EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport de notre collègue Lauriane Josende sur la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Mes chers collègues, permettez-moi, à titre liminaire, de revenir sur l'organisation administrative spécifique des villes de Paris, Lyon et Marseille. Ces trois villes sont en effet divisées, depuis l'adoption des lois dites « PLM » de 1982, en plusieurs arrondissements et secteurs, qui disposent chacun d'une mairie d'arrondissement ou de secteur.
Paris est par exemple divisée en vingt arrondissements formant dix-sept secteurs. Les Ier, IIe, IIIe et IVe arrondissements ont en effet été regroupés en 2017 en un unique secteur nommé « Paris centre ».
À Paris, Lyon et Marseille, se superposent donc, d'une part, une mairie centrale, dirigée par le conseil municipal - ou conseil de Paris -, qui procède à l'élection du maire de la commune et dispose de la clause de compétence générale, à l'instar des autres communes de France ; et, d'autre part, des mairies d'arrondissement ou de secteur, administrées par un conseil d'arrondissement, qui élit lui-même un maire d'arrondissement.
Ces conseils d'arrondissement bénéficient essentiellement d'une compétence consultative, mais disposent également d'une compétence décisionnaire, par exemple en matière d'équipements de proximité.
De cette organisation administrative particulière découle un régime électoral spécifique. Ainsi, à Paris, Lyon et Marseille, les élections municipales sont organisées sur la base des arrondissements ou des secteurs, et non pas à l'échelle de la commune.
Lors des élections municipales, les électeurs élisent ainsi dans chaque secteur, en même temps et sur une même liste, d'une part, des conseillers d'arrondissement ; et, d'autre part, des conseillers municipaux, dont le nombre, dans chaque arrondissement, est fixé par la loi en fonction de leur population, et qui siègent également au conseil d'arrondissement.
Le conseil municipal regroupe donc les conseillers municipaux élus dans chaque arrondissement ou secteur et, une fois constitué, procède à l'élection du maire de la commune.
Le mode de scrutin spécifique en vigueur à Paris, Lyon et Marseille fait aujourd'hui l'objet de vives critiques, ce qui nous amène à la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Selon Sylvain Maillard, l'un des auteurs du texte, le régime électoral applicable à Paris, Lyon et Marseille constituerait en effet « une anomalie démocratique » pour plusieurs raisons. En premier lieu, le maire n'y serait pas élu directement, contrairement aux autres communes de France ; en deuxième lieu, il serait possible d'être élu maire de ces trois communes avec une minorité de voix à l'échelle de la commune ; en troisième lieu, le vote d'un électeur n'aurait pas le même poids selon les arrondissements.
Face à ce constat, les auteurs de la proposition de loi nous invitent à faire rentrer ces trois villes dans le droit commun, en prévoyant l'élection des conseillers municipaux à l'échelle de la commune et non plus sur la base des secteurs.
À première vue, l'objectif de cette proposition de loi est donc louable : il s'agirait de modifier le mode de scrutin pour le rendre plus démocratique, selon le principe « un électeur, une voix ».
Les nombreuses auditions que j'ai conduites, en des délais très contraints, depuis la transmission de la proposition de loi par l'Assemblée nationale le 9 avril 2025, ont toutefois montré que cette réforme soulevait d'innombrables difficultés.
Avant d'aborder les difficultés posées par ce texte, je tiens à dire quelques mots de la méthode de travail que j'ai appliquée. En dépit du peu de temps à ma disposition, j'ai souhaité entendre l'intégralité des acteurs concernés par cette réforme, ce qui n'avait jusqu'alors jamais été fait.
Au cours de ces travaux préparatoires, j'ai ainsi entendu les maires de Paris, Lyon et Marseille ; l'ensemble des maires d'arrondissement des trois villes ; les présidents de la métropole du Grand Paris (MGP), de la métropole de Lyon et de la métropole Aix-Marseille-Provence.
Des demandes de contribution écrites ont également été adressées à chaque groupe politique siégeant au sein des conseils municipaux de Lyon et Marseille et du conseil de Paris, ainsi qu'à l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF).
Ces nombreuses auditions m'ont permis d'identifier, au fur et à mesure, les nombreuses difficultés que pose la réforme qui nous est aujourd'hui présentée. Elles ont également mis en lumière une forte opposition à ce texte, partagée par la quasi-totalité des personnes entendues.
Même les élus qui se sont prononcés en faveur du texte ont unanimement admis, malgré tout, que celui-ci était imparfait et soulevait des problèmes multiples.
J'en viens plus précisément à la présentation de ces nombreuses difficultés. En premier lieu, le dispositif qui nous est proposé apparaît fragile d'un point de vue juridique, et ce pour deux raisons essentielles.
D'une part, et bien qu'il prétende faire entrer Paris, Lyon et Marseille dans le droit commun, le texte retient une prime majoritaire de 25 % pour l'élection des conseillers municipaux. En revanche, une prime majoritaire de 50 % serait maintenue pour l'élection des conseillers d'arrondissement et des conseillers communautaires.
Cette prime majoritaire dérogatoire est critiquable à plusieurs égards. Tout d'abord, de l'avis unanime des professeurs de droit public que j'ai consultés au cours des travaux préparatoires, une prime majoritaire de 25 % crée une rupture d'égalité avec les autres communes, puisqu'elle n'est justifiée par aucune raison objective.
Par ailleurs, le maintien d'une prime majoritaire à 50 % pour l'élection des conseillers communautaires, tandis que les conseillers municipaux seraient élus avec une prime majoritaire de 25 %, créerait une distorsion de représentation difficilement justifiable au sein des métropoles, et créerait des difficultés d'application, puisqu'il serait impossible de pourvoir l'ensemble des sièges au sein des conseils métropolitains.
D'autre part, la réforme conduirait à l'organisation de deux scrutins le même jour à Paris et Marseille, et même à l'organisation de trois scrutins simultanés à Lyon - élections aux conseils d'arrondissement, élections aux conseils municipaux et élections métropolitaines -, ce qui risquerait de porter atteinte à la clarté et l'intelligibilité du scrutin.
L'organisation simultanée de plusieurs élections est en effet source de confusion et risque d'induire en erreur les électeurs, qui ne sont pas nécessairement au fait des compétences exercées par chacun.
L'expérience lyonnaise le montre d'ailleurs déjà : en l'état du droit, deux élections sont en effet déjà organisées simultanément à Lyon, pour la mairie et pour la métropole. Comme l'ont mis en lumière les auditions, la situation actuelle et la coexistence de deux campagnes électorales distinctes - mais imbriquées - génère déjà une importante confusion. Les candidats eux-mêmes mélangent dans leurs discours les programmes des deux campagnes.
La réforme envisagée conduirait donc à aggraver cette situation, au détriment des électeurs et de la démocratie locale.
Outre les difficultés juridiques, la réforme proposée paraît, en deuxième lieu, problématique d'un point de vue pratique, à commencer par le fait que l'adoption de cette proposition de loi conduirait à modifier le régime électoral moins d'un an avant les prochaines élections.
S'il est constitutionnellement possible de modifier les règles électorales l'année précédant une élection, l'ampleur de la réforme envisagée rend impossible son application avant les prochaines élections municipales de mars 2026. Ainsi, de l'aveu même de l'administration centrale chargée de l'organisation des opérations électorales, la mise en oeuvre d'une telle réforme dans des délais particulièrement contraints est de nature à fragiliser la capacité des pouvoirs publics à organiser ces scrutins dans des conditions matérielles satisfaisantes, ce qui est pour le moins inquiétant.
Au-delà de l'organisation matérielle des élections, l'adoption de cette proposition de loi laisserait trop peu de temps aux institutions, aux candidats et aux électeurs pour s'adapter à un tel changement.
Par ailleurs, l'organisation concrète des élections par les communes paraît également impossible en l'état, en raison de la nécessité d'organiser simultanément plusieurs scrutins.
Nous le savons tous, même avec une seule élection, il est de plus en plus difficile d'organiser les scrutins. Il est déjà délicat de mobiliser suffisamment de personnes pour s'occuper des bureaux de vote ou encore pour procéder aux dépouillements.
Par ailleurs, je tiens à rappeler que lors des élections départementales et régionales de 2021, d'importants dysfonctionnements dans l'acheminement de la propagande électorale ont eu lieu, précisément en raison de la concomitance de ces deux scrutins. Imaginez ce que représenterait alors l'organisation de deux, voire trois élections simultanées le même jour !
À titre d'exemple, si cette réforme entrait en vigueur et que trois élections étaient organisées le même jour à Lyon, il faudrait trouver au moins 300 bureaux de vote supplémentaires, puisque la dimension des bureaux actuels ne permet pas d'installer une nouvelle table pour les bulletins, de nouveaux isoloirs, etc. ; en termes de moyens matériels, trouver 1 900 tables, 1 300 chaises, 1 000 isoloirs et 300 urnes supplémentaires ; en termes de moyens humains, mobiliser a minima 300 présidents de bureaux de vote, 610 assesseurs et 300 agents de la ville supplémentaires.
La modification proposée du mode de scrutin ne ferait ainsi qu'aggraver les difficultés déjà existantes.
Enfin, la réforme proposée poserait également des difficultés du point de vue des comptes de campagne. Le dédoublement des élections au conseil d'arrondissement et au conseil municipal imposerait en effet la tenue de deux comptes de campagne séparés, voire de trois à Lyon.
Pour citer notre collègue Guy Benarroche lors de l'audition, la semaine dernière, de Christian Charpy, candidat à la présidence de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), comment différencier les dépenses effectuées au titre de la campagne pour la mairie centrale, de celles effectuées pour la campagne pour les mairies d'arrondissement ?
Aucune réponse n'a pu nous être donnée à ce sujet. Christian Charpy a néanmoins admis que le guide du mandataire relatif aux élections à Paris, Lyon et Marseille promettait d'être extrêmement compliqué.
Je rappellerai à cet égard que si la réforme était adoptée, ce guide « extrêmement compliqué » devrait impérativement être publié avant le mois de septembre prochain, date de début de la période pré-électorale. Il faudrait, en outre, que les candidats puissent en prendre connaissance et s'acclimater aux nouvelles règles...
J'en viens à présent, en troisième lieu, au coût financier de la réforme envisagée. Celle-ci entraînerait d'importantes dépenses supplémentaires, liées, d'une part, à l'organisation de deux - voire trois scrutins - le même jour, ce qui générerait, par exemple, un coût supplémentaire de 500 000 euros à Lyon ; et, d'autre part, à la hausse du nombre de candidats et d'élus découlant de la dissociation des mandats de conseiller municipal et de conseiller d'arrondissement. Il y aurait ainsi, potentiellement, 347 élus supplémentaires. Cela entraînerait une hausse des dépenses de campagne, des dépenses de formation, des dépenses liées à la prise en charge des frais de représentation des élus, des indemnités versées aux élus, etc.
Au total, selon le ministère de l'intérieur, le coût de la réforme s'élèverait à 15 millions d'euros, sans compter les indemnités de mandat et prises en charge de frais supplémentaires.
Comment pourrions-nous accepter une réforme avec un coût financier si élevé, dans le contexte budgétaire préoccupant que nous connaissons tous, et alors que le Sénat conduit en ce moment même des travaux visant à identifier les pistes d'économies à réaliser pour réduire le déficit, et que le président du Sénat vient d'évoquer la piste d'un gel budgétaire pour l'année 2026 ?
En quatrième lieu, la proposition de loi provoquerait une forte instabilité politique liée d'une part, à la modification potentielle profonde des équilibres politiques qu'elle induirait ; et, d'autre part, au risque d'une absence de majorité au sein des conseils municipaux des trois villes, en raison de l'introduction d'une prime majoritaire de 25 % qui conduirait à des hémicycles fracturés, inaptes à définir un projet municipal commun.
À titre d'exemple, à Paris, une liste recueillant 30 % des voix obtient à l'heure actuelle 106 sièges, sur un total de 163 sièges à pourvoir. Elle n'obtiendrait plus que 78 sièges dans le dispositif proposé. Autrement dit, une liste arrivant en tête ne serait plus nécessairement majoritaire au conseil municipal.
En cinquième lieu, la réforme envisagée mettrait à mal l'échelon de proximité auquel les électeurs sont pourtant attachés, à savoir les conseillers d'arrondissement ou de secteur.
En l'état du droit, en effet, les conseillers municipaux sont nécessairement élus au sein d'un conseil d'arrondissement. Lorsque les citoyens s'adressent aux élus qui leur sont le plus proches, c'est-à-dire à leurs élus d'arrondissement, ils ont ainsi la certitude que leurs préoccupations seront relayées au conseil municipal, qui constitue l'échelon décisionnaire. Ainsi, les intérêts de l'ensemble des territoires sont pris en compte.
Le dispositif qui nous est proposé mettrait à mal la démocratie de proximité, en prévoyant une dissociation des mandats de conseiller municipal et de conseiller d'arrondissement. Il existe en effet un risque que certains arrondissements ne soient plus du tout représentés au conseil central, tandis que d'autres y seraient surreprésentés. Ainsi, les besoins et préoccupations de certains arrondissements ne pourraient plus être relayés au niveau central et donc ne seraient plus pris en compte dans les décisions prises par le conseil municipal.
Cette réforme va donc à l'encontre des souhaits exprimés par les électeurs. Dans un contexte de hausse de l'abstention et alors que la confiance des citoyens envers les élus ne cesse de diminuer, le Sénat doit-il prendre la responsabilité de supprimer l'échelon de proximité dans les trois plus grandes villes françaises ?
Enfin, la réforme qui nous est proposée apparaît précipitée et a été élaborée sans concertation de l'ensemble des parties prenantes.
Ainsi, au-delà des problèmes de fond que pose la réforme envisagée, la méthode ayant présidé à son élaboration paraît problématique et témoigne d'une proposition de loi écrite dans la précipitation.
J'en veux pour preuve, premièrement, l'absence de consultation de l'ensemble des parties prenantes. De nombreux maires d'arrondissement nous ont ainsi indiqué, lors des auditions que j'ai conduites, ne pas avoir été consultés par les auteurs du texte. Ils sont d'ailleurs, comme je l'ai rappelé précédemment, majoritairement opposés à cette réforme du mode de scrutin.
Deuxièmement, le diagnostic initial inexact sur lequel repose la proposition de loi témoigne également d'un travail conduit trop rapidement, faute d'évaluation préalable et de consultation approfondie des acteurs concernés.
Comme je l'évoquais, les auteurs de la proposition de loi prétendent que le mode de scrutin actuel constitue une anomalie démocratique en ce qu'il permet à un maire d'être élu avec une minorité de voix à l'échelle de la commune. Or, ce cas est largement théorique et ne s'est vérifié qu'une unique fois depuis 1982, lors des élections municipales ayant conduit à l'élection de Gaston Defferre comme maire de Marseille. On ne peut donc pas parler d'une anomalie démocratique récurrente !
De même, les auteurs de la proposition de loi affirment vouloir faire rentrer Paris, Lyon et Marseille dans le droit commun en faisant élire le maire directement par les citoyens, comme c'est le cas dans les autres communes. Or, je n'ai pas besoin de vous rappeler le mode d'élection du maire dans les près de 35 000 communes françaises...
Enfin, la limitation de la réforme à la seule question du mode de scrutin illustre également son impréparation. L'enjeu des compétences et de leur répartition entre conseils d'arrondissement, conseils municipaux et métropole aurait impérativement dû être abordé. Cette demande a d'ailleurs été expressément formulée par une large majorité des maires et maires d'arrondissement que j'ai consultés durant les travaux préparatoires...
Pour toutes ces raisons, la proposition de loi qui nous est soumise apparaît comme « une réforme bâclée et de circonstance », pour reprendre les mots d'Olivier Berzane, maire du VIIIe arrondissement de Lyon.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, je suis entièrement opposée à la proposition de loi que nous examinons ce jour.
La réforme proposée paraît contestable à tous égards. Mal préparée, sans aucune concertation, elle pose des difficultés multiples, tant sur le plan juridique que d'un point de vue pratique, financier et politique.
Outre ces difficultés, les auteurs de cette proposition de loi n'atteignent pas les objectifs qu'ils poursuivent. Premièrement, celle-ci ne conduit pas à l'application du droit commun à Paris, Lyon et Marseille, puisque serait appliquée une prime majoritaire dérogatoire au droit commun ; deuxièmement, elle ne simplifierait pas le mode de scrutin applicable dans ces trois villes, car l'organisation des élections serait rendue plus complexe, tant pour les mairies que pour les candidats et les électeurs. Ainsi, la proposition de loi ne conduirait pas à renforcer la démocratie locale, bien au contraire.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de ne pas adopter le texte.
Pour autant, ce n'est pas parce que je vous invite à le rejeter que je suis opposée à toute réforme du statut de Paris, Lyon et Marseille. Les auditions menées ont en effet mis en exergue qu'une réforme plus globale et réfléchie du statut de ces trois villes, abordant la question du mode de scrutin, mais également des compétences et intégrant la dimension métropolitaine, est nécessaire, et même réclamée par les acteurs concernés.
Je forme donc le voeu que soit mené un travail de long terme, sous la forme, par exemple d'une mission d'information, pour évaluer le fonctionnement actuel de ces trois villes, en concertation avec l'ensemble des acteurs intéressés. Une fois ce travail préalable mené, une refonte du statut de ces trois villes pourra être envisagée valablement.
Je précise d'ailleurs que, compte tenu des différences profondes qui existent désormais entre les trois villes, en termes de population, de répartition des compétences ou encore de structure institutionnelle, des solutions différentes pourraient être envisagées selon la ville concernée.
Mme Catherine Di Folco. - Je tiens à féliciter la rapporteure pour cette analyse fine et approfondie, menée dans des délais très contraints. Pour être quelque peu impertinente, je me demande quelle mouche a bien pu piquer le parti Renaissance et le Premier ministre pour nous imposer cette proposition de loi maintenant. En outre, je m'interroge sur la méthode de travail de nos homologues de l'Assemblée nationale, tant le sujet semble avoir été survolé.
M. Ian Brossat. - Je souscris totalement aux observations de la rapporteure : les arguments dont se prévalent les auteurs du texte sont fallacieux, qu'il s'agisse du prétendu rapprochement avec le droit commun ou de la possibilité que soient élus des maires qui n'auraient obtenu qu'une minorité de voix.
Si le groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-K) rejette cette réforme, la question du statut de Paris, de Lyon et de Marseille devra être discutée de manière plus large. Par exemple, est-il normal que la municipalité parisienne ne dispose pas de certaines compétences dont dispose n'importe quelle autre commune, notamment en matière de circulation ? Une série de voies relève en effet des attributions du préfet de police : si l'on souhaite véritablement que Paris rentre dans le droit commun, il faudra débattre de ces sujets.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Merci pour cet excellent rapport sur un sujet aussi sensible que difficile. Je tiens à dire à mes collègues parisiens, lyonnais et marseillais, que la question posée initialement est à l'évidence pertinente, car les élus des autres métropoles sont parfois assez agacés par des statuts spécifiques et par un enchevêtrement de compétences peu lisibles par la population.
Pour autant, répondre à ces enjeux en se limitant à la problématique du mode de scrutin - avec un choix à l'évidence subjectif - ne saurait constituer une réponse satisfaisante. Les véritables questions qui sont soulevées méritent une mission d'information et non pas une réforme moins d'un an avant le prochain scrutin.
Je voterai, sans aucun d'état d'âme, contre cette proposition de loi.
M. Alain Marc. - Les statuts spéciaux de Paris, Lyon et Marseille ont été décidés en raison de l'importance de leur population, mais je souligne que Toulouse, qui, selon les projections réalisées à partir des derniers chiffre de l'Insee disponibles, compte désormais 10 000 habitants de plus que Lyon, relève du droit commun.
Ces évolutions doivent nous inciter à la réflexion et à l'action, mais sans précipitation, d'où mon abstention sur ce texte. Pour autant, il nous faudra apporter des changements dans la perspective du scrutin de 2032, la population de Toulouse étant appelée à s'accroître. Nous avons le temps de nous y consacrer, ce texte ayant peu de chance d'être adopté.
M. Guy Benarroche. - Je souligne à mon tour la qualité du travail de la rapporteure, dont je partage totalement l'analyse.
La « mouche » évoquée par Catherine Di Folco a piqué l'Assemblée nationale il y a déjà longtemps, ce texte ayant été alternativement déposé et retiré avant d'être à nouveau soumis à l'examen du Parlement par le Gouvernement dans des délais qu'il estime « raisonnables », c'est-à-dire huit ou neuf mois avant les élections, ce qui nous paraît bien trop court.
Marc-Philippe Daubresse l'a exprimé avec des mots plus mesurés, mais tout le monde considère que ce texte s'apparente davantage à un « tripatouillage » politique visant à faciliter une élection en particulier.
Mon groupe partage l'objectif d'un retour à la règle commune, autour du mode d'élection du maire et de la prime majoritaire. Aussi, il importe que le maire soit bien élu, dans le cadre d'un scrutin de liste, par la totalité des électeurs de la ville, ce qui n'est actuellement pas le cas à Marseille. Nous demandons également que la prime majoritaire soit la même que dans les autres communes, c'est-à-dire de 50 %. Sans ces deux éléments essentiels à nos yeux, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) ne votera pas le texte présenté.
Au-delà de cette prise de position, nous devons nous interroger sur les intentions du Gouvernement : en cas de vote négatif de notre commission, persistera-t-il à vouloir faire voter ce texte avant la fin de la session parlementaire ? Cette interrogation mérite notre attention, car il n'y aurait pire résultat que de laisser cette proposition de loi entrer en vigueur dans sa rédaction actuelle.
Ne devrions-nous donc pas envisager de modifier ce texte afin de peser dans le choix futur du Gouvernement ? Il est possible qu'il décide d'aller jusqu'au bout de sa démarche, pour des raisons tenant à de petits arrangements politiques.
M. Francis Szpiner. - Lorsque j'ai été élu maire d'arrondissement, j'ai rapidement compris qu'il s'agissait d'une fonction « Canada Dry », car cet élu a la légitimité et l'apparence du maire, sans en avoir les pouvoirs. Le changement de statut de Paris est donc justifié.
Je rappelle que Paris, Lyon et Marseille n'ont plus rien en commun : si les métropoles de Lyon et de Marseille sont bien dotées de véritables pouvoirs, tel n'est pas le cas de la Métropole du Grand Paris (MGP) dont je souhaite ardemment la disparition, car elle ne regroupe pas, en réalité, la région parisienne.
À la fois ville et département, Paris est dotée d'un statut spécifique et est plus proche d'une agglomération de communes, le XVe arrondissement comptant par exemple plus de 220 000 habitants. Il fallait donc la doter d'un statut très original qui pourrait certes être modifié, mais pas en faisant n'importe quoi, ce qui est le cas avec ce texte.
Concernant la proposition de notre collègue Guy Benarroche, je ne pense pas utile d'amender un texte à ce point médiocre qu'il ne résistera jamais à l'examen du Conseil constitutionnel. Par exemple, je peine à identifier le corps électoral susceptible d'élire les conseillers métropolitains à Paris, car il faudra trancher des questions de liste et se confronter à des problèmes de cumul de mandats : je suis, à l'instar de Ian Brossat, sénateur, conseiller de Paris et conseiller d'arrondissement, et nous pourrions être contraints de choisir l'un de nos mandats s'il existait deux scrutins distincts pour l'arrondissement et pour le conseil de Paris.
Guy Benarroche a aussi soulevé, à juste titre, le risque d'une inégalité entre les candidats, car certains ne se présenteront qu'à une mairie d'arrondissement et bénéficieront d'une souplesse dans leur budget, tandis que ceux qui se porteront candidats à la mairie d'arrondissement et à la mairie centrale devront se doter d'un double budget : comment distinguer les deux enveloppes ?
En l'état, ce texte n'a donc aucune chance d'être validé par le Conseil constitutionnel, sans oublier les délais restreints qui devraient être respectés par rapport à la prochaine campagne.
Enfin, si vous me pardonnez ma naïveté, j'ai entendu le Premier ministre dire qu'il ne s'obstinerait pas en l'absence de consensus, et je l'imagine mal renier sa parole.
Mme Cécile Cukierman. - Je salue également le travail de la rapporteure, qui ne s'en tient pas à un simple rejet du texte, mais nous invite à nous pencher sur la nécessaire refonte du statut dit « PLM ».
Pardonnez-moi si je me répète, mais je reste attachée à certains principes, à commencer par celui qui consiste à ne modifier le code électoral qu'avec parcimonie et sans précipitation. Ce n'est en effet pas en urgence que l'on réforme de tels statuts, fussent-ils anciens, mais en s'attachant à anticiper toutes les conséquences de tels changements, y compris sur des aspects pratiques tels que la tenue de multiples bureaux de vote le même jour.
J'ajoute que des réformes de ce type n'ont pas vocation à être mises en oeuvre dans un temps qui précède de peu le scrutin.
De manière générale, l'argument des partisans de la proposition de loi relatif à l'application du droit commun est fallacieux, car le texte ne prévoit pas un retour complet audit droit commun : aller au bout de cette logique devrait conduire à supprimer les arrondissements.
Le Sénat doit poser la question politique de l'avenir de ce texte, avec l'élégance et le langage qui est le nôtre : y aurait-il une légitimité démocratique à poursuivre le processus législatif si notre assemblée venait à rejeter le texte ? Bien sûr, tout est possible sur le plan constitutionnel, qu'il s'agisse de réunir une commission mixte paritaire (CMP), de demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement ou même de recourir à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Néanmoins, il me semble qu'une telle démarche ne ferait que renforcer la crise politique que nous connaissons.
Enfin, il me paraît très surprenant d'appeler à la recherche du consensus et à la mise à l'écart des extrêmes et de soutenir, dans le même temps, un texte susceptible de faire entrer les clivages et les excès dans les conseils municipaux des trois villes concernées.
M. Stéphane Le Rudulier. - Les auditions ont révélé que cette proposition de loi, au-delà de son caractère hâtif et improvisé, recèle quelques incohérences juridiques. Son auteur ne s'est manifestement pas interrogé sur la structure démocratique de base de ces trois communes : s'agit-il de l'arrondissement ou d'éléments démographiques qui semblent sous-tendre ce texte ?
Si les seconds préfigurent l'évolution du mode de scrutin, il faudrait alors envisager, comme l'a relevé Cécile Cukierman, la suppression de l'arrondissement, mais cela poserait immédiatement d'autres problèmes de gestion administrative.
Un aspect très agaçant de ce texte tient à son idéalisation d'un scrutin direct qui n'existe nulle part dans les 35 000 communes de France, puisque les citoyens élisent des conseils municipaux et non pas un maire seul.
Enfin, une tradition démocratique consiste à ne pas modifier les règles d'un scrutin à moins d'un an de l'élection. La question de l'opportunité de ce texte est réellement posée, car il sera sans doute perçu par les électeurs comme une manigance électorale.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La rapporteure a accompli un travail considérable et je salue - une fois n'est pas coutume - la décision de la présidente de choisir une collègue qui n'est pas directement concernée par le sujet, car cela permet d'apaiser la discussion. Les auditions conduites se sont révélées très intéressantes, car la grande majorité des personnes auditionnées ont exprimé un avis défavorable sur le texte et se sont interrogées sur la méthode : pourquoi ne pas avoir commencé par un texte dédié aux compétences, avant d'en faire découler une éventuelle réforme du mode de scrutin ?
En 1982, la loi du 2 mars relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions avait ainsi été suivie d'une réforme du mode de scrutin intervenue en décembre, et non pas l'inverse. Cette inversion pose problème en l'espèce, car on ignore les compétences qui seront respectivement, à l'avenir, dévolues aux arrondissements et aux conseils municipaux.
J'estime que le critère de la population n'est pas opérant et que le véritable sujet réside dans le critère institutionnel des arrondissements : tout conseiller de Paris est aujourd'hui nécessairement conseiller d'arrondissement. J'ajoute que la municipalité de Paris gère un budget de 11 milliards d'euros, tâche qui ne peut être menée à bien qu'en s'appuyant fortement sur les mairies d'arrondissement.
En outre, les trois villes dont nous débattons ont évolué de manière distincte : là où les compétences ont été décentralisées dans la capitale, Lyon a vu la mise en place de la métropole ; à Marseille, enfin, une série de compétences sont captées par le département. Il est donc curieux de traiter ces trois cas particuliers dans un seul texte, et j'ai tendance à penser que seule la capitale est véritablement concernée, les deux autres métropoles n'ayant été intégrées au dossier que pour habiller la transformation du mode de scrutin parisien.
En termes de calendrier, si le texte est voté vers la fin du mois de juin 2025, un recours devant le Conseil constitutionnel nous amènera rapidement à la fin juillet, alors que les comptes de campagne de ceux qui se sont d'ores et déjà déclarés candidats doivent être opérationnels au 1er septembre : je souhaite donc bonne chance aux fonctionnaires du ministère de l'intérieur qui devront adresser une circulaire explicative aux préfectures.
Au cours des auditions conduites par Lauriane Josende, de nombreux problèmes ont été soulevés, dont certains concernent les comptes de campagne - sujet que je connais bien pour avoir traité de nombreuses affaires de contentieux électoral financier. Lorsque le futur maire ne dispose pas de compte de campagne propre, le processus est plutôt aisé puisqu'il est procédé à une répartition des dépenses sur l'ensemble des arrondissements dans lesquels il présente une liste ; avec ce texte en revanche, nous aurions une liste centrale et des listes d'arrondissements - avec autant de comptes de campagne -, tandis que d'autres personnes ne seraient pas nécessairement candidats aux deux échelons.
En ce qui concerne l'élection des conseillers communautaires, actuellement désignés à Paris sur la liste des conseillers d'arrondissement, l'application du texte aboutirait à des disparités dans les primes majoritaires qui seraient retenues pour l'élection des membres du conseil municipal et celle des conseillers communautaires, sans aucune justification.
À ce stade, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) est défavorable à ce texte, même si nous déposerons peut-être des amendements en séance. La proposition de loi paraît cependant difficilement amendable, notamment en raison de la décorrélation entre les arrondissements et le conseil de Paris. La démarche qui sous-tend le texte va à l'encontre de ce qui a été entrepris en matière de déconcentration et de décentralisation.
M. Hervé Marseille. - Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage. Si la modification d'un mode de scrutin intervient rarement au moment opportun, je note que nous avons procédé ainsi il y a quelques semaines pour les communes de moins de 1 000 habitants, ce qui n'a guère suscité l'émoi alors que de nombreux élus ruraux ont été perturbés par le fait de devoir mettre en place des listes paritaires, à moins d'un an des élections.
Les trois villes concernées par ce texte disposent d'un statut sur mesure, l'un ayant été construit par Jean-Claude Gaudin à Marseille, un autre par Gérard Collomb à Lyon et un troisième par Jacques Chirac et Bertrand Delanoë, dans la capitale. Nous constatons quelques conséquences dommageables de cette réforme, notamment avec les trois scrutins qui devraient être organisés à Lyon.
Le véritable enjeu de cette discussion est politique, ce qui explique que le maire de Marseille soit favorable au mode de scrutin proposé, tandis que la municipalité de Paris y est hostile et que les positions varient selon les jours à Lyon. Au-delà des habillages juridiques de positionnements qui sont liés au souhait de conserver tel arrondissement ou de s'attaquer à la mairie centrale, il faudra apporter des solutions à terme, notamment pour répondre aux besoins des 22 métropoles que nous avons créées.
Nous devons pouvoir évoluer sur ces sujets et je m'associe à la prudence et au pragmatisme que défendait notre collègue Guy Benarroche, car nous ignorons de quoi les lendemains seront faits. Certains sujets pourraient évoluer dès à présent : je pense notamment à l'intégration des élus d'arrondissement au collège des grands électeurs du Sénat. Nous pourrions ensuite suivre la trajectoire du texte et prendre acte de l'éventuelle fin de son parcours législatif, mais je pense que le sujet reviendra sur le tapis, quoi qu'il arrive.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - J'ai abordé les auditions et l'analyse de cette proposition de loi en estimant qu'il faudrait parvenir à faire avancer ce texte, mais les propos des élus des villes concernées, pourtant de sensibilités différentes et vivant des réalités distinctes, ont convergé pour critiquer une réforme électorale jugée fort bancale.
Sans partager la même analyse au départ, les collègues qui ont participé aux travaux préparatoires à mes côtés et moi-même, avions un problème supplémentaire chaque fois que nous abordions plus précisément l'un des aspects de la proposition de loi, tombant de Charybde en Scylla. Face à l'opposition quasi-unanime des élus des communes concernées, nous en avons déduit que le Sénat, en tant que chambre des territoires, ne pouvait pas cautionner cette réforme.
N'oublions pas que nous sommes en effet non seulement garants de l'orthodoxie juridique, mais également d'un certain cadre budgétaire, cette dépense additionnelle de 15 millions d'euros n'ayant pas été prévue et risquant de mettre les communes en difficulté.
Garant des principes et de la stabilité de notre démocratie, le Sénat doit pleinement jouer son rôle en assurant une forme de sérieux : compte tenu de l'étendue des problèmes qui ont été recensés au cours desdites auditions, il semble impossible de choisir une autre solution que l'opposition à ce texte.
Le Gouvernement, quant à lui, a affiché sa détermination, même si nous ignorons quelles voies - la convocation ou non d'une CMP, par exemple - il pourrait choisir d'emprunter par la suite. En tout état de cause, je pense qu'il y va de la crédibilité et de la pérennité du Gouvernement que d'empêcher que ce texte parvienne à son terme.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Comme c'est l'usage, il me revient, mes chers collègues, et même si aucun amendement n'a été déposé à ce stade, de vous indiquer quel est le périmètre indicatif de la proposition de loi en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents.
Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à la modification du mode de scrutin applicable à l'élection des conseillers de Paris et des conseillers municipaux de Lyon et Marseille ; à la modification du mode de scrutin applicable à l'élection des conseillers d'arrondissement de Paris, Lyon et Marseille ; aux adaptations et coordinations rendues nécessaires par la modification du mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille ; aux modalités de participation des conseillers d'arrondissement aux réunions du conseil municipal ou du conseil de Paris ; à la création d'une conférence des maires à Paris, Lyon et Marseille et à la détermination de ses attributions, de sa composition et de ses modalités de fonctionnement.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er n'est pas adopté.
Article 1er bis (nouveau)
L'article 1er bis n'est pas adopté.
Article 1er ter (nouveau)
L'article 1er ter n'est pas adopté.
Articles 2, 3, 4 et 5
Les articles 2, 3, 4 et 5 ne sont pas adoptés.
Article 6 (nouveau)
L'article 6 n'est pas adopté.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture.