B. LES ENJEUX DE L'ACCORD

L'accord a pour objectif d'étendre et de renforcer notre coopération bilatérale avec l'Indonésie, qui, comme développé au I. C. 3) ci-dessus, n'est pas à la hauteur des enjeux. Il prévoit que les parties coopèrent dans plusieurs domaines, tels que le renseignement dans le domaine de la défense, l'éducation et la formation militaire ou encore la science et la technologie dans le secteur de l'industrie de défense.

Il crée en outre, à son article 5, un cadre de gouvernance pour cette coopération, avec un « comité conjoint », chargé de définir les indications stratégiques relatives aux activités liées à la coopération franco-indonésienne.

Ces différentes avancées permettront d'améliorer notre partenariat stratégique avec l'Indonésie et d'accroître notre proximité géostratégique avec la République indonésienne, acteur essentiel de l'Indopacifique.

C. LE CONTENU DE L'ACCORD : UN PREMIER PAS VERS UN PARTENARIAT RENFORCÉ

1. Des clauses pour l'essentiel classiques...

Outre un court préambule et un premier article consacré aux définitions des termes utilisés dans l'accord, le texte comporte onze articles, dont la rédaction répond aux standards français de référence : 

Le préambule se réfère notamment à la Déclaration commune sur le partenariat stratégique entre la France et l'Indonésie, signée le 1er juillet 2011, ainsi qu'à la Lettre d'intention des ministres de la défense des deux parties sur le développement de la coopération en matière de défense, signée le 29 mars 2017. Il rappelle les principes de « respect total du droit à la souveraineté, de l'intégrité territoriale et des principes d'égalité, de non-ingérence dans les affaires internes et d'intérêt mutuel ».

L'article 1er définit les notions de « Forces armées » et de « Membre du personnel », dans des termes conformes à ceux figurant habituellement dans de tels accords.

L'article 2 énonce l'objet du partenariat entre les deux Parties, à savoir le développement de la coopération de défense. Il rappelle le principe de réciprocité.

L'article 3 définit les autorités compétentes pour la mise en oeuvre dudit accord : pour l'Indonésie, il s'agit du ministre de la défense ; pour la France, celui des armées.

L'article 4 précise l'étendue de la coopération ; le 1. est consacré aux domaines de ladite coopération à travers une liste non exhaustive, citant la coopération en matière de renseignement dans le domaine de la défense, l'éducation et la formation militaire, la science et le technologie dans le secteur de l'industrie de défense, le maintien de la paix, l'aide humanitaire et les secours aux sinistrés, la lutte contre la piraterie et le terrorisme, le renforcement capacitaire par une production commune, la recherche et le développement et le soutien ainsi que tout autre domaine que les Parties estimeraient nécessaire pour améliorer la coopération militaire.

Le 2. précise les formes que peut prendre la coopération, à travers une liste non exhaustive : des dialogues stratégiques sur les questions de défense, des voyages d'échange et des exercices conjoints, ainsi que toute autre activité de coopération en fonction des intérêts communs des Parties.

L'article 5 prévoit l'instauration d'un comité conjoint, co-présidé par les deux Parties, chargé de définir la conception générale de la coopération bilatérale dans le domaine de la défense ainsi que d'organiser et de coordonner cette coopération. Ce comité se réunit annuellement, alternativement en France et en Indonésie.

L'article 6 traite de la répartition de la prise en charge des frais engagés, et l'article 8, des modalités du règlement des éventuels dommages causés par les Parties ou les membres de leur personnel, dans des rédactions habituelles aux accords de ce type.

L'article 9 prévoit que les droits de propriété intellectuelle relatifs aux activités prévues par l'accord seront traités conformément à des accords ou arrangements subséquents.

L'article 11 est consacré à la résolution des litiges par voie diplomatique.

Les « dispositions finales » énoncées à l'article 12 stipulent que l'accord est conclu pour une durée de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction pour des périodes successives de cinq ans. Il peut être modifié à tout moment ou dénoncé par les Parties par la voie diplomatique, la dénonciation prenant effet six mois après la réception de la notification écrite par l'autre Partie. Enfin, classiquement, l'entrée en vigueur de cet accord met fin à l'arrangement technique relatif à des activités de coopération en matière de défense du 29 février 2012.

2. ...sous réserve de deux importantes spécificités

Ø L'absence de volet relatif au statut des forces, et ses conséquences

L'accord faisant l'objet du présent rapport présente tout d'abord la particularité de ne pas être assorti d'un volet relatif au statut des forces armées, dit « SOFA », comme c'est d'ordinaire le cas pour les accords du même type.

A priori surprenante, cette spécificité s'explique essentiellement pour des raisons historico-culturelles : en cohérence avec son engagement historique dans le mouvement des non-alignés développé au I. B. 1) ci-dessus, la République indonésienne se montre très pointilleuse sur les questions de souveraineté35(*). De fait, les clauses habituelles relatives au statut des forces impliquent la mise en place un statut juridique particulier et dérogatoire au droit commun pour les membres du personnel des deux forces durant la mise en oeuvre des activités de coopération, que l'Indonésie en l'espèce perçoit comme une limitation de sa souveraineté. Ces clauses permettent notamment de traiter de l'articulation entre compétences des juridictions pénales de l'État d'envoi et de celles de l'État d'accueil, de faciliter l'entrée, le séjour et la sortie du territoire de la Partie d'accueil des personnels de la Partie d'envoi, ou encore l'importation de matériels en exonération de droits de douane et de taxes ; elles impliqueraient notamment le respect des garanties procédurales françaises et la non-application de la peine capitale (voir I. A. 5) ci-dessus), ce que par principe l'Indonésie ne saurait accepter, malgré le moratoire en vigueur sur l'application de cette peine.

Face à ce blocage du côté de la Partie indonésienne, la diplomatie française a opté pour une position ouverte matérialisée par une clause d'effort (article 7) par laquelle les Parties conviennent de s'efforcer de conclure un accord bilatéral sur le statut des membres de leur personnel et de leurs personnes à charge. Cette rédaction, qui n'introduit aucune obligation, se borne à exprimer conjointement un souhait qui pourra donner lieu à l'ouverture de négociations formelles. Des pourparlers sont effectivement en cours, mais ils n'ont pas abouti à ce jour.

Le Conseil d'État (section des finances) a cependant estimé qu'en l'état les garanties essentielles permettant d'assurer la protection effective des personnels français déployés en Indonésie n'étaient pas assurées, et a conditionné son avis favorable à un échange de lettres stipulant que, « dans l'attente de la conclusion [d'un accord relatif au statut des forces armées], les exercices mentionnés (...) à l'article 4 (...) ne pourront se dérouler qu'en dehors du territoire de la République d'Indonésie ». C'est ainsi que l'accord faisant l'objet du présent rapport comporte en annexe les courriers du 18 août 2023, pour la partie indonésienne, et du 9 novembre 2023, pour la partie française, qui entreront en vigueur en même temps que lui.

En conséquence, les exercices mentionnés au 2. c) de l'accord ne pourront se dérouler qu'en-dehors du territoire indonésien, ce qui le prive d'une part importante de son caractère opérationnel.

Ø Les réserves concernant les échanges d'informations classifiées

L'article 10 relatif à l'échange d'informations classifiées a lui aussi fait l'objet de longues discussions qui n'ont pu déboucher sur une rédaction consensuelle, du fait de difficultés cette fois purement techniques36(*).

En conséquence, la Partie indonésienne a accueilli favorablement la proposition de la Partie française de rédiger l'article 10 sous forme d'une seconde clause d'effort, relative à la négociation prochaine d'un accord régissant l'échange d'informations classifiées. La procédure visant à l'ouverture des négociations d'un tel accord a d'ores et déjà été entamée.

*

* *

L'accord faisant l'objet du présent rapport, dont l'enjeu est essentiellement d'approfondir notre partenariat stratégique avec la République d'Indonésie, s'inscrit dans une dynamique de renforcement de notre relation bilatérale, que les deux parties apparaissent appeler de leurs voeux. Il constitue un premier pas significatif, dans l'attente d'un volet relatif au statut des forces. Il contribue également à renforcer la position française dans un zone d'importance géostratégique majeure.


* 35 Cette réticence aux accords « SOFA » de la part du Gouvernement indonésien ne s'adresse pas spécifiquement à la France, mais à l'ensemble de ses partenaires : la République indonésienne n'a à ce jour conclu qu'un seul accord relatif au statut des forces armées, avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée, du fait de leur grande proximité géographico-culturelle ; encore ce « SOFA » apparaît-il très anecdotique, compte tenu de l'effectif très modique de l'armée papouasienne (3 600 soldats).

* 36 Une telle clause nécessite en effet un tableau d'équivalence des niveaux de classification élaboré à partir d'une analyse comparée des législations des deux États, qui n'a pu aboutir dans le cadre de la négociation de l'accord en raison des spécificités des systèmes juridiques des deux parties.

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