TITRE
V
RENFORCER LE RÔLE DES GREFFIERS DES TRIBUNAUX
DE COMMERCE
ARTICLE
8
Renforcement des pouvoirs de contrôle des greffiers des
tribunaux de commerce
L'examen de cet article a été délégué au fond à la commission des lois99(*).
À l'initiative de son rapporteur Hervé Reynaud, la commission des lois a adopté un amendement ( COM-6) qui précise les finalités des contrôles effectués par les greffiers des tribunaux de commerce.
L'article initial, qui visait à légitimer l'action des greffiers des tribunaux de commerce en indiquant que leurs contrôles des titres d'identité étrangers dans le cadre d'une demande d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS) visaient à prévenir les risques de fraude.
L'amendement prend en compte le fait que ces contrôles peuvent également revêtir d'autre objectifs, tels que la préservation de la qualité de l'information publiée : il précise donc que l'objectif de prévention des fraudes n'en est pas la finalité exclusive.
Il supprime par ailleurs le II de l'article initial, qui est satisfait par le droit existant.
Décision de la commission : la commission des finances a adopté cet article ainsi modifié.
ARTICLE
9
Expérimentation permettant aux greffiers des tribunaux de
commerce d'accéder aux données cadastrales
L'examen de cet article a été délégué au fond à la commission des lois100(*).
À l'initiative de son rapporteur Hervé Reynaud, la commission des lois a adopté un amendement ( COM-7) qui sécurise l'expérimentation prévue par l'article 9 d'un accès direct des greffiers des tribunaux de commerce aux données cadastrales.
L'amendement limite cet accès aux seules finalités de lutte contre la fraude, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Il prévoit en outre que les modalités de mise en oeuvre de cet accès sont organisées de manière à garantir la traçabilité des consultations.
Il impose, de plus, la conclusion d'une convention entre l'administration fiscale et les trois greffes expérimentateurs définissant les conditions d'accès aux données.
Il instaure, enfin, une entrée en vigueur de l'article le 1er janvier 2027, la création d'un accès direct aux données cadastrales supposant d'importants travaux préparatoires.
Décision de la commission : la commission des finances a adopté cet article ainsi modifié.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 29 octobre 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Stéphane Sautarel, rapporteur, et élaboré le texte de la commission sur la proposition de loi n° 877 (2024-2025), pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment.
M. Claude Raynal, président. - Nous terminons par l'examen du rapport de M. Sautarel sur la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, présentée par Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis des articles délégués au fond à la commission des lois.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - Cette proposition de loi s'inscrit dans le sillage de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, qui a montré l'ampleur des enjeux de la lutte contre le blanchiment et la criminalité organisée. Elle entend ainsi renforcer notre arsenal législatif sur un certain nombre de thématiques : la lutte contre les entreprises éphémères, le renforcement des prérogatives des greffiers des tribunaux de commerce, ou encore l'obligation de déclaration des comptes bancaires à l'étranger pour les sociétés commerciales.
Dans sa version initiale, la proposition de loi comprend neuf articles. Quatre d'entre eux - les articles 2, 3, 8 et 9 - ont été délégués à la commission des lois. Ce texte s'ajoute à la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, qui commence à produire ses effets, ainsi qu'à la proposition de loi relative à la fraude bancaire et au projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Cette accumulation conduit chaque texte à ne traiter qu'une partie du problème, créant parfois des redondances.
L'article 1er vise un double objectif : d'une part, il prévoit d'inscrire dans la loi un certain nombre de critères de définition d'une entreprise éphémère ; d'autre part, il impose aux professions soumises à la réglementation pour la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) - notamment aux greffiers des tribunaux de commerce -l'obligation d'effectuer auprès de Tracfin un signalement, si des éléments laissent présumer l'existence d'une telle société.
Il ressort de nos auditions que les services de lutte contre le blanchiment sont très réticents face à l'inscription dans la loi d'une définition des entreprises éphémères. En effet, il existe déjà un guide relatif à ces sociétés qui est partagé entre les services d'enquête et diffusé largement par la Mission interministérielle de coordination antifraude (Micaf) ; en outre, il est actualisé à mesure que les pratiques évoluent.
Par conséquent, l'article 1er se révélerait contre-productif, en permettant à la fois aux entreprises fraudeuses de mieux échapper aux radars des services de contrôle et en ralentissant la capacité d'adaptation de ces derniers aux évolutions des pratiques criminelles. Par ailleurs, l'obligation de déclaration de soupçon à Tracfin des professions soumises à la réglementation LCB-FT est d'ores et déjà satisfaite par le droit existant.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose, avec l'amendement COM-8, de supprimer l'article 1er.
La commission d'enquête sur la délinquance financière a montré que, en l'état actuel du droit, les sociétés commerciales ne sont nullement obligées de déclarer à l'administration fiscale les références des comptes ouverts, détenus ou clos à l'étranger. Pourtant, cette obligation incombe aux personnes physiques, aux associations et aux sociétés non commerciales domiciliées ou établies en France. Dans ce contexte, l'article 4 supprime cette exception et étend l'obligation déclarative aux sociétés commerciales. En outre, il inscrit dans la loi la transmission par l'administration fiscale des déclarations de soupçon à Tracfin.
L'obligation de déclaration des comptes à l'étranger détenus par les sociétés commerciales impliquerait un bouleversement important pour les entreprises et exigerait de la direction générale des finances publiques (DGFiP) qu'elle adapte son organisation pour stocker, gérer et exploiter ces nouvelles données. En conséquence, je propose, au travers de l'amendement COM-9, de décaler d'un an la mise en oeuvre du dispositif et de supprimer l'obligation pour l'administration de saisir Tracfin de déclarations de soupçon, déjà satisfaite par l'article L. 561-15 du code monétaire et financier.
En outre, une expertise plus poussée sur les conséquences de l'article 4 en matière économique et d'attractivité doit être effectuée. D'ici à l'examen du texte en séance publique, les retours de la part des administrations et des organisations professionnelles permettront d'éclairer l'incidence d'une telle mesure sur l'activité des entreprises en France. Nous devrons sans doute adapter le texte en séance.
L'article 5, quant à lui, tend à définir la notion de compte rebond comme un compte de transit rapide du produit de la fraude permettant d'en dissimuler l'origine ou les bénéficiaires. Il vise en outre à imposer aux organismes financiers de nouvelles obligations en cas de détection ou de suspicion de détection d'un compte utilisé comme compte rebond. Il est ainsi proposé que ces organismes soient tenus de mettre en oeuvre des mesures de vigilance renforcées lorsqu'ils identifient un risque en la matière, au moment de l'entrée en relation, et lorsqu'un compte rebond est détecté au cours de la relation d'affaires.
Ce dispositif présente plusieurs difficultés. D'abord, il est en partie satisfait, car le droit en vigueur contraint déjà les organismes financiers à mettre en oeuvre des mesures de vigilance renforcées et à adresser une déclaration de soupçon à Tracfin dans un certain nombre de situations, notamment en cas de soupçon d'utilisation d'un compte comme compte rebond.
Ensuite, les acteurs de la lutte contre le blanchiment jugent inopportun de fixer dans la loi une pratique en constante évolution, au risque de voir les fraudeurs s'adapter pour contourner le cadre légal.
Enfin, il est difficile d'identifier un risque d'utilisation d'un compte comme compte rebond dès l'entrée en relation d'affaires. Il serait alors plus judicieux de refuser l'ouverture du compte.
Comme l'automatisation et la sous-traitance induisent une aggravation du risque d'utilisation de comptes rebonds, je vous propose d'adopter l'amendement COM-10, qui vise à remédier à ces vulnérabilités. Nous imposerions ainsi aux organismes financiers permettant à leurs clients de procéder à des opérations par le biais d'interfaces automatisées de déterminer les opérations qui, en raison de leur nature ou de leur montant, ne peuvent être exécutées sans avoir été préalablement examinées par un agent humain. En outre, nous procéderions à la coordination du dispositif en l'étendant à Wallis et Futuna.
Les services du ministère de l'économie et des finances se sont montrés sceptiques quant à la mise en oeuvre de cette disposition, qui va à rebours de l'évolution technologique du secteur bancaire. Nous devrons donc poursuivre, d'ici à l'examen du texte en séance, un échange constructif pour améliorer l'amendement précité.
L'article 6 crée un registre national des comptes rebonds, géré par la DGFiP et accessible aux autorités judiciaires, aux services d'enquête et aux organismes financiers. Ces derniers seraient ainsi tenus de déclarer les comptes identifiés comme comptes rebonds dès l'entrée en relation d'affaires et pendant toute sa durée.
En outre, il ne serait plus permis d'effectuer un virement à partir d'un nouveau compte bancaire ou de paiement avant l'expiration d'un délai d'activation de 72 heures. Les organismes financiers seraient contraints d'exercer une surveillance renforcée à l'égard de tout nouveau compte, et ce pendant 30 jours à compter de son activation. Les organismes ne respectant pas ces obligations seraient passibles de sanctions administratives et financières et engageraient leur responsabilité civile en cas de préjudice causé à une victime d'escroquerie.
L'objectif visé par cet article est, me semble-t-il, partagé par tous. La semaine dernière, la commission a adopté la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire. Ce texte, en passe d'être voté conforme par le Sénat, prévoit déjà en son article 1er la création d'un fichier national des comptes signalés pour risque de fraude. Pour en prendre acte, je propose donc, à l'amendement COM-11, de supprimer l'article 6.
Enfin, l'article 7 prévoit l'ajout d'un article au code monétaire et financier qui définit le terme de « néobanque » comme tout établissement bancaire dont l'activité est exercée exclusivement en ligne sans point de contact physique et dont les procédures d'entrée en relation sont entièrement automatisées. Par ailleurs, il astreint les néobanques à effectuer un audit externe annuel relatif à la conformité des dispositifs de LCB-FT.
Les travaux de la commission ont montré que la typologie actuelle des différents établissements définis en droit bancaire permet déjà de les qualifier avec cohérence et efficacité, selon leur agrément et les services qu'ils peuvent offrir. Ainsi, le terme de « néobanque » ne trouverait pas à s'insérer efficacement dans le droit.
Il semble préférable de donner à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) la possibilité d'exiger qu'un établissement sous sa supervision effectue un audit externe annuel. Tel est le sens de l'amendement COM-12.
M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Pour rappel, nous avons procédé à l'audition en commun d'un certain nombre d'instances de contrôle, afin d'optimiser le temps qui nous était imparti et d'assurer la cohérence de notre démarche.
La commission des lois s'est réunie hier soir pour examiner les articles 2, 3, 8 et 9. Je ne reviendrai pas sur le contexte général dans lequel s'inscrit cette proposition de loi. Ayant participé à la commission d'enquête sur la délinquance financière, je veux m'associer à ses conclusions : la lutte contre les réseaux de blanchiment doit être une priorité d'action absolue pour les pouvoirs publics.
L'efficacité de cette lutte repose largement sur la capacité des autorités à frapper ces réseaux au portefeuille, dès le départ. À cet égard, les quatre amendements que j'avais présentés devant la commission des lois ont été adoptés hier, à l'unanimité. J'ai notamment proposé de sécuriser sur le plan juridique la rédaction de l'article 9 et de supprimer, à l'article 8, des dispositions redondantes avec le droit existant.
En outre, j'ai suggéré de remplacer certains mécanismes d'actions qui ne semblaient pas efficaces. Nous avons ainsi modifié l'article 2 concernant le périmètre des appels à vigilances émis par Tracfin pour permettre aux autorités de contrôle, sur le fondement de l'article L.561-26 du code monétaire et financier, de mieux cibler leurs opérations. Que les choses soient claires : ce qui importe aux autorités n'est pas le flux d'informations, mais la qualité de ces dernières.
À l'article 3, nous avons adopté une mesure de vigilance supplémentaire sur le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme en cas de cession amiable d'une société commerciale. Il s'agit, après avoir entendu les remarques de la direction générale du Trésor et de Tracfin, de ne pas pénaliser la vie économique et d'éviter l'embolie aux diverses structures concernées.
À l'article 8, nous avons précisé que l'objectif de prévention des fraudes n'était pas la finalité exclusive des contrôles. En outre, nous avons supprimé le titre II, qui nous semble satisfait par le droit existant : en effet, l'Institut national de la propriété intellectuelle (Inpi) est déjà obligatoirement informé des radiations d'office.
Enfin, nous avons précisé, à l'article 9, un certain nombre de mesures et avons décalé leur entrée en vigueur au 1er janvier 2026.
Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi. - À la suite de la commission d'enquête sur la délinquance financière, dont le rapport a été adopté à l'unanimité, Raphaël Daubet et moi-même avons rédigé un texte assez long pour compléter la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Le président Larcher a proposé de soumettre le texte au Conseil d'État, de façon à s'assurer de sa régularité juridique. Mais cela n'a pas été possible dans les délais, et nous n'avons pu l'inscrire dans le cadre d'un espace réservé.
À force de saucissonner les textes relatifs à la lutte contre la fraude et le blanchiment, les procédures sont tronquées et incomplètes. Par exemple, les dispositifs de lutte contre la fraude sociale ont été intégrés à la fois à la loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, déposée par Thomas Cazenave, et au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Bref, les lois que nous votons deviennent illisibles pour les services administratifs, sans compter que le Conseil constitutionnel censure certains dispositifs considérés comme des cavaliers législatifs.
De ce fait, le rapporteur a raison : l'article 6 est redondant. Du reste, j'approuve les dispositions prises pour le renforcement du pouvoir des greffes.
Ma divergence d'appréciation porte sur l'inscription dans la loi d'une définition des entreprises éphémères. Pour rappel, j'ai présenté un amendement en ce sens à trois reprises : lors de l'examen de la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, mais aussi dans le cadre de deux PLFSS différents. Si l'article 1er venait à être supprimé, je présenterais de nouveau cet amendement en séance.
Dans le cadre de notre commission d'enquête, les représentants de l'Urssaf et Carole Maudet, sous-directrice du contrôle fiscal, du pilotage et de l'expertise juridique à la DGFIP, nous avaient appelés à donner une définition aux entreprises éphémères. Je comprends qu'il puisse y avoir des réticences, comme l'a dit le rapporteur, mais, dans le même temps, beaucoup de personnes ne savent pas à quel point l'entreprise éphémère peut être un vecteur de fraude.
Je tiens à votre disposition le schéma de fonctionnement du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Colb). Alors que le blanchiment s'élève à 50 milliards d'euros, le taux de recouvrement n'est que de 2 %. Il nous faut continuer à progresser dans ce domaine.
Je suis favorable au maintien de l'article 1er, pourvu que l'on modifie sa rédaction, car plusieurs services nous ont demandé de définir les entreprises éphémères. Au passage, je remercie les rapporteurs d'avoir oeuvré au renforcement des dispositifs de sécurisation.
Je regrette infiniment que le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales soit aussi modeste - je pense notamment au volet consacré à la fraude fiscale. Je poserai d'ailleurs une question d'actualité au Gouvernement à ce sujet, tout à l'heure.
Je rappelle que les circuits de criminalité organisée utilisent les failles et les outils de l'évasion fiscale. La présente proposition de loi est peut-être modeste, mais elle a au moins le mérite de mettre en lumière les trous qui existent au sein des dispositifs franco-français.
M. Raphaël Daubet. - La lutte contre la délinquance financière nécessite un basculement culturel. Nous proposons en effet de passer du champ répressif judiciaire, qui a toujours plus de difficultés à rattraper les capacités d'innovation des trafiquants, au champ préventif administratif. Celui-ci a le défaut d'imposer des contrôles, mais il sera à même de limiter les flux financiers illicites.
Les trafiquants, même après avoir purgé leur peine de prison, peuvent continuer à jouir des profits de leur trafic. Voilà pourquoi nous devons nous attaquer à la dimension financière de la criminalité. Tel était l'objet de notre commission d'enquête.
La présente proposition de loi se concentre sur les entreprises. Je regrette, comme Nathalie Goulet, que nous ne parvenions pas à nous accorder au sujet des entreprises éphémères. Il est peut-être risqué d'inscrire leur définition dans la loi, mais nous devons pouvoir intercepter ces ovnis, si j'ose dire, qui sont aujourd'hui vecteurs de trafics et de flux financiers illicites. Les mesures relatives aux comptes rebonds sont également fondamentales pour alerter nos systèmes de contrôle.
L'article 4, qui concerne l'obligation de déclaration des comptes à l'étranger pour les sociétés, est tout aussi essentiel. Le blanchiment d'argent a une dimension internationale évidente. Aussi, nous devons pouvoir connaître les comptes détenus par les entreprises à l'étranger. J'approuve la proposition du rapporteur de décaler d'un an la mise en oeuvre du dispositif, afin que les services puissent s'organiser.
L'argument consistant à dire qu'il existe un risque d'attractivité pour notre pays ne me paraît pas recevable. Le blanchiment est bel et bien un phénomène d'ampleur internationale profitant parfois à des individus qui résident dans des pays non coopératifs.
S'agissant de l'article 5, l'obligation de définir des critères sur les transactions ou opérations qui nécessiteraient une interface humaine est une bonne chose. Certains nous reprochent de légiférer à rebours de l'évolution technologique du monde bancaire. Au contraire, notre démarche est tout à fait pertinente dans la mesure où l'évolution très rapide de la technologie présente des risques. Grâce aux logiciels d'intelligence artificielle, il sera facile de rester en alerte sur certaines transactions.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les fraudes financière, fiscale et sociale inondent l'actualité et sont souvent fustigées. Dans ce contexte, il est du rôle de l'État de bâtir un arsenal. Or, on lui reproche souvent de fragmenter la législation en ce domaine. J'entends les frustrations des uns et des autres : on finit par se demander si l'envie de lutter contre la fraude est bien la même à tous les niveaux de notre société. Nous manquons à la fois de recul et de vision stratégique. L'État, malheureusement, participe à l'illisibilité des dispositifs.
Bercy avait appelé la commission des finances à faire preuve de prudence concernant l'inscription dans la loi d'une définition des entreprises éphémères. Les demandes en la matière sont contradictoires. Dans ce contexte, nous devons faire de notre mieux pour avancer sur cette question, en évitant de créer des dissensions.
M. Marc Laménie. - Nos services administratifs ont-ils des moyens suffisants pour lutter contre la délinquance financière ? Combien d'agents sont réellement affectés à la lutte contre le blanchiment, qui représente tout de même un manque à gagner compris entre 12 milliards et 20 milliards d'euros ? Quel est, dans ce contexte, le rôle de l'ACPR ?
M. Vincent Éblé. - Ce texte prévoit des outils concrets pour mieux prévenir le blanchiment : sécurisation des structures économiques, repérage d'entreprises éphémères, encadrement des comptes rebonds, transparence accrue des flux financiers, etc.
On l'a dit, nos dispositifs restent trop fragmentés et la criminalité économique exploite ces failles. Voilà pourquoi je me réjouis de cette proposition de loi, qui assure une cohérence d'ensemble en s'appuyant sur les acteurs de terrain - les greffiers, la DGFiP et Tracfin - et impose des obligations de transparence renforcées. L'enjeu est d'améliorer la clarté des dispositifs et la traçabilité. Ainsi, la détection précoce des entreprises éphémères et la création d'un fichier sur les identités frauduleuses constituent des avancées utiles.
Nous sommes pleinement favorables à la justification de l'origine des fonds et la déclaration des comptes étrangers dans la mesure où ces dispositions renforcent la transparence financière . En outre, la vigilance sur les comptes rebonds et les audits des néobanques modernisent notre arsenal face aux nouvelles pratiques numériques. Il faudra toutefois veiller à une mise en oeuvre proportionnée du texte.
La consolidation du rôle des greffes, pivots de la sécurité juridique, est bienvenue. L'expérimentation d'accès aux données cadastrales mérite d'être précisée, mais elle va dans le bon sens, en ce qu'elle permet de croiser les données et de mieux détecter les fraudes immobilières.
Notre groupe soutient ce texte, dans un esprit de responsabilité et d'efficacité, car il renforce la probité économique, traduit une volonté d'action concrète et s'appuie sur la coopération entre institutions plutôt que sur la surenchère normative. Lutter contre le blanchiment, c'est aussi restaurer la confiance dans l'économie légale et dans la République.
M. Grégory Blanc. - D'autres l'ont dit avant moi, il est insupportable de saucissonner les textes visant à lutter contre la fraude. Cela abaisse la qualité du travail législatif et réduit notre capacité à lutter contre la criminalité organisée. Le narcotrafic est un problème bien réel, mais il ne représente qu'une petite partie de l'activité des trafics organisés. C'est bien à l'ensemble des activités des réseaux criminels que nous devons nous attaquer, d'où la nécessité d'agir sur leur dimension financière.
Je suis favorable au maintien de l'article 1er. De nombreuses professions, hormis les notaires et les banques, ont parfois du mal à s'approprier l'obligation de déclaration de soupçons qui leur incombe ; c'est une réalité que nous constatons sur le terrain. Encore une fois, la commission d'enquête sur la délinquance financière a montré la nécessité de donner une définition aux entreprises éphémères. Elle a également mis en lumière l'interpénétration extrêmement puissante entre les réseaux illicites et les activités licites. Autrement dit, une entreprise qui a pignon sur rue peut être en lien avec des activités totalement criminelles.
En outre, si nous voulons mener un combat efficace contre les trafics, nous devons mieux identifier les comptes ouverts à l'étranger. L'ACPR se plaint d'un manque de moyens. Nous devons donc veiller à ce qu'elle puisse matériellement lutter contre le trafic organisé et les réseaux criminels.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - Je prends bonne note des remarques de Nathalie Goulet et Raphaël Daubet. L'article 1er est, de toute évidence, celui qui suscite le plus de controverses. En revanche, les propositions de modification qui portent sur les autres dispositions du texte semblent être approuvées par les membres de la commission.
M. Laménie a raison de poser la question des effectifs. Aujourd'hui, la mission interministérielle de coordination antifraude (Micaf) dispose seulement d'une dizaine d'agents : c'est en effet bien peu pour impulser des synergies interservices qui constituent l'axe de progression prioritaire aujourd'hui. Cependant, des évolutions positives ont lieu : par exemple, Tracfin est doté de 230 agents, un nombre en hausse de 30 % en cinq ans. En revanche, je ne partage pas complètement les remarques de Grégory Blanc sur les moyens de l'ACPR.
J'en reviens à l'article 1er. Après avoir échangé avec les auteurs du texte et consulté les travaux de la commission d'enquête, j'étais plutôt acquis à l'idée d'inscrire dans la loi la définition des entreprises éphémères. Néanmoins, les travaux que j'ai menés m'ont dissuadé de le faire.
En reprenant l'historique des amendements adoptés par le Sénat sur ce sujet, on se rend compte en outre qu'il se dégage toujours plus un consensus sur le fait que ce n'est pas dans la loi qu'il faille définir les sociétés éphémères. Pour rappel, le premier amendement déposé en ce sens par Nathalie Goulet a été adopté dans le cadre du PLFSS pour 2023, contre l'avis du Gouvernement. Il a été adopté une seconde fois lors de l'examen du PLFSS pour 2025, malgré l'avis défavorable de la commission et du Gouvernement. Enfin, il a été présenté lors de l'examen de la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, en avril dernier. Je rappelle toutefois qu'il avait été retiré après avis défavorable de la commission et du Gouvernement.
Cette évolution du Sénat vers le rejet de cette mesure ne remet pas en cause l'objectif poursuivi : au contraire, il sera mieux atteint par le moyen d'une définition souple et adaptable.
Je comprends néanmoins que le débat demeure car il n'est pas simple de le trancher. Si nous ne souhaitons pas inscrire la définition des entreprises éphémères dans la loi, aujourd'hui, c'est justement pour rendre le texte plus opérationnel.
Les éléments transmis lors des auditions m'ont en effet convaincu de la nécessité de conserver la souplesse d'une telle définition. La direction générale du Trésor s'est ainsi montrée très réservée, car les phénomènes visés et les entreprises éphémères sont amenés à évoluer constamment. On risquerait aussi de cibler des acteurs ou des pratiques légitimes. De son côté, Tracfin estime que la définition des entreprises éphémères est difficile à mettre en oeuvre.
Les greffiers des tribunaux de commerce, pourtant favorables à une écriture législative en audition, ont indiqué dans leurs réponses écrites qu'il serait certainement judicieux de passer par voie réglementaire. Selon les greffiers, cela permettrait d'adapter le contenu de la définition face à l'évolution rapide des pratiques économiques et technologiques sans nécessiter une révision législative. Cette définition réglementaire pourrait aussi être le fruit d'une concertation technique préalable avec les autorités concernées - soit la direction générale du Trésor, Tracfin et l'ACPR -, ce qui garantirait une mise en oeuvre opérationnelle, cohérente et réactive.
Pour appréhender les sociétés éphémères, les services doivent nécessairement recourir à la technique du faisceau d'indices, notamment recensés par la Micaf dans son guide des sociétés éphémères. Tracfin met déjà en oeuvre ce dernier dans le cadre légal actuel, qui permet, en lien avec les professions déclarantes, d'ajuster les capteurs en fonction de l'évolution du risque.
Si je retiens une évolution législative remontée pendant les auditions, ce serait pour améliorer la supervision LCB-FT des professions autoréglementées, qui effectuent peu de déclarations de soupçons. Le présent texte n'en fait malheureusement pas état.
Vous l'aurez compris, je vous propose de nous en tenir à la suppression de l'article 1er, même si le débat sera probablement rouvert par notre collègue Nathalie Goulet lors de l'examen du texte en séance.
M. Claude Raynal, président. - En vertu du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, la commission des finances a arrêté, lors de sa réunion du 29 octobre 2025, le périmètre indicatif de la présente proposition de loi. Ce dernier comprend les dispositions relatives à la définition et la détection des sociétés éphémères ; aux acteurs habilités à effectuer des déclarations de soupçons à Tracfin et les cas dans lesquels de telles déclarations doivent être faites ; aux obligations de déclaration d'ouverture et de clôture des comptes de toute nature, ainsi que la location de coffres-forts ; à la définition, à la détection et au signalement des comptes rebonds, ainsi qu'aux mesures de vigilance que les organismes financiers doivent mettre en oeuvre en cas de suspicion d'utilisation de leurs produits et services comme comptes rebonds ; à la supervision, dans un but de lutte contre la fraude et le blanchiment, des établissements de crédit et de paiement, ainsi que des prestataires de services de paiement ; aux leviers d'action contre l'usage d'identités fictives ou de prête-noms à des fins de blanchiment ; à la sécurisation du processus de cession amiable des sociétés commerciales face au risque de blanchiment ; au rôle des greffiers des tribunaux de commerce dans le dispositif de lutte contre le blanchiment.
M. Claude Raynal, président. - Je rappelle qu'il est de tradition que la commission saisie au fond prenne acte du résultat des travaux de la commission saisie pour avis sur les articles qui lui ont été délégués. Je vous propose donc d'adopter les amendements COM-4 et COM-5, qui rédigent respectivement les articles 2 et 3, ainsi que les articles 8 et 9 tels que modifiés par les amendements COM-6 et COM-7.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - L'amendement COM-8 tend à supprimer l'article 1er, pour les raisons qui ont été précédemment exposées.
L'amendement COM-8 est adopté.
L'article 1er est supprimé.
Article 2
L'amendement COM-4 est adopté.
L'article 2 est ainsi rédigé.
Article 3
L'amendement COM-5 est adopté.
L'article 3 est ainsi rédigé.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - L'amendement COM-9 vise à reporter l'entrée en vigueur de l'obligation de déclaration contenue dans le texte. Par ailleurs, il tend à supprimer un alinéa déjà satisfait par le droit existant et inclut Wallis et Futuna dans le périmètre d'application du dispositif.
L'amendement COM-9 est adopté.
L'article 4 est ainsi rédigé.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - L'amendement COM-10 a pour objet d'imposer aux organismes financiers permettant à leurs clients de procéder à des opérations par le biais d'interfaces automatisées de déterminer celles qui, en raison de leur nature et de leur montant, doivent être contrôlées par l'action d'un agent qualifié humain.
L'amendement COM-10 est adopté.
L'article 5 est ainsi rédigé.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - L'amendement COM-11 vise à supprimer l'article 6, qui est satisfait par la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire, en voie d'être définitivement adoptée par le Parlement.
L'amendement COM-11 est adopté.
L'article 6 est supprimé.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - L'amendement COM-12 donne le droit à l'ACPR d'exiger la mise en oeuvre d'un audit externe pour certaines personnes qui relèvent de son champ de contrôle.
Mme Nathalie Goulet. - Je suis absolument favorable à cet amendement. Je précise que les dispositions relatives aux comptes rebonds sont issues du rapport alarmiste publié l'été dernier par l'ACPR, qui ne pensait pas que le législateur s'en saisirait aussi vite.
L'amendement COM-12 est adopté.
L'article 7 est ainsi rédigé.
Article 8
L'amendement COM-6 est adopté.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 9
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
L'amendement COM-7 est adopté.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Après l'article 9
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
|
Article 1er |
|||
|
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
|
M. SAUTAREL, rapporteur |
8 |
Amendement de suppression |
Adopté |
|
Article 4 |
|||
|
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
|
M. SAUTAREL, rapporteur |
9 |
Obligation pour les sociétés commerciales de déclarer leurs comptes à l'étranger |
Adopté |
|
Article 5 |
|||
|
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
|
M. SAUTAREL, rapporteur |
10 |
Obligation pour les organismes financiers de désigner des opérations dans lesquelles un contrôle humain est nécessaire |
Adopté |
|
Article 6 |
|||
|
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
|
M. SAUTAREL, rapporteur |
11 |
Amendement de suppression |
Adopté |
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Article 7 |
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Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
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M. SAUTAREL, rapporteur |
12 |
Octroi du droit à l'ACPR d'exiger des entités défaillantes qu'elles procèdent à un audit externe |
Adopté |
La réunion est close à 12 h 40.
* 99 Se reporter à l'avis n° 86 (2025-2026) fait par M. Hervé Reynaud au nom de la commission des lois, déposé le 28 octobre 2025.
* 100 Se reporter à l'avis n° 86 (2025-2026) fait par M. Hervé Reynaud au nom de la commission des lois, déposé le 28 octobre 2025.