumettant ainsi aux mêmes conditions de mobilité que les magistrats entrés par voie directe.

À l'article 23, la commission a approuvé le changement de nom du grade sommital du corps des magistrats des CRC qui devrait faciliter l'établissement de grilles indiciaires renouvelées, mais supprimé deux autres mesures statutaires relatives au tour extérieur des conseillers maîtres ou à la durée des présidences et vice-présidences de CRC qui ne lui ont pas semblé justifiées. Elle a ajouté une mesure d'assouplissement de l'obligation de résidence des magistrats de CRC.

Enfin, la commission a adopté la possibilité d'étendre les dispositions d'un accord national relatif à la protection sociale complémentaire conclu pour les agents de la fonction publique d'État à tous les magistrats administratifs et financiers pour permettre une prise en charge améliorée de leur mutuelle « santé » par l'État.


* 7 Articles 8 à 13 de la proposition de loi organique n° 640 (2016-2017) pour le redressement de la justice de Philippe Bas, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl16-640.html.