PREMIÈRE
PARTIE -
EXPOSÉ GÉNÉRAL
CHAPITRE IER -
DANS UN CONTEXTE INTERNATIONAL ET COMMUNAUTAIRE EMPREINT
D'INCERTITUDES...
Les incertitudes
qui pèsent sur l'agriculture française tiennent à deux facteurs principaux.
En premier lieu, le secteur agricole se trouve, comme le reste de l'économie,
plongé
dans un contexte de mondialisation résultant d'un accroissement considérable des
échanges, de l'internationalisation des investissements et des réseaux de
circulation de
l'information et de l'innovation technologique.
En second lieu, alors que la politique agricole commune a, en près de
40 ans, hissé
la Communauté au premier rang mondial des marchés alimentaires
4(
*
)
, certaines évolutions sont apparues dès
les
années 1980 indispensables.
L'Europe agricole apparaît ainsi, depuis bientôt une quinzaine d'années, en
perpétuelle mutation.
Le projet de loi d'orientation ne peut ignorer ce contexte
environnement.
I. UNE MONDIALISATION CROISSANTE DES ÉCHANGES AGRICOLES DANS UN ENVIRONNEMENT D'INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE
La multiplication des échanges agricoles dans un contexte d'incertitude de l'approvisionnement alimentaire mondial peut apparaître comme un constat paradoxal. Si une analyse plus approfondie permet de nuancer cette affirmation en fonction des zones géographiques et des productions, cette dernière n'en demeure pas moins exacte.
A. DES ÉCHANGES AGRICOLES DE PLUS EN PLUS MONDIALISÉS
Le contexte
international influence, directement ou indirectement, l'agriculture française
et
européenne : le niveau de la récolte céréalière américaine, l'évolution du
marché chinois, la fluctuation du dollar et, par conséquent, la variation des
prix
mondiaux et des aides européennes à l'exportation, la nouvelle loi agricole aux
États
Unis s'avèrent autant de facteurs déterminants pour l'évolution de notre propre
agriculture. Cela est d'autant plus vrai que l'agriculture française occupe une
place
prépondérante au sein de l'Union européenne qui se trouve au centre des
négociations
internationales, et ce depuis la naissance de la PAC.
Avec plus de 21 %, de la production agricole européenne, 73 % des
exportations
agro-alimentaires françaises sont ventilés vers le marché communautaire et
27 %
vers le marché mondial. L'agriculture française est aujourd'hui le deuxième
exportateur
mondial agro-alimentaire. L'environnement international a donc une influence
déterminante
sur notre agriculture.
1. Un cadre nouveau pour les échanges agricoles
a) Les contours de la mondialisation
Le phénomène
de la mondialisation a pris de l'ampleur dès les années 1950. A cette
époque, il
se référait surtout à l'activité des premières entreprises multinationales.
Cependant, il ne s'est vraiment développé qu'avec le premier choc pétrolier. Ce
mouvement d'internationalisation - même si les termes sont quelque peu
distincts - a mis
en évidence une interdépendance des économies, mais aussi la dépendance de
certaines
à l'égard de nouvelles puissances ou le danger majeur d'une marginalisation,
pour
d'autres sur la scène internationale.
Cette interdépendance a connu trois étapes successives : le développement
des flux
ou d'exportation ou internationalisation, celui des flux d'investissements à
l'étranger
ou " transnationalisation " et enfin la diffusion du progrès
technologiques et des informations ou " globalisation ".
De 1950 à 1991, la production mondiale a été multipliée par 6,4 : l'une des
causes de cette croissance est l'effet d'entraînement de l'expansion du
commerce mondial
dont le volume a été multiplié par 13 au cours de la même période. Les
échanges
sont un moteur de croissance comme l'atteste le fait que leur accroissement
s'opère à un
rythme supérieur à celui du produit national brut.
La fin de " l'exception agricole "
Les politiques de commerce agricole ont longtemps été influencées par l'idée
qu'en
raison de son importance et de sa vulnérabilité, le secteur agricole ne pouvait
être
exposé de plein fouet aux rigueurs de la concurrence internationale sans
que cela
ait des conséquences politiques, sociales et économiques difficilement
acceptables.
Cette idée est la justification que la grande majorité des pays invoquent pour
faire
bénéficier leur secteur agricole d'une forte protection. Cette protection se
traduit par
un soutien d'une certaine ampleur : l'OCDE estime que près de 50 % de
la
production agricole finale fait l'objet d'un soutien, dont le taux varie entre
78 %
(Suisse) et 5 % (Nouvelle Zélande) ; les méthodes dominantes sont les
soutiens des
marchés (Japon, Finlande, Suisse et Union européenne), les aides aux revenus
(Norvège,
États Unis) et les aides aux facteurs de production.
Comme le rappelait M. Roland du Luart dans un rapport d'information sur le
bilan de
la politique agricole menée depuis 1988 et les négociations de GATT
5(
*
)
, la Communauté européenne n'avait donc
rien à
envier à bon nombre de pays, tout particulièrement les États-Unis, tant sur le
plan des
aides versées aux agriculteurs que sur celui des soutiens à l'exportations.
Ces dernières années, certains pays en développement ont pris unilatéralement
des
mesures de libéralisation de leur marché en particulier de leurs marchés
agricoles. Au
contraire, dans des pays industrialisés, les réformes des politiques agricoles,
si elles
tendent à réduire les distorsions des échanges, n'ont pas encore entraîné de
libéralisation significative. C'est dans ce contexte caractérisé par des graves
problèmes structurels pour le système mondial de commerce agricole que se sont
engagés
les négociations du cycle d'Uruguay.
Les accords du cycle d'Uruguay
Alors que l'agriculture n'était que l'un des seize thèmes définis dans la
déclaration
de Punta del Este -ville d'Uruguay-, ce volet, considèré comme le plus sensible
de la
négociation, a focalisé la majeure partie de l'attention (Montréal en
décembre 1988, Genève en avril 1989, Bruxelles en décembre 1990,
compromis Dunkel de janvier 1992, Genève en janvier 1993...) Malgré
des
différends, notamment entre les États-Unis et la Communauté, qui résultaient
plus de
la concurrence entre deux puissances exportatrices que de l'affrontement entre
deux
logiques, l'une protectionniste et l'autre libérale
6(
*
)
,
le cycle d'Uruguay s'est concrétisé par la signature des accords de Marrakech.
En avril 1994, 115 pays -dont la majorité en voie de développement-, ont
approuvé
l'acte final du cycle d'Uruguay après huit années de discussions (1986-1994).
Certains
des secteurs qui ont fait l'objet de négociations dans ce cadre sont désormais
sous un
régime transitoire prévoyant une libéralisation progressive, les étapes de ce
processus étant expressément définies.
L'accord agricole comprend six éléments
7(
*
)
:
les disciplines à l'importation, celles en matière de subventions à
l'exportation,
celles concernant les aides internes, la " clause de
paix ", les
mesures sanitaires et phytosanitaires et l'accord sur les oléagineux. Sur le
plan
juridique, les quatre premiers éléments constituent l'accord agricole stricto
sensu, les
mesures sanitaires et phytosanitaires formant un accord autonome au sein de
l'accord final
de l'Uruguay Round, tandis que l'accord sur les oléagineux ne fait pas partie
de l'accord
final.
Pour être complet, il importe de citer l'existence de deux accords commerciaux
plurilatéraux annexés aux accords de Marrakech qui, contrairement aux autres
accords de
l'OMC, n'impliquent des engagements que pour les Gouvernements les ayant
explicitement
ratifiés : il s'agit, d'une part, de l'accord international sur le secteur
laitier
et, d'autre part, de l'accord international sur la viande bovine.
L'ACCORD AGRICOLE DE L'URUGUAY ROUND
|
Accès au marché
|
Subventions à
l'exportation
|
Soutien interne
|
Mesures en terme de prix |
D. Conversion de toutes les mesures non tarifaires en droits de douane et consolidation de ces derniers |
D. Réduction des exportations subventionnées, en valeur, de 36 % en six ans (1995-2000). Engagements par produit en devise domestique nominale |
L. Réduction de 20 % de la " Mesure globale de soutien " (MGS) pour l'ensemble des produits |
Mesures de type quantitatif |
L.
Engagements
d'accès minimum : 3 % de la consommation
domestique (en volume) pour chaque catégorie de biens. Engagements sous
forme de quotas
tarifaires.
|
D. Réduction des exportations subventionnées, en volume, de 21 % en six ans (1995-2000). Engagements par produits. |
L.
gel des MGS par
produit
|
Actions de sauvegarde |
Mesures de
sauvegarde déclenchées
|
1. Flexibilité
entre années
|
1. Exceptions
spécifiques
|
Notes : D :
Mesures concernant plutôt les disciplines
L. : Mesures concernant plutôt la libéralisation
Source : Patrick Messerlin, " La nouvelle organisation mondiale du
commerce ",
DUNOD-IFRI, 1995
Ces accords ont limité profondément l'autonomie de la PAC et impose trois types
de
contraintes :
- la limitation des mesures de protection, d'abord : tous les
obstacles non
tarifaires sont remplacés par des droits de douane. Cette mesure devrait rendre
la
situation plus transparente et faire ressortir toutes les mesures de protection
dont
bénéficient les agriculteurs de certains pays. La période de référence pour le
calcul
des tarifs, douaniers est celle de 1986 à 1988, période durant
laquelle les
prix de nombreux produits agricoles étaient très bas. Les droits de douane
préexistants
et ceux résultant de la tarification doivent être progressivement réduits du
minimum de
15 % en six ans, la totalité devant atteindre 36 %. Les pays en
développement
sont autorisés à ne réduire leurs droits que de 24 % et étaler cette
réduction
sur dix ans. En outre, tous les droits de douane du secteur agricole doivent
être
consolidés et une obligation d'ouvrir un " accès minimum "
au
marché européen figure dans les accords ;
- le diminution des subventions à l'exportation, ensuite : les pays
développés doivent réduire de 36 % leurs subventions à l'exportation et de
21 % le volume des exportations subventionnées avant l'an 2000. Ces
réductions sont
calculées sur la base des montants de 1991-1992.
- la limitation des mesures de soutien intérieur, enfin : les mesures
de
soutien intérieur (prix, aides) doivent être réduites de 20 %. Les États
sont
libres de répartir comme ils le souhaitent cette réduction entre les différents
produits. Cette discipline sur les aides internes est calculée en fonction
d'une mesure
globale de soutien (MGS), notion prenant en compte, pour chaque pays, toutes
les aides au
soutien des prix et les subventions budgétaires directes. L'Union européenne
s'est ainsi
dotée d'un règlement distinguant les subventions autorisées
(" vertes "), éventuellement compensables
(" orange ") et interdites (" rouges).
Une clause de paix garantit cependant jusqu'en 2003, la reconnaissance des
aides de la PAC
ainsi que les aides " vertes " considérées comme non
contestables
(recherche, aide alimentaire...). Par ailleurs, un accord sur les mesures
sanitaires et
phytosanitaires (MSP) est joint à l'accord agricole. Il définit les conditions
dans
lesquelles un membre peut imposer des contrôles aux échanges pour protéger la
vie et la
santé des êtres humains, des animaux et pour préserver les végétaux. Il
représente
un effort pour clarifier, dans le domaine agricole, l'article XX du GATT
sur les
exceptions générales, et pour empêcher que ce dernier ne soit utilisé à des fins
protectionnistes.
Votre commission a souvent dénoncé à juste titre, la " prise en
otage " de l'agriculture dans ces négociations internationales et le
manque de
fermeté de la Communauté européenne dans ce cycle d'Uruguay : aussi
votre
rapporteur estime-t-il important de faire le point sur le fonctionnement de
cette nouvelle
organisation du commerce (OMC) depuis sa mise en oeuvre.