II. LE PROGRAMME « PRESSE ET MÉDIAS » : UNE RELATIVE STABILISATION DES AIDES À LA PRESSE DANS L'ATTENTE DE LEUR NÉCESSAIRE RÉFORME
Le présent projet de loi de finances prévoit de porter les crédits du programme 180 « Presse et médias » à 365,6 millions d'euros en AE et 355,6 millions d'euros en CP. Plus de la moitié de ces financements concerne les aides à la presse, 40 % les crédits versés à l'AFP et une part restreinte (7 %) les radios locales.
Répartition des crédits de paiement
par action
au sein du programme 180 « Presse et
médias »
(en %)
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
Cela représente une baisse de 11 millions d'euros par rapport à l'année précédente (- 2,9 %). Les crédits du programme étaient en hausse tendancielle au cours des dernières années : + 1,5 % entre 2023 et 2024 et + 6,1 % en AE et + 5,8 % en CP entre 2022 et 2023. En conséquence, la diminution des crédits entre 2024 et 2025 n'empêche pas une trajectoire de hausse à l'échelle des quatre dernières années : + 4,5 % entre 2022 et 2025.
L'essentiel de la baisse des crédits est supporté par le soutien à l'expression radiophonique locale (- 10 millions d'euros).
Évolution des crédits du programme
180 « Presse et médias »
de
2022 à 2025
(en euros en CP)
|
LFI 2022 |
LFI 2023 |
PLF 2024 |
PLF 2025 |
Évolution
2024/2025 |
Évolution
|
Évolution |
Action 01 : Relations financières avec l'AFP |
134 976 239,00 |
134 976 239 |
141 692 217 |
142 974 143 |
1 281 926 |
0,9 % |
5,9 % |
Action 02 : Aides à la presse |
179 186 325,00 |
197 542 361 |
196 826 383 |
194 888 133 |
- 1 938 250 |
- 1 % |
8,8 % |
Action 05 : Soutien aux médias de proximité |
1 831 660,00 |
1 831 660 |
1 958 654 |
1 831 660 |
- 126 994 |
- 6,5 % |
0,00 % |
Action 06 : Soutien à l'expression radiophonique locale |
33 098 639,00 |
36 032 069 |
35 688 639 |
25 344 320 |
- 10 344 319 |
- 29 % |
- 23,4 % |
Action 07 : Compagnie internationale de radio et de télévision |
1 666 500,00 |
1 666 500 |
1 666 500 |
1 666 500 |
0 |
0,00 % |
0,0 % |
Programme 180 : Presse et médias |
350 759 363,00 |
372 049 399 |
377 832 393 |
366 704 756 |
- 11 127 637 |
- 2,9 % |
4,6 % |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires
A. UNE RÉFORME DES AIDES À LA PRESSE QUI CONSTITUE UN DES PRINCIPAUX ENJEUX DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE L'INFORMATION
L'action n° 2 du programme 180 recense trois types d'aides à la presse : les aides à la diffusion, les aides au pluralisme et les aides à la modernisation du secteur.
Répartition des crédits de paiement
par sous-action
au sein de l'action 02 « Aides à la
presse »
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
Le montant total des aides à la presse devrait atteindre 194,8 millions d'euros en AE et 193,8 millions en CP en 2025. Il est donc stable par rapport à l'année précédente (- 1 %).
Montant des aides à la presse prévues au sein du programme 180
(en CP, en euros et en %)
Action |
Montant 2024 |
Montant 2025 |
Variation 2024/2025 (en %) |
Sous-action 01 « Aides à la diffusion » |
114,7 |
112,3 |
- 2,12 % |
Aide au portage de la presse |
35,1 |
35,2 |
0,28 % |
Aide à l'exemplaire posté |
68,2 |
65,5 |
- 3,96 % |
Exonération de charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et porteurs de presse |
11,4 |
11,6 |
1,45 % |
Sous-action 02 « Aides au pluralisme » |
25,9 |
25,9 |
- 0,10 % |
Aide aux publications nationales d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires |
17,1 |
17,0 |
-0,32 % |
Aide aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d'information politique et générale à faibles ressources de petites annonces |
1,4 |
1,4 |
0,00 % |
Aide au pluralisme des titres ultramarins |
2,0 |
2,0 |
0,00 % |
Aide au pluralisme de la presse périodique régionale et locale |
1,5 |
1,5 |
2,04 % |
Aide aux services de presse en ligne |
4,0 |
4,0 |
0,00 % |
Sous-action 03 « Aides à la modernisation » |
55,1 |
55,6 |
0,86 % |
Aide à la modernisation de la distribution de la presse |
27,9 |
27,9 |
0,18 % |
Aide à la modernisation des diffuseurs de presse |
6,0 |
6,0 |
0,00 % |
Fonds stratégique pour le développement de la presse |
16,3 |
16,8 |
3,21 % |
Fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation dans la presse |
5,0 |
5,0 |
0,00 % |
Total |
195,8 |
193,8 |
- 1,01 % |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Il convient de noter qu'aux 200 millions d'euros de dépense budgétaire en faveur de la presse s'ajoute un montant presque équivalent de dépenses fiscales (environ 170 millions d'euros attendus en 2024 dont 160 millions d'euros pour le seul taux de TVA « super réduit »).
Évolution du montant des dispositifs fiscaux en faveur de la presse
(en millions d'euros)
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 (prévision) |
|
Taux de TVA super réduit (2,1 %) |
155 |
140 |
145 |
155 |
160 |
160 |
Déduction spéciale prévue en faveur des entreprises de presse |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
Moins de 0,5 |
Réduction d'impôt accordée au titre des souscriptions en numéraire au capital d'entreprises de presse |
Moins de 0,5 |
Moins de 0,5 |
Moins de 0,5 |
Moins de 0,5 |
Moins de 0,5 |
Moins de 0,5 |
Réduction d'impôt au titre des dons effectués en faveur des entreprises de presse |
Non chiffré |
Non chiffré |
Non chiffré |
Non chiffré |
Non chiffré |
Non chiffré |
Exonération des publications des collectivités publiques et des organismes à but non lucratif |
- |
1 |
1 |
1 |
Moins de 0,5 |
Non chiffré |
Réduction d'impôt pour souscription au capital des sociétés de presse |
- |
- |
Moins de 0,5 |
Moins de 0,5 |
Moins de 0,5 |
Moins de 0,5 |
Exonération en faveur des entreprises dont les établissements vendent au public des écrits périodiques en qualité de mandataires inscrits à la commission du réseau de la diffusion de la presse et revêtent la qualité de diffuseurs de presse spécialistes |
5 |
5 |
5 |
5 |
5 |
4 |
Exonération de cotisation sur la valeur ajoutée en faveur des entreprises dont les établissements vendent au public des écrits périodiques en qualité de mandataires inscrits à la commission du réseau de la diffusion de la presse et revêtent la qualité de diffuseurs de presse spécialistes |
4 |
5 |
3 |
3 |
5 |
4 |
TOTAL |
165 |
152 |
155 |
165 |
172,5 |
169,5 |
Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire
La crise structurelle du secteur de la presse écrite est cependant amenée à durer.
Les chiffres de la chute des ventes au numéro sont vertigineux : entre 2019 et 2023, le volume de vente au numéro de la presse quotidienne nationale (PQN) a diminué de 60 % et celui de la presse quotidienne régionale (PQR) de 36 % sur la même période. L'érosion constatée sur la seule année 2023 est de respectivement 14 % pour la PQN et 11 % pour la PQR.
Ventes au numéro en France
(en millions d'exemplaires et en %)
Source : commission des finances
Le rapport précédent de la commission des finances sur les aides à la presse5(*) plaidait pour la refonte de l'ensemble des aides (distribution, pluralisme, modernisation) versées actuellement à plusieurs acteurs de la filière en une aide unique au titre, évolutive en fonction de son degré de digitalisation, de sa participation à la connaissance et au savoir - la question de la pertinence du critère d'information politique et générale est notamment posée - et de son accès aux ressources publicitaires.
La corrélation entre la nature actuelle des aides et leurs modalités d'attribution, d'un côté, et les défis posés en termes industriels par la mutation de l'accès à l'information et les conséquences de celle-ci sur la vie de titres de presse, de l'autre, doivent servir de points cardinaux à une réforme d'ampleur du régime d'aides. Les États généraux de l'information, dont les conclusions ont été rendues mi-2024 ont à leur tour émis plusieurs propositions, sans aborder explicitement le sujet d'un renforcement de la conditionnalité des aides.
Les États généraux de l'information
Annoncés par le Président de la République dans le courant de la campagne électorale au printemps 2022, les États Généraux de l'information (EGI) ont été lancés en juillet 2023.
Les États généraux comportaient plusieurs groupes de travail thématiques :
- « L'Espace informationnel et l'innovation technologique », présidé par Sébastien Soriano, ancien président de l'ARCEP ;
- « Citoyenneté, information et démocratie », présidé par Pascal Ruffenach, président du directoire du groupe Bayard ;
- « L'avenir des médias d'information et du journalisme », présidé par Christopher Baldelli, président de Public Sénat ;
- « Souveraineté et lutte contre les ingérences étrangères », présidé par Arancha Gonzalez Laya, ancienne ministre des affaires étrangères de l'Espagne et doyenne de l'École des Affaires internationales de Sciences Po Paris ;
- « L'État et la régulation », présidé par Isabelle Falque-Pierrotin, ancienne présidente de la CNIL.
Le rapport des États généraux rendu en septembre 2024 contient 15 propositions, dont 6 qui doivent être négociées au niveau européen, et deux recommandations aux professionnels de l'information. La ministre a annoncé qu'une partie de ces conclusions allaient être reprises dans un ou plusieurs supports législatifs.
Source : commission des finances
Les aides à la distribution ont été réformées en 2022. On distingue désormais un double barème : l'un concernant les exemplaires postés et l'autre pour les exemplaires portés.
Le volet dédié aux exemplaires postés est destiné aux éditeurs des publications d'information politique et générale (IPG) et quotidiens à faibles ressources publicitaires ou à faibles ressources de petites annonces (QFRP/QFRA), d'une périodicité au maximum hebdomadaire. L'objectif de la réforme est d'encourager le portage, le montant de l'aide à l'exemplaire ayant diminué de 15 % à compter du 1er janvier 2024, sauf pour les exemplaires distribués dans les communes situées dans les zones dites peu denses dans lesquelles il n'existe pas à court terme d'alternative à la distribution postale.
Le montant de l'aide à l'exemplaire posté est évalué en 2025 à 65,5 millions d'euros, soit une diminution de 2,7 millions d'euros par rapport à la LFI 2024. Elle poursuit donc la trajectoire de baisse anticipée (4 % entre 2024 et 2025), s'ajoutant à la diminution de 4 millions d'euros déjà constatée entre 2023 et 2024.
L'aide au portage constitue le second volet, d'un montant de 35,2 millions d'euros. Le secteur est divisé entre deux principaux acteurs, les messageries lyonnaises de presse et France Messagerie.
L'aide aux exemplaires portés est assise sur les volumes portés pendant une année donnée et est liquidée et versée aux éditeurs au cours de l'année suivante. Elle comporte une part de plafonnement : le montant de l'aide ne peut être supérieur aux coûts supportés par l'éditeur bénéficiaire pour la distribution des titres constituant l'assiette de l'aide. Par ailleurs, dans le cas où les crédits disponibles au titre d'une année sont inférieurs aux montants calculés, les montants attribués à chaque bénéficiaire peuvent faire l'objet d'un abattement à partir de 15 millions d'exemplaires portés.
De Presstalis à France Messagerie
Le groupe Presstalis, entreprise de messagerie de presse privée, était jusqu'à sa liquidation en juillet 2020, l'un des principaux acteurs de la distribution de la presse en France et, de fait, le seul opérateur de distribution de la presse quotidienne nationale. Face à une impasse de trésorerie de près de 50 millions d'euros en avril 2020, Presstalis s'est déclarée en cessation des paiements et une procédure collective a été ouverte devant le tribunal de commerce de Paris. Le 1er juillet 2020, le tribunal a homologué la reprise du niveau 1 de la société par la coopérative des quotidiens et la création de France Messagerie.
140 millions d'euros en AE = CP étaient prévus par la troisième loi de finances rectificative pour 2020 pour la restructuration de Presstalis et son remplacement par France Messagerie. L'État a en outre abandonné les créances qu'il détenait sur Presstalis. Un plan de départs volontaires a également été mis en place pour réduire le nombre de salariés.
Source : commission des finances
En 2022, France Messagerie présentait un résultat positif de 4,9 millions d'euros. En 2023, son bilan était positif à hauteur de 6 millions d'euros. Le risque n'est cependant pas complètement écarté dans le contexte actuel. À l'heure de la digitalisation de la presse, la rapidité de la diffusion de l'information comme le coût écologique de la distribution rendent cette diffusion en large partie obsolète, et n'a donc que peu d'espoir d'augmenter au cours des prochaines années.
La question des aides à la distribution a fait l'objet d'un rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires culturelles remis en 2022. Cette mission proposait 4 scénarios. Le quatrième, qui serait privilégié à ce stade, pourrait mener à des modifications dans les schémas logistiques, industriels et organisationnels de la filière par une réforme structurelle de la chaîne logistique et la création d'un contrat de filière, reposant sur une conditionnalité de l'aide à la distribution.
Face à un modèle de la diffusion qui atteint la distribution de la presse écrite, le rapporteur spécial considère que les mutualisations entre les deux principaux acteurs, bien que ceux-ci répondent sur certains points à des logiques différentes, doit impérativement permettre une rationalisation des coûts et une diminution des pollutions induites par la presse imprimée.
La ministre a annoncé à la suite le lancement d'une concertation de filière pilotée par Sébastien Soriano, qui se poursuit actuellement. Le rapporteur spécial sera attentif aux avancées de cette mission sur la réorganisation de la filière, alors que le soutien de l'État à la distribution a déjà été très généreux.
* 5 Vitamine ou morphine ? Quel avenir pour les aides à la presse écrite ?, rapport de Roger KAROUTCHI au nom de la commission des finances, juin 2021.