C. DES MOTIVATIONS CONTESTABLES
Deux arguments ont conduit le Gouvernement à
privilégier l'alourdissement de la taxation des entreprises :
- l'impôt sur les sociétés représente en France une
part plus faible des recettes fiscales compte tenu de l'étroitesse de
son assiette
6(
*
)
; ainsi, la
France se situe au troisième rang des pays dont le rendement de
l'imposition sur les sociétés est le plus faible (1,6 % du
PIB), loin derrière le Japon (4 %), l'Italie (3,7 %) ou les
Etats-Unis (2,5 %).
- les entreprises connaissent une bonne santé financière comme en
témoignent notamment leur taux d'autofinancement qui est passé de
94 % en 1990 à 123 % en 1996, le retour à des taux de
marge équivalents à ceux des années 1960, ou l'existence
d'un écart de 134 milliards de francs entre l'effort
d'équipement et l'excédent d'épargne des entreprises.
Aucun de ces arguments n'emporte vraiment la conviction.
En effet, s'agissant du poids de l'impôt sur les sociétés,
le taux facial d'imposition n'a aucune signification détaché de
l'assiette d'imposition. Or cette assiette varie d'un pays à un autre.
Ainsi, s'il est vrai que l'impôt sur les sociétés
pèse assez peu dans le PIB par rapport à nos principaux
concurrents, c'est qu'
a
contrario
les
autres charges assises
sur les entreprises
et qui sont déductibles de leurs
résultats (charges sociales certes, mais aussi taxe
professionnelle
7(
*
)
)
obèrent leur compétitivité. Les comparaisons
internationales sont délicates à établir ( notamment
en raison des modes de financement variables de la protection sociale), mais
les éléments disponibles illustrent assez bien cet écart.
Ainsi, la direction des études économiques du Crédit
commercial de France chiffre à 19,5 % du PIB le poids des
prélèvements obligatoires sur les entreprises en 1996, contre
14 % en Allemagne, 10,9 % au Royaume-Uni et 9,6 % aux Pays-Bas.
De même, le CNPF avait estimé en 1994 sur la base des statistiques
de l'OCDE que les prélèvements obligatoires pesant sur les
entreprises atteignaient 17,69 % du PIB (dont près de 12 %
pour les cotisations sociales employeurs) contre 11,32 % pour l'Allemagne,
9,87 % pour le Royaume-Uni et 8,96 % pour les Etats-Unis.
Le tableau suivant offre une comparaison internationale de la pression
fiscale :
Tableau comparatif de la pression fiscale et sociale
Source : Le Monde - Mercredi 13 août 1997
Alle-magne |
Belgi-
|
Espa-
|
France |
Irlande |
Italie |
Luxem-bourg |
Pays-Bas |
Royau-me-Uni |
Suède |
Suisse |
Etats-Unis |
||||
Impôts sur
|
30 % ou
45 %
|
40,17 % |
35 %
|
36,67 %
|
36 % |
53,2 % |
39,34 %
(1998 :
|
35 % |
31 %
|
28 % |
de 15 %
|
35 %
|
|||
Cotisations sociales (employeur) |
7,5 % et
|
40 % |
30,8 % |
40 % |
12 % |
env. 43 % |
21,1 % |
11,65 % |
10,2 % |
33,06 % |
6,35 % |
7,65 % |
|||
Cotisations sociales (employé) |
7,5 % et 13,4 % (4) |
13,07 % |
6,4 % |
20 % |
14,35 % |
9,89 % |
18,5 % |
12,4 % |
10 % |
0 % |
6,35 % |
7,65% |
|||
Impôt sur
|
|
53 % |
55 % |
56 % |
54 %
|
48 % |
51 % |
50 % |
60 % |
40 % |
56 % |
11,50 % (6) |
39,6 % |
||
|
33,5 % |
25 % |
20 % |
10,5 % (5) |
27 % |
10 % |
10 % |
37,5 % |
20 % |
31 % |
0,77 % (6) |
15 % |
|||
Plus-values mobilières (particuliers) |
0 %
|
0 %
|
Barème IR
|
20,9 % |
40 % |
Barème IR ou
|
0 %
|
0 %
|
Barème IR |
Barème IR |
0 %
|
28 % |
|||
(1) 30 % pour les bénéfices
distribués ; 45 % pour le non-distribué ;
|
(7) 0 % si la participation est détenue
depuis plus de six mois.
|
En second lieu, l'excédent d'épargne des
entreprises sur leur effort d'équipement démontre essentiellement
l'insuffisance de ce dernier. Les entreprises se désendettent et
constituent parallèlement un portefeuille de titres dans un contexte de
taux d'intérêt réels très élevés
depuis le début des années 80. De plus, la part des profits dans
la valeur ajoutée (taux de marge) s'est légèrement
effritée depuis 1989. La profitabilité des investissements est
donc directement concurrencée par les placements sur les marchés
financiers.
Le Gouvernement argue qu'après imputation sur leur épargne des
21 milliards de francs d'impôts supplémentaires
institués par le présent projet de loi, les entreprises
disposeront toujours d'un excédent d'épargne de
113 milliards de francs. Cet argument repose sur un raisonnement
économique discutable. La bonne santé financière des
entreprises n'est en effet pas un déterminant de l'investissement
contrairement aux anticipations de la demande, au niveau des taux
d'intérêt ou aux perspectives de profit. En revanche, le poids des
prélèvements obligatoires dégrade le taux de rendement
interne de ces investissements.
Au demeurant, le taux de progression des taux de marge ou des taux
d'autofinancement sur les dix dernières années n'est pas
pertinent si on ne le place pas en perspective. Il importe, en effet, de
comparer les moyens dont dispose la France dans un contexte de
compétition économique mondiale. Or, avec 7 % de retour sur
fonds propres (résultats nets sur capitaux propres), les entreprises
françaises affichent un niveau de rentabilité inférieur de
moitié à celui des entreprises américaines, qui a atteint
15 % en 1994.
Enfin, la bonne santé financière des entreprises doit être
nuancée au regard de la dégradation globale de leurs
résultats d'exploitation en 1996, comparables aux résultats
enregistrés en 1990, année du retournement du cycle
économique. Elle s'explique par la quasi-stagnation de la valeur
ajoutée des entreprises non financières, qui s'est accrue de
0,5 % seulement, alors que le PIB progressait de 1,5 %, et surtout
par le laminage des marges dû à l'accentuation de la concurrence.