2. L'effrayante typologie des armes chimiques
Une typologie des armes chimiques peut être établie à partir de critères médicaux, en fonction des effets de ces substances toxiques sur l'organisme. Cette typologie est d'autant plus effrayante que la défense chimique, en dépit de progrès certains, ne semble pas véritablement infaillible.
a) La forte létalité des agents de guerre chimique
La frontière désormais ténue entre armes chimiques traditionnelles et armes à toxines incite à étendre la typologie des agents de guerre chimique à certaines substances issues des biotechnologies.
(1) Les gaz de combat
Les agents de guerre chimique se répartissent entre
quatre catégories principales, en fonction de leurs effets sur
l'organisme.
- Les
vésicants
se présentent sous forme de liquides
épais, qui peuvent agir non seulement par inhalation, lorsqu'ils sont
vaporisés, mais aussi sur la peau, dont ils détruisent les
cellules. S'ils atteignent l'appareil respiratoire, ils causent la mort par
asphyxie. La substance vésicante la plus célèbre est
l'ypérite ou gaz moutarde, du nom de l'attaque allemande d'Ypres, en
avril 1915 (5 000 morts et 15 000 blessés).
- Les
suffocants
(chlore, phosgène, diphosgène) se
présentent sous forme de liquides plus volatils que les
vésicants. Agissant exclusivement par inhalation, ils provoquent un
oedème du poumon et l'asphyxie.
- Les
hémotoxiques
(chlorure de cyanogène, acide
cyanhydrique) détruisent les globules rouges et ont pour effet
secondaire un empoisonnement par l'arsenic. L'acide cyanhydrique était
utilisé par les nazis dans les chambres à gaz.
- Les
neurotoxiques
(agents G : sarin, tabun, soman, et agents V, parmi
lesquels le VX) provoquent la paralysie des muscles (notamment des muscles
respiratoires). Ils sont dérivés d'ingrédients entrant
dans la fabrication des insecticides, des engrais et de certains colorants.
Notons que les effets produits par ces agents toxiques sur l'organisme
dépendent de la dose reçue. Si la
dose létale
de
l'ypérite est de
7 grammes
, certains agents neurotoxiques ont une
dose létale de
5 à 15 milligrammes
.
(2) Les armes chimiques à toxines
L'arsenal biologique est principalement constitué par
le charbon, les toxines botuliniques et les entérotoxines du
staphylocoque B. L'anthrax, ou bacille du charbon, cause la mort par
septicémie ou toxémie (empoisonnement du sang). L'infection peut
être d'origine pulmonaire, digestive ou cutanée.
L'épidémie locale de charbon observée en 1979, à
proximité de l'usine chimique soviétique de Sverdlovsk, parait
attester la
collusion entre armes chimiques et armes biologiques
.
La frontière est, en réalité, beaucoup plus ténue
entre armes chimiques et armes biologiques en ce qui concerne les
toxines
. A la différence des armes chimiques traditionnelles,
fabriquées artificiellement, les toxines sont
sécrétées par reproduction naturelle d'agents vivants, et
peuvent être ensuite dispersées par un vecteur chimique. Ainsi ont
été intégrées au champ d'application de la
convention la ricine et la saxitoxine, inscrites au tableau 1 qui regroupe les
substances les plus toxiques, dont les utilisations industrielles civiles sont
les plus rares.
Dispersées sous forme d'aérosol, comme les gaz de combat, les
toxines de guerre ont des
effets létaux considérables
(75
à 100 %) , dans des délais rapides mais différés
(entre un et cinq jours après l'attaque).
b) Les lacunes de la défense chimique
Les mesures de défense reposent sur la
détection, la protection, la décontamination, ainsi que sur des
mesures médicales
4(
*
)
.
- La
détection
vise à donner l'alerte à temps pour
pouvoir prendre des mesures de protection efficaces. Les moyens de
détection s'appuient sur des technologies très diverses, du
papier imprégné de réactifs qui se colorent au contact de
substances toxiques, aux méthodes d'analyse par spectrométrie.
- La
protection
repose sur des moyens collectifs et individuels. Les
moyens collectifs passent par le filtrage de l'air pénétrant dans
les locaux confinés et dans les véhicules. Les blindés
sont aujourd'hui, pour la plupart, équipés pour évoluer en
atmosphère contaminée. La protection individuelle comprend un
masque à gaz et des vêtements spéciaux, qui arrêtent
les substances toxiques sans entraver les échanges thermiques avec l'air
ambiant. Notons que les masques de protection de dernière
génération permettent la transmission de la voix ainsi que
l'absorption des liquides. Les nouveaux équipements de protection
individuelle présentent le mérite de nuire aussi peu que possible
à la performance des troupes. Le maintien, dans la durée, des
capacités opérationnelles des combattants n'est cependant pas
assuré, compte tenu du relatif inconfort de ces tenues.
- La
décontamination
concerne non seulement les personnels, mais
aussi les matériels (véhicules, armes ...), les bâtiments,
le sol et les végétaux. La décontamination des
matériels doit être faite dans les heures qui suivent l'attaque.
Elle s'effectue à partir de solutions décontaminantes et d'eau,
et nécessite une main-d'oeuvre importante et entraînée. La
décontamination d'urgence des personnels passe par l'application de
"terre de Foulon", sorte de talc de couleur brune, susceptible
d'absorber
l'agent toxique.
- La
défense médicale
est très complexe, car il
n'existe pas d'antidote efficace contre tous les agents chimiques existants.
Certains médicaments pris préventivement, sous forme de
comprimés, diminuent l'effet des organophosphorés. Un autre
antidote, que le combattant doit s'injecter en cas d'attaque, permet de
supporter des doses élevées de neurotoxiques sans effet nocif
à long terme. Cette thérapeutique donne au combattant la
possibilité d'attendre son évacuation sanitaire, mais elle se
traduit par la mise hors de combat temporaire du sujet traité. Notons
enfin qu'il n'existe aucune thérapeutique appropriée contre les
effets de l'ypérite.
La défense chimique, en dépit des progrès récemment
accomplis, présente donc d'incontestables lacunes : en cas de diffusion
d'agents persistants dans l'atmosphère, les troupes doivent
procéder à la décontamination de leurs matériels au
plus tard six heures après l'attaque, ce qui suppose d'interrompre le
combat. Cet impératif introduit donc un
élément de
vulnérabilité évident
dans la situation des troupes
attaquées. Par ailleurs, il n'est pas établi que le combattant
équipé d'une tenue de protection puisse, comme votre rapporteur
le relevait précédemment, se livrer à des efforts
très prolongés. Enfin, notons
l'importance primordiale de
l'eau dans les processus de décontamination chimique.
La
rareté des ressources en eau dans certaines régions du monde
pourrait donc altérer l'efficacité de la défense chimique.
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