N° 83
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 19 novembre 1997.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission prévue par l'article 105 du Règlement sur la proposition de résolution de M. Michel CHARASSE tendant à requérir la suspension des poursuites engagées contre M. Michel CHARASSE, sénateur du Puy-de-Dôme.
Par M. Patrice GÉLARD.
Sénateur.
1 Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; Michel Dreyfus-Schmidt, vice-président : François Blaizot, secrétaire : Patrice Gélard, rapporteur : François Autain, Robert Badinter, Marcel Bony, Philippe de Bourgoing, Jean-Louis Carrère, Charles de Cuttoli, Marcel Debarge, Désiré Debavelaere, Mme Joëlle Dusseau, MM. Pierre Fauchon, Philippe François, Jean-Marie Girault, Daniel Hoeffel, Jean-Jacques Hyest, Charles Jolibois, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Jacques Mahéas, Philippe Marini, Michel Mercier, Paul d'Ornano, Georges Othily, Robert Pages, Alex Türk, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.
Voir le numéro :
Sénat : 15 (1997-1998).
Article 26, alinéas 2 et 3 de la Constitution :
« Aucun membre du Parlement ne peut faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du Bureau de l'Assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n'est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.
« La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d'un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l'Assemblée dont il fait partie le requiert. »
Mesdames, Messieurs.
Le Sénat est saisi d'une proposition de résolution présentée par M. Michel Charasse tendant à requérir la suspension des poursuites engagées à son encontre.
Conformément à l'article 105 du Règlement du Sénat 1 ( * ) , cette proposition de résolution a été envoyée à une commission spéciale dont les membres ont été désignés le mardi 28 octobre 1997.
Il faut noter à cet égard que la procédure définie par le Règlement du Sénat diffère quelque peu de celle applicable à l'Assemblée nationale, dont le Règlement prévoit, en son article 80, la constitution, au début de chaque session ordinaire (sauf l'année précédant le renouvellement de l'Assemblée), d'une commission de quinze membres titulaires et de quinze membres suppléants, chargée de l'examen de toutes les demandes de suspension (qu'elles concernent la détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d'un député). Au Sénat, il s'agit au contraire d'une commission ad hoc.
Lors de sa réunion constitutive, sous la présidence de M. Charles de Cuttoli, votre commission ad hoc a élu M. Jacques Larché à sa présidence ainsi que M. Michel Dreyfus-Schmidt comme vice-président et M. François Blaizot comme secrétaire.
Votre commission ad hoc s'est ensuite réunie dans le délai de trois semaines prévu par l'article 105 du Règlement du Sénat, à savoir le mercredi 19 novembre 1997, compte tenu du dies a quo.
•
Le Sénat a déjà
été appelé à se prononcer sur des demandes de
suspension des poursuites. Ces vingt dernières années, il en a
examiné huit, élaborant ainsi, sur le rapport de M. Charles de
Cuttoli puis de notre très regretté collègue Marcel
Rudloff, une « jurisprudence sénatoriale » qui, en
matière de suspension des poursuites, prolonge celle forgée au
fil des demandes de levée d'immunité parlementaire (cette
dernière question entrant désormais dans la compétence du
Bureau de chaque Assemblée depuis la révision constitutionnelle
du 4 août 1995).
C'est cependant la première fois qu'une demande de suspension est présentée depuis cette révision constitutionnelle, qui a apporté au régime de l'immunité parlementaire deux importantes modifications :
- la poursuite à l'encontre d'un parlementaire, qui, pendant la session, nécessitait l'autorisation de son assemblée -sauf en cas de flagrant délit- peut désormais être engagée sans aucune intervention, que le Parlement soit en session ou non ;
- la suspension est désormais décidée « pour la durée de la session » alors que, dans le silence de l'article 26 sur ce point, la jurisprudence sénatoriale considérait depuis 1977 qu'elle valait jusqu'à la fin du mandat de l'intéressé.
C'est dans ce contexte nouveau, mais dans le droit fil des solutions définies par MM. Charles de Cuttoli, Marcel Rudloff puis Charles Jolibois, que votre commission a examiné la proposition de résolution.
I. LE RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
S'il lui appartient de rappeler les faits et la procédure engagée à rencontre de M. Michel Charasse et, dans ce cadre, de relater fidèlement les arguments et les moyens invoqués par celui-ci -en particulier ceux tirés de la méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs- votre rapporteur tient à souligner que ce rappel ne constitue pas une appréciation ni a fortiori une approbation du bien-fondé de cette argumentation.
S'il est vrai que M. Michel Charasse a été cité comme témoin en sa qualité d'ancien ministre chargé du Budget, cette considération ne saurait en elle-même être prise en compte par la commission ad hoc qui, eu égard à la finalité de l'immunité parlementaire, doit se limiter à vérifier si la convocation a pu ou non porter atteinte à l'exercice libre et serein du mandat de sénateur. Sur ce point, le fait que M. Michel Charasse ait pu, dans le passé, exercer des fonctions gouvernementales, est sans incidence sur son statut actuel de parlementaire, le seul dont la commission doive se préoccuper.
*
* *
• En décembre 1996, Mme Laurence Vichnievsky,
juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris, a cité trois
anciens ministres chargés du Budget, MM. Henri Emmanuelli, Michel
Charasse et Nicolas Sarkozy, à comparaître comme témoins
dans le cadre d'une information ouverte pour faux et usage de faux, abus de
biens sociaux, trafic d'influence et corruption active.
Selon M. Charasse, ce magistrat souhaitait les interroger, non pas sur le dossier qu'elle instruisait, mais, de manière générale, sur les instructions ministérielles données à l'administration fiscale « pour traiter les anomalies liées à des financements politiques » .
C'est donc en leur qualité d'anciens membres du Gouvernement chargés du Budget que MM. Henri Emmanuelli. Nicolas Sarkozy et Michel Charasse ont fait l'objet d'une convocation, à laquelle les deux premiers se sont effectivement rendus.
En revanche, M. Michel Charasse a estimé que s'il interrogeait un ancien ministre sur des décisions administratives et politiques de portée générale, le juge s'immiscerait dans le fonctionnement de l'administration, en méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs et, notamment, de l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, toujours en vigueur.
Aussi a-t-il, au nom de ce principe, refusé de comparaître.
Le juge d'instruction a alors demandé au Bureau du Sénat, en application de l'article 26, alinéa 2, de la Constitution, d'autoriser la comparution forcée de M. Michel Charasse, comme le prévoit l'article 109 du code de procédure pénale en cas de refus de comparaître opposé par un témoin régulièrement cité. Le Bureau a considéré le 23 avril 1997 qu'il n'y avait pas lieu de délivrer cette autorisation.
Le 15 mai 1997, le magistrat instructeur a de nouveau cité M. Michel Charasse à comparaître, cette fois le 19 juin 1997. Celui-ci ayant, toujours au nom du principe de la séparation des pouvoirs, réitéré son refus, le juge d'instruction l'a condamné le 10 septembre 1997 à une amende de 10.000 F. Ce montant correspond au maximum de la peine prévue par la loi en cas de manquement à l'obligation de déposer, l'article 109 du code de procédure pénale 2 ( * ) renvoyant en cette hypothèse « à l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe » .
• À la suite de cette condamnation -dont il a
par ailleurs interjeté appel devant la Chambre d'accusation de Paris- M.
Michel Charasse a déposé une proposition de résolution
tendant à requérir la suspension des poursuites engagées
à son encontre. Cette proposition de résolution a
été présentée dans le cadre de l'article 26,
alinéa 3, de la Constitution, aux termes duquel «
la
poursuite d'un membre du Parlement
[
est suspendue
]
pour la
durée de la session si l'Assemblée dont il fait partie le
requiert »
.
C'est donc une suspension et non un arrêt de la poursuite qui est demandée au Sénat, laquelle, si elle était accordée, n'aurait pas pour effet d'effacer l'amende prononcée mais seulement de suspendre la procédure jusqu'au lendemain de la fin de la présente session, soit le 1er juillet 1998.
• Toutefois, avant même de se prononcer sur le
fond de la requête de M. Charasse, il importe de s'interroger au
préalable sur l'applicabilité de l'article 26 de la Constitution
en l'espèce.
En d'autres termes, la procédure engagée par le juge d'instruction est-elle effectivement une poursuite ?
À cet égard, le fait que la procédure ait été engagée à l'initiative du juge d'instruction et non du procureur de la République, autorité normalement chargée des poursuites, mérite d'être relevé. Toujours est-il que le code de procédure pénale contient plusieurs dispositions -en particulier les articles 675 et suivants relatifs aux infractions commises à l'audience des tribunaux- qui érigent les juges du siège en autorité de poursuite.
En fait, si l'on entend par poursuite toute procédure en cours susceptible de conduire au prononcé d'une condamnation, c'est bien une poursuite qui a été engagée à l'égard de M. Charasse, et qui demeure en cours du fait de l'appel.
Tels sont les faits et la procédure.
Il appartient à votre commission ad hoc d'apprécier l'opportunité de suspendre cette poursuite. Cependant, pour ce faire, elle doit se prononcer non sur le bien fondé des arguments soulevés par M. Michel Charasse mais, au regard de la finalité de l'immunité parlementaire, sur la gêne que la convocation comme témoin a pu occasionner à un sénateur, indépendamment de sa qualité d'ancien membre du Gouvernement.
* 1 « Art. 105. - 1. Une commission de trente membres est nommée chaque fois qu'il y a lieu pour le Sénat d'examiner une proposition de résolution déposée en vue de requérir la suspension de la détention, des mesures privatives ou restrictives de liberté ou de la poursuite d'un sénateur « Pour la nomination de cette commission, le Président du Sénat fixe le délai dans lequel les candidatures doivent être présentées selon la représentation proportionnelle. À l'expiration de ce délai, le Président du Sénat, les présidents des groupes et le délégué de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe se réunissent pour établir la liste des membres de la commission. Cette liste est publiée au Journal Officiel. La nomination prend effet dès cette publication.
« 2. La commission élit un bureau comprenant un président, un vice-président et un secrétaire et nomme un rapporteur.
« 3. Les conclusions de la commission doivent être déposées dans un délai de trois semaines à compter de la désignation des membres de la commission ; elles sont inscrites à l'ordre du jour du Sénat par la Conférence des présidents dès la distribution du rapport de la commission « 4. Saisi d'une demande de suspension de la poursuite d'un sénateur détenu ou faisant l'objet de mesures privatives ou restrictives de liberté, le Sénat peut ne décider que la suspension de la détention ou de tout ou partie des mesures en cause ».
* 2 « Art. 109 - Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer, sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
« Tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l'origine.
« Si le témoin ne comparait pas, le juge d'instruction peut, sur les réquisitions du procureur de la République, l'y contraindre par la force publique et le condamner à l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe. S'il comparait ultérieurement, il peut toutefois, sur production de ses excuses et justifications, être déchargé de cette peine par le juge d'instruction, après réquisitions du procureur de la République.
« La même peine peut, sur les réquisitions de ce magistrat, être prononcée contre le témoin qui, bien que comparaissant, refuse de prêter serment et de faire sa déposition.
« Le témoin condamné à l'amende en vertu des alinéas précédents peut interjeter appel de la condamnation dans les dix jours de ce prononcé ; s'il était défaillant, ce délai ne commence à courir que du jour de la signification de la condamnation. L'appel est porté devant la chambre d'accusation ».