B. LA CINQUIÈME
1. Des analyses confirmées et entendues
a) La ligne éditoriale
L'an dernier, votre rapporteur s'était inquiété des « dérives » de la chaîne par rapport aux intentions initiales de la mission d'information du Sénat sur la télévision éducative. Il avait particulièrement insisté sur le « dérapage », lors de la rédaction du cahier des charges du 20 janvier 1995.
Certains, à l'époque, s'étaient étonnés de ces critiques. Force est de constater qu'elles ont été rejointes, voire dépassées par l'analyse que la mission d'audit a effectuée de la ligne éditoriale de la chaîne .
Rapport du 21/11/1995 |
Rapport de la mission d'audit du 31/07/1996 |
Le cahier des charges assigne un grand nombre de missions à la chaîne. Cette diversité et cette polyvalence portent en elles de grands risques. Le « dérapage » a bien eu lieu lors de la rédaction de ce cahier des charges beaucoup trop souple et trop ambitieux .
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Le cahier des charges est trop ambitieux. Le nombre des missions assignées à la chaîne est excessif, ce qui oblige la programmation à multiplier les thèmes traités sans qu'une ligne éditoriale lisible ne se dégage . La chaîne est tenue d'articuler ses programmes autour des objectifs suivants : (...) Soit ; et puis quoi encore ? Pourquoi pas, au-delà de la paix civile en Europe, réaliser la paix dans le monde ? |
La Cinquième poursuit plusieurs objectifs à la fois. Elle en poursuit, sans doute, beaucoup trop. À force de cumuler les thèmes, de chaîne thématique, elle est bel et bien devenue une chaîne multithématique . |
(...) La question de conserver ni même de confirmer une identité neuve : celle - ci n'existe pas (...) Cette chaîne fut vouée, lors de sa création, au « savoir, à la formation et à l'emploi ». Or, à aucun moment elle ne s'est située de façon univoque sur cette ligne dont le slogan fondateur était sans doute impossible à décliner dans les conditions assignées. Dès le début et mois après mois, La Cinquième s'est engagée sur une autre voie, au demeurant ambiguë, comme l'est par conséquence, à tout le moins et à ce jour, son image . |
b) L'ouverture de la troisième fenêtre
Sur ce point encore, votre rapporteur avait, l'an dernier, noté le retard pris pour l'ouverture de cette troisième fenêtre, alors que celle-ci devait constituer l'élément majeur de l'originalité de la chaîne, comme l'avaient souligné nos collègues Pierre Laffitte et René Trégouët.
Votre rapporteur souligne donc l'étape importante que constitue la création de la Banque de Programmes et de Services interactive, qui permet de télécharger sur un micro-ordinateur, grâce à une fiche magnétique et à un code d'accès personnel, les émissions de la chaîne, par l'intermédiaire d'Internet.
Avec la BPS, l'utilisateur ne dépend plus de la diffusion à des horaires stricts. Il peut choisir et créer sa propre banque d'émissions qu'il peut consulter, à son gré, sur son micro-ordinateur, avec une qualité d'image très satisfaisante, grâce au numérique, et avec une puissance de stockage très supérieure à celle d'un magnétoscope classique. S'y ajoutent diverses fonctions, comme la sélection, le montage d'images...
Le mariage entre la télévision et le micro-ordinateur permet de « casser » le flux télévisuel et va permettre aux enseignants d'utiliser La Cinquième comme un instrument d'enseignement, adapté aux horaires du monde éducatif. Le temps télévisuel impose, en effet, son rythme, qui n'est pas celui de l'enseignant.
La facturation de ces émissions pose cependant un double problème. Celui du coût pour les écoles , et celui de la rémunération du droit d'auteur . Ce dernier problème est d'autant plus épineux à résoudre qu'une fois le programme téléchargé, il peut être copié autant de fois qu'on le désire. Il semble donc indispensable, faute de l'intervention du législateur, que l'éducation nationale négocie des prix forfaitaires de consultation et d'exploitation avec les organisations de gestion collective des droits.
L'an dernier, votre rapporteur avait rappelé que les sociétés de gestion des droits d'auteur auraient dû, selon la loi du 1er février 1994, passer avec l'Éducation nationale des « conventions prévoyant les conditions dans lesquelles les établissements d'enseignement et de formation (...) sont autorisés à réaliser et à utiliser à des fins pédagogiques des copies des programmes diffusés » par La Cinquième, ce qui n'a toujours pas été fait, alors qu'il avait attiré l'attention - par courrier du 17 février 1995 - des services du ministre de l'Éducation nationale.
En l'état actuel de la législation, les enseignants qui rediffusent dans leurs classes des programmes de La Cinquième, qu'ils ont enregistrés sur vidéocassette, ou qu'ils ont copiés sur la BPS, peuvent commettre une double infraction .
L'article L. 215-1 du code de la propriété intellectuelle soumet tout d'abord la mise à la disposition du public, ou la communication au public, d'un vidéogramme à l'autorisation de son producteur. L'article L. 216-1 du même code soumet ensuite à autorisation des entreprises de communication audiovisuelle la reproduction de leurs programmes, ainsi que la mise à disposition du public et la communication au public dans un lieu accessible à celui-ci moyennant paiement d'un droit d'entrée.
Toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public à titre onéreux ou gratuit ou toute télédiffusion d'une prestation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme réalisées sans l'autorisation, lorsqu'elle est exigée, de l'artiste-interprète, du producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes ou de l'entreprise de communication audiovisuelle, sont punies d'une peine d'emprisonnement de deux ans et de 1 million de francs d'amende .
S'agissant enfin de la première fenêtre, qui devrait conduire les autres diffuseurs du secteur public à collaborer avec la nouvelle chaîne, y compris par la fourniture et la reprise de programmes, on doit constater qu'elle se limite à la diffusion de bandes annonces. En outre, la publicité effectuée, dans les autres supports, comme la presse, en faveur de La Cinquième doit promouvoir les programmes de la chaîne et non ses producteurs . Votre rapporteur s'étonne d'une politique d'auto-promotion très personnelle d'un animateur d'une des émissions de La Cinquième, dont le contenu est, au demeurant, assez éloigné du titre, et qui s'apparente à une pâle imitation de 7/7.
2. Le budget 1995
a) Les ressources
Les produits de l'exercice 1995 s'élèvent à 1 117,2 millions de francs, les charges à 1 076 millions de francs et le résultat, positif, à 41,3 millions de francs. Le résultat d'exploitation est positif, 34,4 millions de francs.
La Cinquième aura perçu, au titre de l'exercice 1995, 298,5 millions de francs de redevance d'exploitation et 326,6 millions de francs de crédits budgétaires.
À ces deux postes, il convient d'ajouter une reprise de la subvention d'investissement à concurrence de 45,6 millions de francs, correspondant au financement des immobilisations corporelles et incorporelles, dont les parts producteur.
b) Les dépenses
Les charges d'exploitation hors dotations aux amortissements des programmes. se sont élevées en 1995 à 677,5 millions de francs.
En 1995, le budget affecté au financement des programmes diffusés s'est élevé à 473,5 millions de francs, soit 60 % des recettes totales de la chaîne. Ce chiffre élevé s'explique par les choix de départ qui ont présidé à la création de la chaîne, dont l'approvisionnement en programmes s'appuie sur la sous-traitance et dont les moyens de production internes sont en conséquence quasi inexistants.
Ce budget a permis de financer 4 840 heures de diffusion hertzienne et 261 heures de diffusion sur le câble.
Il n'a été cependant que partiellement consommé, à hauteur de 372 millions de francs : la pression exercée par la chaîne pour maintenir à un niveau bas ses coûts d'approvisionnement, l'importance du taux de multidiffusion des programmes - 53 % - qui correspond à une volonté éditoriale, la montée en charge progressive de la grille avec la mise en place en cours d'année d'émissions nouvelles, ainsi que la prudence des responsables de la chaîne qui ont attendu, avant d'acquérir des programmes onéreux, de mieux analyser les attentes des téléspectateurs, ont concouru à faire de l'année 1995 une année de mise en place. Ces ajustements progressifs ont donc joué sur le coût de la grille dont le budget avait été calculé en année pleine.
c) Les modifications de ressources lors de l'exécution du budget
Contrairement aux autres chaînes du secteur public de l'audiovisuel, une grande partie des recettes publiques de la chaîne (50 %) provient directement du budget de l'État, et plus précisément du chapitre 46-01 du budget (remboursement des exonérations de redevance). La redevance ne représente donc, dans le budget initial de la chaîne, que 43 % des recettes totales.
Cette répartition a cependant été modifiée en cours d'année.
Le budget 1995 de La Cinquième avait été initialement arrêté en loi de finances à 755 millions de francs. Un gel de crédits de 32,6 millions de francs, intervenu au mois de décembre 1995, a finalement ramené de 700 millions de francs à 667,4 millions de francs les ressources publiques versées à la chaîne, soit une diminution de 4,6 %.
Cette annulation de crédits s'est opérée par une annulation de la subvention d'investissement et par le versement à la société d'une redevance d'investissement de 42,5 millions de francs.
La transformation de la subvention d'investissement en recette d'exploitation a, en 1995, profondément affecté la structure du budget de la chaîne en raison des charges liées aux programmes : la modification comptable a eu pour effet d'augmenter le résultat comptable (de 40 millions de francs) et de conduire la chaîne à payer l'impôt sur les sociétés .
Le montant d'impôts et taxes inscrit au budget ne prévoyait pas le paiement de 25,4 millions de francs d'impôt sur les sociétés, auxquels il faut de plus ajouter une provision pour pénalités de retard de 2,5 millions de francs. La structure des recettes initiales de la chaîne comprenait en effet une subvention d'investissement de 75,1 millions de francs qui a finalement été ramenée à 42,5 millions de francs par la loi de finances rectificative.
Cette modification a eu deux autres conséquences .
• Le budget réservé au versement de
la taxe alimentant le Compte de soutien à l'industrie des
programmes
était de 17,8 millions de francs ; les
versements effectifs se sont élevés à 19 millions de
francs. En effet, la redevance d'exploitation versée à la
société est passée de 324,5 millions de francs à
341 millions de francs, soit une augmentation de 16,5 millions de francs, ce
qui se traduit par une augmentation de 0,9 million de francs de cette taxe. Le
solde de 0,3 million de francs s'explique par la présentation
budgétaire qui retient les produits publicitaires pour leur montant net
de Cosip.
• Les versements aux
sociétés
d'auteurs
se sont élevés à 23,2 millions de francs
alors que le budget prévu était de 15,7 millions de francs.
En effet, le budget avait été estimé alors que les négociations avec les sociétés d'auteurs n'avaient pas commencé. La logique de détermination de l'assiette en vigueur dans les autres sociétés avait conduit à exclure de cette base les crédits budgétaires versés sur le chapitre des remboursements d'exonération de redevance. Ce raisonnement n'a cependant pas prévalu lors de la négociation, pour des raisons tenant à l'importance de ces crédits dans le budget de la chaîne et à l'incertitude présidant chaque année à la répartition des ressources publiques entre redevance et crédits budgétaires. Ces derniers ont donc été finalement en majeure partie intégrés dans assiette de calcul. De plus, en 1995, le montant dû a fait, en application des clauses contractuelles, l'objet d'un abattement pour « montée en charge des programmes ». Ce surcoût de 7,5 millions de francs a été financé sans ressources nouvelles.
3. Les résultats de La Cinquième Développement
Le 5 décembre 1995, le conseil d'administration de La Cinquième a adopté le principe de la création d'une filiale à 100 %.
La Cinquième Développement a pour mission de développer un univers de produits et de services en prolongement des programmes, conformément à la mission éducative de La Cinquième.
Ses activités sont l'édition, coédition, codiffusion et labellisation de produits d'édition papier, audio, vidéo, de programmes et de services en ligne (Minitel et Internet). Le chiffre d'affaires de la société est de 1,13 million de francs en trois mois.
La société est créée depuis le 1er juillet 1996. Le résultat net comptable sur les trois premiers mois révèle un résultat déficitaire de 230 000 francs au lieu de 800 000 francs prévus budgétairement.
Les perspectives de résultat sur la fin d'année sont un chiffre d'affaires de 4 millions et une perte ramenée à 500 000 francs au lieu des 950 000 francs prévus. Cette amélioration s'explique en grande partie grâce aux bons résultats de la télématique, ainsi qu'à l'édition électronique.
Le secteur de la vidéo s'équilibre mais continuera à être développé avec prudence dans un segment du marché très limité et très concurrencé, dont la rentabilité est à moyen terme. À ce jour, le recul n'est pas suffisant pour juger des performances d'une politique d'exploitation sélective des droits dérivés vidéo.
4. La politique de communication de La Cinquième
• L'association créée par la
chaîne,
La Cinquième
-
l'association
, propose actuellement dans 27 départements un
ensemble de produits et de services pour aider les
téléspectateurs à compléter leurs connaissances
acquises à l'antenne et prolonger le lien social dans les
régions, les villes et les quartiers.
Elle comptait, le 20 septembre 1996, plus de 7 600 adhérents et ce nombre devrait être porté à environ 10 000 avant la fin de l'année.
Eu égard à l'échelonnement des adhésions et aux frais de lancement de l'association, les charges 1996 qui s'élèveront à 5,3 millions seront couvertes cette année à hauteur de 30 % seulement par les cotisations (1,6 million) et 70 % par La Cinquième, mais cette proportion devrait être inversée en 1997.
• Par ailleurs, le
mensuel des programmes de
La Cinquième
compte aujourd'hui 8 300 abonnés (3 800 en
direct et 4 500 via l'association).
Ce résultat a été obtenu en moins d'un an et le seuil d'équilibre est aujourd'hui estimé à environ 15 000 abonnés.
5. La politique publicitaire de La Cinquième
•
Des résultats plus faibles
qu'attendus
En 1995, le chiffre d'affaires réalisé a été de 13,2 millions de francs. En 1996, par une politique commerciale volontariste, la chaîne a un objectif de chiffre d'affaires de 26 millions de francs qui devrait être tenu. Le taux de croissance du chiffre d'affaires d'une année sur l'autre est donc de 97 %.
Le nombre de marques présentes à l'antenne de janvier à septembre 1995 était de 114, sur cette même période en 1996, il est de 209, soit un taux de progression de 83 %.
Le démarrage de la commercialisation des espaces de La Cinquième s'est fait plus tardivement que prévu : en effet, le refus des annonceurs d'investir sur les écrans de la chaîne tant que ses scores d'audience ne seraient pas publiés par Médiamétrie s'est traduit par un début d'activité en juin, soit un décalage de 5 mois par rapport aux prévisions élaborées lors de la préparation du budget. Au total, 6,9 millions de francs seulement ont été collectés sur le marché publicitaire, contre 25 millions de francs initialement prévus. Les recettes issues du parrainage (2,7 millions de francs) sont relativement décevantes au regard des ambitions initiales, mais s'expliquent par le manque de notoriété de la chaîne.
Pour 1997, si la progression de l'audience reste celle qu'elle a connue en 1996, une augmentation de 20 à 25 % des recettes publicitaires est étendue.
•
Le choix de la
régie
La Cinquième a choisi la régie IP.
La Cinquième, du fait de sa diffusion diurne, induit un chiffre d'affaires nettement moins important qu'une chaîne qui émettrait également en soirée. Les taux de régie (15 % en 1995, 22 % en 1996) n'ont procuré qu'un revenu de régie de 2 millions de francs pour 1995 et 5 millions de francs pour 1996 (le chiffre d'affaires publicitaire ayant progressé de 97 %).
Ce taux élevé de commission s'explique aisément. Le chiffre d'affaires de France 2 est de 2,6 milliards de francs, celui de France 3 est de 1,4 milliard de francs. France Espace peut donc proposer des taux de régie faibles (de 4 à 7 %) qui s'élèvent cependant, en valeur absolue, à environ 200 millions de francs.
Par ailleurs, La Cinquième est une chaîne d'affinité thématique qui requiert une commercialisation qualitative très différente de celle pratiquée sur les chaînes nationales qui jouent la puissance. À ce titre, la part relative des recettes du partenariat est deux fois plus élevée sur La Cinquième que sur les autres chaînes (12 % versus 6 %).
La commercialisation des espaces publicitaires s'apparente davantage à celle de la presse magazine qu'à celle des chaînes puissantes et généralistes. Ils sont plus diversifiés, les secteurs d'activités sont répartis différemment. En effet, les secteurs des services et des transports dominent par rapport aux secteurs alimentation et toilette-beauté, qui sont prédominants sur les télévisions généralistes.
La chaîne, en phase de lancement et dotée de missions spécifiques, a dû affirmer son identité par un travail de prospection sur le marché publicitaire interdisant toute forme de « commercialisation groupée » avec d'autres chaînes.
La régie IP, sans autre contrat avec un diffuseur en France, mais disposant d'un savoir faire avec RTL 9, a investi en temps et en personnel (4 commerciaux, 3 personnes au marketing et un service partenariat) sur une chaîne en démarrage, alors que France Espace n'était pas candidate pour prendre La Cinquième en régie, en 1994, en raison des surcoûts élevés que cela aurait fait peser sur ses structures .