ANNEXE N° 2
COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS
DE LA
COMMISSION
AUDITION DE M. JEAN-JACK QUEYRANNE,
SECRÉTAIRE
D'ÉTAT À L'OUTRE-MER, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR
PAR
INTÉRIM LE MARDI 13 OCTOBRE 1998
M. Jean-Jack Queyranne
a rappelé
l'engagement du
Premier ministre, pris lors de sa déclaration de politique
générale en juin 1997, d'élaborer un nouveau dispositif
limitant les cumuls de mandats et fonctions, destiné à favoriser
l'émergence de nouvelles générations de responsables, tout
en tenant compte de nos traditions politiques. Il a fait état des
nombreuses consultations engagées auprès des formations
politiques et associations d'élus.
Il a regretté les insuffisances de la loi de 1985, qui avait
déjà limité à deux mandats importants le cumul
possible, mais permettait aux parlementaires d'être responsables
d'exécutifs locaux importants ou membres du Parlement européen et
en même temps maires de communes de moins de 20.000 habitants.
Concernant le projet de loi organique, relatif à la limitation du cumul
applicable aux députés et aux sénateurs,
M. Jean-Jack Queyranne
a rappelé la nécessité
d'une loi organique, en raison de l'objet de la loi qui a trait au statut des
parlementaires et s'applique aux territoires d'outre-mer. Il a fait remarquer
que l'article L.O. 297 du code électoral établissait un
régime identique pour les députés et les sénateurs.
En premier lieu,
M. Jean-Jack Queyranne
a souligné
l'unanimité des personnes consultées pour rendre le mandat de
représentant au Parlement européen incompatible avec un mandat
parlementaire national. Il a jugé que l'Acte européen du
20 septembre 1976 ne faisait pas obstacle aux législations
nationales établissant une telle incompatibilité, illustrant son
propos en rappelant que cinq pays l'avaient déjà fait sans se
voir opposer pour autant de procédure en manquement.
En second lieu, il a exposé que le mandat de parlementaire national
deviendrait incompatible avec les fonctions exécutives locales :
président de Conseil général ou régional, maire,
président du Conseil exécutif de Corse, président d'une
Assemblée de province du Territoire de Nouvelle Calédonie.
Il a précisé que l'Assemblée nationale en première
lecture avait ajouté des incompatibilités supplémentaires,
un parlementaire national ne pouvant plus exercer les fonctions de
président d'établissement public de coopération
intercommunale à fiscalité propre, membre du Conseil de la
politique monétaire de la Banque de France, juge des tribunaux de
commerce, membre d'un cabinet ministériel ou du cabinet du
président de la République, membre de la Commission
européenne ou du Directoire de la Banque centrale européenne,
membre du bureau d'une chambre consulaire ou d'une chambre d'agriculture,
membre du conseil d'administration ou de surveillance des
sociétés faisant publiquement appel à l'épargne.
Il a enfin rappelé qu'un parlementaire ne pourrait détenir plus
de deux mandats. Il devrait choisir, en plus du mandat de député
ou sénateur, entre conseiller régional, conseiller
général ou conseiller de Paris ou conseiller à
l'Assemblée de Corse, ou conseiller municipal.
M. Jean-Jack Queyranne
a fait remarquer que l'Assemblée
nationale avait ajouté divers autres amendements en première
lecture tendant à fixer l'âge d'éligibilité à
18 ans pour tous les mandats, y compris celui de sénateur, ou
encore à associer les parlementaires aux diverses commissions
réunies dans les départements. Il a estimé qu'ainsi les
parlementaires ne seraient pas coupés de l'expérience locale
puisqu'ils pourraient détenir un mandat local, à condition qu'il
ne s'agisse pas d'une fonction exécutive.
Concernant l'entrée en vigueur,
M. Jean-Jack Queyranne
a
noté que la loi serait applicable au prochain renouvellement de
l'Assemblée nationale, mettant l'accent sur la mise en place progressive
du nouveau régime des incompatibilités. En outre, il a
confirmé que l'élu placé en situation de cumul
prohibé disposerait d'un délai de trente jours pour renoncer au
mandat de son choix (à l'exception du dernier acquis) et qu'à
défaut le mandat le plus ancien serait réputé
abandonné.
M. Jean-Jack Queyranne
a ensuite commenté le projet de loi
ordinaire relatif aux élus non parlementaires nationaux
c'est-à-dire les membres du Parlement européen et les élus
locaux. Il a signalé que le dispositif applicable aux
députés européens était aligné sur celui des
parlementaires nationaux, tandis que la règle retenue pour les
élus locaux était de limiter à deux mandats le cumul
autorisé à l'exclusion du cumul de deux fonctions
exécutives. L'Assemblée nationale en première lecture a
renforcé les incompatibilités avec diverses fonctions non
électives et activités professionnelles, parallèlement
à ce qu'elle avait voté pour les parlementaires.
M. Jean-Jack Queyranne
a précisé que le régime
transitoire prévu par le projet de loi était strict puisque le
mandat le plus ancien serait perdu et qu'il n'existerait pas de délai
d'option, contrairement au régime applicable aux parlementaires.
M. Jean-Jack Queyranne
a fait remarquer que le dispositif serait
applicable dans les territoires d'outre-mer et les collectivités
territoriales d'outre-mer sous réserve d'assimilation de certains
mandats et fonctions métropolitains et ultra-marins.
Il a relevé que l'Assemblée nationale avait souhaité
accompagner le projet de loi d'un statut de l'élu, en particulier en
réévaluant les indemnités des maires dès
l'entrée en vigueur des règles limitant le cumul.
En conclusion, il a tenu à marquer que ces deux projets de loi
renforceraient la démocratie représentative.
M. Jacques Larché, rapporteur,
a souligné la
responsabilité particulière du Sénat, porteur d'espoirs
inavoués à l'Assemblée nationale. Il a rappelé que
lors des débats sur la loi de 1985, présentée par le
ministre de l'intérieur d'alors, M. Pierre Joxe, le Sénat et
l'Assemblée nationale étaient parvenus à un accord, au
terme de trois lectures, sur une rédaction conforme à
l'intérêt général.
M. Jacques Larché, rapporteur,
a marqué sa surprise devant
le cours pris par les débats à l'Assemblée nationale.
Constatant le passage d'une réforme initiale du Gouvernement de
25 articles à un conglomérat de 55 articles, il s'est
prononcé pour le retour à une voie plus raisonnable.
Il a constaté que les incompatibilités s'appliquant aux ministres
n'avaient pas encore donné lieu au dépôt d'un projet de loi
constitutionnelle et a souhaité connaître les intentions du
Gouvernement en la matière avant d'aborder l'examen du projet de loi
organique.
Il a jugé démagogique le passage de l'âge
d'éligibilité à 18 ans, tout en rappelant que le
Sénat avait su démontrer que l'abaissement de l'âge des
jurés de 23 à 18 ans n'était pas judicieux. Il s'est
demandé s'il faudrait aussi réduire à 18 ans
l'âge d'éligibilité à la présidence de la
République. De même, il a critiqué le passage à la
règle de la proclamation du plus jeune en cas d'égalité
des voix.
M. Jacques Larché, rapporteur,
a ensuite
qualifié de fondamentale la question de l'incompatibilité entre
le mandat parlementaire et les fonctions exécutives locales.
Il a considéré que le ministre n'avait pas exposé les
raisons d'une telle mesure. Il a constaté que l'une des motivations le
plus fréquemment avancées était l'absentéisme
parlementaire. Cependant, il a objecté qu'au sein de la commission des
lois du Sénat la présence de titulaires de mandats locaux, en
particulier de fonctions exécutives, n'avait jamais
entraîné l'absentéisme. Il a estimé que cette
justification n'était pas déterminante et qu'il s'agissait d'un
faux problème. Il a souligné que l'organisation du débat
parlementaire suivait encore des règles du
XIXème siècle et il a suggéré que les
conséquences de la révision constitutionnelle instituant la
session de neuf mois n'avaient pas été tirées, tandis que
le Gouvernement inscrivait davantage de lois à l'ordre du jour.
M. Jacques Larché, rapporteur,
a mis en lumière
la contradiction entre l'intention affichée de lutter contre
l'absentéisme et l'article additionnel prévoyant que les
parlementaires seraient membres de droit des commissions locales dans
lesquelles seraient examinés les programmes de développement
local et les contrats de plan. Il a relevé que les présidents
n'assistaient pas aux séances nombreuses de ces commissions mais y
déléguaient en général les vice-présidents.
Il a ensuite exprimé la crainte que les propositions de
l'Assemblée nationale sur le statut de l'élu local ne se
traduisent par une dépense considérable à la charge des
collectivités locales, estimée à 700 millions de
francs pour les communes. De plus, il s'est interrogé sur l'interdiction
de cumuler deux fonctions exécutives pour un élu non
parlementaire, estimant que les difficultés de gestion n'étaient
réelles que pour les maires de communes de 6.000 à
10.000 habitants, dans lesquelles les moyens techniques des grandes villes
ne sont pas disponibles, mais où l'exigence de proximité demeure.
De manière générale, il a estimé que ces projets de
loi pouvaient mettre en cause le mécanisme de recrutement des
élites politiques. Il s'est déclaré réservé
à l'égard de projets de loi qui feraient disparaître le
soubassement local de la démocratie pour le remplacer par un rôle
accru des partis. Il a estimé que de tels projets préludaient,
comme celui sur la parité, à la généralisation du
mode de scrutin à la proportionnelle.
M. Daniel Hoeffel
a souligné que, contrairement
à leurs homologues de la plupart des pays occidentaux, les
parlementaires français devaient quitter le Parlement lorsqu'ils
étaient nommés membres du Gouvernement. Il a estimé que
cela posait le problème des relations entre le ministre et son
suppléant et que la situation actuelle, marquée notamment par
l'organisation d'élections partielles lorsque les ministres quittent le
Gouvernement, n'était pas satisfaisante. Il a évoqué
l'éventualité d'une restitution du mandat par le suppléant
à l'issue des fonctions ministérielles.
M. Jacques Larché, président
, a alors
rappelé que des textes en ce sens avaient été
préparés dans les années 1970 mais qu'ils avaient
été considérés comme portant atteinte aux principes
fondateurs de la Vème République.
M. Jean-Claude Peyronnet
a souhaité savoir si le rejet
éventuel de la disposition du projet de loi organique interdisant le
cumul d'un mandat parlementaire et d'une fonction exécutive locale
risquait d'entraîner le retrait de l'ensemble du texte ou si le
Gouvernement considérait les autres dispositions suffisamment
importantes pour en poursuivre malgré tout l'adoption. Il s'est
demandé si l'adoption du projet de loi organique n'aurait pas pour
conséquence logique l'adoption du mode de scrutin proportionnel pour
l'ensemble des élections.
A propos du statut de l'élu, il a observé que les mesures
adoptées par l'Assemblée nationale étaient à la
fois coûteuses et dérisoires. Il a exprimé le souhait que
le Gouvernement s'engage en faveur de l'adoption d'un véritable statut,
qui pourrait être adopté d'ici 2002. Il a enfin noté que
l'article 10 du projet de loi organique prévoyait l'application du
texte à compter du prochain renouvellement de l'Assemblée
nationale et en a déduit que, sauf en cas de dissolution de
l'Assemblée nationale, le texte ne s'appliquerait, en pratique, qu'en
2004 pour les sénateurs.
M. Christian Bonnet
s'est déclaré convaincu que
les députés avaient volontairement complété ce
texte par des mesures n'ayant aucun rapport avec son objet initial afin de
conduire la réforme à l'échec. Il a estimé que
l'adoption des deux projets de loi conduirait à la mise en oeuvre
généralisée du mode de scrutin proportionnel et donc au
régime des partis pourtant rejeté par l'opinion publique.
M. Patrice Gélard
a tout d'abord estimé que
l'adoption d'un statut de l'élu aurait dû intervenir
préalablement à la présentation de cette réforme.
Il a souligné que certaines questions n'étaient pas
abordées, en particulier le fait que l'accès aux fonctions
politiques était de facto beaucoup plus aisé pour les
retraités et les fonctionnaires que pour les autres catégories de
citoyens.
Evoquant certaines dispositions des projets de loi, il s'est interrogé
sur la volonté d'exclure la possibilité de cumuler une fonction
de membre d'une chambre consulaire ou d'une chambre d'agriculture et un mandat
parlementaire. Il a par ailleurs fait observer qu'aucun élu
n'appartenait officiellement à un cabinet ministériel ou au
cabinet du président de la République et que la mise en place
d'une incompatibilité n'avait donc aucune signification en cette
matière. Il a enfin estimé illogique la volonté de rendre
incompatibles les fonctions de maire et de président d'une structure
intercommunale à fiscalité propre.
M. Patrice Gélard
a estimé que l'interdiction du
cumul d'un mandat parlementaire et d'une fonction exécutive locale
conduirait le président d'une assemblée locale choisissant
d'exercer un mandat de parlementaire national à se faire remplacer
officiellement par un adjoint tout en continuant à gérer en fait
la collectivité. Il s'est demandé si une
accélération du renouvellement des élites politiques
obtenue de cette manière était vraiment la meilleure.
M. Patrice Gélard
a observé que l'obligation de
cesser d'exercer le mandat le plus ancien ne tenait aucun compte de la
volonté des électeurs. Il a souligné que les
électeurs des villes importantes ou moyennes étaient convaincus
qu'il était préférable pour une commune d'avoir à
sa tête un député-maire ou un sénateur-maire
plutôt qu'un maire ne détenant aucun mandat national. Il a
ajouté que la possibilité de cumuler certaines fonctions
était issue de l'histoire et de la culture françaises et qu'il
était difficile de comparer la situation de notre pays avec celle
d'autres pays occidentaux. Il a en particulier précisé qu'en
Allemagne l'incompatibilité entre certains mandats était
justifiée, dans la mesure où, dans un système
fédéral, il pouvait y avoir antagonisme entre le mandat national
et le mandat local.
M. Guy Allouche
a observé que le fait qu'un maire soit
député ou sénateur ne le mettait pas à l'abri d'une
défaite lorsqu'un courant politique fort existait.
En réponse aux orateurs,
M. Jean-Jack Queyranne
a tout d'abord
rappelé les objectifs des projets de loi. Il a souligné que
l'exception française en matière de cumul des mandats prenait
racine dans la centralisation qui a longtemps prévalu dans notre pays et
a estimé que la décentralisation conduisait à remettre en
cause cette situation sans exclure tout cumul mais en limitant simplement cette
possibilité.
Il a ensuite fait valoir que l'opinion souhaitait que les élus se
consacrent pleinement à leurs mandats. Il a indiqué que le
Gouvernement, tout en ne souhaitant pas une révision
générale du régime des indemnités des élus,
avait accepté une revalorisation des indemnités accordées
aux maires, compte tenu de l'insuffisance actuelle de leur montant. Il a enfin
souligné que le Gouvernement souhaitait une diffusion des
responsabilités et estimait nécessaire de favoriser la
pluralité des élites, observant qu'un renouvellement plus rapide
du personnel politique correspondait davantage à l'état de notre
société.
A propos des structures intercommunales, le ministre a estimé que le
problème soulevé par M. Patrice Gélard
était réel et qu'il devrait être traité dans le
cadre de la discussion du projet de loi. Evoquant les nombreuses dispositions
ajoutées aux textes par l'Assemblée nationale, il a estimé
que certaines d'entre elles mériteraient un examen approfondi par le
Sénat.
M. Henri de Richemont
s'est demandé pourquoi il
était apparu nécessaire au Gouvernement d'interdire aux maires
des petites communes rurales le plus souvent bénévoles de
détenir un mandat de parlementaire.
M. Jean-Jack Queyranne
a alors fait observer que le Gouvernement avait
souhaité mettre en oeuvre une mesure générale afin
d'éviter les effets de seuil. Il a observé que la loi de 1985
avait évité le cumul d'un très grand nombre de fonctions
mais avait en fait conduit à une augmentation du nombre de personnes
cumulant deux ou trois mandats ou fonctions.
Mme Dinah Derycke
a souligné que des
députés européens élus en France pouvaient avoir la
nationalité d'un autre pays de l'Union européenne et donc
détenir un autre mandat dans ce pays. Elle s'est demandé si cette
possibilité était compatible avec les objectifs de la
réforme.
M. Patrice Gélard
a souligné
qu'indépendamment de la réforme présentée, il
était désormais nécessaire d'entreprendre une refonte du
code électoral devenu illisible à ses yeux de codificateur.
M. Lucien Lanier
a évoqué le lien établi
par le ministre entre la décentralisation et la limitation du cumul des
mandats. Il a exprimé la crainte que s'établisse un hiatus entre
les compétences et pouvoirs dévolus aux collectivités
locales et le principe de l'unité de la République. Il s'est
demandé si on ne risquait pas d'aboutir à une contradiction entre
les intérêts défendus au niveau national et les
intérêts défendus au niveau local. Il en a déduit
qu'il fallait respecter une juste mesure dans la décentralisation.