TROISIÈME PARTIE
LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DE LA RAPPORTEURE SPÉCIALE

La rapporteure spéciale salue l'augmentation des crédits de la mission consacrés au réarmement de l'administration territoriale de l'État et à sa modernisation, notamment dans le domaine du numérique mais elle s'interroge sur l'impact des économies budgétaires sur certaines missions, notamment en matière de prévention de la délinquance ainsi que sur la soutenabilité budgétaire des missions menées par France Titres.

I. LE NUMÉRIQUE, VECTEUR DE LA MODERNISATION DE L'ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT

Les crédits consacrés aux investissements numériques de la mission AGTE sont inscrits dans les programmes « ATE » 354 et « support » 216. Pour le seul programme 216, ils progressent en 2026 de 13,17 % en CP par rapport à la LFI 2025, et s'établissent à 399,99 millions d'euros en 2026. Cette hausse vise à renforcer la résilience numérique de l'administration territoriale de l'État, ainsi que l'innovation au service de l'efficience grâce au développement des expérimentations en matière d'intelligence artificielle. S'il est complexe à ce stade de chiffrer les économies que cette stratégie générera, trois catégories de gains sont identifiables en termes de :

simplification des démarches administrative,

sécurisation des démarches administratives, en prévention de la fraude ;

- et enfin d'efficience liée au traitement des pièces administratives.

La rapporteure spéciale observe un montant considérable d'investissements, aux gains certains, sans pouvoir pour autant les chiffrer, ni en identifier précisément la maturité.

A. LE TRIPLE IMPACT DE LA STRATÉGIE NUMÉRIQUE : SIMPLIFICATION, SÉCURISATION ET EFFICIENCE

Plusieurs parcours numériques ont été mis en oeuvre aux fins de fluidifier, simplifier et sécuriser les démarches administratives, tant pour les usagers que pour les services.

1. La sécurisation des procédures administratives, un objectif prioritaire

La sécurisation est l'un des objectifs premiers de l'ensemble des projets numériques, comme en témoigne les projets France Identité numérique et le Réseau Radio du Futur.

a) France Identité Numérique, à la pointe de la sécurisation

Le programme France Identité Numérique (FIN), piloté par France Titres, vise à proposer des services de justification d'identité numérique aux Français et de simplifier leurs usages. L'identité numérique se présente sous forme d'une application smartphone grand public nommée France Identité.

Celle-ci permet aux citoyens français majeurs disposant de la carte d'identité au format « carte bancaire » de créer une identité numérique pour accéder aux services publics, importer leur permis de conduire, produire un justificatif d'identité à usage unique, s'authentifier sur FranceConnect et FranceConnect+ avec le CNIe dans le but d'accéder à plus de 1 800 services administratifs.

En 2025, l'application a accueilli les certificats d'immatriculation des véhicules de manière dématérialisée (500 000), ainsi que la carte vitale dématérialisée (AppCV). Enfin, le 22 octobre 2025, un nouvel élan dans la construction des portefeuilles d'identité numérique interopérables à l'échelle de l'Union européenne a été impulsé avec le lancement officiel du consortium européen Aptitude62F63(*). En effet, un règlement63F64(*) européen impose à chaque État membre de proposer d'ici fin 2026 un portefeuille numérique gratuit, sécurisé et reconnu dans toute l'Union. La France est en avance en ce domaine.

Le coût total du projet actualisé est de 107,4 millions d'euros, principalement hors titre 2. En 2026, les crédits en CP s'élèvent à 16,22 millions d'euros.

Plus de 2,8 millions d'usagers ont déjà créé leur identité numérique. Tout en saluant l'ambition du projet, votre rapporteure spéciale relève, toutefois, le faible taux de conversion, plaidant ainsi pour un accompagnement numérique (Cf. infra).

b) RRF, la sécurisation des communications des services de secours

Le Réseau Radio du Futur (RRF) vise à fournir aux acteurs de la sécurité et du secours un système de communication commun, prioritaire, sécurisé et haut débit, utilisant les technologies numériques les plus récentes. Son périmètre fonctionnel est beaucoup plus large que celui des réseaux radio bas débit (RUBIS et INPT), auxquels il est destiné à se substituer.

Ce réseau est opéré par l'Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours (ACMOSS), opérateur qui relève du programme 21664F65(*).

Les dépenses du programme RRF sont programmées jusqu'à 2030, se décomposant en :

730 millions d'euros au titre des accords-cadre signés par le ministère de l'intérieur avec Orange et Bouygues télécom ;

- et près de 170 millions d'euros sur la même période pour le fonctionnement de l'ACMOSS.

À terme, le financement devrait être assuré par l'abonnement des services utilisateurs publics ou privés, chargés d'une mission de service public dans les domaines de la sécurité, des secours, de l'aide médicale urgente, de la protection des populations, de la gestion des crises et des catastrophes. La cible est de 300 000 abonnés. Le pari est ambitieux. Si aucun doute ne peut remettre en question l'utilité du nouveau dispositif, son financement intégral par les abonnements peut s'avérer plus incertain et long que prévu.

Pour autant ces investissements sont nécessaires, non seulement pour lutter contre l'obsolescence des systèmes d'information mais pour répondre aux besoins des usagers des services publics dans un cadre de schémas d'emplois contraints.

2. La simplification, le gain attendu par les usagers

Si le programme « Administration numérique pour les étrangers en France » (ANEF) ne relève pas du périmètre de la mission AGTE65F66(*), la rapporteure spéciale souhaite aborder son état d'avancement, en tant qu'outil de pilotage facilitant le traitement des dossiers par les « services étrangers » opérant à flux tendus et dont les crédits sont portés par le programme 354 de la mission.

L'ANEF a pour objet de dématérialiser les démarches relatives à la gestion des étrangers en France. Elle concerne deux volets principaux : l'administration des étrangers en France (immigration, séjour, éloignement, asile) et l'accès à la nationalité française. Elle tend non seulement à fluidifier le parcours de la personne étrangère mais également à faciliter le travail des agents instructeurs, tout en luttant contre la fraude par le biais d'un portail de consultation et d'un portail des traces.

La phase initiale du programme ANEF est désormais achevée. Elle a connu de multiples évolutions visant à étendre le périmètre de l'application. Ainsi, 860 000 visas ont été validés depuis 2019. En septembre 2020, les cartes de séjour destinées aux étudiants étrangers ont également été intégrées, avec plus de 800 000 demandes traitées depuis. Le système traite des autorisations de travail pour les salariés étrangers depuis avril 2021. Cette téléprocédure a favorisé le dépôt de plus de 1,2 million de demandes. Elle a également intégré les cartes de séjour temporaires, la gestion des duplicatas et des changements d'adresse, les demandes de documents de circulation pour étrangers mineurs (DCEM) et celles de titres de voyage pour les bénéficiaires de la protection internationale (BPI).

Le service en ligne de demande d'accès à la nationalité française par décret a été ouvert sur le portail ANEF en février 2023. Désormais, un seul déplacement en préfecture est nécessaire pour l'entretien d'assimilation (contre quatre auparavant). Par ailleurs, les postulants peuvent suivre en temps réel l'état d'avancement de leur dossier depuis tout appareil connecté, y compris sur les smartphones. Le programme s'est de nouveau enrichi, en juillet 2024, avec l'intégration du renouvellement des cartes de résident.

Le programme ANEF 2.0, lancé en janvier 2025, a pris la suite avec pour objectif notamment la résolution des anomalies, la généralisation du module « éloignement », la sécurisation du système d'information ainsi que l'abandon de l'architecture vieillissante de l'Application de Gestion des Dossiers des Ressortissants Étrangers en France (AGDREF).

Si le programme n'a donc pas encore atteint sa maturité, ses objectifs sont prometteurs.

3. L'efficience, le gain attendu par l'État

La démarche numérique tend à irriguer les différents domaines d'actions des services de l'administration territoriale de l'État pour une recherche de plus grande efficience, compte des schémas d'emplois restreints. Elle se manifeste tant en matière de lutte contre l'obsolescence des systèmes d'information que d'automatisation des procédures et d'anticipation prédictive des demandes grâce à l'intelligence artificielle.

a) La course contre l'obsolescence des suivis informatisés

Les services sont engagés dans une course contre l'obsolescence, pour une plus grande résilience, adaptation et sécurisation des systèmes d'information. Aussi, la rapporteure spéciale salue les efforts réalisés dans la mise à niveau de ces derniers, en particulier, celui d'immatriculation des véhicules (SIV). Mis en service en 2009, son obsolescence et les multiples évolutions mises en place par sédimentation ont conduit à sa refonte, lancée en 2023.

Ce projet a, toutefois, fait l'objet d'une réorientation du programme66F67(*) avec :

- la réduction d'une partie des ambitions fonctionnelles afin de sécuriser l'atteinte des objectifs de refonte technique dans un calendrier maîtrisé ;

- et la reprogrammation de la fin du projet à mai 2028.

En 2025, une très grande partie des briques techniques et de l'infrastructure a été réalisée. Des modules « métiers » (identité et droits, traçabilité) ont été livrés au cours de l'année permettant d'améliorer le fonctionnement du système ainsi que la capacité à identifier des cas de fraude.

Le montant total de l'opération est de 96 millions d'euros en CP et AE, dont 16,99 millions d'euros en CP sont inscrits en 2026.

Cette contrainte de modernisation des systèmes d'information est régulièrement pointée par la Cour des comptes. Cette dernière a été suivie s'agissant de l'application de suivi informatisé des affaires juridiques (SIAJ). Celle-ci permet aux directions centrales, préfectures et SGAMI d'enregistrer et de suivre les dossiers de contentieux ainsi que les conseils juridiques du ministère de l'intérieur. Le SIAJ « nouvelle génération » (SIAJ-NG) a été développé en 2025 et sera déployé, en administration centrale, puis en services déconcentrés et ultérieurement aux autres services qui ne le sont pas actuellement.

Concernant les applications @ctes et @ctes budgétaires qui permettent aux collectivités territoriales de télétransmettre leurs actes aux services préfectoraux afin de les rendre immédiatement exécutoires, en lieu et place de la transmission papier des actes, la Direction générale des collectivités locales (DGCL) a lancé en 2024 un projet de refonte67F68(*). Après un diagnostic et une phase de cadrage, les premiers développements pourront être engagés à partir de 2026. Le chiffrage estimatif est de l'ordre de 7 et 8 millions d'euros sur trois ans, hors coûts liés au recours à l'IA.

Convenant de la nécessité d'investir dans la modernisation de ces applications, la rapporteure spéciale renouvelle cependant ses observations formulées dans le cadre de son rapport d'information « Des contrôles de légalité et budgétaire annoncés prioritaires : comment passer de la parole aux actes »68F69(*).

« Ces applications ont à l'origine été pensées uniquement comme des boîtes aux lettres numériques des actes des collectivités, afin d'accroître la dématérialisation, sans véritable changement de paradigme depuis près de vingt ans. Ces applications sont toujours envisagées sous ce prisme et ne sont pas des logiciels métiers au service des agents en préfecture en charge des contrôles. La rapporteure spéciale partage ce constat qui avait déjà été formulé par la Cour des comptes en 2022 et regrette l'absence d'évolutions notables en la matière, empêchant à ces applications de devenir des véritables boîtes de dialogue entre les collectivités et les préfectures, sources d'économies de fonctionnement. Tous les recours gracieux doivent par exemple faire l'objet d'un recommandé papier et pourraient aisément passer par l'application @ctes. »

Le taux d'actes transmis via le système d'information @CTES était de 89,38 % en 2024, selon l'indicateur 3.4 dans le PLF pour 2026.

b) Une stratégie IA à l'oeuvre

L'intelligence artificielle irrigue désormais tout projet de modernisation, dans ses capacités prospectives et prédictives. La rapporteure spéciale s'interrogeait sur la coordination des différentes initiatives en ce domaine, afin d'éviter redondance ou dispersion des moyens. L'audition de la DTNUM a permis de mettre en lumière une nouvelle gouvernance collégiale fin 2024 des différentes initiatives, selon une feuille de route ministérielle sur l'IA. Cette dernière y décline trois axes structurants, le soutien opérationnel aux forces de sécurité intérieure et aux agents ainsi que la simplification administrative.

Premières concrétisations de la feuille de route sur l'IA en 2025

- Près d'un tiers des systèmes d'IA priorisés par la feuille de route sont entrés en production, répondant à de premiers besoins de renforcement de l'appui aux agents et au service rendu aux usagers : assistants virtuels de France Titres, agent conversationnel MIrAI (d'outils d'IA générative, opéré par la DTNUM, offrant aux agents du ministère mais également aux agents des DDI une alternative maîtrisée aux solutions commerciales du marché de type ChatGPT), la charte d'usage éthique de l'IA, issue d'une concertation approfondie avec les organisations syndicales, est prête à être adoptée. Elle précisera aux agents le cadre d'usage de l'IA dans leurs pratiques professionnelles, en lien avec des orientations éthiques conformes aux pratiques attendues des collaborateurs du ministère ;

- Les travaux d'intégration de capacités de calcul souveraines dans le cloud PI progressent et permettront de proposer une offre de services ouverte aux métiers comme à l'interministériel dès 2026 ;

- La demande des agents pour les actions de soutien à la montée en compétences s'est confirmée, avec des centaines de participants mobilisés dans les actions d'acculturation (« cafés IA », événements dans les territoires) et de formation (Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur, modules en ligne) conduites depuis le printemps ;

- Un programme d'accélération Smart MI, initié par le Secrétaire général, va permettre le financement rapide à concurrence de 100 000 euros HT d'une vingtaine d'expérimentations à fort impact, au profit de l'ensemble des métiers en administration centrale, des services déconcentrés, et des agences et opérateurs sous tutelle. Le financement sera porté par la mission AGTE sur le programme « conduite et pilotage des politiques de l'Intérieur ».

Source : extrait des réponses au questionnaire budgétaire


* 63 Coordonné par France Titres pour le compte du ministère de l'Intérieur, Aptitude rassemble 117 partenaires issus de 12 pays et bénéficie d'un financement européen de plus de 10 millions d'euros

* 64Cf. Règlement (UE) 2024/1183 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 modifiant le règlement (UE) n° 910/2014 en ce qui concerne l'établissement du cadre européen relatif à une identité numérique dit « eIDAS v2 »

* 65 Elle a été créée par a été créée par le décret n° 2023-225 du 30 mars 2023 portant création de l'agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours.

* 66 Le programme ANEF est porté par la mission « Immigration, asile et intégration »

* 67 Cf. Décision du Comité Stratégique ministériel du 24 septembre 2025.

* 68 Elles ont été respectivement déployées en 2005 et 2011.

* 69 Rapport d'information n° 843 (2024-2025), fait au nom de la commission des finances sur le contrôle de légalité et budgétaire des actes des collectivités territoriales, par Mme Florence BLATRIX CONTAT, déposé le 9 juillet 2025.

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