II. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX : UNE NOUVELLE ANNÉE DE DÉRAPAGE BUDGÉTAIRE PAR LE GOUVERNEMENT
1. Bien que le sous-dimensionnement de la programmation initiale de la mission AAFAR ait été moins marqué en 2023, toutes les mesures ne sont pas prises pour mettre un terme au « Yo-Yo budgétaire »
Au total, 433,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 419,8 millions d'euros en crédits de paiement n'ont pas été consommés et ont fait l'objet d'un report pour 2024, mais l'exécution excède de près de 814 millions d'euros les prévisions faites en loi de finances initiale (certes, il s'agit d'un montant moins élevé que le dépassement de 1,5 milliard d'euros constaté en 2022, mais c'est un tiers de plus que les 600 millions d'euros de dépassement en 2021).
Le programme 149 a bénéficié à lui seul de près de 642 millions d'euros supplémentaires en AE et de 574,5 millions d'euros en CP soit approximativement 30 % et 27 % des crédits prévus initialement. 78 % des ouvertures de crédits réalisées en loi de finances rectificative sont venus abonder ce programme.
Cette exécution résulte d'une sous-programmation structurelle des besoins d'accompagnement d'exploitations de plus en plus confrontées aux effets des aléas climatiques. Le programme 149 se retrouve ainsi sous tension depuis 2018.
Les rapporteurs spéciaux considèrent que les aléas climatiques et les maladies animales à répétition sont devenus des caractéristiques pérennes à prendre en compte dans les prévisionnels budgétaires du MASA. Certes, la nature de ces aléas évoluera, mais leur ampleur est structurellement sous-évaluée, ce qui ne peut être accepté de la part de décideurs politiques dont le sens de l'anticipation doit finalement être la principale qualité. Les rapporteurs spéciaux plaident pour une réévaluation des crédits alloués en loi de finances initiale aux programmes 149 et 206 en LFI à hauteur de la moyenne constatée des trois exercices précédents afin de mettre un terme à ce que leurs prédécesseurs ont qualifié l'an dernier, à juste titre, de « Yo-Yo budgétaire ».
2. Des crises agricoles à répétition qu'il devient absurde de ne pas intégrer dans le prévisionnel budgétaire
Les rapporteurs spéciaux ont le sentiment que les évaluations budgétaires initiales du ministère sont sous-dimensionnées au regard d'un contexte objectivement amené à se durcir, même si une réévaluation partielle des besoins avait été consentie par le Gouvernement en loi de finances initiale pour 2023. Les années 2021 et 2022 avaient en effet déjà été marquées par la multiplication de crises aux lourdes conséquences pour le secteur agricole : outre la pandémie de Covid-19, les agriculteurs ont été frappés au cours de ces deux années par l'influenza aviaire, la jaunisse de la betterave et plusieurs épisodes climatiques (gel, grêle, incendies, etc.). L'année 2023 s'est malheureusement inscrite dans la continuité des deux précédentes. Cette situation explique la nouvelle hausse des crédits ouverts dans le cadre du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation ».
Les menaces sanitaires sont extrêmement vives et les risques tendent à se concrétiser, comme l'ont montré une série d'événements retentissants ces dernières années. La multiplication de foyers importants de maladies animales ou végétales s'est reproduite en 2023 : parmi les plus redoutables, on citera la tuberculose bovine, la brucellose qui peut se propager de l'animal à l'être humain, la salmonelle en élevage avicole ainsi que plusieurs foyers de capricorne asiatique actifs dans le domaine végétal. Plusieurs foyers de maladie hémorragique épizootique (MHE) ont également été déclarés en France en septembre 2023 dans des élevages de bovins du sud-ouest. On sait d'ailleurs d'ores et déjà que cette tendance se poursuit en 2024 puisque trois foyers d'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) ont été détectés en Ille-et-Vilaine, le 12 août 2024, dans le Morbihan, le 20 août, puis le Finistère, le 2 septembre. Par ailleurs, 1924 foyers de fièvre catarrhale ovine (FCO) étaient signalés au 12 septembre 2024. Ces situations ont conduit le gouvernement a intensifié les campagnes de vaccination en 2024.
3. Certains des indicateurs de performance ne semblent plus adaptés
Au regard des effets du changement climatique et des priorités de la planification écologique, les rapporteurs spéciaux considèrent que la pertinence de trois indicateurs de performance - ceux en lien avec la filière forêt-bois - parmi les huit du programme 149 « compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt » - pourrait être questionnée.
Dans le prolongement d'un rapport d'information qu'ils ont récemment établi sur le financement public de la filière forêt-bois9(*), ils préconisent de davantage tenir compte des cinq axes prioritaires défini par la feuille de route forêt bois qui vise à adapter la forêt au changement climatique et à maximiser les effets de la décarbonation de la filière bois pour la décarbonation : (i) mieux prévenir les risques et lutter contre les incendies, (ii) adapter la forêt au changement climatique, (iii) gérer les forêts durablement, (iv) restaurer et préserver la biodiversité et les sols et enfin (v) structurer et développer la filière bois.
L'indicateur 1.4 relatif à la récolte de bois rapporté à la production annuelle pourrait ainsi évoluer. La baisse structurelle de la croissance biologique des forêts, liée au changement climatique, entraîne une diminution mécanique du dénominateur, faisant progresser l'indicateur sans qu'il soit révélateur d'un quelconque effet des politiques publiques. Dans cette perspective, le volume récolté aurait davantage de sens, en cohérence avec les indicateurs forêt bois de la future stratégie nationale bas carbone (SNBC).
L'indicateur 2.2 relatif à la part de forêts gérées durablement pourrait être centré sur un double objectif prioritaire de maintien d'un taux élevé en forêt publique, pour afficher une exemplarité étatique, et d'un indicateur en forêt privée rapporté aux seules forêts de plus de 20 ha, les seules soumises à un plan simple de gestion (PSG). Le calcul actuel prend en compte toutes les parcelles forestières, y compris celles qui ne sont pas concernées par des obligations de gestion, ce qui apparait en décalage avec la réalité. Par ailleurs, cet objectif comporte une cible surfacique qui n'a pas été réévaluée alors que l'abaissement du seuil de 25 à 20 hectares voté par le Parlement dans le cadre de la loi « incendie »10(*) devrait conduire à fixer un objectif volontariste au moins égal aux surfaces de forêts de plus de 20 ha.
L'indicateur 2.3 sur le taux de bois commercialisé contractualisé en forêt domaniale (en progression constante de 58,5 % en 2022 et qui devrait tendre vers 75 % en 2025) pourrait être étendu aux bois commercialisés dans les forêts des collectivités voire même dans les forêts privées, où des progrès en matière de contractualisation sont attendus. Les rapporteurs spéciaux considèrent en effet que la contractualisation est un paramètre important de la compétitivité des entreprises.
Enfin, les rapporteurs spéciaux appuient la quatrième recommandation formulée par la Cour des comptes dans sa note d'analyse budgétaire pour 2023 précitée : l'introduction d'un indicateur11(*) mesurant la performance de la gestion des aides agricoles leur semble pertinente.
* 9 Le rapport est consultable via le présent lien.
* 10 Loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie consultable via le présent lien
* 11 Cf. la note d'analyse de l'exécution budgétaire 2023 de la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » de la Cour des comptes consultable par le présent lien (page 52).