II. LA FINALITÉ DE L'IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE : GARANTIR LA LIBERTÉ ET LA SÉRÉNITÉ DE L'EXERCICE DU MANDAT DE DÉPUTÉ OU DE SÉNATEUR SANS EMPÊCHER LE COURS DE LA JUSTICE
• Les immunités parlementaires ne
constituent en rien un privilège mais une garantie attachée au
mandat lui-même.
Comme l'ont maintes fois souligné les rapporteurs des commissions ad hoc constituées pour la mise en oeuvre de l'article 26 de la Constitution, l'immunité parlementaire ne constitue nullement un privilège mais une garantie d'exercice du mandat parlementaire.
La meilleure preuve en est que l'article 26 de la Constitution est une règle d'ordre public à laquelle un parlementaire ne saurait et ne pourrait renoncer sponte sua, le juge étant tenu de la soulever d'office quand même l'intéressé ne s'en réclamerait pas.
Comme le considérait M. Charles Jolibois dans son rapport n° 176 du 20 décembre 1994, il convient absolument d'empêcher, le cas échéant, que l'exercice de la fonction parlementaire ne soit entravé par des poursuites abusives ou intempestives, avant pour objet ou pour conséquence d'interdire aux élus de la Nation de participer aux travaux de leur Assemblée et d'accomplir, en toute liberté et en toute sérénité, les actes inhérents à leur mandat.
À cette fin, l'article 26 de la Constitution subordonne la privation ou la restriction de la liberté d'un parlementaire à une autorisation préalable soumise à l'appréciation du Bureau de son Assemblée. Par ailleurs, l'Assemblée peut toujours requérir la suspension de la poursuite engagée contre un de ses membres, étant entendu qu'il s'agit d'une suspension purement temporaire et que cette poursuite reprendra sur ses derniers errements lorsque cette protection ne jouera plus, c'est-à-dire à compter du lendemain de la clôture de la session le dernier jour ouvrable de juin.
L'immunité n'empêche pas la poursuite, elle la diffère.
• L'article 26 de la Constitution de la
Vème République s'inscrit dans le droit fil de la tradition
parlementaire française issue de l'héritage de la
Révolution française.
La nécessité de protéger le mandat de tout élu de la Nation en la personne de celui qui l'exerce a été ressentie à la naissance même du régime parlementaire français, l'institution de l'immunité parlementaire ayant constitué un des premiers actes de la toute nouvelle Assemblée nationale, laquelle a décidé dès le 23 juin 1789 que « la personne des députés est inviolable » .
Depuis lors, l'immunité parlementaire a été consacrée par toutes les Constitutions que la France a connues.
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La modification de cet article 26 lors de
la révision constitutionnelle du 4 août 1995 n'a pas remis en
cause les principes antérieurs.
Le Constituant a certes modifié le texte de l'article 26 de la Constitution mais sans altérer l'esprit ni le fondement de cette disposition qui a été seulement adaptée pour tenir compte du passage de deux sessions de trois mois entrecoupées d'une intersession d'hiver à une session unique de neuf mois.
En premier lieu elle a supprimé la dualité antérieure des procédures, selon que le Parlement était en session ou non.
Auparavant, quand le Parlement était en session, aucun parlementaire ne pouvait être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle -sauf le cas de flagrant délit- sans l'autorisation de l'Assemblée dont il était membre. Hors session, l'engagement de poursuites nouvelles était libre, mais l'arrestation du parlementaire requérait l'autorisation préalable du Bureau, sauf les cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive.
Cette distinction ratione temporis a été supprimée par la loi constitutionnelle du 4 août 1995. Aujourd'hui, l'engagement de poursuites criminelles ou correctionnelles ne nécessite plus aucune autorisation (ni celle de l'Assemblée, ni celle du Bureau), que le Parlement soit en session ou non.
En revanche, quelle que soit la période, le parlementaire ne peut faire l'objet de mesures privatives ou restrictives de liberté sans l'autorisation du Bureau, sauf le cas de flagrance. Ces mesures privatives ou restrictives de liberté sont entendues dans leur acception la plus large et recouvrent d'autres situations qu'une arrestation proprement dite, comme les mesures de contrôle judiciaire ou l'exécution forcée d'une citation à comparaître, par exemple.
En second lieu, la révision constitutionnelle a quelque peu modifié le régime de la suspension des poursuites.
Avant la révision constitutionnelle, la faculté de suspendre la poursuite ou la détention d'un député ou d'un sénateur avait notamment pour but de permettre, le cas échéant, de suspendre des poursuites engagées contre lui pendant l'intersession, alors qu'aucune autorisation préalable n'était nécessaire pour de telles poursuites.
Dans le silence du texte de la Constitution quant à la portée de cette mesure dans le temps, le Sénat avait considéré que la suspension des poursuites valait jusqu'à la fin du mandat de l'intéressé. Comme l'avait parfaitement résumé M. Charles de Cuttoli dès 1977, « le dernier alinéa de l'article 26 de la Constitution (dans sa rédaction antérieure à 1995) devait s'interpréter comme une garantie permettant au parlementaire de pouvoir exercer sa fonction, fût-ce entre les sessions, jusqu'à l'expiration de son mandat » .
Une telle jurisprudence, à laquelle l'Assemblée nationale s'est rangée à partir de 1980, trouvait sa pleine justification dans le régime d'autorisation des poursuites alors applicable. Il était en effet à craindre que pour obvier à l'exigence de l'autorisation préalable, les procureurs attendent le début de l'intersession pour agir, ce qui aurait conféré à l'immunité le caractère d'une garantie à éclipse.
Depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995, les poursuites nouvelles sont dispensées de toute autorisation préalable quand elles n'ont pas pour effet de priver ou de restreindre la liberté de l'intéressé.
La faculté de suspendre les poursuites maintient « en aval » une garantie sans laquelle les parlementaires risqueraient d'être victimes d'un véritable « harcèlement judiciaire » motivé, notamment, par des considérations politiques, comme l'ont montré les travaux préparatoires de la révision constitutionnelle.
Cependant, si les Assemblées conservent la faculté de requérir la suspension de la détention ou de la poursuite, la portée de cette mesure a été limitée par le Constituant à la durée de la session. De telle sorte, la poursuite pourrait reprendre sur ses derniers errements une fois la session close. En d'autres termes, la Chambre d'accusation pourrait statuer sur l'appel interjeté par M. Michel Charasse.