INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi, soumis à l'examen de la Haute Assemblée, a deux
ambitions : d'une part, redéfinir les objectifs de la politique
agricole française en consacrant ses fonctions économique,
sociale et environnementale dans le cadre d'un développement durable et
équilibré ; d'autre part, mettre en oeuvre " des moyens
modernes de gestion de l'intervention publique ".
Il fait suite au projet de loi
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présenté par le précédent ministre de
l'agriculture, M. Philippe Vasseur, qui visait à doter l'agriculture
française, pour les vingt prochaines années, des instruments
appropriés pour répondre aux défis du XXIe siècle,
en établissant un nouveau " pacte entre la Nation et ses
paysans ".
Le Président de la République avait annoncé, lors du
cinquantenaire de la FNSEA le 14 mars 1996, l'élaboration d'un
projet de loi d'orientation agricole.
Le 19 juin 1997, M. Lionel Jospin, Premier Ministre, avait souhaité,
dans son discours de politique générale, conduire les travaux
nécessaires à l'élaboration d'une loi d'orientation. Le
ministre de l'agriculture avait d'ailleurs exprimé " son souhait de
valoriser le travail réalisé par les organisations
professionnelles, s'inscrivant ainsi dans une certaine continuité. Ce
texte a été soumis à concertation avec les professionnels
à partir du mois de septembre 1997. Une chose est en effet
d'exposer les indispensables évolutions de la politique agricole
qu'imposent les modifications profondes de l'environnement international et
communautaire, une autre chose est de leur trouver une traduction
législative.
Ayant présenté son avant-projet en janvier 1998, le
Gouvernement a transmis pour avis ce texte au Conseil économique et
social, qui s'est prononcé le 27 mai dernier sur le rapport de
Mme Christiane Lambert. La Commission de la Production et des Echanges a
examiné ce projet de loi en juillet dernier
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. L'Assemblée nationale en a
débattu en octobre dernier.
Ce texte d'orientation s'inscrit dans la longue tradition des lois
agricoles.
Au lendemain de l'après-guerre, l'impératif de reconstruction et
de modernisation de l'économie s'est traduit en agriculture par
les
lois de 1960 et 1962
dont la force est d'avoir su s'ouvrir
des perspectives, d'avoir tracé les lignes directrices qui ont permis la
formidable modernisation et le large développement, notamment à
l'exportation, de notre secteur agricole et alimentaire.
Les grands défis étaient alors pour l'agriculture de couvrir les
besoins alimentaires de l'Europe en développant sa capacité de
production.
La mobilisation de toutes les ressources disponibles, l'entrée de la
France dans le marché commun avec la construction de la politique
agricole commune et les politiques d'accompagnement des pouvoirs publics ont
permis d'atteindre ces objectifs.
Alors que la loi d'orientation de 1960 était imposée par la
volonté de rénover les structures de production, en sorte que les
exploitants parviennent à une parité de revenus et de conditions
de vie avec les autres catégories professionnelles,
la loi
d'orientation agricole du 4 juillet 1980
, par delà les
dispositions juridiques qu'elle comportait, était animée par la
volonté de promouvoir une revalorisation du revenu des exploitants, tout
en permettant à l'agriculture, d'une part, de renforcer sa contribution
au développement économique du pays et, d'autre part, de relever
le défi de la productivité lancé par certains partenaires
européens.
Un grand nombre d'autres textes agricoles ont suivi, dont la loi de 1982 sur
les offices d'intervention, celle de 1984 sur les structures d'exploitations,
celle de 1985 sur l'aménagement foncier rural, les textes de 1988 et
1990 portant adaptation des exploitations agricoles, ceux de 1991 et 1994 et
enfin la loi n° 95-95 du 1er février 1995 de
modernisation de l'agriculture que j'ai eu l'honneur de rapporter ici
même devant la Haute Assemblée.
A ce stade de la réflexion,
votre rapporteur souhaite se
féliciter de la diligence dont ont fait preuve les deux
précédents Gouvernements
dans l'application de la loi de
modernisation de 1995. Publiée le 1er février 1995,
celle-ci ne nécessitait pas moins d'une quarantaine de décrets.
Dès le mois de juillet 1995, une dizaine de textes d'application
ont été pris dans des domaines importants, constituant l'axe
central de cette réforme : programmes pour l'installation des
jeunes en agriculture et le développement des initiatives locales,
pré-retraite, mise en place des commissions départementales
d'orientation agricole, fonctionnement -parfois difficile- du fonds de gestion
de l'espace rural, déduction du revenu implicite du capital foncier de
l'assiette des cotisations sociales agricoles, signature de la charte nationale
de l'installation... Tout au plus peut-on constater, à regret, le retard
croissant mis par le Gouvernement à déposer sur le Bureau des
Assemblées les rapports prévus par la loi.
Ce texte de modernisation de l'agriculture étant récent, certains
ont exprimé leur scepticisme quant à l'utilité de mettre
en chantier une nouvelle loi d'orientation. Plusieurs autres arguments ont
été avancés : incertitudes liées au contexte
international, complexité des chantiers communautaires sur la prochaine
décennie, intégration totale de l'agriculture dans
l'économie, diminution de la population agricole et du poids de ce
secteur dans le PIB...
Cette analyse n'est pas partagée par votre rapporteur
.
Il est aujourd'hui de bon ton de montrer du doigt les agriculteurs en les
accusant tour à tour de " pollueurs ", de consommateurs
excessifs d'eau, de budgétivores, de productivistes...
Ces critiques, qui proviennent le plus souvent de citadins ayant du monde rural
une vision bucolique, provenant presqu'exclusivement de leur promenade
dominicale, sont non seulement totalement erronées et procèdent
d'une interprétation pour le moins réductrice de la
réalité mais aussi contribuent à propager dans l'opinion
publique une image négative du monde agricole.
Votre rapporteur souhaite rappeler quelques réalités de
l'agriculture aux 80 % de citadins et surtout à ceux qui nous
gouvernent aussi bien en France, en Europe que dans le monde.
De la gravure de " la charrue " sur un rocher de la vallée des
Merveilles entre 1.000 et 2.000 ans avant notre ère, à
l'agriculture imaginaire de Max Ernst dans le " paysage au germe de
blé " en 1934, l'agriculture a toujours être porteuse d'une
dimension symbolique forte : le rattachement à la terre, la
confrontation aux réalités, le respect du vivant sont autant de
valeurs que nous redécouvrons peu à peu.
L'agriculture française, faut-il le rappeler, est un des secteurs les
plus importants en terme d'emplois : c'est en effet près de
700.000 entrepreneurs, plus de 350.000 conjoints, près de
300.000 aides familiaux et 140.000 salariés permanents.
En outre, l'industrie agro-alimentaire emploie près de
400.000 personnes.
Rappelons qu'un emploi en agriculture correspond en moyenne à quatre
emplois induits.
Au niveau économique, l'excédent agro-alimentaire de notre
balance commerciale s'est élevé à près de
67 milliards de francs en 1997. Le secteur des industries
agro-alimentaires est le premier secteur industriel français, avec un
chiffre d'affaires qui avoisine les 800 milliards de francs.
Des productions comme le blé et le vin constituent les fers de lance de
nos exportations.
Les agriculteurs français ont su, par ailleurs, s'adapter -de
manière exceptionnelle- à un environnement en pleine
mutation : réceptif à toutes les nouveautés en
matière culturale, sur le plan de mécanisation et de
l'informatisation, le monde agricole a su utiliser les progrès de la
recherche tout en sauvegardant et en diversifiant les dispositifs d'entraide et
de solidarité existants. C'est cet alliage de modernité et de
tradition qui explique les formidables performances du secteur
coopératif. Les organisations agricoles, par leur professionnalisme et
leur dynamisme, donnent au quotidien le témoignage de cette remarquable
capacité d'adaptation.
Mais l'agriculture française, ce n'est pas seulement des femmes et des
hommes courageux, dynamiques, créatifs, des produits et des services
à haute valeur ajoutée, c'est aussi l'occupation d'un immense
espace -80 % de la superficie française- et, par delà, le
refus de la désertification. La richesse et la diversité de nos
terroirs seraient vouées à la disparition sans la présence
du monde agricole.
Nos concitoyens recherchent de plus en plus l'air pur aux portes de la capitale
ou au plus profond de la Lozère. Mais sans l'élevage bovin,
l'agriculture péninsulaire, la culture des céréales, nous
serions confrontés à des zones de friche inaccessibles. Quel en
serait le coût pour la collectivité en termes de nuisances, de
dangers, de risque d'incendie...?
Ces " pays " auxquels nous sommes tant attachés seraient vides
et en friche sans paysans. N'aurions-nous pas tendance, aujourd'hui, à
l'oublier ?
Au niveau européen, le quarantième anniversaire de la
Conférence de Stresa de juillet 1958, nous rappelle l'importance de
ce brillant exercice de co-gestion entre la Commission européenne, les
ministres de l'agriculture des " six " et les organisations
professionnelles agricoles qui jeta les fondements de la PAC. Cette
conférence, aujourd'hui entre légende et oubli, a donné un
élan essentiel à l'agriculture européenne qui, à
cette époque, était, dans l'ensemble, peu performante, l'Europe
étant alors largement dépendante du reste du monde pour la
plupart des produits alimentaires de base. En outre, représentant plus
de 372 millions de consommateurs à hauts revenus et une production
finale de plus de 200 milliards d'Euros, la Communauté à
Quinze constitue le premier marché alimentaire mondial.
Mais au-delà de cette réussite de l'agriculture
européenne, c'est le succès de la construction communautaire que
l'on doit constater. En effet, la PAC a été longtemps la seule
politique intégrée de la CEE Stresa marquant donc d'une pierre
blanche le chemin de la construction européenne. Aujourd'hui,
" l'après Stresa est commencé "
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et la PAC doit se remettre en phase
avec les demandes de la société.
A l'heure de la mondialisation, dans un monde où s'effectue la
reconstruction économique des blocs internationaux, l'agriculture,
englobée au même titre que les autres secteurs économiques,
est un facteur essentiel dans les changements qui s'opèrent. Ainsi,
derrière les évolutions observées en Russie, en Chine, en
Inde ou en Amérique latine, c'est le problème agricole et
alimentaire qui reste au centre des débats.
Cette loi d'orientation doit avoir pour objectif de préparer
le
cadre nécessaire à l'expansion des filières, des
entreprises agro-alimentaires et des exportations pour les vingt années
à venir.
Elle doit être non seulement une réforme en
profondeur de l'existant mais aussi et surtout une ouverture sur le futur.
L'agriculture française doit relever de nouveaux défis pour
faire face aux réformes des organisations de marché, aux
exigences toujours croissantes des consommateurs et des opinions publiques, et
rester un acteur majeur du développement rural.
Si votre rapporteur voit dans ce projet de loi d'orientation une
opportunité à saisir, il souhaite souligner que sa
réussite exige de s'affranchir du court terme, de privilégier une
approche globale et d'être lucide sur les tendances lourdes du commerce
international.
Le projet de loi d'orientation doit répondre à
une
double nécessité
: l'une pour les
agriculteurs qui ont besoin de disposer de repères sur leur
métier, l'autre pour la société qui a besoin de tisser des
liens nouveaux avec l'agriculture. Enfin ce texte pourrait constituer, dans les
années à venir, l'esquisse d'un modèle agricole
européen évoqué par la mission d'information
sénatoriale sur l'avenir de la PAC et dont la
confédération européenne de l'agriculture a dressé
l'ébauche lors de son dernier congrès.
Avant d'examiner les articles du texte, qui vise à réorienter
l'agriculture française vers la multifonctionnalité de
l'agriculture, l'équilibre territorial et social et la
contractualisation de la politique agricole, votre rapporteur souhaite
restituer l'économie de ce dispositif dans son contexte international,
communautaire et national. C'est, en effet, dans un environnement international
et communautaire incertain qu'il est, plus que jamais, impératif de
doter l'agriculture française, en perpétuelle mutation, des
instruments nécessaires pour mettre ce secteur d'activité en
phase avec les attentes de la société.