II. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
Les rapporteurs spéciaux formulent trois séries d'observations à propos de l'exécution du budget de la mission RCT en 2023 : les deux premières concernent le programme 119, marqué par la résorption des dispositifs liés à la situation sanitaire et l'incidence de la réforme de la taxe d'habitation et de la réforme des impôts de production sur la structure des ressources des collectivités. La dernière souligne l'impact budgétaire, proportionnellement important, de la tempête « Alex » sur le programme 122.
A. UNE DIMINUTION CONJONCTURELLE DE LA DSIL ET UNE ACCUMULATION PRÉOCCUPANTE DES RESTES À PAYER
Le programme 119 comprend des dotations d'investissement de droit commun : il s'agit principalement de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation politique de la ville (DPV), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et d'une part de la dotation de soutien à l'investissement des départements (part « projet » de la DSID). À ces dotations attribuées à enveloppe fermée, et au sein desquelles l'État flèche certains projets plutôt que d'autres, s'ajoutent des dotations ponctuelles, visant à répondre à une politique publique sur un territoire donné. C'est dans ce dernier cadre que s'inscrivent des opérations comme le plan Marseille en grand ou la « dotation exceptionnelle Seine-Saint-Denis ».
1. Une évolution inverse des AE et des CP du fait de la résorption des dispositifs de crise
En autorisations d'engagement, les dépenses consacrées aux dotations de soutien à l'investissement ont sensiblement diminué, passant de 2,1 milliards d'euros en 2022 à 1,8 milliard d'euros en 2023, principalement en raison de la très forte baisse (- 285,7 millions d'euros) de l'abondement exceptionnel de la DSIL classique ayant eu lieu en 2022.
Cet abondement provenait de crédits européens (FEDER5(*)) dont l'Union européenne n'avait pas demandé la restitution. Il a permis de soutenir en particulier les collectivités bénéficiaires du programme « Action coeur de ville ».
Cet abondement en AE avait alors été accompagné d'un abondement en CP, sensiblement inférieur, à hauteur de 14 millions d'euros par rapport à la LFI 2021 afin de répondre à la montée en charge des projets financés par la DSIL depuis 2016 et de prendre en compte l'augmentation des AE due à l'abondement exceptionnel.
En revanche, en crédits de paiement, les dépenses ont augmenté de 1,8 à 1,9 milliard d'euros. Comme les années précédentes ce niveau de CP a pour objectif de répondre à l'avancement des projets : l'augmentation de la consommation des CP est de 36,9 millions d'euros au titre de la DETR, 17,6 millions d'euros au titre de la DPV, et 30,6 millions d'euros au titre de la part « projets » de la DSID. L'augmentation de la consommation des CP s'agissant de la DSIL est particulièrement importante (+ 75,8 millions d'euros) du fait du décalage entre l'engagement et le décaissement de l'abondement exceptionnel de 2022.
Seule la DSIL exceptionnelle, dont l'objectif était d'accompagner la relance des investissements des collectivités du bloc communal, a vocation à financer la transition énergétique, la résilience sanitaire et la préservation du patrimoine public historique et culturel, enregistre une diminution des CP consommés (- 17,9 millions d'euros), du fait de sa progressive résorption.
Évolution, pour les dotations
d'investissement,
des AE et des CP consommés entre 2020 et
2023
(en millions d'euros)
|
AE |
CP |
||||||||
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2023-2022 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2023-2022 |
|
DETR |
994,5 |
930,8 |
929,1 |
936,2 |
+ 7,1 |
882,0 |
853,1 |
881,3 |
918,2 |
+ 36,9 |
DPV |
136,5 |
133,1 |
141,8 |
141,4 |
- 0,4 |
109,6 |
122,2 |
109,9 |
127,5 |
+ 17,6 |
DSIL classique |
526,2 |
497,9 |
793,0 |
507,3 |
- 285,7 |
445,5 |
193,3 |
478,9 |
554,7 |
+ 75,8 |
DSIL exceptionnelle |
571,1 |
377,4 |
-5,1 |
-9,2 |
- 4,1 |
9,5 |
158,2 |
184,4 |
166,5 |
- 17,9 |
DSID part «projets» |
155,7 |
150,7 |
199,8 |
199,9 |
+ 0,1 |
62,9 |
77,7 |
102,1 |
132,7 |
+ 30,6 |
Total |
2 384,0 |
2 089,9 |
2 058,6 |
1 775,6 |
- 283,0 |
1 509,5 |
1 404,5 |
1 756,6 |
1 899,6 |
+ 143,0 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après la Cour des comptes
2. D'importants restes à payer qui interrogent sur la soutenabilité de la trajectoire de dépenses du programme 119
Comme le relève la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire, « les dotations d'investissement relèvent de dépenses discrétionnaires en ce qui concerne les autorisations d'engagement, mais il s'agit de dépenses de guichet pour la consommation des crédits de paiement correspondants : une fois les dotations accordées, les CP sont dus à mesure de la réalisation des projets d'investissement soutenus, le gestionnaire devant effectuer ces paiements dès lors que le service a été fait. » Dans ses conditions, il est normal que des restes à payer existent : ils résultent « de la nature même de ces dotations, caractérisées par un décalage de consommation entre les AE et les CP. »
Toutefois, sur la période 2016-2023, les consommations cumulées d'AE et de CP se sont respectivement élevées à 15,1 milliards d'euros et à 11,1 milliards d'euros conduisant à un reste à payer de 4 milliards d'euros à fin 2023. Ce niveau de reste à payer apparaît d'autant plus important qu'il représente plus de deux fois les sommes des crédits alloués aux dotations d'investissement, et est équivalent aux crédits budgétés en 2023 sur l'ensemble du programme 119.
Évolution cumulée des écarts
entre AE et CP
des dotations à l'investissement
sur la période 2016-2023
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après la Cour des comptes
Malgré une légère diminution en 2024 (la consommation des CP ayant dépassé celle des AE), les restes à payer sur les dotations d'investissement se maintiennent à un niveau élevé et constituent donc, aux yeux des rapporteurs spéciaux, un point de vigilance pour la soutenabilité budgétaire de la mission.
* 5 Le fonds européen de développement régional (FEDER) a pour vocation de renforcer la cohésion économique et sociale dans l'Union européenne en corrigeant les déséquilibres entre ses régions. En France, pour la période 2014-2020, le FEDER représente 8,4 milliards d'euros consacrés à l'objectif « investissement pour la croissance et l'emploi », en vue de consolider le marché du travail et les économies régionales. Il faut ajouter à cela 1,1 milliard d'euros sont consacrés à l'objectif « coopération territoriale européenne », qui vise à soutenir la cohésion dans l'Union européenne grâce à la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale.