II. UN AVENANT QUI NEUTRALISE UTILEMENT LES EFFETS FISCAUX DU TÉLÉTRAVAIL, SOUS CERTAINES CONDITIONS
L'avenant du 27 juin 2023 confirme, pour ce qui concerne le régime de la convention de 1966, la neutralisation des effets fiscaux du télétravail pour les travailleurs frontaliers/transfrontaliers prévue par des accords temporaires depuis 2020, dans une certaine limite. Il prévoit, en outre, de compenser cette nouvelle règle par un versement fiscal de l'État de l'employeur vers l'État de résidence. Ces stipulations apparaissent utiles, mêmes si quelques écueils peuvent encore être soulevés.
A. L'AVENANT DU 27 JUIN 2023 PÉRENNISE AU SEIN DE LA CONVENTION DE 1966 LA NEUTRALISATION CONDITIONNÉE DES EFFETS FISCAUX DU TÉLÉTRAVAIL PRÉVUE PAR DES ACCORDS TEMPORAIRES CONCLUS DEPUIS 2020
1. À compter de la crise sanitaire liée au Covid-19, la Suisse et la France ont intégré de manière amiable l'émergence du télétravail dans leurs relations fiscales bilatérales
Le télétravail, qui correspond au fait pour un travailleur d'exercer sa profession depuis son domicile, est de nature à emporter des modifications d'imposition pour les personnes résidant dans un État et travaillant pour un employeur situé dans l'autre État. En effet, l'État de résidence devient, de facto, l'État d'exercice de l'activité.
Afin de neutraliser ces effets dans un contexte de renforcement puis de pérennisation de cette modalité de travail, les autorités françaises et suisses ont conclu plusieurs accords temporaires à compter de la crise sanitaire liée au Covid-19. Ces accords ont porté tant sur les personnes soumises au régime de l'accord du 11 avril 1983 relatif à l'imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers qu'à celles soumises à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966, qui fait seule l'objet du présent avenant.
Un accord amiable du 13 mai 2020 a ainsi prévu, d'une part, que les jours pendant lesquels les travailleurs frontaliers bénéficiant du régime prévu par l'accord du 11 avril 1983 sont amenés à rester à leur domicile en raison des mesures prises pour lutter contre l'épidémie ne sont pas pris en considération dans le décompte de la limite maximale des 45 jours par an sans retour au domicile depuis le lieu de travail (tolérance au-delà de laquelle, le régime est entièrement inapplicable7(*)). Surtout, il a prévu, d'autre part, pour les personnes relevant du régime de la convention du 9 septembre 1966, que les jours travaillés dans l'État de résidence, à domicile et pour le compte d'un employeur situé dans l'autre État contractant, en raison des mesures prises pour lutter contre la propagation du COVID-19, sont considérés comme des jours travaillés dans l'État dans lequel la personne aurait exercé son emploi en l'absence de ces mesures. Cet accord, qui devait s'appliquer jusqu'à fin mai 2020, a été prolongé à sept reprises8(*) jusqu'au 30 juin 2022.
Constatant le caractère durable du développement de l'usage du télétravail, les deux pays sont ensuite convenus le 29 juin 2022 de définir de nouvelles règles d'imposition pérennes en la matière afin d'accompagner cette évolution. Dans l'attente de l'élaboration de ces règles, ils ont décidé que les mécanismes dérogatoires contenus dans l'accord amiable du 13 mai 2020 continueraient de s'appliquer provisoirement, ce qu'un accord amiable des 14 et 18 juillet 2022, prorogé jusqu'au 31 décembre 2022 par un accord du 27 octobre 2022, a formalisé.
Sur la base de discussions bilatérales intervenues au cours du second semestre 2022, deux accords amiables du 22 décembre 2022 (l'un, pérenne, pour les personnes relevant de l'accord de 1983, l'autre, transitoire, pour celles relevant de la convention de 1966), ont établi de nouvelles règles.
Concernant les travailleurs relevant de l'accord de 1983, la France et la Suisse se sont accordées pour que l'exercice du télétravail, dans la limite de 40 % du temps de travail, ne remette en cause ni le statut de frontalier, ni les règles d'imposition à la résidence des revenus d'activité salariée qui en découlent. Cet accord, de nature pérenne, a vocation à s'appliquer sans intervention du pouvoir législatif. Selon la direction de la législation fiscale, aucune approbation par voie législative n'est nécessaire dès lors que l'accord ne vise « qu'à préciser les modalités d'application du régime frontalier, tel que prévu par le 1 de l'article 31 de la convention franco-suisse de 1966 »9(*).
Surtout, pour ce qui concerne les travailleurs qui relèvent de la convention fiscale de 1966, un projet d'avenant10(*) a été conclu. Dans l'attente de sa signature puis de sa ratification, un accord amiable du 22 décembre 2022 en a repris les principes en prévoyant de maintenir l'imposition dans l'État de situation de l'employeur, si le travail effectué à distance depuis l'État de résidence n'excède pas 40 % du temps de travail.
Les deux accords prévoient par ailleurs qu'il est considéré, pour leur application, que les missions temporaires exercées par le salarié pour le compte de cet employeur dans l'État de résidence ou dans un État tiers relèvent d'une activité de télétravail, pour autant que leur durée cumulée n'excède pas 10 jours par année.
Ces accords sont applicables depuis le 1er janvier 2023. Si celui relatif au cadre de l'accord de 1983 est pérenne et ne concerne pas le présent projet de loi, celui s'insérant dans le cadre de la convention de 1966 précise que dans le cas où l'avenant était signé avant le 30 juin 202311(*), ses dispositions s'appliquent jusqu'au 31 décembre 2024, date repoussée au 31 décembre 2025 par un accord du 17 décembre 2024.
L'avenant du 27 juin 2023 a ainsi vocation à se substituer à ce dernier accord, une fois les formalités de ratification effectuées.
Enfin, deux accord interprétatifs conclus le 30 juin 2023 (l'un pour le régime de l'accord de 1983, l'autre du régime de la convention de 1966) viennent préciser les modalités de calcul de la limite de 10 jours par année de missions temporaires12(*).
2. L'avenant prévoit la neutralisation des effets fiscaux du télétravail exercé dans la limite de 40 % du temps de travail
L'avenant du 27 juin 2023 intègre dans la convention de 1966 des règles d'imposition fiscale applicables aux activités en télétravail des résidents d'un pays travaillant de manière habituelle dans l'autre pays. En vertu de son article 11, il entre en vigueur le lendemain de la date de réception de la dernière notification de l'accomplissement des procédures requises par les deux États ; le présent projet de loi, déposé au Sénat le 26 juin 2024, tend à en autoriser l'approbation. En Suisse, l'Assemblée fédérale a déjà approuvé l'avenant le 14 juin 2024.
L'article 4 de l'avenant modifie ainsi l'article 17 de la convention, relatif à l'imposition des salaires et rémunérations similaires, pour y ajouter un paragraphe renvoyant à un nouveau protocole additionnel intitulé « Protocole additionnel à la convention relatif à l'exercice de l'emploi salarié en télétravail », lui-même créé par l'article 10 de l'avenant.
Pour l'application de ces règles, le télétravail - dont la définition n'est pas harmonisée à l'échelle internationale - est entendu comme toute forme d'organisation « dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l'employeur, est effectué par un salarié dans son État de résidence, à distance et en dehors des locaux de l'employeur, pour le compte de celui-ci, conformément aux dispositions contractuelles liant l'employé et l'employeur, en utilisant les technologies de l'information et de la communication », selon une définition inspirée de l'article L. 1222-9 du code du travail.
Ce dernier protocole additionnel prévoit, comme l'accord temporaire du 22 décembre 2022, que, pour les rémunérations payées à compter du 1er janvier 2023, les activités exercées en télétravail depuis l'État de résidence du salarié pour le compte d'un employeur situé dans l'autre État contractant sont considérées effectuées auprès de cet employeur dans cet autre État dans la limite de 40 % du temps de travail par année civile. Il précise qu'au-delà de cette limite, ce sont les dispositions générales de l'article 17 de la convention qui s'appliquent, à savoir l'imposition dans l'État dans lequel l'emploi est effectivement exercé, en l'occurrence l'État de résidence. À noter que lorsque le seuil de 40 % est dépassé, les stipulations des paragraphes 1 à 3 de l'article 17 de la convention de 1966 s'appliquent dès le premier jour de télétravail.
Exemple de cas
Une salariée réside à Ferney-Voltaire dans le département de l'Ain et travaille de l'autre côté de la frontière, à Genève. Elle effectue 62 % de son temps de travail auprès de son employeur à Genève et télétravaille 38 % de son temps de travail à son domicile. L'ensemble de ses rémunérations est imposé en Suisse.
Un salarié réside à Ferney-Voltaire et travaille à Genève. Il effectue 50 % de son temps de travail auprès de son employeur à Genève et télétravaille 50 % de son temps de travail à son domicile. Dès lors que le seuil de 40 % du temps de travail en télétravail est dépassé, l'entièreté de la rémunération afférente à l'activité exercée en télétravail, soit 50 %, sera imposée en France. La fraction de la rémunération correspondant à l'activité exercée à Genève sera imposée dans ce canton.
Source : commission des finances
Le nouveau protocole additionnel créé par l'avenant intègre par ailleurs, comme l'accord temporaire du 22 décembre 2022, le sujet des missions temporaires exercées par certains employés. Il précise à cet effet qu'il est considéré que relèvent d'une activité de télétravail les missions temporaires exercées dans l'État de résidence ou dans un État tiers par le salarié pour le compte de l'employeur, pour autant que leur durée cumulée n'excède pas 10 jours par année.
Ainsi que le précise l'accord interprétatif conclu le 30 juin 2023, les règles d'imposition du télétravail s'appliquent aux missions temporaires exercées par le salarié s'appliquent à hauteur de la fraction respectant à la fois, la limite annuelle de 10 jours, et celle de 40 % du temps de travail par année civile, après imputation des jours de télétravail qui ne sont pas des missions temporaires.
Plus précisément, les jours de télétravail qui ne sont pas des missions temporaires sont décomptés en priorité par rapport aux jours de missions temporaires. Parmi ces dernières, celles exercées dans l'État de résidence du salarié sont prises en compte en priorité par rapport à celles exercées dans un État tiers. La fraction des jours de missions temporaires excédant au moins l'une des limites (10 jours ou 40 % de télétravail) ne relève pas du régime spécifique prévu par le protocole additionnel sur le télétravail et est ainsi imposée selon les règles de droit commun.
Exemple de cas
Un salarié réside à Annemasse et travaille pour un employeur situé dans le canton de Genève. Il effectue 69 % de son temps de travail, soit 166 jours, auprès de son employeur à Genève et télétravaille à raison de 18 % de son temps de travail, soit 43 jours, à son domicile en France. Durant une même année, il effectue 13 % de son temps de travail, soit 31 jours, sous forme de missions temporaires, dont 5 %, soit 12 jours, en France et 8 %, soit 19 jours, dans un État tiers.
La durée du travail à domicile et de l'ensemble des missions temporaires n'excède pas ici le quota de télétravail de 40 % (ou 96 jours). Les jours de missions temporaires dans l'État de résidence du salarié et dans l'État tiers ne peuvent toutefois être imputés en totalité sur le quota de télétravail de 40 %, mais seulement à hauteur de 10 jours. La rémunération correspondant aux 53 jours de télétravail concernés sera imposable en Suisse, tandis que celle afférente aux 21 jours de missions temporaires excédentaires sera imposable en France, sans préjudice de l'application des stipulations de la convention entre la France et l'État tiers concerné.
Source : fiche pratique du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
* 7 Voir supra.
* 8 Accords du 16 juillet 2020, du 28 août 2020, des 2 et 3 décembre 2020, des 9 et 10 mars 2021, des 10 et 15 juin 2021, des 14 et 23 septembre 2021, et des 6 et 7 décembre 2021.
* 9 Direction de la législation fiscale, réponses au questionnaire de la rapporteure.
* 10 Devenu ultérieurement le présent avenant du 27 juin 2023.
* 11 Ce qui fut le cas, ce dernier ayant été conclu le 27 juin 2023.
* 12 Voir infra.