B. MALGRÉ CERTAINES AVANCÉES, LE CONTRÔLE A PRIORI DE L'ABSENCE D'INÉLIGIBILITÉ DEMEURE RESTREINT
Hérité d'une conception selon laquelle, d'une part, l'État, incarné en la personne des préfets, devait rester le plus éloigné possible du processus électoral et, d'autre part, le primat doit être donné à la liberté de candidature, le contrôle de l'éligibilité est aujourd'hui principalement exercé a posteriori par le juge de l'élection.
Cette logique conduit à des annulations d'élections lorsque le juge, saisi d'un recours, constate l'inéligibilité d'un candidat, rendant ensuite nécessaire la tenue d'élections partielles8(*).
Si des outils de contrôle a priori existent, leur efficacité paraît limitée.
· S'agissant des inéligibilités résultant d'une sanction pénale
Les autorités compétentes pour recevoir les déclarations de candidature à une élection peuvent, depuis la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, demander la délivrance du bulletin n°2 (B2) du casier judiciaire des candidats, afin de vérifier si la peine complémentaire d'inéligibilité y est mentionnée9(*).
Le casier judiciaire national (CJN) n'étant toutefois pas équipé pour assurer une transmission automatisée et systématisée des B2 aux préfectures, les préfectures sont contraintes de demander des B2 pour chacun des candidats. Ainsi, lors des élections municipales de 2020, seules 6 % des candidatures (soit 62 000 sur un total de 902 465) ont fait l'objet d'une demande de B2, pour une seule inéligibilité d'après les informations transmises par le casier judiciaire national10(*). En outre, bien que la procédure soit compatible avec le délai de quatre jours donné à l'autorité pour remettre le récépissé définitif de candidature11(*), elle paraît fastidieuse au regard du nombre d'étapes qu'elle comprend12(*).
Le nouveau service « B2+ », déployé par le ministère de la justice d'ici la fin d'année 2025, doit permettre, pour les élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2026, aux services préfectoraux d'obtenir, dans la majorité des cas, le B2 d'un candidat dans un délai maximal de 24 à 48 heures. Toutefois, ce nouveau service ne permettra pas davantage de systématiser le contrôle pour l'intégralité des candidatures13(*) : les consultations demeureront ponctuelles.
Récemment, la vérification des inéligibilités pénales a fait l'objet de deux recommandations comparables de la part d'inspections générales, d'une part, et de la Cour des comptes, d'autre part. Est ainsi suggérée la mise en oeuvre d'un « répertoire » des personnes inéligibles construit à partir du casier judiciaire national, auquel auraient accès les autorités chargées d'examiner la recevabilité des candidatures aux élections14(*). À la suite de ces travaux, le ministère de l'intérieur a indiqué avoir entamé avec le ministère de la justice « des échanges exploratoires », tandis que ce dernier a rappelé au rapporteur que les priorités actuelles du casier judiciaire national sur le plan informatique n'avaient pas permis de mener d'études sur un projet de répertoire des personnes inéligibles.
· S'agissant des inéligibilités résultant de l'incapacité juridique
Il n'existe pas de système d'information centralisé répertoriant les décisions de placement sous tutelle ou curatelle : le registre des mesures de protection des majeurs protégés, prévu par la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 à l'article 427-1 du code civil, n'a en effet pas encore vu le jour15(*). À l'heure actuelle, seul l'extrait de la copie intégrale de l'acte de naissance - qui n'est pas requis lors du dépôt des candidatures - permettrait à l'autorité enregistrant la candidature d'identifier cette cause d'inéligibilité16(*).
* 8 Ainsi, le Conseil constitutionnel a annulé les élections législatives s'étant déroulées dans la 2e circonscription du Jura les 30 juin et 7 juillet 2024 (décision n° 2024-6341 AN du 13 février 2025) parce que l'un des candidats, placé sous curatelle renforcée, était inéligible à la date du premier tour du scrutin.
* 9 En application du 7° de l'article 776 du code de procédure pénale.
* 10 Données du rapport inter-inspections de juin 2020 sur le bilan et les perspectives du répertoire électoral unique.
* 11 En application de l'article R. 128 du code électoral.
* 12 En premier lieu, les préfectures accèdent au webservice du CJN ; en cas de B2 positif (présence de condamnations mais pas nécessairement de peines d'inéligibilité) ou d'erreur de saisie, un échange par courriel puis fax était mis en oeuvre entre les préfectures et le ministère de la justice.
* 13 Seule une « injection en masse » de données le permettrait. Les ministres de l'intérieur et de la justice ont indiqué au rapporteur être en train d'étudier cette possibilité.
* 14 Voir le rapport inter-inspections précité, pp. 56-57, et la recommandation n° 6 de la Cour des comptes dans ses observations sur l'organisation des élections, publiées le 20 novembre 2024.
* 15 Conformément au II de l'article 18 de la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024, ce registre doit être créé à une date fixée par décret, et au plus tard le 31 décembre 2026. Il serait géré par le ministère de la justice.
* 16 Dans le cas d'une décision de placement sous tutelle ou curatelle, la mention « RC » est portée sur le répertoire civil de la personne concernée par le tribunal judiciaire. Seule une vérification auprès du tribunal judiciaire du lieu de naissance du candidat permet toutefois de déterminer si cette mention correspond à une mesure de protection.