II. UN TEXTE POURSUIVANT UN OBJECTIF LOUABLE MAIS QUI SE HEURTE À DES DIFFICULTÉS DE MÉTHODE, DE CALENDRIER ET D'OPÉRATIONNALITÉ
A. REHAUSSER LE NIVEAU DE PROTECTION DES AMP FRANÇAISES
L'article 1er vise à :
- remplacer en droit français la notion de « protection forte » par celle de « protection stricte », conformément aux standards internationaux ;
- instaurer un objectif de couverture d'au moins 10 % de chaque façade maritime par des aires marines protégées sous protection stricte ;
- mettre en place des zones tampons autour des zones strictement protégées dans lesquelles seraient interdites le chalutage et les activités industrielles ainsi que la pêche récréative, afin de maximiser l' « effet réserve »6(*) et d'en réserver en priorité le bénéfice à la pêche professionnelle artisanale.
La commission partage pleinement l'objectif de cet article tendant à assurer l'effectivité des AMP françaises. Elle le juge néanmoins discutable sur la méthode et sur le calendrier :
- il reviendrait à déstabiliser le processus d'identification de zones sous protection forte qui est en cours sur chaque façade maritime dans le cadre de la mise à jour des documents stratégiques de façade, en substituant à la notion de protection forte celle de protection stricte. Il conviendrait plutôt d'attendre le déploiement complet du dispositif pour en évaluer les résultats ;
- l'instauration d'un objectif de couvrir au moins 10 % de chaque façade maritime par des zones sous protection stricte apparaît trop rigide pour tenir compte des contraintes et spécificités de chaque territoire et des impératifs de conciliation des usages.
B. AU-DELÀ DES ENJEUX DE PROTECTION DES ÉCOSYSTÈMES, L'AVENIR SOCIO-ÉCONOMIQUE DES PRATIQUES DE PÊCHE EN QUESTION
L'article 2 vise à concilier les activités de pêche et la protection des écosystèmes marins à travers deux mesures à portée socio-économique :
- mettre en oeuvre et accompagner la transition de l'activité du chalut de fond vers des activités plus durables, à travers la création et l'animation par l'État d'une « stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond » ;
- interdire, à compter du 1er janvier 2026, l'exercice des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à vingt-cinq mètres à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes.
La commission partage l'objectif de l'article, qui est d'articuler la protection de plusieurs écosystèmes complexes et fortement liés : les écosystèmes biologiques et les écosystèmes socio-économiques et institutionnels constitués par les activités humaines en mer.
Toutefois, elle s'inquiète des conséquences potentielles de ces deux dispositifs, avec des impacts incertains sur le plan de la protection de la biodiversité, mais potentiellement dévastateurs pour la structuration socio-économique de la filière pêche française :
- les enjeux de la durabilité de la pêche sont déjà abordés dans les stratégies nationales existantes (Stratégie nationale biodiversité, SNB3, et Stratégie nationale pour la mer et le littoral, SNML), lesquelles sont en cours de déploiement. L'adoption d'un nouveau document stratégique poserait ainsi des problèmes de cohérence et d'opérationnalité et remettrait en question les efforts déjà engagés par l'ensemble des parties prenantes économiques et institutionnelles pour la mise en oeuvre des stratégies existantes. Ainsi, le dispositif proposé ne présenterait pas de garanties suffisantes d'un impact effectif sur la protection des écosystèmes, si son acceptabilité n'est pas garantie ;
- les produits de l'activité des cibles qui sont visées par les deux dispositifs sont si significatifs pour la structuration de la filière agroalimentaire française qu'ils seraient nécessairement compensés par une augmentation en proportion des importations, lesquelles sont capturées sans que ne soit connu précisément leur impact sur les écosystèmes marins concernés ;
- les volumes et la valeur ajoutée liés à l'activité des chaluts de fond sont déterminants pour la structuration des activités littorales, notamment en termes d'équipements et d'infrastructures. Les mesures proposées auraient ainsi des conséquences néfastes sur le tissu socio-économique des façades maritimes concernées, et en particulier la façade atlantique.
Ainsi, si la commission reconnaît la nécessité d'un accompagnement de la filière, notamment dans un contexte économique préoccupant au vu des conséquences du Brexit sur l'activité des flottilles françaises, elle insiste sur le fait que cet accompagnement doit porter sur l'ensemble des activités - et non sur les seuls chaluts de fond -, et s'inscrire dans les dispositifs existants, dont la mise en oeuvre repose sur des processus de concertation qui en garantissent à la fois l'acceptabilité et la portée effective.
* 6 L'« effet réserve » désigne l'augmentation de la densité, de la taille et/ou de la biomasse des espèces de poissons dans une AMP efficace.