II. POUR RELEVER LES NOUVEAUX DÉFIS DE LA GUERRE EN UKRAINE ET DE LA CRISE DE L'ÉNERGIE, L'ADAPTATION DU CADRE FINANCIER PLURIANNUEL 2021-2027 ET UN NOUVEAU PLAN REPOWER EU

A. LE CADRE FINANCIER PLURIANNUEL 2021-2027 DEVRAIT FAIRE L'OBJET D'UNE RÉVISION À MI-PARCOURS

1. La révision à mi-parcours du CFP 2021-2027 vise à prendre en compte les effets de l'inflation et des crises successives
a) Une révision rendue nécessaire par l'inflation et une série de crises

Dans une communication du 20 juin 20235(*), la Commission européenne a présenté ses propositions pour une révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel 2021-2027. Selon la Commission, plusieurs facteurs ont rendus nécessaire une telle actualisation :

- premièrement, la guerre d'agression menée contre l'Ukraine par la Russie a nécessité une réponse de l'Union européenne pour faire face aux besoins de l'accueil des réfugiés, de réponse aux crises énergétique et alimentaire et d'assistance humanitaire ;

- deuxièmement, la recrudescence du phénomène migratoire produit des effets qui s'expriment tant au niveau interne, sur les capacités d'accueil et d'intégration des États membres, qu'au niveau externe, sur les relations avec les États tiers ;

- troisièmement, la double transition énergétique et numérique suscite des besoins d'investissements de long terme qui doivent permettre à l'Union européenne une place stratégique dans des secteurs clés tout en préservant la libre concurrence. Ces besoins d'investissements doivent toutefois prendre en compte la concurrence de l'Inflation Reduction Act, adopté aux États-Unis et prévoyant 370 milliards de dollars de subventions dans un cadre protectionniste ;

quatrièmement, la reprise de l'inflation depuis 2022 et la hausse des taux d'intérêt qui en découle ont renchéri les coûts de remboursement de Next Generation EU.

b) Les propositions de la Commission

Pour tenir compte de ces effets, la Commission européenne propose une révision à la hausse du cadre financier pluriannuel de l'ordre de 66 milliards d'euros en crédits d'engagement sur la période 2024-2027. Ces nouveaux crédits devraient permettre de financer notamment deux dispositifs nouveaux.

En premier lieu, la Commission a proposé la mise en place d'une plateforme européenne des technologies stratégiques (dite « STEP ») qui devrait permettre d'encourager les investissements dans les technologies dites « critiques » : les technologies de rupture et digitales (« deep & digital tech »), les technologies à zéro émission nette (« clean tech ») et les biotechnologies (« biotech »). Ce dispositif devrait être mis en oeuvre dans le cadre d'un règlement reposant sur trois piliers :

- la flexibilisation du recours à certains instruments existants tel qu'InvestEU, ou le FEDER ;

- la mise en place d'un label « souveraineté » afin de renforcer la synergie entre instruments ;

- un abondement budgétaire de 10 milliards d'euros sur des programmes existants (3 milliards sur InvestEU, 1,5 milliards sur le Fonds européen de défense, 5 milliards sur le fonds d'innovation et 0,5 milliard sur le programme Horizon Europe).

En s'appuyant principalement sur des dispositifs existants, le règlement « STEP » devrait être déployé rapidement. La Commission prévoit une évaluation de la plateforme en 2025 en vue de la mise en oeuvre d'un futur Fonds européen de souveraineté.

En deuxième lieu, la Commission a annoncé une nouvelle facilité pour l'Ukraine, plafonnée à hauteur de 50 milliards d'euros sur la période 2024-2027 sous la forme de prêts et de soutien non remboursables, afin d'aider à la reconstruction du pays et d'accompagner les réformes dans le cadre de sa candidature pour rejoindre l'Union européenne.

Cette Facilité se décomposerait en trois piliers. Tout d'abord, le pilier I prendrait la forme d'un soutien financier composé de dons et de prêts. Son versement serait conditionné à la mise en oeuvre d'un plan d'investissement et de réformes. Ensuite, le pilier II, intitulé Cadre d'investissement pour l'Ukraine (CIUKR), vise à renforcer l'attractivité de l'Ukraine vis-à-vis des investisseurs étrangers. Il reposerait sur des garanties prenant en charge une part du risque, sur des subventions pour des opérations mixtes de prêts-dons et sur la bonification d'intérêts pour réaliser des financements concessionnels. Enfin, le pilier III serait constitué de dispositifs d'assistance technique. À noter que l'aide non remboursable et le provisionnement des garanties budgétaires serait financé par un nouvel instrument, la « réserve Ukraine », en-dehors des plafonds du CFP.

Dans son avis relatif au projet de Facilité pour l'Ukraine6(*), la Cour des comptes européenne a souligné l'absence d'étude d'impact présentée par la Commission et a rappelé la nécessité d'une évaluation à mi-parcours du dispositif, soit en 2026. La Cour s'est montrée particulièrement réservée sur la création d'un nouvel outil sortant des plafonds du CFP.

Le soutien de l'Union européenne à l'Ukraine

Premièrement, l'Union européenne apporte une aide directe à l'Ukraine en matière militaire. Depuis février 2022, 9 mesures d'assistance ont été adoptées dans le cadre de la facilité européenne pour la paix (FEP), pour un total de 5,6 milliards d'euros. Ces mesures permettent de financer la fourniture d'équipements militaires, y compris létaux, et, depuis 2023, de munitions. La mobilisation de la FEP a conduit à la révision du plafond de cet instrument à deux reprises, portant ses crédits à 12 milliards d'euros contre 5,7 milliards initialement prévus dans le CFP 2021-2027.

Deuxièmement, l'Union fournit une aide sur le plan humanitaire. Le total de l'aide humanitaire atteint 733 millions d'euros sur 2022-2023, principalement financés par la rubrique 6 (« Voisinage et monde ») du budget et répartis entre 685 millions d'euros à destination de l'Ukraine et 48 millions d'euros pour l'accueil des réfugiés en Moldavie. Cette aide humanitaire est complétée par un mécanisme de protection civile de l'Union européenne (dit « RescEU »), à hauteur de 670 millions d'euros en 2022.

Troisièmement, l'Union a mis en place des mécanismes d'assistance en matière financière. Ces mécanismes de prêts sont au nombre de trois :

- l'assistance macrofinancière d'urgence (1,2 milliard d'euros) versée en 2022 ;

- l'assistance macrofinancière exceptionnelle (7,2 milliards d'euros versés en 2022) ;

- l'assistance macrofinancière + (18 milliards d'euros) prenant la forme de prêts et financée par le dispositif unique d'émission de titres de créance à court terme de l'Union européenne et d'obligations de l'Union européenne.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

En troisième lieu, la Commission a proposé de modifier le règlement (EU, Euratom) 2020/2093 fixant le CFP pour les années 2021-2027. D'une part, cette révision devrait permettre de prendre en compte les conséquences budgétaires de la plateforme « STEP » et de la Facilité pour l'Ukraine. D'autre part, elle devrait intégrer :

- un abondement de 18 milliards de crédits afin de faire face aux conséquences externes et internes des migrations et de conserver une capacité de réaction face aux crises ;

- une augmentation de 1,9 milliard d'euros des dépenses d'administration, pour tenir compte de l'inflation ;

- un nouvel instrument spécial « EURI » pour faire face à la hausse des coûts de financement de Next Generation EU. En effet, la Commission a estimé que les crédits évalués en 2020 ne seront pas suffisants pour couvrir le coût des intérêts. Le surcout de financement est mesuré par la Commission à 18,9 milliards d'euros sur la période 2024-2027. En effet, si la Commission empruntait à des taux négatifs lors du lancement de Next Generation EU, les taux sont remontés à plus de 3 % en 2023. L'actuelle ligne EURI (rubrique 2b du budget européen) serait donc complétée par ce nouvel instrument spécial « EURI ». Il serait activé par l'autorité budgétaire dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle, si les montants prévus par la programmation s'avéraient insuffisants.

Le Conseil européen a pris acte des propositions de la Commission lors de sa réunion des 29 et 30 juin 2023. Il devrait se prononcer sur leur contenu à l'occasion de sa très prochaine réunion.

Le Parlement européen s'est prononcé sur le projet de révision à mi-parcours du CFP le 3 octobre 2023. Il a notamment proposé d'augmenter l'enveloppe de cette révision de 10 milliards d'euros, principalement répartis entre la réponse aux conséquences des migrations (2 milliards d'euros), la plateforme « STEP » (3 milliards d'euros) et la réponse aux crises imprévues (5 milliards d'euros). Le Parlement européen s'est également prononcé en faveur de la sortie des charges d'intérêts du plan Next Generation EU des plafonds du CFP et de leur prise en charge par un instrument spécifique.

2. La révision du cadre financier pluriannuel relance la question non résolue des ressources propres

En parallèle de ses propositions relatives à la révision du cadre financier pluriannuel 2021-2027, la Commission européenne a également présenté le 20 juin 2023 une proposition relative à la nouvelle génération de ressources propres.

Pour rappel, aux termes de l'accord entre les 27 États membres conclu lors du Conseil européen de juillet 2021, la Commission européenne devait présenter, au cours du premier semestre de 2021, des propositions visant à introduire de nouvelles ressources propres, à savoir un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et une redevance numérique, en vue de leur introduction au plus tard le 1er janvier 2023. Sans préciser d'échéance, la Commission devait également présenter une proposition relative à un système révisé d'échange de quotas d'émission, « éventuellement étendu à l'aviation et au transport maritime ».

Les conclusions du Conseil européen précisaient que « le produit des nouvelles ressources propres introduites après 2021 sera utilisé pour le remboursement anticipé des emprunts contractés dans le cadre de NextGenerationEU ». L'objectif affiché de ces nouvelles ressources était ainsi de financer la couverture des dépenses attendues pour le remboursement de l'emprunt commun contracté dans le cadre du plan de relance européen, soit 15 milliards d'euros par an sur 30 ans au titre du principal à compter de 2028.

La Commission a donc présenté, le 22 décembre 2021, à la suite de l'adoption de textes sectoriels du paquet « Fit for 55 », une proposition portant sur trois nouvelles ressources propres :

une ressource fondée sur le marché carbone européen (EU Emission Trading System ou ETS). La Commission proposait que 25 % des recettes générées par le système communautaire d'échange de quotas d'émission (ETS/SEQE-UE) prévu dans le cadre du paquet Climat « Fit for 55 » soit affecté au budget européen ;

une ressource fondée sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Cet instrument vise à limiter les fuites d'émission carbone en instaurant, dans certains secteurs, une péréquation des prix du carbone entre les produits nationaux et les importations en provenance de pays situés hors de l'Union européenne ;

une ressource fondée sur le « Pilier I » de l'accord multilatéral de l'OCDE/G20 sur la fiscalité internationale. Cette ressource, effective une fois la convention multilatérale entrée en vigueur, serait équivalente à 15 % de la part des bénéfices résiduels de certaines entreprises multinationales réaffectés aux États membres de l'Union. Les recettes issues de cette nouvelle taxation pour le budget de l'Union sont estimées entre 2,5 et 4 milliards d'euros par an.

La nouvelle proposition de la Commission, présentée en juin 2023, amende et actualise le projet de décembre 2021. Elle prévoit notamment :

d'adapter la ressource fondée sur le marché carbone européen. Ainsi, la Commission propose que 30 % des recettes générées par l'ETS, contre 25 % dans sa précédente proposition, soient affectés au budget européen à partir de 2028 ;

d'adapter la ressource fondée sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). La Commission propose que 75 % des revenus issus de la vente des certificats MACF deviennent une ressource propre de l'Union et que les 25 % restants soient reversés aux États membres. Cette recette est évaluée à 1,5 milliard d'euros par an à compter de 2028 ;

de conserver le projet d'une ressource fondée sur le « Pilier I » de l'accord multilatéral de l'OCDE/G20 sur la fiscalité internationale. Pour mémoire, les travaux au niveau de l'OCDE n'ont, en tout état de cause, pas connus d'avancée récente ;

d'adopter une nouvelle ressource propre statistique qui serait temporaire et fondée sur l'excédent brut des entreprises. La proposition de la Commission consisterait à affecter au budget européen un montant calculé sur la base d'une assiette représentant 0,5 % de l'excédent brut d'exploitation des entreprises nationales. Il ne s'agit pas stricto sensu d'une recette mais d'une contribution budgétaire supplémentaire des États membres, à l'instar de la ressource TVA ou de la ressource plastique. Le montant de cette contribution est estimé par la Commission à 16 milliards d'euros par an sur la période 2028-2030. Selon la Commission elle serait remplacée par une contribution de BEFIT7(*), une fois un compromis trouvé sur ce sujet. Ce projet consiste à déterminer une assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS) au sein de l'Union. Le régime d'imposition des sociétés figurerait ainsi dans un règlement unique, relatif à la répartition, et s'appuierait sur une assiette fiscale commune. Ce système réduirait les charges administratives et les coûts de conformité. Il viserait également à limiter l'évasion fiscale et à soutenir l'emploi, la croissance et les investissements.

S'il convient de soutenir les avancées faites sur la question des ressources à l'occasion de la révision du cadre financier pluriannuel, il souligne deux points d'attention.

En premier lieu, il n'est pas certain que les recettes tirées de ces nouvelles ressources soient suffisantes pour couvrir les besoins de financement du remboursement du plan de relance et de ses intérêts, d'une part, et du Fond social pour le climat, d'autre part. La Commission évalue ainsi les recettes potentielles de ces nouvelles ressources à environ 24 milliards d'euros par an sur la période 2024-2027 et à 36,5 milliards à partir de 2028. Or, comme le rappelle la Cour des comptes européenne dans son avis récent8(*), le montant du remboursement du principal de Next Generation EU devrait représenter 15 milliards par an sur 2028-2056, sans compter le paiement des intérêts dont la Commission n'a jamais fourni d'estimation chiffrée. À ces montants s'ajoutent les 10 milliards d'euros annuels nécessaires pour le financement du Fonds social pour le climat. 

En second lieu, les retards pris dans la mise en oeuvre du premier paquet de nouvelles ressources propres invitent à la prudence quant au calendrier annoncé par la Commission. Cette dernière propose une entrée en vigueur de ce nouveau paquet au 1er janvier 2024. Les trois propositions sont actuellement en cours de discussion au sein du Conseil.


* 5 COM(2023) 336 final.

* 6 Opinion 03/2023 concerning the proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on establishing the Ukraine Facility.

* 7 Business in Europe : Framework for Income Taxation.

* 8 Opinion 04/2023 concerning the Commission's amended proposal for a Council Regulation on the methods and procedure for making available own resources based on the Emission Trading System, the Carbon Border Adjustment Mechanism, reallocated profits and the statistical own resource based on company profits and on the measures to meet cash requirements COM/2023/333, 2022/0071 (NLE).

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