B. LA FAIBLE EFFICIENCE DE LA DÉPENSE PUBLIQUE EST AGGRAVÉE PAR LE NIVEAU LIMITÉ D'AMBITION EN MATIÈRE DE PILOTAGE PAR LA PERFORMANCE DE L'ACTION PUBLIQUE
En raison notamment de l'incomplétude des données et du nombre trop important d'indicateurs de performance, le dispositif de suivi de la performance de la dépense de l'État n'est pas utilisé, contrairement à l'objectif poursuivi au moment de l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF), comme un outil de pilotage de la dépense publique. La portée limitée de l'exercice de suivi de la performance, qui mobilise nonobstant des ressources administratives importantes nécessaires à l'élaboration des indicateurs et au suivi des données d'exécution associées, justifie d'envisager une réforme structurelle du dispositif pour renforcer sa lisibilité et son caractère stratégique.
Pour l'exercice 2023, le manque d'ambition des cibles fixées pour les sous-indicateurs et de performance et le défaut de prise en compte des résultats dans le processus d'élaboration du budget limite substantiellement l'effet utile du dispositif de suivi de la performance.
En premier lieu, il à relever que de nombreuses cibles quantitatives sont fixées sans faire l'objet, dans la documentation budgétaire, d'une justification spécifique. Il est également fréquent que les cibles pour l'exercice budgétaire suivant soient fixées au même niveau que la réalisation observée pour l'exercice en cours. Sur les 659 cibles quantitatives atteintes en 2023, il est à relever que 69 d'entre elles, soit 10 %, avaient été fixées à un niveau strictement équivalent à la réalisation de 2022.
Si dans certains cas il est tout à fait justifié de se fixer pour objectif la stabilité d'un indicateur, par exemple quand un taux de mise en oeuvre atteint 100 %, l'analyse des sous-indicateurs pour l'exercice 2023 fait apparaître que la fixation de cible égale à la réalisation de l'année précédente ne fait systématiquement l'objet d'une justification.
Par exemple, dans le cadre du programme 212 « Soutien de la politique de la défense » de la mission « Défense », le sous-indicateur 1.2.7 « Taux de renouvellement des emplois primo-contractuels - Armées / Marine - Total » mesure la fidélisation des militaires de la Marine en suivant le taux de premiers contrats dans la Marine qui sont renouvelés lorsque ce renouvellement est souhaité par l'autorité militaire. Pour l'exercice 2022, la cible pour l'ensemble de la Marine avait été fixé à 94 % pour le taux de renouvellement. Cette cible ambitieuse n'avait pas pu être atteinte et le taux de renouvellement avait atteint 85 % en 2022. Pour l'exercice 2023, l'objectif fixé dans le projet annuel de performances (PAP) du programme 212 « Soutien de la politique de la défense » a été fixé à 85 %, ce qui correspond au niveau d'exécution constaté en 2022 mais à un recul dans l'ambition fixée à la Marine sans que ce recul ne soit justifié. Le relèvement de la cible à 92 % pour l'exercice 2024 témoigne d'une gestion conjoncturelle des cibles de performance qui ne permet pas au Gouvernement et au Parlement de s'appuyer sur les résultats pour prendre des décisions stratégiques d'allocation des ressources.
En second lieu, la portée utile du dispositif de suivi de la performance des dépenses de l'État pourrait être renforcée par une réforme structurelle de ce dispositif dès lors que la procédure actuelle de préparation du budget de l'État ne permet pas de tenir compte de l'atteinte des résultats dans la fixation des crédits inscrits en projet de loi de finances.
En effet, comme le relève la Cour des comptes dans un rapport de décembre 2023, les conférences de performances qui se tiennent chaque année en avril et en mai en présence de la direction du budget et des différents ministères donnent lieu à des discussions sur les objectifs et indicateurs de performance indépendantes des discussions sur les crédits des programmes budgétaires63(*). Dans la période récente, il apparaît que la priorité de la direction du budget a été d'intégrer à ces conférences de performances deux nouveaux éléments de suivi de la dépense : la mise en place d'indicateurs relatifs à la dépense fiscale et les exercices de cotation des crédits budgétaires au regard des objectifs du Gouvernement en matière environnementale et d'égalité femmes-hommes. L'élargissement du périmètre des conférences de performance à des sujets relatifs à la cohérence plutôt qu'à la performance de la dépense publique de l'État affaiblit la portée du dispositif de suivi de la performance dont la robustesse est déjà perfectible.
Si l'intégration dans la procédure budgétaire d'instruments permettant de mesurer la participation des dépenses publiques à la transition écologique apparaît comme une évolution légitime et de nature à éclairer utilement la prise de décision, le perfectionnement du dispositif de cotation des dépenses dans le cadre du « budget vert » implique une mobilisation croissante des services des différents ministères concernés.
Il est en revanche nécessaire de rationaliser le dispositif de suivi de la performance des dépenses de l'État qui, dans son format actuel, constitue une charge administrative considérable pour les responsables de programme et pour la direction du budget. Le recentrage et la « débureaucratisation » du suivi de la performance constituent un levier pour réduire la charge administrative pesant sur la direction du budget et lui permettre de se concentrer sur la préparation des arbitrages relatifs à la répartition des crédits.
Il apparaît par suite nécessaire d'engager une réflexion quant à une réforme structurelle du dispositif de suivi de la performance de la dépense de l'État, qui n'est pas utilisé par l'administration comme un outil de pilotage stratégique de la dépense publique. La mise en oeuvre d'un pilotage par la performance des dépenses de l'État impliquerait le déploiement d'un dispositif renouvelé, resserré sur des objectifs stratégiques et coordonnées avec les dispositifs complémentaires de suivi des opérateurs publics et des politiques prioritaires du Gouvernement, et mieux articulé avec la fixation du montant des crédits dans le cadre de la procédure de préparation du budget de l'État.
* 63 Cour des comptes, décembre 2023, La préparation et le suivi du budget de l'État : redonner une place centrale à la maîtrise des dépenses, p. 48.