2. Des éléments de vulnérabilité d'ores et déjà perceptibles dans le processus de professionnalisation
En dépit du respect des objectifs d'effectifs prescrits par la loi de programmation, on peut à ce jour déceler trois failles susceptibles d'altérer les conditions de la professionnalisation de l'Armée de terre. Il s'agit des difficultés qui caractérisent le recrutement des civils, des hésitations qui paraissent affecter la réforme des forces de réserve et, enfin, des contraintes liées à l'application de la réforme du service national
a) Des effectifs civils encore théoriques
En dépit de la
création effective des postes
budgétaires correspondant aux emplois civils prévus par la loi de
programmation
, la réalisation de la totalité de ces emplois
tarde à être effective. En effet, le principe retenu lors de
l'élaboration de la loi de programmation 1997-2002 consistait à
affecter au soutien des formations militaires des personnels civils rendus
disponibles par les restructurations des industries de défense et, plus
particulièrement, par le redimensionnement de la DGA. Il aurait
été regrettable de procéder au recrutement de nouveaux
personnels, alors que les restructurations allaient libérer des emplois,
et permettre des
redéploiements
au sein même du
ministère de la Défense.
Or, l'affectation de personnels civils aux régiments et
établissements de l'Armée de terre prend du temps, car ces
personnels ne sont pas, à la différence des personnels miliaires,
soumis à
l'obligation de mobilité géographique.
Les personnels civils constituent, dans la perspective de la
professionnalisation, une composante essentielle de l'Armée de terre,
dont la raison d'être est de permettre aux personnels militaires de se
consacrer aux missions projetables.
Il serait regrettable que des raisons
d'ordre statutaire conduisent, soit à alourdir le coût de la
professionnalisation, en rendant nécessaire le recrutement
ex
nihilo
des personnels civils supplémentaires prévus par la
loi de programmation (ou une proportion équivalente d'EVAT
destinés à occuper des postes de soutien), soit à
altérer les conditions de la professionnalisation, en privant
l'Armée de terre de personnels dont la contribution conditionne pourtant
l'aptitude des forces terrestres à remplir leur "contrat
opérationnel".
b) A quand l'élaboration d'un statut du réserviste adapté aux nouvelles missions des forces de réserve ?
L'insuffisance des moyens consacrés aux forces de
réserve introduit un deuxième doute dans la réalisation de
la professionnalisation. Il ne s'agit pas tant des crédits
budgétaires prévus pour 1998 (4 millions de francs
supplémentaires seront consacrés, dans le projet de budget pour
1998, à la rémunération des réservistes de
l'Armée de terre) que des atermoiements qui semblent caractériser
l'élaboration du projet de loi tant attendu, qui tirera les
conséquences de la professionnalisation sur le rôle et le
statut des réservistes au sein des armées
.
Le bilan de l'intégration des réservistes dans les unités
d'active est, à ce jour, globalement satisfaisant. Les interrogations
sur le statut des réservistes et sur les moyens susceptibles
d'être affectés aux rémunérations et à la
protection sociale des réservistes (les périodes ne sont, en
effet, pas prises en compte en vue de l'ouverture des droits à pension
de retraite) ne semblent en revanche pas tranchées. Or les forces de
réserve sont appelées à jouer un rôle majeur dans la
future Armée de terre professionnalisée. Il importe donc de
définir prochainement les contours législatifs du statut des
réservistes, et d'affecter aux forces de réserve des moyens
adaptés à leurs nouvelles missions.
c) Les contraintes liées à la réforme du service national
La loi n° 97-1019 du 28 octobre 1997 portant réforme du service national pose deux types de problèmes tenant, d'une part, au coût à venir du volontariat dans les armées, et, d'autre part, aux conséquences, sur la conduite de la période de transition, des reports d'incorporation destinés aux titulaires d'un emploi.
(1) Le coût du volontariat dans les armées
Fondé sur les mêmes principes que les
" emplois-jeunes ", le futur volontariat dans les armées
induira un coût sensiblement plus élevé que le volontariat
auquel renvoyait le projet de loi élaboré par le
précédent gouvernement.
Les futurs volontaires seront en effet assimilés aux titulaires
d'emplois-jeunes et, à ce titre, percevront une
rémunération assise sur le SMIC, comprenant en outre
l'hébergement et l'alimentation. Sur le titre III de l'Armée de
terre pèsera donc la rémunération de 5 500 volontaires,
dont le coût sera à peine moins élevé que celui des
EVAT. Certes, on peut objecter à cette remarque que la loi de
programmation 1997-2002 avait, dans l'attente de la loi portant réforme
du service national, été définie sur la base d'un
volontariat rémunéré au SMIC, et que le coût du
futur volontariat a été pris en compte dans la
détermination des moyens de fonctionnement de l'Armée de terre
pendant la période 1997-2002.
Il aurait néanmoins été probablement plus prudent de
prévoir pour les futurs volontaires une rémunération plus
conforme à la logique du service national qui implique, de la part du
jeune, l'idée de service rendu à la collectivité et donc,
par conséquent, une certaine générosité n'appelant
pas nécessairement une rémunération proportionnelle aux
efforts fournis.
L'argument selon lequel une indemnité plus modeste n'aurait pas permis
d'attirer une ressource suffisante et de qualité ne paraît pas
nécessairement recevable. En effet, les craintes exprimées
à l'égard de l'attractivité des pécules ont conduit
à définir ceux-ci sur des bases suffisamment
généreuses pour que l'on enregistre actuellement, dans
l'Armée de terre, trois demandes au moins pour un pécule. Le
même raisonnement appliqué au volontariat militaire incite
à penser que celui-ci n'aurait pas nécessairement moins de
succès si la rémunération avait été
fixée à un niveau moins élevé, permettant, par
exemple, d'allouer des moyens supplémentaires à l'activité
des forces (voir ci-dessous II).
(2) L'incidence des nouveaux reports d'incorporation sur la période de transition
L'article 3 de la loi n° 97-1019 portant réforme
du servie national a pour objet d'insérer, dans le code du service
national qui s'appliquera jusqu'en 2002, un nouvel article L. 5 bis A
créant une catégorie inédite de reports d'incorporation,
destinés aux jeunes gens titulaires d'un emploi. Rappelons que cette
disposition vise à attribuer un report d'incorporation, susceptible
d'être renouvelé, aux jeunes gens titulaires d'un
contrat
à durée indéterminée
. Cette disposition
pourrait permettre aux intéressés, par le biais de reports
successifs, d'échapper
de facto
au service national
jusqu'à l'extinction définitive de celui-ci.
Notons que, dans le cas des titulaires d'un
contrat à durée
déterminée
, les reports créés par le nouvel
article L 5 bis A du code du service national ont un effet plus limité,
puisqu'ils viennent à échéance avec le contrat de travail
du jeune homme incorporable.
L'article L 5 bis A du code du service national pourrait avoir
des conséquences très défavorables pour l'Armée de
terre. Celle-ci pourrait en effet subir, du fait de ces reports, un
" manque à gagner " compris, selon les infrormations
transmises à votre rapporteur, entre 12 000 et 16 000 appelés. Or
la transition vers l'armée professionnelle a été
bâtie, pour l'Armée de terre, sur un effectif
régulièrement décroissant d'appelés,
dont la
contribution à la défense nationale demeure importante
jusqu'à la suspension définitive du service national.
Tel qu'il est conçu, le dispositif des nouveaux reports d'incorporation
pose un problème d'
incertitude sur les contours de la ressource
incorporable.
Cette incertitude pourrait
affecter l'organisation de
l'Armée de terre, si celle-ci était obligée de subir une
évolution incontrôlée de sa ressource appelée
.
Dans ce contexte, les dispositions de l'article 3 de la loi du 28 octobre 1997
portant réforme du service national conduisent à envisager des
correctifs.
Ceux-ci pourraient reposer sur le
recrutement
supplémentaire d'un effectif de militaires du rang engagés
correspondant au coût des appelés soustraits par la nouvelle loi
aux ressources de l'Armée de terre.
Cette mesure n'est toutefois pas
neutre financièrement, car un EVAT a vocation à être pris
en compte par le titre III des armées plus longtemps qu'un
appelé.
Une autre mesure pourrait consister à
accélérer le
rythme des restructurations,
afin que l'Armée de terre puisse
rallier plus vite le format défini à l'échéance de
2002. Selon les informations transmises à votre rapporteur, 5 000
personnels environ pourraient être rendus disponibles par ces
restructurations anticipées (il pourrait s'agir de procéder,
dès 1998, à la tranche de restructurations annoncée pour
1999).
Cette solution induirait toutefois une charge budgétaire
supplémentaire non négligeable, du fait du coût des
changements de résidence des personnels militaires.
Les deux catégories de mesures susceptibles d'atténuer les
conséquences de la création de reports d'incorporation
destinés aux titulaires d'un contrat de travail soulignent l'incidence
budgétaire d'une mesure pourtant présentée, de
manière hâtive, comme de nature à susciter des
économies en matière de lutte contre le chômage...
L'alternative est donc la suivante :
- soit l'Armée de terre reçoit des moyens suffisants pour
compenser, au moins partiellement, le " manque à gagner " en
ressource appelée résultant de ces nouveaux reports,
- soit aucun des correctifs ci-dessus évoqués n'est
adopté, et les conditions de la professionnalisation de l'Armée
de terre seront affectées par d'ingérables incertitudes sur le
niveau de la ressource susceptible d'être incorporée. La
capacité de l'Armée de terre à remplir
l'intégralité de ses missions pendant la période de
transition pourrait, dans ce cas, être altérée.
C'est au gouvernement qu'il revient de donner un signal fort en faveur de la
professionnalisation, sauf à donner à penser qu'il ne souhaite
pas donner à cette réforme tous les moyens de réussir.
*
* *