C. UNE RÉFORME STRUCTURELLE DE L'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT EST NÉCESSAIRE POUR LIMITER DES DÉPENSES EN CONSTANTE AUGMENTATION
L'absence d'articulation entre politique de l'immigration et prise en charge des soins délivrés aux étrangers en situation irrégulière met une nouvelle fois en cause la pertinence de l'inclusion de l'AME à la mission « Santé ».
Le rapport conjoint de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale des finances d'octobre 201917(*) avait relevé, dans la dépense de soins des bénéficiaires de l'AME et son évolution, des atypies qui « renforcent de façon convaincante l'hypothèse d'une migration pour soins » et considéré « comme une priorité la lutte contre la fraude et les abus, qui fragilisent l'acceptabilité politique du dispositif ».
Certaines actions ont été engagées depuis juin 2019 dans le cadre d'un programme national de contrôle, mais les fraudes détectées représentaient des montants assez modestes (0,5 million d'euros en 2020, 0,9 million d'euros en 2021). Les modifications intervenues en 2020 dans le régime de l'AME ont pour partie été en ce sens, mais d'autres recommandations n'ont semble-t-il été que peu prises en compte.
Les inspections recommandaient notamment, dans une optique de lutte contre la fraude, de sécuriser dès l'instruction des demandes l'usage des attestations d'hébergement comme preuve de résidence et de renforcer la vérification de la condition de ressources, notamment auprès des consulats lorsque le demandeur a été détenteur d'un visa. Or la pièce d'identité de l'hébergeur n'est pas exigée pour les demandes d'AME, ni d'ailleurs pour les autres prestations.
Les inspections préconisaient également, afin de détecter les suspicions de migration pour soins, de permettre aux consulats et à la police aux frontières de connaître les bénéficiaires de l'AME et les redevables d'une créance hospitalière, grâce à la constitution d'un fichier centralisé des impayés hospitaliers. Un projet de décret a été établi sur le premier point et fait l'objet d'une saisine de la Cnil. Quant au signalement des impayés hospitaliers, il suppose que les établissements de santé concernés renseignent la nationalité des patients, ce qui n'est le plus souvent pas le cas.
Face au rythme soutenu d'augmentation des dépenses et à l'effet limité des contrôles et vérifications, qu'il faut bien entendu renforcer, il est légitime de s'interroger sur l'étendue des soins pris en charge, qui est notablement plus large que celle assurée dans les autres pays européens pour les étrangers en situation irrégulière.
Dans la plupart d'entre eux, seuls les soins urgents, les soins liés à la maternité, les soins aux mineurs et les dispositifs de soins préventifs dans des programmes sanitaires publics sont pris en charge gratuitement :
- au Danemark, en Espagne et en Italie, l'assistance sanitaire pour les étrangers en situation irrégulière est limitée aux cas d'urgence, de maternité ou de soins aux mineurs. Les personnes concernées peuvent également bénéficier, en Espagne et en Italie, des programmes de santé publique, notamment en matière de vaccination ou de prévention des maladies infectieuses ;
- en Allemagne, seul l'accès gratuit aux soins urgents est garanti : traitement de maladies graves et de douleurs aigües, grossesses, vaccinations réglementaires et examens préventifs ;
- en Belgique, les soins dits « de confort », tels que déterminés dans la nomenclature locale ne sont pas remboursés aux centres publics d'action sociale qui les dispensent aux personnes en situation irrégulière dépourvues de ressources ;
- au Royaume-Uni, pour les prises en charge hospitalière, les étrangers qui ne disposent pas du statut de résident doivent s'acquitter d'avance du coût des soins, avant que l'acte ne soit réalisé, selon un tarif supérieur de 50 % à celui du NHS ; l'avance des frais n'est pas requise lorsque le praticien atteste d'une urgence médicale.
Par l'éventail des soins couverts, l'AME constitue ainsi, par rapport aux dispositions appliquées dans les principaux pays voisins, une exception difficile à justifier.
Dans cette optique, différents dispositifs ont été adoptés par le Sénat, souvent à l'initiative de sa commission des finances.
Le rapport Evin-Stefanini, publié en décembre 2023, faisait également des recommandations, dont certaines de niveau législatif. Les auteurs préconisent notamment un régime d'accord préalable permanent par les caisses primaires d'Assurance maladie pour l'accès au panier de soins défini à l'article R251-3 du code de l'action sociale et des familles, qui comprend notamment les opérations de la cataracte, la pose de prothèses de genoux et d'épaules, d'implants cochléaires ou les interventions sur le canal carpien.
Actuellement, la prise en charge des frais correspondant à ces prestations est subordonné à un délai d'ancienneté de neuf mois d'admission à l'AME, sauf lorsque l'absence de réalisation de ces prestations est susceptible d'avoir des conséquences vitales ou graves et durables sur l'état de santé de la personne. Dans ce cas, les frais peuvent être pris en charge avant le délai d'ancienneté de neuf mois, sur accord préalable des caisses primaires d'Assurance maladie.
Le rapporteur spécial propose d'appliquer ce dispositif à tous les bénéficiaires d'AME, quelle que soit leur ancienneté. Il recommande également au Gouvernement d'élargir la définition des prestations listées à l'article précité du code de l'action sociale et des familles.
Pour mémoire, le Sénat a par exemple constamment recommandé ces dernières années une révision du panier de soins pris en charge par l'AME, qui se limiterait au traitement des maladies graves et des soins urgents, aux soins liés à la grossesse et ses suites, aux vaccinations réglementaires et aux examens de médecine préventive.
Cela rejoint les recommandations du rapport Evin-Stefanini d'examiner l'élargissement de la liste d'actes donnant lieu à une demande d'accord préalable de l'Assurance maladie, en faisant référence aux actes de masso-kinésithérapie, à l'appareillage auditif et optique, à la pose de prothèses dentaires, à l'hospitalisation à domicile ou aux soins médicaux et de réadaptation.
Le rapporteur spécial propose également de tirer les conséquences budgétaires de cette recommandation, en minorant les dépenses d'AME au PLF 2025.
Rapport Evin-Stefanini
Le rapport Evin-Stefanini, publié le 4 décembre 2023, propose plusieurs recommandations de réforme de l'Aide médicale d'État, notamment :
- l'émancipation des majeurs ayants-droits pour le bénéfice de l'AME ;
- le resserrement de la vérification des conditions d'accès (présence physique du bénéficiaire à chaque dépôt de dossier et retrait de cartes, amélioration de la formation des agents des CPAM à la détection de faux papiers) ;
- l'exclusion du bénéfice de l'AME des personnes frappées d'une mesure d'éloignement du territoire pour motif d'ordre public ;
- l'extension du recours à l'accord préalable (application au-delà de 9 mois, extension à d'autres actes ou affections).
Source : commission des finances
* 17 L'aide médicale d'État : diagnostic et propositions.