II. UNE « BARRIÈRE DE PAPIER » QUI N'EST PAS DE NATURE À PRODUIRE L'EFFET POLITIQUE RECHERCHÉ

Dans leur exposé des motifs, les auteurs présentent cette initiative comme une réponse à la volonté affichée du Rassemblement national, dans l'hypothèse où son candidat remporterait la prochaine élection présidentielle, de recourir à l'article 11 en vue de modifier la Constitution, notamment afin d'y intégrer un principe de « priorité nationale ».

Or, le dispositif proposé ne permet pas d'empêcher un Président de la République d'imposer une lecture gaullienne de la portée du référendum législatif.

À cet égard, il est décisif de rappeler que sur un plan strictement formel, la loi du 6 novembre 1962 n'était qu'une loi ordinaire, et non une loi constitutionnelle, comme les lois adoptées sur le fondement de l'article 89. En témoigne, le Journal officiel du 7 novembre 1962, qui mentionne bien ce texte sous la dénomination de « loi », et non de « loi constitutionnelle » (voir ci-dessous). Ainsi, à proprement parler, et aussi déroutant que cela puisse paraître d'un point de vue juridique, on ne peut que constater que cette loi n'était autre qu'une loi « ordinaire », qu'il se trouve que ses dispositions tendaient à modifier des articles de la Constitution, qu'elle a été adoptée par le peuple selon la procédure prévue par l'article 11, qu'elle n'a pas fait l'objet d'un quelconque contrôle juridictionnel en raison de l'incompétence du Conseil constitutionnel en matière de lois référendaires, et qu'elle a donc pu valablement entrer en vigueur.

Extrait du Journal officiel du 7 novembre 1962

Source : Légifrance

Le dispositif proposé, qui est par ailleurs sans incidence sur le régime de contrôle juridictionnel des actes du Président de la République, n'est en pratique pas de nature à prévenir le recours à l'article 11 pour introduire dans l'ordre juridique des dispositions de valeur constitutionnelle.

III. UNE PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE POLITIQUEMENT INOPPORTUNE, SUSCEPTIBLE D'ÊTRE INTERPRÉTÉE COMME DIRIGÉE CONTRE UN PARTI PARTICULIER

A. LA NÉCESSITÉ DE PRÉSERVER LA CONSTITUTION, NOTRE PACTE FONDAMENTAL, DE TOUTE APPROPRIATION PARTISANE

Eu égard à l'objet de cette initiative de révision constitutionnelle, la commission a estimé, à l'initiative de sa rapporteure, qu'elle ne saurait fonder sa position sur la base d'une analyse purement juridique. En matière institutionnelle, en effet, l'appréciation d'une initiative est indissociable du discours politique qui la sous-tend, ainsi que du contexte politique dans lequel elle intervient.

En la matière, le recul historique est important. Il convient de rappeler que, par certains aspects, l'instabilité institutionnelle qui a marqué la France entre la Révolution de 1789 et 1958 peut être regardée comme la résultante d'un rapport partisan à la Constitution, en vertu duquel le triomphe d'un camp politique était toujours susceptible d'entraîner un changement de régime. La rupture opérée par la Constitution de la Cinquième République tient notamment à sa capacité à être enfin reconnue comme la « chose de tous ».

Or, l'exposé des motifs de la proposition de loi vise sans ambiguïté le projet d'un parti, le Rassemblement national. Le fait de viser aussi directement un parti particulier à l'appui d'une initiative de révision constitutionnelle est donc, pour la rapporteure, à la fois contestable dans son principe et potentiellement contre-productif quant à ses effets au plan politique.

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