C. LE NUMÉRIQUE HERTZIEN
1. La normalisation progresse
Le développement actuel et les immenses perspectives de la numérisation de la télévision proviennent des excellents résultats obtenus dans le traitement électronique des images et des sons.
Décrits dans la norme mondiale ISO-MPEG2, ces traitements ont pour but de ne transmettre que le minimum d'informations utiles à la reconstruction de l'image par le récepteur terminal (téléviseur ou micro-ordinateur).
La ressource de transmission nécessaire a été abaissée dans un facteur 20 au moins, 150 au plus, ce qui autorise la diffusion d'un programme audiovisuel (image et son) sur les supports habituels (câbles, satellites, faisceaux hertziens, émetteurs terrestres).
La réduction de débit (compression numérique) est devenue si efficace qu'il est possible de regrouper plusieurs programmes sur un seul canal de transmission. C'est le multiplexage défini par la norme mondiale ISO-MPEG2.
À ce stade, le multiplexage de programmes audiovisuels numérisés est toujours réalisé dans un environnement local d'électronique numérique.
La transmission vers un ou plusieurs points reste en revanche à harmoniser dans le cadre du groupement européen DVB (Digital Video Broadcasting).
Pour chaque support, câble, satellite et diffusion terrestre. DVB a proposé pour normalisation à l'ETSI (European Telecommunications Standard Institute) un procédé de transmission optimisé.
Déjà publiées pour le câble et le satellite, et prochainement pour la diffusion terrestre, mais à l'étude pour le MMDS, ces normes sont en deux parties distinctes :
• un codage des images et des sons et un multiplexage
des programmes selon la norme ISO-MPEG2, c'est-à-dire communs et
strictement identiques pour tous les systèmes,
• une modulation optimisée pour les principaux
vecteurs de distribution des programmes audiovisuels.
• La presse et les médias en
général ont largement fait écho au problème du
contrôle d'accès
pour les programmes
payés directement par l'abonné. On peut résumer l'action
de DVB en deux arguments majeurs :
• le procédé d'embrouillage est
normalisé. Il sera commun à tous systèmes qui seront mis
en service en Europe.
• le procédé de transmissions des
informations, pour que le désembrouilleur de l'abonné puisse
fonctionner, est libre. C'est de cette partie du mécanisme du
contrôle d'accès dont il a été très souvent
question, avec les désignations de système propriétaire ou
de système ouvert.
2. TDF est prêt à diffuser une télévision numérique de terre
Lors du forum consacré aux autoroutes de l'information à l'heure des expérimentations du 1er février 1996, organisé par le ministère délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l'Espace, TDF s'est déclaré partisan résolu du développement de la télévision numérique terrestre.
Un exercice de simulation mené par TDF a montré qu'il est possible de diffuser quatre canaux (chacun contenant plusieurs programmes) au moins à partir des principaux sites d'émission de la télévision analogique et de desservir ainsi près de 60 % de la population.
Des moyens supplémentaires pourraient être également utilisables pour compléter la couverture du territoire (émetteurs complémentaires de plus faible puissance, déjà utilisés en télévision analogique sur plus de 3 800 stations par TDF).
L'opérateur public se montre ainsi partisan résolu du numérique terrestre, qui pourrait être mis en oeuvre rapidement et relativement facilement sur le plan technique :
« L'utilisation rendue possible des canaux tabous (canaux adjacents des canaux de la télévision analogique sur un même site d'émission) garantit une réception immédiate et sans adaptation par les antennes individuelles et collectives existantes. Il s'agit là d'une valorisation d'un patrimoine de la collectivité nationale.
« Le coût d'accès au service de « télévision numérique » serait réduit pour chaque foyer. Le coût individuel serait d'environ 2 000 francs H. T. de récepteur décodeur numérique (2 400 francs dans le cas de la diffusion terrestre), auxquels il faut ajouter l'antenne de réception dans le cas du satellite (1 600 francs à 2 000 francs H T.) et l'abonnement dans le cas du réseau câblé (1 500 francs à 2 000 H. T. la première année).
« Pour 20 % environ des premiers foyers desservis, la réception des canaux de télévision numérique pourra se faire, sans défaut aucun, sur une simple antenne intérieure disposée à côté du récepteur-décodeur numérique.
« Cette proportion pourra être notablement améliorée par des compléments techniques propres à la diffusion numérique (réémetteurs locaux pour un quartier, micro-émetteur pour un appartement ou une résidence particulière).
« En outre, cette technique ouvre la perspective des écrans plats (wall screen), légers, peu encombrants, et aisément transportables ».
3. Toutefois, l'association des villes câblées s'y oppose
Le développement de la télévision par voie numérique hertzienne suscite des interrogations majeures.
Quels besoins nouveaux cherche-t-on à satisfaire ? Il a fallu plus de 10 ans pour bâtir une offre de programmes à peu près complète sur les réseaux câbles et, dès aujourd'hui, chacun peut y accéder par câble ou par réception directe, quelle que soit sa localisation sur le territoire. Va-t-on améliorer la diffusion de ces programmes avec un nouveau support ? Envisage-t-on de bâtir intégralement une nouvelle offre, y compris en termes de contenu et de circuit commercial ? Sommes-nous encore largement sur un marché d'offre plus que de demande ?
Développer la diffusion numérique hertzienne n'engendrerait-il pas un grand nombre de difficultés qui ralentiraient encore le développement audiovisuel français ?
Tout d'abord, cela pourrait alourdir les charges des éditeurs de programmes qui seraient ainsi contraints d'être présents sur les trois supports.
Ensuite, qui pourrait être l'opérateur d'un tel support ? À l'évidence, il ne peut s'agir des câblo-opérateurs qui ne vont pas organiser leur propre concurrence, ou Canal + très absorbé par la commercialisation du bouquet Canal Satellite et qui a choisi, pour sa diversification, une logique de complémentarité câble/satellite. Les opérateurs de chaînes généralistes peuvent-ils se lancer dans le développement de la télévision numérique hertzienne ? Il est très peu probable qu'ils en aient les moyens et ils ne semblent pas, c'est un euphémisme, très motivés par un tel projet. Leurs préoccupations actuelles, comme les y invite le Gouvernement, vont plutôt au regroupement de moyens pour aborder le marché européen et non à la dispersion sur un énième support national.
Imagine-t-on alors trouver de nouveaux opérateurs ? De nouveaux investisseurs ? De nouveaux programmes ? Ces hypothèses sont plus qu'improbables car depuis dix ans elles se seraient vérifiées grâce au câble et au satellite.
Au chapitre des inconvénients majeurs au développement de l'hertzien numérique terrestre, on rappelle aussi que plus de 30 milliards des plus ont déjà été investis dans les réseaux câblés. À ce jour, 30 % de la population y est raccordable (40 % dans les trois ans). Ces réseaux couvrent aujourd'hui la très grande majorité des sites urbains qui correspondaient aux territoires les plus intéressants pour l'hertzien terrestre numérique, notamment dans le cas du réseau multivilles. Cette nouvelle concurrence frontale pourrait ralentir encore le câble pour un résultat plus qu'aléatoire.
Ce retour à l'hertzien serait d'autant plus anachronique que, depuis 18 mois, on ne parle plus que d'autoroutes de l'information. Ce concept d'inforoutes repose sur des réseaux filaires à intégration de services - voix, données, images - avec des capacités large bande, haut-débit et bidirectionnelles. Ces caractéristiques sont celles des réseaux câblés français.
« Saucissonner » de nouveau le marché en séparant les services et les supports, à ce moment du développement, constituerait donc une nouvelle ineptie.
Rappelons également que le groupe de travail européen DVB a arrêté une norme de l'hertzien terrestre numérique distincte des normes câble et satellite.
Cela ne permettra donc pas les économies d'échelle en terme de décodeurs et contraindrait les câblo-opérateurs à pratiquer des prix d'abonnements élevés sur trois supports parallèles. De plus, rien ne permet d'affirmer aujourd'hui que les antennes classiques et surtout les réseaux d'immeubles seront compatibles avec l'hertzien terrestre numérique. Pour ce qui est des téléviseurs, la réponse s'impose d'elle-même... Plutôt que de disperser les investissements dans des supports concurrents, il serait plus pertinent d'en consacrer aux contenus et aux usages.
En conclusion, les câblo-opérateurs sont plus que réserve et l'Association des Villes Câblées estime « qu'il faut adopter un moratoire de 5 ans sur l'utilisation des fréquences hertziennes terrestres en matière de communication audiovisuelle et cela tant en technique analogique que numérique, à l'exception de la technique MMDS en prolongement des réseaux câblés quand cela s'avère judicieux ».
4. Le rapport Levrier préconise d'approfondir la réflexion sur l'introduction du numérique hertzien.
Demandé à l'ancien directeur général de TDF, M. Philippe Levrier, le rapport sur « La télévision numérique terrestre, une technologie en quête d'avenir » , remis au ministre de la Culture et au ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l'Espace, en mai 1996, conclut notamment qu'il « paraît sage aujourd'hui de ne pas envisager l'exploitation de bouquets numériques hertziens en UHF » .
La technologie numérique développée en Europe depuis 1992 connaît ses premières applications commerciales, sur le satellite et sur le câble, dans la première moitié de 1996. Son extension au support terrestre est en cours de développement technique.
a) Les conditions de l'introduction du numérique hertzien ne sont pas réunies
Selon le rapport, il reste encore un certain nombre d'étapes à franchir afin de vérifier la réalité de ces promesses et avant de conclure sur les possibilités d'exploitation du système dans le contexte français.
(1) Achever la normalisation
Le projet DVB est parvenu à la fin de l'année dernière à un accord sur une spécification adaptée à ce mode de distribution. L'adoption officielle de la norme devrait intervenir à l'automne 1996. Beaucoup d'éléments de cette norme seront communs à celles choisies, en 1994, pour le satellite et le câble.
Si les développements industriels succèdent à l'adoption de la norme, l'introduction de la télévision numérique terrestre sur le marché grand public pourrait intervenir vers 1998-1999.
Toutefois, il est nécessaire au préalable de qualifier la norme par des essais en vraie grandeur complets, d'achever les études de fréquences permettant de définir les caractéristiques des réseaux et de poursuivre l'examen de la faisabilité technique et commerciale des récepteurs numériques terrestres.
Pour devenir une réalité avant la fin du siècle, la télévision numérique terrestre devra d'abord faire la preuve de ses performances. Les organismes impliqués dans sa mise au point devront donc poursuivre et achever, dans un délai estimé de dix-huit à vingt-quatre mois, les différentes études entreprises.
Le marché n'est pas spontanément demandeur de la numérisation de l'hertzien terrestre dont les vrais enjeux se situent dans le long terme.
(2) Les diffuseurs hertziens français sont attentistes
Ils présentent actuellement des résultats commerciaux favorables et des bilans financiers positifs. Ils maintiennent globalement leur audience. Ils ne sont pas réellement menacés par le satellite et le câble dont les développements restent encore limités. Leurs projets nouveaux sont dans l'ensemble construits autour de la diffusion numérique par satellite dont ils entendent contrôler l'exploitation sur le marché français.
A la différence de leurs homologues britanniques, qui doivent faire face à un concurrent dynamique ayant réussi à implanter la diffusion satellitaire sur une large échelle au Royaume-Uni ( ( * )23) , les chaînes de télévision françaises n'ont donc pas d'intérêt commercial spontané à étudier des projets de télévision numérique terrestre.
Ni la perspective d'une augmentation de leurs revenus, ni la recherche d'une réduction de leurs charges, ni l'objectif de protection de leur marché ne paraissent justifier à leurs yeux le recours à cette technologie.
L'absence d'initiative positive de chaînes hertziennes bénéficiant d'une certaine stabilité de leur marché n'est pas une caractéristique spécifique à la France. Les diffuseurs américains eux aussi s'interrogent sur la viabilité économique du processus dans laquelle la FCC désire les entraîner ( ( * )24) . Les chaînes allemandes ont à plusieurs reprises exprimé leurs réserves, compte tenu de la pénétration élevée du câble et du satellite dans ce pays ( ( * )25) .
Forte des parts de marché encore très élevées, la télévision hertzienne n'a pas besoin en France du numérique terrestre.
(3) L'attitude des industriels est marquée par la prudence
Les industriels, désorientés par les avatars de la télévision haute définition adoptent désormais des comportements pragmatiques et cherchent à minimiser, voire à supprimer, les risques industriels inhérents aux nouvelles technologies.
Ils craignent que le numérique hertzien ne leur procure aucun débouché réel. L'attentisme des diffuseurs les renforce dans cette conviction et ils préfèrent consacrer leurs efforts à la satisfaction immédiate des besoins réels de leurs clients solvables.
Leur vrai combat est ailleurs. La bataille est quotidienne, sur un marché de plus en plus ouvert et mondialisé, dans un contexte de baisse continue des prix.
Aux États-Unis, une « Grande Alliance » vise à la conception et à la production d'un téléviseur numérique grand public, mais ils estiment que sur le marché européen, trop fragmenté et dépourvu d'instance unique de régulation, une telle démarche a peu de chance de voir le jour.
Reconnaissant désormais le rôle primordial des diffuseurs dans l'évolution des services de télévision, les industriels attendent d'eux des engagements fermes sur des projets crédibles. Aujourd'hui, les seuls engagements réels qu'ils constatent concernent le satellite.
Les expériences de télévision numérique hertzienne en Europe En Europe du Nord, seule la Suède affiche ses ambitions en matière de numérique hertzien. Lars Jeding a été mandaté par le Gouvernement suédois pour rédiger un rapport concernant le développement de la télévision numérique en Suède. Ce dernier, intitulé « Des Mass Media au Multimédia - numérisation de la télévision suédoise » a été remis par la commission, au ministre de la Culture, Margot Wallström, le 13 février 1996. Il a donné lieu à un relatif consensus. Ce rapport doit permettre au Gouvernement d'adopter un point de vue stratégique sur le rôle futur de la télévision dans la société. À partir de ce point de départ, il est possible de tracer un plan d'actions pour la numérisation de la télévision en Suède. Le Parlement devrait prendre sa décision sur le projet de loi soumis par le Gouvernement en novembre ou décembre 1996. La Suède affiche des ambitions très élevées en terme de développement de la télévision numérique dans le pays, et s'appuie sur des pronostics optimistes. Ainsi, 50 % des foyers recevraient la télévision numérique terrestre en 2004 et la fermeture des réseaux analogiques est prévue pour 2008 . La construction du réseau numérique doit commencer début 1997 et, dès 1998, huit chaînes de télévision numérique terrestre seraient proposées au public. Dans son rapport, Lars Jeding propose que les diffuseurs publics propriétaires du réseau terrestre, à savoir, SVT1, SVT2 et TV4 étendent aussi vite que possible leur réseau pour offrir des opportunités de diffusion numérique, à hauteur de huit chaînes. Après deux années, il estime que le réseau pourrait être étendu à 24 chaînes. Il préconise une période de transition d'au maximum dix ans , pendant laquelle les chaînes STV et TV4 émettraient à la fois en analogique et en numérique. Lars Jeding pense d'ailleurs que la conversion des téléspectateurs au numérique se fera plutôt en cinq ans qu'en dix, car les ventes de terminaux se montent à 600 000 unités par an pour un marché de 3,5 millions de foyers. Il propose que soient engagées au plus vite des négociations avec des fournisseurs potentiels de décodeurs numériques. Il prévoit qu'aux environs de 2010, il sera possible d'envoyer environ 50 programmes sur le réseau terrestre. Les chaînes existantes continueront donc à fournir des programmes, mais de nouveaux entrants, comme par exemple des groupes de médias, feront leur apparition. Sept à dix chaînes commerciales pourront coexister, ainsi que 400 à 500 stations locales et régionales . Il qualifie de mineure la question du coût du simulcast. D'un montant d'environ 150 millions de francs pour la télévision analogique, le simulcast passerait de 23 à 30 millions de francs pour le numérique. Le Royaume-Uni devrait être le premier pays européen à construire un réseau hertzien numérique. En août 1995, la publication du Livre Blanc, à partir du Broadcasting Act de 1990 qui définissait le mode d'attribution et de réglementation des licences pour les chaînes commerciales (terrestre, satellite, câble), constitue la première étape de l'élaboration d'un projet de loi sur la télévision numérique hertzienne. Un groupe de travail, « Digital TV Group » , qui réunit les protagonistes de la télévision numérique terrestre en Grande-Bretagne (la BBC, BT, Channel 4, DigiMedia Vision, Eldon Technology, Eutelsat, Hitachi, Irdeto, ITV, Maxat, Motorola, NTL, Pace, Panasonic, Pearson, Philips, Pionneer, Roke Manor Research, Samsung, SGS Thomson, Snell & Wilcox, Sony, Teletext et Toshiba), est alors créé. Ce forum a pour but de coordonner les efforts de développement des équipements qui permettront de lancer des services de télévision numérique terrestre au Royaume-Uni. En décembre 1995, le Broadcasting Bill a été publié. Après débat au sein du Parlement, la loi elle-même, le Broadcasting Act, a été adoptée fin juillet 1996. De janvier à juin 1997, les fréquences seront attribuées. Entre janvier et juin 1998, le lancement de la TV numérique terrestre devrait être effectif. Le Broadcasting Act fait de la BBC le champion de ce saut technologique : avec un multiplexe pour lui seul, le service public, qui a déjà pris de l'avance en lançant ses cinq radios numériques sur Londres à l'automne 1995, va pouvoir rivaliser avec les chaînes satellites payantes. Ce Broadcasting Act propose la mise à disposition de six multiplexes (fréquences « tabous ») avec une couverture de 60 à 90 % de la population et une offre globale d'au moins 18 programmes. Les principaux acteurs seront les opérateurs de multiplexes, véritables gestionnaires de la ressource et interface entre les sociétés de programmes et les télédiffuseurs. La loi fixe une limite de deux multiplexes par opérateur. Chaque société de programmes existante devrait se voir attribuer un demi-multiplexe. La licence de multiplexe serait gratuite pour la période initiale de douze ans. Le Broadcasting Act prévoit la diffusion de la totalité des programmes analogiques en simulcast, et la possibilité de services annexes et de services à péage. La date de fermeture de l'analogique reste à définir : cinq ans après l'attribution de la première licence de multiplexe ou lorsque 50 % de foyers seront connectés. L'Independant Television commission est responsable de l'attribution des fréquences et de la réglementation des services au niveau des multiplexes et des sociétés de programmes. L'Office des Télécommunications est responsable de l'attribution des licences et de la réglementation des systèmes de contrôle d'accès. A l'heure actuelle, le Digital TV Group, ITV, BBC, Sky ont dévoilé presqu'en même temps leurs projets. Les chaînes franchisées du groupe ITV se sont mises d'accord pour lancer des services communs sur le réseau numérique terrestre. « ITV2 » sera diffusée sur le multiplexe attribué à la troisième chaîne par le Broadcasting Act. Les projets du service public ont été publiés dans un document « Extending choice in the digital âge » : dédoublement des chaînes actuelles, chaînes par abonnement, services en ligne, radio DAB, le tout pour 200 millions de livres. Le financement serait assuré par la privatisation du réseau de transmission, l'emprunt et les coupes budgétaires. L'association avec des partenaires privés est évidemment fortement envisagée, notamment par l'intermédiaire de BBC Worldwide. |
b) Les enjeux majeurs de la télévision numérique terrestre se situent dans le long terme.
S'agissant du support terrestre, trois grands enjeux peuvent être affectés par son introduction : le développement de l'économie du spectre hertzien, la pénétration des systèmes de distribution multicanaux dans les foyers, la généralisation de la société de l'information.
Un programme de numérisation de la télévision hertzienne pourrait permettre, à l'issue d'une période de transition d'une durée de quinze ans environ, une restructuration complète du spectre des fréquences et rendrait ainsi disponibles 100 à 150 Mégahertz de bande de fréquences, soit l'équivalent de deux à trois fois les attributions actuelles du radiotéléphone GSM.
Une telle ressource pourrait représenter une valeur très importante, vraisemblablement de l'ordre de 5 à 15 milliards de francs.
Un deuxième objectif serait de rechercher l'exploitation maximale des capacités nouvelles offertes par la compression numérique. Elle pourrait conduire à un accroissement significatif du nombre de programmes transmis par voie hertzienne. L'hertzien deviendrait alors, à côté du câble et du satellite, un moyen supplémentaire de desserte « multicanaux » des foyers.
Ainsi, en Grande-Bretagne, le projet mis au point par les pouvoirs publics prévoit que vingt-quatre programmes nationaux seront diffusés par la télévision numérique hertzienne. En France, le faible développement de la desserte multicanaux, qui concerne seulement 12 % des foyers, pourrait rendre attractive une telle orientation.
Enfin, toujours sur le long terme, la télévision numérique, en faisant pénétrer dans les foyers des terminaux aptes à traiter et à stocker ce type d'information, participe au mouvement général vers la société de l'information. Le décodeur numérique de la télévision payante constitue un terminal évolutif donnant une porte d'accès à la société de l'information.
Trois applications de cette technologie, correspondant à trois segments de marché, la télévision payante, la télévision gratuite et les communications nomades sont possibles.
1/ Le bouquet hertzien
Une offre de bouquet numérique hertzien peut techniquement se concevoir. En terme de capacité, elle hisserait l'hertzien au niveau du câble analogique. Dans les zones couvertes, là où existent suffisamment de fréquences, et en faisant l'hypothèse que ces ressources soient concentrées sur ces zones, de vingt à quarante programmes pourraient ainsi être distribués.
Les questions posées par un tel modèle portent sur le volume et la rentabilité du marché correspondant, la disponibilité des terminaux et, plus fondamentalement, sur l'opportunité de l'introduction d'une nouvelle concurrence sur le marché du câble.
2/ Le téléviseur du futur
Le modèle pertinent sur le segment de la télévision gratuite apparaît comme un modèle de conversion des normes ( ( * )26) , s'appuyant sur le développement d'un « téléviseur du futur », dans le cadre d'un programme concerté avec les diffuseurs.
Les programmes actuels sont dupliqués en numérique, et si une adéquation satisfaisante peut être obtenue entre le prix du téléviseur et les avantages supplémentaires qu'il procure à son utilisateur, le renouvellement du parc pourrait être effectif une quinzaine d'années après le démarrage des ventes.
Un tel modèle pose la question de la faisabilité technique et commerciale de ce téléviseur du futur et celle de la prise en charge des coûts associés à la double diffusion des programmes.
3/ L'autoroute des ondes
Le réseau numérique terrestre peut aussi être considéré comme un système de diffusion de données massif, susceptible d'offrir des services de téléchargement de logiciels et de transfert de fichiers à destination d'ordinateurs domestiques, de bureau ou de portables munis d'une interface adaptée.
Ce modèle de « l'autoroute des ondes » relève d'une démarche d'exploitation du maximum de la flexibilité du numérique, dans une logique de télécommunications et sur un support bien adapté aux trafics très dissymétriques.
Les questions posées par ce modèle portent sur deux points principaux : la rentabilité d'un tel investissement et le développement d'interfaces appropriées.
La combinaison de ces modèles débouche, dans différents pays, sur la construction de scénarios opérationnels.
L'enjeu de remembrement du spectre hertzien n'est bien servi que par le modèle « téléviseur du futur ». Les deux autres modèles aggravent plutôt la situation en densifiant encore l'usage de ces bandes de fréquences.
L'enjeu du développement multicanaux est partiellement et directement atteint par le modèle « bouquet hertzien », mais il resterait à en évaluer l'ampleur réelle.
En France, la sélection d'un scénario suppose au préalable le règlement de la question de la concurrence avec le câble. En effet, le modèle « bouquet hertzien » ne peut se concevoir pleinement que dans le cadre d'une commercialisation large, c'est-à-dire également dans les villes, y compris dans celles qui sont déjà câblées, car il existe là aussi des antennes de réception hertzienne utilisable.
Or il serait illogique, au moment où les pouvoirs publics s'apprêtent à autoriser les opérateurs du câble à trouver des ressources supplémentaires sur le marché des télécommunications de les priver d'une partie des ressources de leur marché de base, au demeurant fort peu mature. En outre, le câble devra déjà contenir l'extension de la diffusion numérique par satellite qui peut créer une dynamique forte au cours des prochaines années. Il paraît donc sage aujourd'hui de ne pas envisager l'exploitation, en France, de bouquets numériques hertziens en UHF.
Le cadre législatif actuel étant inadapté au numérique hertzien, il devrait être remanié, en fonction du scénario retenu.
Basé sur une correspondance univoque entre fréquence, réseau et programme, le cadre législatif mis en place en 1986, est remis en cause sur bien des points par la technologie numérique.
Les enjeux concernent à la fois les règles relatives aux produits et aux contenus, la disparition de la spécialisation des supports, les frontières entre domaines d'activité, les mécanismes d'attribution des fréquences, les dispositifs anticoncentration, l'application du droit de la concurrence.
Certaines de ces questions ne sont pas propres au terrestre et devront de toute façon trouver des solutions pour le numérique par satellite. Il n'en demeure pas moins que le numérique terrestre pose des problèmes particuliers, notamment parce que l'attribution des fréquences y revêt une grande importance.
La variété des usages possibles de la télévision numérique a pour conséquence qu'il n'existe pas une solution unique pour définir le cadre de son éventuelle introduction. Pour poursuivre les réflexions dans ce domaine, il est au préalable indispensable de sélectionner un scénario adapté au cas français.
Après avoir écarté le modèle du bouquet, le seul itinéraire qui s'ouvre pour la télévision numérique terrestre en France consiste en une combinaison, à titre principal du modèle « téléviseur du futur » et à titre secondaire du modèle « l'autoroute des ondes ». C'est un scénario de conversion des normes, de « refondation » hertzienne, s'appuyant sur un nouveau téléviseur muni par exemple du format 16/9, et offrant de nouveaux services complémentaires.
Sa faisabilité reste à démontrer et sa mise en oeuvre nécessiterait le concours de tous les acteurs concernés.
En cas de conclusion négative sur sa faisabilité, ou d'impossibilité d'obtenir des acteurs économiques un engagement à l'étudier, il serait toujours possible d'adopter une politique d'adaptation des réseaux analogiques, qui, sans atteindre tous les objectifs assignés à la numérisation, serait susceptible de parvenir à une amélioration partielle sur un certain nombre de points.
Ce scénario de « redéploiement » s'appuierait sur une politique d'utilisation plus intensive de la diffusion par satellite pour assurer la couverture du territoire. Il réduirait les coûts de diffusion, décongestionnerait le spectre des fréquences et doterait malgré tout la télévision hertzienne de certaines des possibilités du numérique, tels que l'interactivité ou le guide des programmes. Il n'équivaudrait pas obligatoirement à un renoncement définitif en matière de numérisation de l'hertzien. En effet, il n'est pas improbable que, dans l'avenir, de nouveaux développements techniques améliorent encore les performances de ces systèmes et la question pourrait se poser de nouveau d'ici cinq à dix ans.
Un programme d'études concernant les réseaux, le téléviseur et le cadre, devrait être mené à bien d'ici 1998.
• S'agissant des réseaux (qualification de la
norme, expérimentations et planification des fréquences), il
serait utile que les pouvoirs publics désignent un organe de pilotage et
de coordination de ces études, afin de garantir leur bonne fin dans un
délai de dix-huit à vingt-quatre mois.
Cette mission, à caractère technique, prospectif et interministériel, entre tout à fait dans les compétences de la future agence des fréquences qui doit être créée dans le cadre de la loi de réglementation des télécommunications. Un groupe interministériel léger, destiné à être intégré dans l'agence, pourrait prendre en charge ces tâches dans l'immédiat. Les modalités de participation du CSA à ces travaux devraient être définies avec lui.
• Les travaux concernant la conception du futur
téléviseur numérique sont bien évidemment du
ressort du secteur industriel. Il serait souhaitable que le ministère de
l'industrie prenne l'initiative de demander aux industriels de participer
à la création d'un groupe de travail chargé d'examiner la
faisabilité d'un tel produit.
• Enfin, il conviendrait que soit entreprise une
étude approfondie des répercussions juridiques de chacun des deux
scénarios. En effet, les enseignements tirés des diverses
expérimentations menées dans le cadre des autoroutes de
l'information devraient être disponibles dans le même laps de temps
et il serait judicieux que la réflexion nécessaire à la
mise en place d'un cadre définitif intervienne en parallèle.
Il s'agit naturellement d'une mission qui entre dans les compétences habituelles du SJTIC, mais pour laquelle une formule de travail ad hoc pourrait aussi convenir.
Le bon achèvement de cette phase nécessite l'adhésion de tous les acteurs concernés par les trois volets du programme, et en particulier une participation active des industriels de l'électronique grand public. Une concertation préalable à toute décision de lancement devrait permettre de vérifier l'acceptabilité de cette démarche.
Une fois ces études de faisabilité achevées, vers le début de 1998, il appartiendra aux pouvoirs publics, en fonction de leurs résultats de choisir entre les trois options suivantes :
• lancer un programme de conversion au
numérique de la télévision hertzienne, ce qui impliquera
certainement le vote d'une loi spécifique pour en définir les
modalités juridiques et économiques ;
• mettre en place un plan de modernisation des
réseaux analogiques actuels et autoriser, le cas échéant,
l'exploitation des fréquences numériques disponibles, en fonction
de la demande du marché soit pour des besoins audiovisuels, soit pour
des besoins de télécommunications ;
• mettre en place un plan de modernisation des
réseaux analogiques actuels et geler les ressources numériques
hertziennes pour conserver la possibilité de numériser
l'hertzien, dans l'avenir, en fonction des évolutions technologiques
attendues sur le long terme.
Bien évidemment ces choix devront être précédés d'une information et d'un débat le plus large possible avec les différents acteurs publics et privés concernés par le dossier. Une instance informelle, sur le modèle du projet DVB, mais au niveau national, permettant le dialogue et l'échange d'informations entre les représentants des opérateurs publics et privés du secteur, de l'administration et des autorités de régulation indépendantes, pourrait utilement concourir à cette action.
* (21) Décision du Conseil constitutionnel du 18 septembre 1986.
* (22) Décision du Conseil constitutionnel du 21 janvier 1994 : la convention doit fixer des règles applicables au service "en prenant en compte les exigences de l'égalité de traitement entre les différents services et les conditions de concurrence propres à chacun d'eux".
* (23) Il s'agit de la société British Sky Broadcasting, dont l'actionnaire principal est News international, entreprise du groupe Murdoch, qui compte désormais près de 5 millions d'abonnés à ses services analogiques par satellite sur le sol britannique.
* (24) La mise en oeuvre de la télévision haute définition serait en effet très coûteuse, aussi bien en diffusion puisqu'un émetteur spécial est requis, qu'en production car les matériels de studio devraient être complètement renouvelés pour fabriquer des programmes dans ce format.