B. LE NON-RECOURS AU MINIMUM VIEILLESSE EST UN PHÉNOMÈNE D'AMPLEUR AUX CAUSES COMPLEXES
1. En 2016, la moitié des personnes éligibles au minimum vieillesse n'y recouraient pas
Le non-recours aux droits désigne la situation dans laquelle une personne éligible à une prestation sociale ne la perçoit pas.
En 2022, la Drees évaluait le taux de non-recours au minimum vieillesse en 2016 (dernière année pour laquelle une estimation peut actuellement être réalisée55(*)) à 50 %56(*), ce qui représenterait 1 milliard d'euros de prestations non versées57(*). À titre de comparaison, la Drees estime le taux de non-recours au revenu de solidarité active (RSA) à 34 %, à la prime d'activité à 27 %, et à la complémentaire santé solidaire sans participation financière à 67 %58(*).
La Cour des comptes relève, dans son chapitre du Ralfss de mai 2024 sur la qualité des services rendus par les caisses de sécurité sociale du régime général59(*), que les principales causes de non-recours aux minima sociaux identifiées par la Drees sont les suivantes : le manque d'information pour 40 % des assurés, la complexité des démarches à accomplir pour 23 % d'entre eux, la crainte des conséquences négatives pour 18 % d'entre eux et le souhait de ne pas dépendre des aides sociales ni être considéré comme étant assisté pour 16 % d'entre eux. Elle précise qu'entre 2016 et 2021, la proportion d'usagers estimant manquer d'informations a reculé de 17 points, tandis que la proportion d'usagers craignant de subir des conséquences négatives a augmenté.
Selon le Dossier de la Drees de 2022 précité, il ressort de l'analyse des données fiscales des personnes se situant sous le plafond de ressources d'une personne seule et n'ayant pas recours à l'Aspa que le montant moyen de prestation auquel ces personnes auraient droit s'élèverait en 2016 à 250 euros par mois, contre 337 euros pour les bénéficiaires effectifs.
Il apparaît que plus le montant théorique de la prestation non perçue est faible, plus le taux de non-recours est élevé. La répartition des personnes éligibles à l'Aspa et n'y recourant pas, par tranche de prestation à laquelle elles auraient théoriquement droit, renseigne ainsi que le taux de non-recours de prestations inférieures à 100 euros est de 77 %. Il convient toutefois de relever que ce taux remonte pour les montants de prestations les plus élevés, supérieurs à 700 euros.
Taux de non-recours selon la tranche de montant théorique (2016)
Source : Le non-recours au minimum vieillesse des personnes seules, Les dossiers de la Drees n° 97, mai 2022
En 2016, le taux de non-recours chez les femmes s'élevait à 52 %, contre 44 % chez les hommes. Il croissait avec l'âge du bénéficiaire potentiel : il était de 47 % pour la population âgée de 65 à 69, et de 56 % pour celle d'au moins 85 ans. La population des non-recourants avait en moyenne 78 ans, contre 75,8 ans pour les recourants. Le taux de non-recours des personnes ayant effectué une carrière complète était de 69 %, soit 20 points de plus que celui des personnes n'ayant pas effectué une carrière complète (49 %). Parmi les propriétaires, il s'élevait à 72 %, contre 36 % pour les locataires. Le taux de non-recours atteignait près de 95 % lorsque les nouveaux éligibles l'étaient après que leurs ressources avaient augmenté moins vite que le barème du minimum vieillesse. Il était également particulièrement élevé (81,8 %) chez les détenteurs d'un nouveau droit dérivé, ce qui explique qu'il ait été de 62 % parmi les titulaires d'une pension de réversion, contre 42 % pour la population n'étant pas titulaire d'un droit dérivé.
Selon la Cnav, les trois causes principales du non recours à l'Aspa seraient le manque d'information, la récupération sur succession d'une partie des sommes versées, ainsi que le refus d'une partie des bénéficiaires potentiels de faire appel à la solidarité nationale60(*).
2. Le non-recours à l'Aspa semble particulièrement important parmi les retraités non-salariés agricoles
Les retraités du régime agricole représentent 5 % des allocataires du minimum vieillesse, contre 85 % pour les allocataires du régime général, et 10 % pour les allocataires du service de solidarité aux personnes âgées (Saspa).
L'évolution du recours au minimum vieillesse parmi les retraités du régime agricole fait apparaître deux tendances très différentes entre les populations salariées et les non-salariés de ce régime.
Évolution du nombre de retraités agricoles bénéficiaires de l'Aspa et d'autres allocations du minimum vieillesse depuis 2012
Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les informations transmises par la MSA
Si ces deux catégories se matérialisent par une grande différence de revenus entre d'une part, les salariés d'une exploitation, et d'autre part, les chefs d'exploitations ou d'entreprises agricoles, qui sont souvent propriétaires de leur capital d'exploitation agricole et de leur habitation, il n'en demeure pas moins que le nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse (Aspa ou autre) parmi les personnes non-salariées du régime agricole61(*) fait l'objet d'une baisse continue depuis 2012. L'augmentation de 39,5 % des effectifs de non-salariés agricoles bénéficiaires de l'Aspa entre 2012 et 2023 ne permet pas d'inverser une tendance générale à la baisse, attestant du non-remplacement de l'ASV par l'Aspa.
À l'inverse, les effectifs de salariés agricoles bénéficiaires de l'Aspa ont pour leur part augmenté de plus de 335 % entre 2012 et 2023, passant de 4 014 à 17 484. La part des effectifs de salariés agricoles bénéficiaires de prestations de solidarité aux personnes âgées est donc revenue à son niveau de 2012, à savoir 1 %, attestant d'un remplacement des anciennes prestations du revenu minimum par l'Aspa.
Évolution des bénéficiaires de l'Aspa et des anciennes prestations du revenu minimum parmi les retraités agricoles
Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les informations transmises par la MSA
Ces différences de tendance peuvent s'expliquer par les revalorisations successives dont les pensions de retraite agricoles ont fait l'objet. La baisse du nombre d'allocataires à l'Aspa parmi les non-salariés agricoles depuis 2020 pourrait s'expliquer par le rehaussement à 85 % du Smic62(*) du complément différentiel de points de retraite complémentaire (CDRCO), ouvert aux chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole ayant cotisé l'ensemble de leur carrière à ce titre et acquis une retraite à taux plein, ainsi que par l'unification du montant de la pension majorée de référence parmi les non-salariés agricoles, désormais portée au niveau du minimum contributif majoré.
Il n'en demeure pas moins que la faible proportion du recours à l'Aspa parmi les non-salariés agricoles atteste d'un taux de non-recours important, estimé par la Drees en 2016 à 63,2 %, contre 47,5 % pour les retraités salariés ayant eu pour régime de base principal la MSA.
* 55 La dernière vague disponible à ce jour de l'échantillon inter-régimes (EIR), utilisé pour cette estimation, concerne l'année 2016.
* 56 Le non-recours au minimum vieillesse des personnes seules, Les dossiers de la Drees, n° 97, mai 2022.
* 57 Le non-recours des personnes âgées aux droits et aux services, Retraite et société, numéro 87, 2021/3.
* 58 Cour des comptes, « La qualité des services rendus par les caisses de sécurité sociale du régime général », in Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, mai 2024.
* 59 Cour des comptes, « La qualité des services rendus par les caisses de sécurité sociale du régime général », in Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, mai 2024.
* 60 Le non-recours des personnes âgées aux droits et aux services, Retraite et société, numéro 87, 2021/3.
* 61 Cette catégorie vise les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole, ainsi que leurs conjoints collaborateurs, aides familiaux et associés d'exploitation.
* 62 Article 1 de la loi n° 2020-839 du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, dite « Chassaigne I ». Le CDRCO s'élevait à 75 % du Smic à compter du 1er janvier 2017.