EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 6 NOVEMBRE 2024

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. - En tant que membre de la commission des finances, j'ai été guidée dans mon action par le nécessaire rétablissement des finances publiques. Il m'a paru opportun de modifier notre loi fondamentale pour y parvenir.

Le principal objet de ce texte est d'inscrire dans la Constitution la primauté de la pluriannualité sur l'annualité, en matière budgétaire. Aujourd'hui, l'inverse prévaut et le principe d'annualité a acquis une valeur constitutionnelle, ce qui n'est pas le cas de la pluriannualité. Il s'agit d'un paradoxe puisque la notion d'annualité ne figure pas explicitement dans notre texte fondamental, contrairement à celle de la pluriannualité, présente au travers des références aux lois de programmation.

Pour rétablir les finances publiques de façon durable, il faut inverser ce rapport et graver dans le marbre la primauté de la programmation sur les lois de finances annuelles.

De plus, le droit actuel nous fait courir un risque. En effet, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir examiner le budget dans sa globalité, en raison de l'inflation chronique du nombre d'amendements déposés, qui témoignent néanmoins de notre droit le plus souverain. Nous parvenons ainsi à une situation ubuesque, dans laquelle le budget pourrait n'être voté ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat. Le Parlement renoncerait alors à l'une de ses prérogatives essentielles.

J'ai consulté un certain nombre d'experts : des professeurs, comme Philippe Dessertine et Alain Pariente, le président de l'association « finances publiques et économie » (Fipeco), François Écalle, l'économiste et directeur adjoint de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Mathieu Plane, ou encore le directeur des études de Rexecode, Olivier Redoules.

Le dispositif proposé n'a rien de fantasque et s'inspire fortement d'un projet de loi constitutionnelle adopté par le Sénat et l'Assemblée nationale en 2011. Pour des raisons politiques et par crainte de ne pas parvenir à réunir la majorité qualifiée, le processus d'adoption n'a pas abouti.

La réforme proposée entre en résonnance avec le modèle européen du cadre financier pluriannuel. Ce cadre fonctionne bien et permet aux contributeurs de l'Union européenne (UE) d'avoir une meilleure visibilité, tout en préservant leur marge d'action en cas de crise. De la même façon, les parlementaires conserveraient une marge de manoeuvre, qu'il serait possible d'utiliser en cas de consensus politique.

Par ailleurs, cette proposition de loi constitutionnelle vise à renforcer le rôle du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), afin d'éviter les erreurs de prévision, qui peuvent conduire à de graves dérapages.

Ce renforcement ne remet pas en cause le rôle du Conseil constitutionnel, qui contrôle la constitutionnalité des lois de finances. Cependant, son avis serait éclairé par le HCFP.

Enfin, ce texte provoque de nombreuses réactions positives, venant de personnes de tous horizons, notamment de jeunes. Nous sommes confrontés à un problème systémique et ne maîtrisons pas les finances publiques. Il serait positif que le Sénat s'empare de cette question.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Cette proposition de loi constitutionnelle pose une question essentielle : la révision constitutionnelle est-elle un outil adéquat pour mener l'indispensable redressement de nos finances publiques ? Il s'agit d'un sujet hautement politique, sensible et actuel.

On ne peut que s'alarmer avec l'auteur du texte de la dégradation de nos finances publiques, qu'illustrent ces deux chiffres : un déficit public estimé à 6,1 % du PIB et une dette cumulée qui s'élève à 113 % du PIB à la fin de l'année 2024.

Cette situation résulte d'abord d'un échec politique, qui découle de l'absence de volonté de prendre des mesures fortes en la matière. Cependant, il s'agit aussi d'un échec juridique et normatif.

Ce texte s'inspire d'un projet de loi constitutionnelle de 2011, déposé dans un contexte de crise de la dette souveraine dans la zone euro. Ce texte n'a finalement jamais été soumis au référendum ni au Congrès et une décision du Conseil constitutionnel, selon laquelle il n'était pas nécessaire de modifier la Constitution pour transposer les exigences européennes a temporairement clôt ce débat. Face à la situation dégradée que nous connaissons, il est légitime de nous interroger à nouveau sur la pertinence d'une modification de notre loi fondamentale pour atteindre notre objectif.

Dans le cadre de sa mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France, la commission des finances du Sénat a récemment formulé 15 recommandations, dont aucune ne porte sur le cadre constitutionnel. Celles-ci s'articulent autour de trois axes : améliorer les prévisions, notamment en matière de recettes ; renforcer la transparence des données utilisées ; et garantir l'information ainsi que le rôle du Parlement dans le vote du budget et dans le contrôle de l'exécution budgétaire.

La proposition de loi constitutionnelle poursuit trois objectifs. D'abord, il s'agit de créer une nouvelle catégorie de lois, portant cadre financier pluriannuel, qui se substitueraient aux lois de programmation des finances publiques (LPFP), mais qui, à la différence de ces dernières, s'imposeraient aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Le deuxième objectif consiste à établir un monopole des lois de finances sur les mesures liées aux dispositions fiscales. Enfin, le texte vise à constitutionnaliser le HCFP, dont les prérogatives seraient également élargies.

En ce qui concerne le premier objectif, les lois-cadres porteraient sur la durée de la législature et comprendraient : des plafonds pour les charges des administrations publiques, une trajectoire des prélèvements obligatoires, des objectifs de solde public et une stratégie d'investissement public.

Premièrement, la terminologie employée est éclairante puisqu'elle reprend la notion de cadre financier pluriannuel utilisée pour le budget de l'Union européenne, qui doit respecter des plafonds fixés pour une période de sept ans. Cependant, cette comparaison avec le droit européen doit être maniée avec la plus grande prudence, l'Union européenne n'étant pas un État souverain et ne jouant pas un rôle majeur dans le fonctionnement des services publics.

Deuxièmement, ce texte induit une profonde remise en cause du principe de l'annualité budgétaire, qui constitue un grand acquis du parlementarisme, consacré par notre ordre juridique constitutionnel depuis la Constitution de 1791. Ce principe permet le consentement à l'impôt et l'exercice d'un contrôle de la dépense de manière régulière. Y revenir entraînerait une remise en cause de la garantie des droits budgétaires du Parlement.

Troisièmement, ces lois-cadres pluriannuelles pourraient être adoptées en ayant recours au « 49.3 ». Comment imaginer une situation dans laquelle le budget de l'État pourrait être fixé pour une durée de cinq ans sans avoir été voté par l'Assemblée nationale ?

De surcroît, la procédure proposée pour modifier les lois-cadres se veut très rigide. La réunion du Parlement en congrès et une majorité qualifiée des trois cinquièmes seraient nécessaires pour les réviser, ce qui entraîne une rupture du parallélisme des formes. De plus, d'un point de vue philosophique, la majorité des trois cinquièmes est en principe destinée à imposer des exigences dont la portée excède des engagements partisans. Or le budget est par essence un acte purement politique.

Quatrièmement, le texte comporte des risques de remise en cause de la libre administration et de l'autonomie financière des collectivités territoriales. En effet, les lois-cadres comporteraient des dispositions relatives à la trajectoire des prélèvements obligatoires, qui incluent les impôts locaux, et à la stratégie d'investissement public, portée à plus de 50 % par les collectivités. Cet instrument pourrait donc être utilisé par le Gouvernement pour contraindre davantage les finances des collectivités.

Cinquièmement, le fait de graver dans le marbre constitutionnel des critères de finances publiques pourrait engendrer des risques de contradiction avec le cadre européen. Ce dernier s'est avéré évolutif, quand notre loi fondamentale a vocation à rester stable. Ainsi, à chaque évolution du cadre européen, il nous faudrait voter une révision constitutionnelle.

À titre d'exemple, depuis que le pacte de stabilité et de croissance (PSC) de l'Union européenne a été modifié en avril 2024, le cadre européen n'est plus centré sur le déficit structurel, mais sur la croissance des dépenses publiques nettes. Or ce critère ne figure pas dans le dispositif de la proposition de loi constitutionnelle. Il faudrait plutôt prévoir d'introduire les critères au niveau organique, et le débat sur la définition des indicateurs pertinents aurait vocation à relever de la commission des finances plutôt que de notre commission.

Sixièmement, le fait de donner une portée contraignante à une norme de déficit ou à tout autre critère intégrant des prévisions de recettes peut être problématique. En effet, le Conseil constitutionnel pourrait-il censurer une loi de finances sur la seule base d'un indicateur prévisionnel ?

De même, les indicateurs de déficit ou de dépenses publiques globales posent un problème de périmètre. Le Conseil constitutionnel pourrait-il censurer une loi de finances qui porte sur le fonctionnement de l'État, sur la base d'un indicateur relatif à l'ensemble des administrations publiques ? Le seul critère qui pourrait être utilisé de manière fiable serait le plafonnement des crédits budgétaires de l'État. Néanmoins, un problème de nature politique se pose alors : peut-on figer dans la Constitution une certaine conception de la consolidation des finances publiques, exclusivement centrée sur la réduction des dépenses publiques ? Je ne le pense pas.

Pour conclure sur ce point, quels que soient les critères retenus, le Conseil constitutionnel serait placé dans une position inhabituelle, devenant juge financier, ce qui ne me semble pas souhaitable pour l'équilibre de nos institutions.

Septièmement, l'importante rigidité de la loi-cadre pourrait s'avérer préjudiciable à la conduite de la politique budgétaire, à plus forte raison dans un contexte économique et financier incertain. La crise de la Covid-19 a montré la nécessité de conserver souplesse et réactivité.

Enfin, il faut replacer cette proposition de loi constitutionnelle dans son contexte. Le cadre financier européen a été suspendu pendant la crise sanitaire, en raison des efforts budgétaires légitimes qu'il a fallu fournir. Il est désormais rétabli et, depuis juillet dernier, la France compte parmi les sept pays qui sont sous le coup d'une procédure pour déficit excessif. Le respect des règles européennes ne nécessite pas de révision constitutionnelle et peut entraîner, tout au plus, un réajustement au niveau organique.

J'en viens au deuxième objectif de la proposition de loi constitutionnelle : l'institution d'un monopole des lois de finances pour les dispositions fiscales, qui relèvent aujourd'hui du domaine partagé.

Le fait de circonscrire les mesures fiscales dans la loi de finances peut paraître pertinent d'un point de vue doctrinal, car il garantit la cohérence de la politique budgétaire. Cependant, cette doctrine est déjà largement respectée et l'on ne compte, chaque année, que deux à trois mesures fiscales adoptées en dehors des textes financiers. Laisser au législateur une certaine souplesse peut s'avérer utile. Cette proposition porte atteinte de façon importante à l'initiative parlementaire, déjà fortement contrainte par l'article 40 de la Constitution.

J'en viens au dernier objectif : la constitutionnalisation du HCFP et l'élargissement de ses prérogatives.

Crée en 2013, le HCFP a démontré son utilité, mais une telle évolution ne paraît pas nécessaire. Le Haut Conseil a été consacré par la loi organique et il émane de la Cour des comptes, qui a déjà un statut institutionnel. Concernant l'élargissement de ses prérogatives, le HCFP n'en a pas les moyens financiers et budgétaires. De plus, un risque de doublon existe puisque le ministère de l'économie et des finances ne renoncera probablement pas à ses capacités de prévision. Le Haut Conseil a démontré son utilité dans son rôle actuel, qui consiste à analyser et parfois à contester ou à pointer les zones d'ombre dans les prévisions gouvernementales.

Je propose donc de ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle et j'ajouterai deux arguments complémentaires.

D'abord, le redressement des finances publiques est avant tout une question de prise de conscience politique et de volonté ; gardons-nous donc de donner au droit constitutionnel un rôle qu'il ne peut ni ne doit assumer.

Enfin, cette proposition de loi, si elle était votée dans des termes identiques par les deux chambres, devrait obligatoirement être soumise au référendum pour être adoptée. Voulons-nous saisir les citoyens de ce texte très technique, qui sanctionne une forme d'échec du politique sur la question budgétaire ?

M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis de la commission des finances. - Le rapporteur, avec qui j'ai travaillé en parfaite coopération au cours des auditions, a fort bien rendu compte de notre analyse partagée de ce texte. Si je salue l'initiative de notre collègue Vanina Paoli-Gagin dans le cadre de cette proposition de loi constitutionnelle en ce qu'elle évoque des objectifs qui peuvent faire l'objet d'un large consensus, je ne pense pas que les réponses apportées soient adéquates face à la dégradation des finances publiques.

J'ai présenté hier mon rapport à la commission des finances en reprenant les arguments qui ont été développés par Stéphane Le Rudulier : nous avons proposé un avis de rejet du texte, notamment au regard de la perte de pouvoir du Parlement et de la remise en cause du consentement à l'impôt qu'il porte.

En conclusion, je rappelle que le paysage a bien changé depuis l'initiative de 2011. En 2012, le traité sur la stabilité, la coordination et gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (TSCG), ensuite traduit par le biais d'une loi organique nationale, a en effet profondément fait évoluer le cadre de nos réflexions. S'il est possible que des ajustements organiques soient encore nécessaires, il ne nous semble pas que l'outil proposé ici soit approprié.

M. Jérôme Durain. - Je m'inscris dans le droit fil des propos précédents, notre groupe estimant que cette proposition de loi constitutionnelle n'est pas adaptée à la situation. Il est surprenant de vouloir modifier la Constitution parce que nous avons des difficultés budgétaires. Pour notre part, nous entendons privilégier des choix politiques et des arbitrages budgétaires à la recherche de réponses institutionnelles.

Le caractère obligatoire des lois portant cadre financier pluriannuel et le monopole en matière fiscale paraissent alourdir et rigidifier des situations dans lesquels il serait préférable de disposer de souplesse et de réactivité. Il nous semble nécessaire, à l'inverse, de conforter une forme de liberté d'action et d'invention pour le Parlement. Telles qu'elles sont envisagées, les conditions d'édiction et de modification des lois pluriannuelles formeraient un carcan insupportable.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Nous partageons en effet la même appréciation.

EXAMEN DES ARTICLES 

Article 1er

L'article 1er n'est pas adopté.

Article 2

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

L'article 3 n'est pas adopté.

Article 4

L'article 4 n'est pas adopté.

Article 5

L'article 5 n'est pas adopté.

Article 6

L'article 6 n'est pas adopté.

Article 7

L'article 7 n'est pas adopté.

Article 8

L'article 8 n'est pas adopté.

Article 9

L'article 9 n'est pas adopté.

Article 10

L'article 10 n'est pas adopté.

Article 11

L'article 11 n'est pas adopté.

Article 12

L'article 12 n'est pas adopté.

La proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi constitutionnelle déposée sur le Bureau du Sénat.

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