B. UNE DISCUSSION INSTITUTIONNELLEMENT COMPLIQUÉE, QUI A CONDUIT À LA CENSURE DU GOUVERNEMENT ET À L'ADOPTION D'UNE LOI SPÉCIALE

1. En première lecture, un non-respect des délais constitutionnels
a) Un non-respect par le Gouvernement de la date limite du premier mardi d'octobre pour le dépôt du texte

Le PLFSS pour 2025 a été déposé à l'Assemblée nationale le 10 octobre 2024, soit neuf jours après l'échéance organique du premier mardi d'octobre (soit, en 2024, le mardi 1er octobre).

Cela s'explique par le délai de constitution du nouveau gouvernement8(*).

b) Un non-respect par l'Assemblée nationale de son délai de 20 jours pour l'examen en première lecture

L'article 47-1 de la Constitution prévoit que « si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours ».

Le point de départ du délai étant la lettre du Gouvernement récapitulant les annexes du projet de loi, datée du 16 octobre, le délai expirait le 5 novembre à minuit.

L'Assemblée n'ayant alors pas achevé l'examen du texte, le Gouvernement, conformément à l'article L.O. 111-7 du code de la sécurité sociale, a saisi le Sénat du texte initial, modifié par les amendements votés par l'Assemblée nationale et acceptés par lui.

2. La censure du Gouvernement sur les conclusions de la CMP

Après l'adoption du texte par le Sénat, une commission mixte paritaire (CMP), réunie le 27 novembre 2024, est parvenue à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion.

Le 2 décembre 2024, lors de l'examen des conclusions de la CMP par l'Assemblée nationale, le Premier ministre, conformément à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, a engagé la responsabilité du Gouvernement sur le texte de la CMP, modifié par quelques amendements de celui-ci (se limitant à des coordinations, en particulier s'agissant des articles de chiffres, et à des corrections d'erreurs matérielles).

Deux motions de censure ont été déposées, l'une par la gauche, l'autre par le groupe Rassemblement national. Elles ont été examinées le 4 décembre. La première ayant été adoptée, la seconde n'a pas été mise aux voix.

En conséquence, conformément à l'article 50 de la Constitution, le Premier ministre a remis au Président de la République la démission du Gouvernement, le 5 décembre.

La censure du Gouvernement se traduisait par :

- le rejet, par l'Assemblée nationale, du texte proposé par la CMP ;

- l'impossibilité matérielle qu'une LFSS pour 2025 soit promulguée au 1er janvier 2025.

3. L'adoption d'une loi spéciale, autorisant notamment la sécurité sociale à emprunter

Juridiquement, le rejet des conclusions de la CMP par l'Assemblée nationale le 4 décembre 2024 ne constituait pas un rejet du PLFSS par le Parlement. Comme l'article 45 de la Constitution le prévoit en cas de non-adoption des conclusions de la CMP, le Gouvernement avait la faculté de reprendre la procédure au stade de la nouvelle lecture - ce qu'il a choisi de faire.

Le tableau ci-après synthétise les règles constitutionnelles et organiques applicables au PLF et au PLFSS si le Parlement ne se prononce pas dans le délai constitutionnel ou si le texte ne peut être promulgué avant le début de l'exercice.

Règles applicables en cas de non-respect du délai constitutionnel
d'examen ou de l'échéance du 1er janvier

 

PLF

PLFSS

Si le Parlement ne se prononce pas dans le délai constitutionnel

 

 

Délai

Art. 47 C et 40 Lolf : 70 jours

Art. 47-1 C : 50 jours

Procédure

Art. 47 C et 40 Lolf : possible mise en oeuvre par ordonnance

Art. 47-1 C : possible mise en oeuvre par ordonnance

Si le texte ne peut être promulgué avant le début de l'exercice

Art. 47 C et 45 Lolf : autorisation de percevoir les impôts (1re partie PLF ou loi spéciale) et ouverture par décret des services votés

• Pas de procédure prévue par les textes

• Domaine exclusif de la LFSS : autorisation de recourir à l'emprunt

C : Constitution.

Source : Commission des affaires sociales

Au lendemain de la censure du précédent gouvernement, on se trouvait à la fois dans chacune des deux situations : le Parlement était dans l'impossibilité de se prononcer dans le délai constitutionnel de 50 jours et le texte ne pouvait être promulgué au début de l'exercice.

S'agissant de l'impossibilité du Parlement de se prononcer dans le délai constitutionnel de 50 jours, selon la lettre de l'article 47-1 de la Constitution, le Gouvernement avait la faculté (mais pas l'obligation) de mettre en oeuvre le PLFSS par ordonnance9(*), ce qui était évidemment impossible compte tenu du contexte. Il a donc décidé de poursuivre la procédure d'examen du texte, comme le lui permettait l'article 45 de la Constitution.

Toutefois, il convenait également de faire face à l'urgence, alors que ni la loi de finances, ni la LFSS ne pouvaient être promulguées avant le début de l'exercice 2025. Si la Constitution prévoyait une procédure dans le cas du PLF, tel n'était pas le cas dans celui du PLFSS. Or, en l'absence de LFSS, la sécurité sociale n'aurait pu emprunter (et donc verser certaines prestations), son autorisation de recourir à l'emprunt relevant du domaine exclusif des LFSS10(*). Conformément à un avis du Conseil d'État11(*), la solution retenue, tirant sa validité du principe constitutionnel de « continuité de la vie nationale », a consisté à inclure cette autorisation dans la loi spéciale12(*) prévue dans le cas de la loi de finances.


* 8 Le Premier ministre a été nommé le 5 septembre 2024.

* 9 Selon l'article 47-1 de la Constitution, « si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en oeuvre par ordonnance ».

* 10 L'article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale prévoit que la LFSS de l'année « arrête la liste des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement habilités à recourir à des ressources non permanentes, ainsi que les limites dans lesquelles leurs besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources ». L'article L.O. 111-3-4 précité fait partie de la subdivision du code de la sécurité sociale relative aux « dispositions obligatoires » des LFSS, qui sont aussi des dispositions exclusives (c'est-à-dire ne pouvant figurer dans un autre texte).

* 11 Conseil d'État, Avis relatif à l'interprétation de l'article 45 de la Lolf, pris pour l'application du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, n° 40 908, 9 décembre 2024.

* 12 Loi n° 2024-1188 du 20 décembre 2024 spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

Partager cette page