EXAMEN DES ARTICLES
ARTICLE PREMIER
Contribution temporaire sur
l'impôt sur les sociétés pour les entreprises
réalisant au moins 50 millions de francs de chiffre d'affaires
Commentaire : Le présent article prévoit
d'instituer, pour les exercices clos à compter du 1
er
janvier
1997, une contribution temporaire sur l'impôt sur les
sociétés, pour les sociétés qui réalisent au
moins 50 millions de francs de chiffre d'affaires, fixée à
15 % en 1997 et en 1998 et à 10 % en 1999.
Cette contribution temporaire, qui s'ajouterait à l'actuelle
contribution de 10 %
8(
*
)
,
aurait pour conséquence de porter, à titre provisoire, le taux
effectif de l'impôt sur les sociétés de 36,66 %
à 41,66 % pendant deux ans (39,99 % en 1999) et le taux
réduit d'imposition des plus-values à long terme de 20,9 %
à 23,75 % (22,8 % en 1999).
Cette réforme devrait avoir pour effet de créer
trois taux
d'imposition différents pour les entreprises
: les petites
entreprises qui réalisent moins de 50 millions de francs de chiffre
d'affaires continueront à bénéficier du taux de
19 % (soit
20,9 %
si l'on ajoute la contribution de
10 %) si elles réinvestissent leurs bénéfices
à hauteur de 200.000 francs, conformément au " plan PME pour
la France "
9(
*
)
;
les
autres PME resteront imposées au taux de
36,2/3 %
; les
entreprises réalisant plus de 50 millions de francs de chiffre
d'affaires verront quant à elles leurs bénéfices
taxés au taux de
41,2/3 %
.
I. ECONOMIE DU DISPOSITIF
La surtaxe de 15 % sur l'impôt sur les sociétés est
calquée sur la contribution exceptionnelle de 10 % assise sur
l'impôt sur les sociétés prévue par l'article 235
ter
ZA du code général des impôts.
L'article 235
ter
ZB inséré dans le code
précité par le présent article renvoie en effet
explicitement, dans son premier alinéa, aux conditions prévues
aux II à V de l'article 235 ter ZA. Cette surtaxe s'en distingue
néanmoins sur deux points :
- son caractère
temporaire
est mieux affirmé ;
- son
champ d'application
est plus
restreint
.
1. Durée d'application
A la différence de l'article premier de la loi de finances rectificative
d'août 1995 qui ne fixait pas de date butoir pour l'application de la
contribution de 10 %, le présent article limite dans le temps
l'application de la surtaxe en précisant que cette fraction de 15 %
de l'impôt sur les sociétés sera réduite à
10 % pour 1999 (soit un taux d'IS de 40 %).
Néanmoins, bien que le dispositif de la surtaxe de 10 % ne
fût pas borné dans le temps, le secrétaire d'Etat au budget
avait, à la demande de votre rapporteur général,
réitéré en séance publique l'engagement du
Gouvernement de proposer au Parlement la suppression ou l'atténuation de
cette charge conjoncturelle dès que le redressement des finances
publiques le permettrait. Il avait émis le souhait de voir
disparaître la surtaxe dès 1998.
Votre rapporteur général avait en particulier soulevé le
problème que posait l'absence de terme de la contribution de 10 %
aux entreprises françaises de taille internationale qui sont soumises
aux normes comptables américaines ou qui présentent des comptes
consolidés. En effet, ces entreprises sont contraintes de provisionner
la charge que représente une taxation supplémentaire pour toute
la durée de son application, ce qui entraîne une
dégradation de leurs résultats purement artificielle dans le cas
d'une contribution temporaire.
2. Champ d'application
La contribution exceptionnelle concerne les seules personnes morales
assujetties, de plein droit ou sur option, à l'impôt sur les
sociétés dans les conditions de droit commun.
Concrètement, il s'agit des sociétés ou autres organismes
dont les résultats courants sont imposés au taux de
33,1/ 3 %. A contrario, les personnes morales
bénéficiant d'un régime spécifique, telles les
collectivités sans but lucratif, ou celles qui sont
exonérées totalement d'impôt sur les sociétés
ne sont pas dans le champ d'application.
Pour le calcul de la contribution de 15 % comme pour celui de la
contribution de 10 %, il est proposé de faire abstraction des
régimes dérogatoires du bénéfice mondial ou du
bénéfice consolidé, afin d'éviter les perturbations
liées à la prise en compte de résultats
réalisés hors de France. Chaque entreprise française,
mère ou filiale concernée, devra donc acquitter
séparément sa contribution, celle-ci étant assise sur un
résultat déterminé dans les conditions de droit commun.
Par ailleurs, alors que la contribution exceptionnelle de 10 %
était d'application générale, le présent article
prévoit d'exonérer de la surtaxe de 15 % les petites
entreprises
10(
*
)
.
S'inspirant du dispositif de taxation réduite institué par la loi
de finances pour 1997 en faveur des petites entreprises qui incorporent une
partie de leurs bénéfices à leur capital
11(
*
)
, le Gouvernement a repris, pour
qualifier les petites entreprises, deux des conditions prévues par la
recommandation de la Commission européenne du 3 avril 1996 concernant la
définition des petites entreprises. Il s'agit des entreprises :
- dont le chiffre d'affaires n'excède pas 50 millions de francs de
chiffre d'affaires ;
- et qui respectent le critère d'indépendance mesuré
à l'aune de la propriété du capital : sont ainsi
considérées comme indépendantes les entreprises
détenues à plus de 75 % par des personnes physiques.
Pour l'application de cette dernière condition, la Commission
européenne considère les sociétés publiques de
participation, les sociétés de capital-risque ou les
investisseurs institutionnels comme des personnes physiques à la
condition qu'ils n'exercent, à titre individuel ou conjointement, aucun
contrôle sur l'entreprise.
Soucieux de renforcer les fonds propres des entreprises innovantes, le
Gouvernement a tenu compte de l'exception autorisée par la Commission en
prévoyant explicitement que les sociétés de
capital-risque, les sociétés de développement
régional et les sociétés financières d'innovation
seront assimilées à des personnes physiques. Le présent
article ayant omis dans cette énumération les fonds communs de
placement à risque, l'Assemblée nationale a réparé
cet oubli.
En outre, alors que le présent article renvoyait le lecteur au f du I de
l'article 219 du code général des impôts
12(
*
)
- c'est-à-dire au dispositif du
taux réduit de taxation pour les PME - pour retrouver les conditions
d'exonération, les députés ont
préféré, pour des raisons de lisibilité, rappeler
ces conditions dans le corps du texte du présent article.
Les députés ont également précisé les
conditions d'appréciation du seuil de 50 millions de francs de
chiffre d'affaires.
Enfin, alors que dans sa rédaction initiale le présent article
prévoyait que l'exonération ne concernait pas les
sociétés mères d'un groupe fiscalement
intégré, l'Assemblée nationale a
réintégré ces sociétés dans le
périmètre de l'exonération à condition que la somme
des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce
groupe n'excède pas 50 millions de francs.
Au total, le Gouvernement chiffre à 19.165 le nombre d'entreprises
visées par la mesure, soit 2,8 % du total des entreprises
assujetties à l'impôt sur les sociétés et 5,7 %
du total des entreprises acquittant effectivement l'IS.
La répartition des entreprises en fonction du secteur d'activité
dans lequel elles exercent est la suivante :
Secteur d'activité |
Entreprise dont CA 50 millions de francs |
Total d'entreprises du secteur |
% |
Agriculture, sylviculture,
pêche
|
130
|
6.650
|
1,95
|
TOTAL |
25.050 |
650.000 |
3,85 |
Source : Secrétariat d'Etat aux PME, au commerce et à l'artisanat.
3. Assiette et taux
La contribution est assise sur la totalité de la cotisation brute
d'impôt sur les sociétés à raison de ses
différents résultats imposables de l'exercice. Cette assiette
représente donc la somme de deux éléments distincts :
- l'impôt dû à raison du résultat courant de
l'exercice, avant imputation des éventuels crédits d'impôt
dont peut bénéficier l'entreprise ;
- l'impôt afférent aux éventuelles plus-values à
long terme réalisées au cours de la même période de
référence.
En outre, les avoirs fiscaux ou crédits d'impôt de toute nature,
la créance née du report en arrière des déficits et
l'imposition forfaitaire annuelle ne sont pas imputables sur la contribution.
II. UNE MESURE INOPPORTUNE
A. UNE MESURE ACCENTUANT LES DIFFÉRENCES DE TRAITEMENT FISCAL ENTRE
LES PETITES ENTREPRISES ET LES ENTREPRISES MOYENNES ET GRANDES
La fixation d'un seuil de 50 millions de chiffre d'affaires comme plafond
d'exonération appelle plusieurs remarques.
Votre rapporteur général réaffirme qu'il n'est
pas de
bonne législation d'instituer une discrimination entre petites et
moyennes entreprises et grandes entreprises
, ces dernières
étant toujours exclues des mesures de faveur, ou ici en l'occurrence,
frappées prioritairement par les appels à la solidarité
nationale. En outre, ce type de conditions donne prise à des effets de
seuil néfastes et se révèle source de contentieux.
En deuxième lieu,
le chiffre d'affaires ne reflète pas
vraiment la taille d'une entreprise
. Tout dépend en effet du secteur
d'activité dans lequel elle exerce. Ainsi, de même que le seuil de
chiffre d'affaires donnant droit au bénéfice du forfait varie
selon que l'activité de l'entreprise est la vente de marchandises,
l'exploitation d'hôtels de restaurants ou de cafés ou la
prestation de services, il conviendrait sans doute d'adapter le plafond de
chiffre d'affaires aux différents secteurs, au risque bien
évidemment de substituer un système vraiment inextricable
à un système déjà difficile.
En troisième lieu, l'argument communautaire pour justifier ce seuil est
dans le cas d'espèce extrait de son contexte. En effet, s'il est vrai
que dans une recommandation du 3 avril 1996, la Commission européenne
fixe à 7 millions d'écus le plafond du chiffre d'affaires
à ne pas excéder pour être considéré comme
une petite entreprise, il faut préciser que cette recommandation
s'inscrit dans le cadre des aides d'Etat aux petites et moyennes entreprises.
Or il ne s'agit pas ici de favoriser telle ou telle catégorie
d'entreprises, mais d'exclure d'un mécanisme de surtaxation temporaire
les petites et moyennes entreprises.
De surcroît, la recommandation de la Commission fixe à
40 millions d'écus (280 millions de francs) le plafond de chiffre
d'affaires définissant les PME, et non à 7 millions
d'écus.
Enfin, votre rapporteur général déplore qu'un tel
mécanisme pénalise en dernier ressort les entreprises moyennes.
En effet, si les grandes entreprises et les multinationales françaises
réalisent l'essentiel de leur chiffre d'affaires à
l'étranger et ne subiront pas tous les effets de cette hausse de
l'impôt sur les sociétés, ce n'est pas le cas des
entreprises moyennes et captives, ne possédant qu'une assise
française et peu au fait des subtilités de l'ingénierie
fiscale de haut niveau.
Ainsi, il apparaît que les entreprises moyennes "captives" du
marché national et qui ne peuvent réduire leur imposition ni par
l'assiette (en agissant sur leurs bases imposables), ni par le taux (seules les
entreprises réalisant moins de 50 millions de francs de chiffre
d'affaires peuvent jouir du taux réduit de taxation des
bénéfices en cas d'incorporation des bénéfices au
capital) sont les mal aimées du système fiscal français
alors même que ce sont probablement les plus créatrices d'emplois.
B. UNE MESURE À CONTRE-COURANT DE L'ÉVOLUTION DES
FISCALITÉS EUROPÉENNES
Les chiffres avancés par le Gouvernement pour justifier l'augmentation
de l'impôt sur les sociétés doivent être
examinés avec la plus grande circonspection au vu, d'une part de
l'ensemble des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur les
entreprises, et surtout des réformes envisagées par nos
principaux partenaires économiques.
Ainsi, le Gouvernement annonce-t-il qu'avec un taux de 41,66 %, la France
devrait se situer juste derrière l'Italie et l'Allemagne. En effet,
l'Italie impose ses entreprises au taux de 53,2 % mais ce taux incorpore
outre le taux de l'imposition d'Etat de 37 %, un taux d'imposition locale
de 16,2 %. Quant à l'Allemagne, elle distingue entre
bénéfice distribué, taxé au taux de 30 %, et
bénéfice non distribué imposé au taux de 45 %.
A ces deux taux, s'ajoute une surtaxe de solidarité de 7,5 %
portant le taux marginal à 48,37 %.
Au surplus, il convient pour analyser objectivement le poids des
prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises de prendre
en compte tous les éléments de la fiscalité (taxe
professionnelle comprise) ainsi que les charges sociales. Or, la direction des
études économiques du CCF chiffre à 19,5 % du PIB le
poids des prélèvements obligatoires sur les entreprises en 1996,
contre 14 % en Allemagne, 10,9 % au Royaume-Uni et 9,6 % aux
Pays-Bas. Ces comparaisons peuvent être discutées, en raison
notamment du mode de financement de la protection sociale, mais elles font
apparaître des écarts indiscutables.
Le graphique ci-après offre une comparaison internationale de la
pression fiscale :
Or la France avait, sous l'impulsion de M. Bérégovoy,
montré l'exemple en matière d'harmonisation de la
fiscalité des entreprises en portant progressivement le taux de
l'impôt sur les sociétés de 42 % en 1989 à
33,1/3 % en 1993.
Cette réforme s'est en effet organisée autour de trois axes :
- une baisse régulière du taux de l'impôt qui a ainsi
été ramené par étapes de 50 % en 1985 à
33,1/3 % en 1993 ;
- un élargissement de l'assiette, par l'intégration dans la base
taxable au taux normal de différents produits de placements financiers
bénéficiant auparavant du régime des plus-values ;
- la mise en place de régimes spécifiques (fiscalité de
groupe notamment) qui ont contribué à moderniser de façon
importante notre législation et à la rendre plus attractive,
notamment au regard de nombreux dispositifs étrangers.
Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1992, Pierre
Bérégovoy déclarait :
" La baisse de
l'impôt sur les sociétés vise à favoriser la
constitution de fonds propres, favorisant la sphère productive au
détriment de la sphère financière et cette réforme
restera comme une grande réforme de la fiscalité des
entreprises ".
A cette même tribune, cette fois lors de la discussion du projet de loi
de finances pour 1993, M. Martin Malvy, alors ministre du budget,
déclarait quant à lui :
" Nous venons au cours de
ces dernières années, de ramener de 42 % à
33,1/3 % le taux de l'impôt sur les sociétés. Nous
devrions nous en féliciter car c'est une démarche en faveur de
l'activité économique et de l'emploi. "
Il est regrettable, cinq ans plus tard, d'infléchir cette tendance
à l'heure même où nos principaux partenaires
économiques suivent l'exemple initialement donné par la France en
réduisant substantiellement la fiscalité pesant sur leurs
entreprises.
Ainsi, l'Italie vient-elle d'adopter un décret qui prévoit
l'institution d'un taux de taxation réduit (19 %) pour les
bénéfices réinvestis dans l'entreprise et pour les
sociétés souhaitant entrer en Bourse. L'Allemagne envisage
d'harmoniser la fiscalité des bénéfices distribués
et non distribués pour les ramener à 30 et 28 % en 1998 puis
au taux unique de 25 % en 1999. Enfin, la Grande-Bretagne a ramené
son taux d'imposition marginal de 33 à 31 % et prévoit de
substituer un taux unique au régime progressif actuel.
C. UNE MESURE PÉNALISANTE POUR LES ACTIONNAIRES
L'augmentation de l'impôt sur les sociétés
déséquilibre le mécanisme de l'avoir fiscal
et fait
renaître des phénomènes de double taxation. En effet, en
portant le taux de l'impôt sur les sociétés à
41,66 %, le présent projet de loi ne permet plus à l'avoir
fiscal de compenser le poids de l'impôt sur les sociétés
(cf. exposé général page 14).
Décision de la commission : sous le bénéfice de
ces observations, votre commission vous propose de supprimer cet article.