II. DE QUELQUES PROBLÈMES POSÉS PAR CES MÉTHODES
A. LE DÉFAUT D'ÉVALUATION DES FONDS DE CONCOURS EN LOI DE FINANCES INITIALE EST PEU JUSTIFIÉ
Cette situation peut s'expliquer pour les fonds de concours
dont le versement dépend d'une intention libérale affectée
par nature d'une part d'incertitude.
Elle ne paraît pas justifiée pour les fonds de concours qui, du
fait des conditions de leur versement et de leur rattachement,
présentent des caractéristiques telles que leur évaluation
soit possible sans risque majeur d'erreur.
Or, tel est le cas pour la plupart des fonds de concours alimentant le budget
des services financiers.
B. CERTAINES RESSOURCES DE PAR LEUR NATURE NE PEUVENT PAS ÊTRE CONSIDÉRÉES COMME DES FONDS DE CONCOURS
Il en va d'abord ainsi du prélèvement sur le
produit des impositions locales
("crédits de
l'article 6")
.
L'intitulé du prélèvement ne doit pas tromper sur sa
nature : il n'est en aucune manière assimilable à une redevance
pour services rendus.
En réponse à une question posée
sur ce sujet par la commission des finances du Sénat, la Cour des
Comptes a pu estimer que "
la rémunération des
opérations d'assiette et de recouvrement peut être
considérée comme une imposition et non comme une redevance pour
service rendu".
Ce prélèvement est, en effet, recouvré auprès du
contribuable local sur la base d'un taux de 4,4 % appliqué à
la quotité d'impôts directs locaux due par lui.
Il ne s'agit
pas d'une contribution versée par les collectivités
locales
à raison d'une éventuelle prestation de service
dont elles bénéficieraient de la part de l'administration des
finances.
Il est d'ailleurs heureux que cette dernière conception ne
prévale pas
: elle est, en effet, porteuse
d'éléments de désintégration de la mission
régalienne d'assiette et de recouvrement de l'impôt. La promouvoir
reviendrait à remettre en cause le rôle de l'Etat en la
matière avec un Etat régalien lorsqu'il s'agirait des impositions
nationales et un Etat fermier général lorsqu'il s'agirait des
impositions locales.
Il entre dans les missions normales de l'administration des finances
d'asseoir et de recouvrer l'impôt local
comme c'est sa mission de
procéder à ces opérations pour l'Etat.
Il est alors
naturel que cette mission soit financée sur la base d'un
prélèvement sans contrepartie directe
et non sur le fondement
d'une redevance pour service rendu.
Outre les graves questions de principe qu'une logique différente
susciterait il faut, à titre accessoire, souligner qu'elle poserait une
série de problèmes financiers très ardus
. On sait que
le tarif des redevances doit obéir à un principe de
proportionnalité entre leur niveau et le coût des services dont
elles sont censées constituer la contrepartie directe. Il faut donc,
pour fixer ces tarifs, et la jurisprudence des juridictions administratives est
sur ce point très exigeante, procéder à une
identification
précise des coûts, qui exclut toute
référence à des données forfaitaires, ce qui
suppose de disposer d'une comptabilité analytique
détaillée. Il faut en autre procéder à une
imputation
des coûts adaptée ce qui suppose, à son
tour, des traitements comptables complexes en ce qui concerne en particulier le
sort des immobilisations dont seule la partie utile peut être
incorporée dans les assiettes des redevances.
Ces contraintes
ajoutées à l'extrême diversité des situations
locales des services de l'administration des finances rendent illusoire
l'idée selon laquelle on pourrait considérer la perception des
impôts locaux comme un service rendu par l'Etat justifiant une
rémunération par voie de redevance.
Dans ces conditions, il est sage d'éviter toute construction
intellectuelle s'éloignant par trop de la réalité et de
reconnaître que le prélèvement dont s'agit a toutes les
caractéristiques d'une imposition.
Dans ces conditions, le traitement budgétaire hybride du produit de
ce prélèvement obligatoire paraît insatisfaisant.
On sait en effet que la loi de finances initiale comporte d'abord
une ligne
de recettes n° 309
intitulée "Frais d'assiette et de
recouvrement des impôts et taxes établis ou perçus au
profit des collectivités locales et de divers organismes". Son produit
induit une part du produit du prélèvement en cause, mais une
autre partie du produit du prélèvement est
considérée comme un fonds de concours.
Pour 1996, l'enveloppe ainsi traitée s'était élevé
à 4.987 millions de francs, le produit inscrit en recettes du
budget général de l'Etat s'élevant à
9,4 milliards de francs.
Compte tenu de la nature du prélèvement étudié, il
semble qu'
une stricte application des règles budgétaires
devrait conduire à réintégrer les sommes
considérées jusqu'à présent comme des fonds de
concours au titre des recettes fiscales de l'Etat.
Cette solution aurait le mérite de
remédier aux
problèmes de lisibilité posés par la situation actuelle
qui, en éclatant le produit de la taxe, ne favorise par le
contrôle de son évolution. Elle contribuerait également
à une évaluation plus fidèle des recettes fiscales de
l'Etat
1(
*
)
.
Les problèmes pratiques posés par cette solution d'orthodoxie
budgétaire ne se manifesteraient que pour autant qu'elle se traduirait
par une banalisation de l'ensemble de la recette et par un changement de la
nature des dépenses financées. C'est la responsabilité du
gouvernement d'éviter qu'un tel phénomène se produise.
La nature du prélèvement sur le produit du contrôle
fiscal (article 5 de la loi du 17 août 1948) pose des
difficultés analogues.
Il est fondé sur l'article 5 de la loi du 17 août 1948
qui constitue à l'évidence une survivance après
l'entrée en vigueur de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.
Cette situation a retenu depuis trois ans l'attention de la commission des
finances du Sénat.
Au cours de la séance publique du 27 novembre 1995, l'attention du
ministre du budget avait été appelée sur le
"caractère incertain et quelque peu obsolète du fondement
juridique de l'article 5 de cette loi de 1948, qui n'est pas en complète
cohérence avec les principes de l'ordonnance de 1959, ainsi que sur
l'effort qui serait justifié, et pour lequel il est normal, d'ailleurs,
que les assemblées et le Gouvernement coopèrent, pour ramener au
principe budgétaire ordinaire le traitement de ce
prélèvement sur le produit des redressements fiscaux".
En réponse, le ministre du budget avait indiqué : "Quant aux
recettes de l'article 5 de la loi de 1948, en vertu du nouvel
article 68 quater
2(
*
)
,
elles seront récapitulées dans le "jaune" qui donne l'état
récapitulatif des crédits des fonds de concours. Je
considère que c'est un progrès très important dans le
domaine de la transparence. Ce n'est peut-être pas suffisant et nous
devons maintenant envisager les modalités pratiques. Nous sommes tout
à fait disposés à y travailler lors de
l'élaboration du projet de loi de finances pour 1997, en étroite
coordination avec les rapporteurs intéressés, tant de
l'Assemblée nationale que du Sénat...".
Ce débat s'était instauré après le vote par
l'Assemblée nationale d'une disposition appelée à devenir
l'article 111 de la loi de finances pour 1996 aux termes duquel : "A
compter du projet de loi de finances pour 1997, les crédits
rattachés au budget des services financiers et correspondant au
prélèvement institué par le dernier alinéa de
l'article 5 de la loi n° 48-1268 du 17 août 1948
tendant au redressement économique et financier font l'objet d'une
évaluation par chapitre, pour l'exercice dont les crédits sont
soumis à l'examen du Parlement, dans l'annexe donnant l'état
récapitulatif des crédits de fonds de concours".
La commission des finances du Sénat, tout en admettant que l'adoption
de cette disposition était constitutive d'un progrès avait alors
considéré qu'elle ne levait, à l'évidence, pas les
interrogations sur la validité de la loi de 1948 et ne pouvait
dès lors être considérée autrement que comme une
solution offrant une amélioration transitoire par rapport à la
situation antérieure à son adoption.
Il apparaît en particulier que les principes constitutionnels qui
inspirent notre droit budgétaire, prohibent les
prélèvements sur recettes effectués pour couvrir des
dépenses de l'Etat, comme a pu le rappeler le Conseil constitutionnel
dans une décision déjà ancienne puisque datant de 1982
(n° 82-154 DC du 29 décembre 1982).
Aucun progrès réel n'a, depuis, été
apporté à la résolution des problèmes pendants.
Il y a lieu de le regretter et de souhaiter que dès l'année
prochaine, des solutions définitives interviennent.
Sur ce sujet, deux remarques doivent être faites:
La récapitulation dans le "jaune" portant "Etat
récapitulatif des crédits de fonds de concours" ne suffit pas
à résoudre les problèmes posés par les fonds de
concours qui y figurent.
Le "jaune" est sans doute un élément utile d'information
pour le Parlement mais, d'une part, l'inscription de certains crédits
dans ce document plutôt que dans le budget initial ne se justifie pas -v.
supra- et, d'autre part, les évaluations qui y figurent manquent de
lisibilité. Les "crédits d'articles" y sont agrégés
à l'ensemble des fonds de concours et leur montant n'est rappelé
explicitement que pour l'année n - 2. Il manque à ce
document l'évaluation des "voies et moyens" disponible pour les
recettes
du budget général. L'assiette des crédits d'articles est
nettement plus dynamique que le produit des recettes du budget
général. L'estimation du produit du contrôle fiscal et des
impositions locales directes pour 1998 en témoigne.
Dans ces conditions, le "jaune" qui est construit sur des
hypothèses
conventionnelles pourrait privilégier un affichage des recettes et des
"crédits d'articles" affecté d'une certaine sous-estimation de
ces ressources et moyens.
L'existence des comptes extrabudgétaires semble assise sur des
bases légales incertaines et n'est pas conforme aux principes de notre
droit budgétaire.
C'est la raison pour laquelle, à l'initiative de l'Assemblée
nationale, avait été voté l'article 110 de la loi de
finances pour 1996 qui dispose : "A compter du projet de loi de finances
pour
1997, les recettes et dépenses extrabudgétaires de toutes les
administrations d'Etat sont réintégrées au sein du budget
général".
Votre commission avait reconnu qu'il s'agissait là d'un progrès.
Cependant, ayant fait remarquer que cet article ne régirait pas les
fonds de concours à proprement parler, elle avait exprimé le voeu
que la solution prévue pour les crédits extrabudgétaires
soit étendue aux vrais fonds de concours, c'est-à-dire aux
versements correspondant à la définition de l'ordonnance du
2 janvier 1959, et être informé des mesures prises pour
assurer l'effectivité d'un dispositif que, par sous-amendement, le
Gouvernement avait souhaité étendre à l'ensemble des
administrations d'Etat.
Ces voeux n'ont pas reçu satisfaction lors du projet de loi de
finances pour 1997
,
ce qui était, pour le moins, peu admissible.
On peut se réjouir que soit désormais programmé un
certain nombre de régularisations :
- la transformation de la Masse des douanes gérée
jusqu'alors de façon extrabudgétaire en établissement
public devrait déboucher sur la suppression du compte 466-224 ;
- la suppression du compte 466-21 d'opération d'encaissement et
répartition des remises et commissions sur emprunts et émissions
des correspondants nationaux du Trésor ;
- la régularisation progressive du compte 466-17, "Frais de
services des comptables du Trésor".
Selon l'administration, une partie du reste des sommes à
régulariser devrait l'être à l'occasion des prochains
budgets. Il s'agit des comptes :
466-266 concernant les hypothèques ;
466-223 et 466-224 concernant le cadastre,
ainsi que les résidus des comptes 466-17 concernant les frais des
services des comptables du Trésor.
La régularisation opérée en ce qui concerne la Masse
des douanes
consisterait à la doter d'une personnalité
juridique puisqu'un établissement public administratif serait
créé qui permettrait de rattacher ses opérations à
une structure distincte de l'Etat.
On rappelle que la Masse des douanes dont l'origine est historique gère
un parc immobilier de 4.600 logements dans des conditions juridiques
fragiles du fait de l'absence de personnalité morale de la Masse. De
cette situation, il résulte qu'en l'état, les droits et
obligations issus des activités de la Masse sont imputables à
l'Etat. Le problème vient de ce qu'ils ne sont pas retracés dans
les comptes de ce dernier.
Or, les dépenses de la Masse auraient atteint quelque
134,6 millions de francs en 1997, se répartissant comme
indiqué ci-dessous. :
Masse des douanes
Compte de gestion 1996
Solde en caisse au 31.12.1995 |
21.221.265,64 |
|
A. Recettes |
||
I - Investissement |
25.325.454,33 |
|
II - Budget de fonctionnement |
||
a - Fonctionnement |
69.494.034,53 |
136.209.614,76 |
b - Trésorerie |
34.167.380,53 |
|
III - Mouvements de fonds |
7.219.745,37 |
|
B. Dépenses |
||
I - Investissements |
27.195.032,34 |
|
II - Budget de fonctionnement |
||
a - Fonctionnement |
64.368.700,59 |
134.637.487,15 |
b - Trésorerie |
36.107.609,60 |
|
III - Mouvements de fonds |
6.966.144,62 |
|
Solde en caisse au 31.12.1996 |
22.790.393,25 |
La régularisation entreprise semble conforme
à la lettre de l'article 110 de la loi de finances pour 1996
puisque cet article ne visant que les administrations d'Etat on peut
considérer que l'instauration d'un établissement public autonome
fait sortir la Masse des douanes de son champ d'application
. Elle
s'accompagne en outre d'une normalisation de l'imputation budgétaire des
dépenses du budget consacrées à abonder les moyens de la
Masse
qui, autrefois rattachée aux chapitres des charges sociales
(33-61), seraient traitées en 1998 en tant que subvention de
fonctionnement (36-10).
Le niveau de cette subvention serait de
8 millions de francs. Il faudra, à l'avenir, apprécier son
bien-fondé, en s'interrogeant notamment sur sa contribution à la
poursuite de l'objet social du nouvel établissement public.
Les autres régularisations qui seraient entreprises reposent sur les
mécanismes qui doivent être étudiés en
détail
, ce qui suppose que l'administration complète
l'information transmise à votre rapporteur. Celui-ci pourra alors porter
un jugement complet sur les procédures choisies.
L'Assemblée nationale a adopté, au cours de la discussion du
budget des services financiers, un amendement visant à
réintégrer, à partir de l'exercice budgétaire 1999,
les recettes des comptes 466-223, 466-224 et 466-226 dans le budget
général et à rattacher les crédits correspondants
au budget des services financiers. Cette disposition, qui manifestait une
louable intention, a posé à la commission des finances du
Sénat un certain nombre de problèmes -v. infra- qui ont
justifié que celle-ci adopte un amendement de suppression de
l'article 63 ter introduit par l'Assemblée nationale.
En l'état, on doit, se félicitant des intentions
affichées, continuer à être vigilant sur le
déroulement des processus qui ont été entamés et
souhaiter qu'ils soient complétés par la prise en
considération de comptes importants -le compte 451 en particulier- pour
lesquels aucun plan de réintégration n'a, semble-t-il,
jusqu'à présent été élaboré.
Votre rapporteur souhaite, par ailleurs, rappeler que l'article 110
concerne l'ensemble des administrations d'Etat
. Il s'interroge sur la
portée de cette disposition dans les administrations autres que celles
des services financiers. Il souhaite que le concours de tous, organes
parlementaires, services des ministères concernés et du
ministère de l'économie et des finances en particulier dont c'est
la tâche que de maîtriser les fonds publics, Cour des comptes,
permette de dresser un bilan nécessaire.