CHAPITRE II -

L'AGRICULTURE FRANÇAISE, EN PERPÉTUELLE MUTATION, NÉCESSITE LA RECHERCHE
D'UN NOUVEL ÉQUILIBRE

Quarante années de modernisation ont permis à l'agriculture française de se hisser aux tous premiers rangs internationaux. Si cette modernisation s'est faite à un rythme rapide, sans heurt social grave, elle ne s'est pas accomplie sans déchirement.

Pour autant aujourd'hui, notre agriculture doit à nouveau s'adapter et trouver un équilibre afin de faire face aux réformes exigées par le marché, de répondre aux exigences toujours croissantes des consommateurs et de demeurer un acteur du développement rural.

Le projet de loi d'orientation qui vous est soumis a pour objectif de parvenir à cet équilibre.

I. UNE AGRICULTURE QUI POURSUIT SA MUTATION

Vue de l'étranger, la situation agricole française peut, à juste titre, paraître paradoxale :

- la France semble, sur le plan des négociations internationales, privilégier à l'excès ses intérêts agricoles, au détriment de ses autres activités économiques ;

- largement bénéficiaire de la politique agricole commune, elle est pourtant particulièrement critique à son égard ;

- première puissance agricole de la CEE, deuxième exportateur mondial de produits agricoles et alimentaires, elle donne souvent l'impression de réclamer le maintien des mesures de protection et d'aides et de demander toujours plus à la PAC...

Cette situation de l'agriculture française apparaît d'autant plus paradoxale lorsqu'on examine le bilan d'un demi-siècle d'agriculture. En effet, sans chercher à nier les spécificités de notre agriculture, celle-ci a réussi à se hisser au tout premier rang mondial au prix néanmoins de douloureux bouleversements. Toutefois, les nouveaux défis que le monde paysan doit affronter pourrait montrer, à nouveau, sa capacité d'adaptation.

La future loi d'orientation agricole, en proposant une nouvelle charte entre l'agriculture et la société, devra dans les années à venir être le fil conducteur de l'évolution de l'agriculture française, en lui donnant les moyens de trouver un nouvel équilibre dans un environnement international et européen aujourd'hui plus que jamais incertain.

A. UN BILAN EN FORME DE PARADOXE

Les caractéristiques de l'agriculture française sont souvent mises en avant pour expliquer sa spécificité au sein de la PAC : la France reste encore très marquée par l'ancienneté de sa civilisation agricole et rurale, l'agriculture étant encore considérée comme toute autre chose qu'une simple activité économique ; en outre, l'agriculture française se caractérise par une extrême diversité, en matière d'exploitations comme de produits. Enfin, la nature des relations entre le monde politique et le monde syndical agricole constitue à elle seule une particularité : en effet le monde agricole a mis en place un ensemble unique de structures telles que le BAPSA en matière sociale, l'INRA et le CEMAGREF en matière de recherche et le Crédit agricole dans le domaine bancaire. L'enseignement agricole, public ou privé, les mécanismes de cogestion entre puissance publique et syndicalisme majoritaire, le caractère " administré " de la politique agricole sont autant de singularités.

Cependant ces spécificités n'expliquent pas complètement le constat paradoxal qu'appelle le bilan de notre agriculture.

1. Une agriculture aux succès indéniables

a) Une croissance de la production agricole dans un contexte de diminution des prix

Un essor de la production

Depuis la fin de la guerre, le volume de la production agricole finale a connu un essor quasi-continu même si son rythme de croissance s'est progressivement ralenti.

HAUSSE DU VOLUME DE LA PRODUCTION AGRICOLE FINALE

(INDICE 100 EN 1980)

Source : Comptes de l'agriculture, INSEE.

Lecture : la pente de la courbe indique le taux de croissance du volume de la production agricole finale. Celle-ci a été multipliée par trois en 40 ans. Cependant le taux de croissance annuel moyen est passé de plus de 4 % dans les années 1950 à 2 % dans les années 1980.

La chute des prix réels agricoles s'est accélérée après 1973


Au cours des années cinquante, la modernisation des capacités de production a permis une forte augmentation des volumes de production. La croissance de la demande étant beaucoup moins soutenue, les prix réels de la production agricole finale ont alors baissé de près de 3 % par an.

BAISSE DES PRIX RÉELS DE LA PRODUCTION AGRICOLE

(INDICE 100 EN 1980)

Source : Comptes de l'agriculture, INSEE

Lecture : l'évolution des prix réels agricoles a connu trois périodes : baisse de 1949 à 1961 - 3 % par an), stagnation de 1961 à 1974, nouvelle baisse (- 3 %) de 1974 à 1995.


L'instauration du marché commun et la mise en place de la PAC ont stabilisé les prix à partir des années soixante et jusqu'au milieu des années soixante-dix. La PAC visait à encourager les agriculteurs européens à produire davantage afin d'enrayer le lourd déficit de l'Europe occidentale dans le secteur agro-alimentaire. Des organisations communes de marché ont été mises en place pour soutenir les prix et protéger les produits européens de la concurrence extérieure. De nouveaux débouchés se sont alors ouverts aux produits français et les prix du marché intérieur se sont déconnectés des prix mondiaux.

Dès 1974, la chute des prix réels agricoles a retrouvé son rythme des années cinquante. Face à des besoins de mieux en mieux satisfaits, les prix agricoles n'ont pas suivi l'accélération générale des prix. Le développement des excédents pesant sur le coût budgétaire de la PAC, la pression à la baisse des prix européens, notamment des céréales, s'est accentuée. Elle a débouché sur la réforme de la PAC mise en place en 1993. Celle-ci a considérablement réduit les prix de soutien aux produits des grandes cultures et, dans une moindre mesure, aux bovins. Les prix réels se sont ensuite stabilisés au niveau de 1993.

Ainsi, on peut résumer depuis 1980 la baisse des prix pour les végétaux et les animaux de la façon suivante :

BAISSE DES PRIX AGRICOLES ENTRE 1980 ET 1994
(EN % ET EN MONNAIE CONSTANTE)

Source : Infographies

Votre rapporteur observe que, compte tenu de la forte différence entre les prix à la production et ceux à la consommation, les agriculteurs ont eu souvent le sentiment que " quelqu'un d'autre " captait la valeur ajoutée.

Page mise à jour le

Partager cette page