D. DES POINTS D'ALERTE ET DES PISTES DE PROGRÈS DEMEURENT DANS LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE

L'étude de la typologie des principaux cas de fraude à la TVA fait ressortir l'importance de la fraude sur la TVA à l'occasion de transactions internationales. Dans le contexte du développement du e-commerce, la sous-évaluation de la valeur en douane, qui constitue la base d'imposition à la TVA à l'importation (TVA-I), soulève des difficultés particulières pour les agents de la DGDDI lors de leurs contrôles des flux de marchandises aux frontières. Ils sont souvent confrontés à des schémas de fraude difficiles à détecter, visant à minorer la valeur en douane des produits importés, pour échapper au paiement des droits de douanes et de la TVA-I.

La sous-évaluation de la valeur en douane dans le e-commerce :
une fraude aggravée par le recours à des intermédiaires basés en Chine

Les agents de la Douane sont régulièrement confrontés au schéma de fraude suivant :

- à la réception de la commande, les e-commerçants vendeurs mandatent des intermédiaires en Chine pour effectuer le groupage des colis et leur facturation ;

- ces « consolidateurs » en Chine procèdent ensuite à des manipulations de données des factures afin de faire passer ces colis pour des envois de faible valeur, en dessous des seuils de taxation et pour amoindrir le paiement de TVA à l'importation (TVA-I) dû ;

- l'acheminement des colis est ensuite réalisé par des logisticiens ou leurs représentants.

En raison de l'extrême fragmentation des envois et de la multitude de particuliers destinataires finaux, la reconstitution de la valeur réelle est difficile, voire impossible, empêchant ainsi de matérialiser la fausse déclaration de valeur en douane

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur

Les services de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), en collaboration avec le parquet européen, multiplient les enquêtes. Le Parquet européen mène en effet des enquêtes transfrontières sur des fraudes concernant des fonds de l'UE d'un montant supérieur à 10 000 euros ou sur des cas de fraude transfrontière à la TVA entraînant un préjudice supérieur à 10 millions d'euros. Dernièrement, en avril 2024, à la suite d'un signalement de la DGDDI, le parquet européen a effectué des perquisitions et arrêté quatre suspects en France, dans le cadre d'une enquête sur une fraude présumée à la TVA d'environ 60 millions d'euros, procédant à des saisies à hauteur de plus de 12,5 millions d'euros en France, au Luxembourg, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

À l'occasion de la mission d'information menée en octobre 2022 sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale précitée, la commission des finances du Sénat plaidait pour une collecte plus efficace de la TVA aux frontières de l'Union européenne, notant que les agents des Douanes ne disposent pas des informations leurs permettant de détecter efficacement ce type de fraude, plus particulièrement pour les envois de valeur inférieur à 150 euros.

Or, depuis le 1er janvier 2022, la procédure de l'autoliquidation a été généralisée à l'ensemble des assujettis redevables de la TVA à l'importation, avec un transfert de la compétence relative au recouvrement de la TVA aux frontières de la DGDDI vers la DGFIP.

Ce transfert de compétence justifie aujourd'hui une coopération accrue entre la DGFiP et la DGGDI. En effet, la Douane demeure impliquée dans le contrôle des flux de marchandises et donc compétente pour constater la base imposable des biens importés13(*).

Le rapporteur spécial alerte sur la nécessité de maintenir les moyens suffisants pour que la DGDDI puisse continuer d'exercer cette mission cruciale, toute économie en la matière étant assurément contreproductive au vu des montants de fraude en jeu. Il prend acte du redéploiement de 100 ETP sur le contrôle douanier du e-commerce d'ici 2025, conformément à la feuille de route sur la « lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques » publiée en mai 2023 et au contrat d'objectifs et de moyens de la douane. Il s'inquiète toutefois que ces redéploiements se fassent à effectifs constant, et de ce fait au détriment des autres missions de douane. Le risque est ainsi de nuire inexorablement à la qualité du service qu'elle rend au public.

Enfin, sur un plan prometteur, le rapporteur spécial appelle à respecter le calendrier de la généralisation de la facture électronique en France. Ce dispositif a été introduit avec succès en Italie par un décret du 3 avril 2013. Longtemps le mauvais élève en matière de lutte contre la fraude à la TVA, l'Italie a vu son écart de TVA, tel qu'estimé par la Commission européenne, passer de 26,9 % en 2015 à 21,3 % en 2019. Dans la dernière étude publiée par la Commission en 2023, l'Italie affiche la plus forte baisse de l'UE, avec un écart désormais estimé à 10,8 %.

En France, depuis 2020, toutes les entreprises doivent éditer des factures numériques afin d'adresser leurs demandes de paiement, via Chorus pro, pour des contrats conclus avec l'État, les collectivités territoriales et les établissements publics. L'ordonnance n° 2021-1190 du 15 septembre 2021 prévoyait, à son article 3, d'étendre progressivement cette obligation pour les factures émises entre les assujettis à la TVA en France à partir du 1er juillet 2024. L'article 91 de la loi de finances pour 2024 fixe un nouveau calendrier, l'obligation d'émettre des factures étant fixée à partir du 1er septembre 2026 pour les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire et du 1er septembre 2027 pour les petites et moyennes entreprises et les micro-entreprises.

Au vu des enjeux exposés, le rapporteur spécial appelle à respecter ce nouveau calendrier et estime qu'il s'agira d'une avancée pour sécuriser les déclarations mais également pour simplifier les démarches administratives des personnes assujetties.


* 13 Article 292 du code général des impôts.

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