8. Audition de M. Joseph Ballé, Président de la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricole (CNMCCA), et de la Confédération française de la coopération agricole (CFCA)
La
commission a ensuite procédé à l'audition de M. Joseph
Ballé, président de la confédération nationale de
la mutualité, de la coopération et du crédit agricole
(CNMCCA), et de la confédération française de la
coopération agricole (CFCA), accompagné de M. Roland Combier,
directeur général de la CNMCCA et de Mme Catherine Lion,
directeur adjoint de la CFCA.
M. Joseph Ballé a rappelé, à titre liminaire, que,
dès qu'elle avait eu connaissance du projet de loi d'orientation
agricole adopté en conseil des ministre le 10 juin dernier, la
CNMCCA avait marqué son souci de voir défini un projet pour
l'agriculture française avant que ne s'achèvent les
négociations européennes relatives à la réforme de
la PAC ou que ne soient reprises les discussions liées à
l'organisation mondiale du commerce.
M. Joseph Ballé a également souligné que le texte de ce
projet avait le mérite de proposer certains axes précis
d'évolution comme :
- la reconnaissance du rôle et de la contribution de l'agriculture
en faveur de l'activité économique, l'emploi en milieu rural et
l'occupation équilibrée du territoire ;
- la prise en compte des préoccupations environnementales et la
promotion de formes d'agriculture plus soucieuses de la préservation des
ressources et des espaces naturels.
Se disant satisfait par ces objectifs, il a toutefois regretté que le
dispositif, pris dans son ensemble, ne permette pas de répondre à
l'ensemble des problèmes qui allaient se poser à l'agriculture
française dans les prochaines années, notamment sur le plan
économique.
M. Joseph Ballé a ensuite exposé les principales modifications
introduites par l'Assemblée nationale, non sans constater que certaines
des préoccupations qui étaient les siennes avaient
été au moins partiellement prises en compte. Ainsi :
- l'article 1 fait désormais figurer, parmi les objectifs de
la politique agricole, d'une part, le renforcement de la capacité
exportatrice agricole et agro-alimentaire de la France vers l'Europe et les
marchés solvables et, d'autre part, le renforcement de l'organisation
économique des marchés, des producteurs et des
filières ;
- l'article 2 précise que le contrat territorial
d'exploitation (CTE) a pour objectif de développer un projet
économique global intégrant les trois fonctions de
l'agriculture ;
- un nouvel article redonne sa place à l'organisation
économique des producteurs ;
- un conseil supérieur des exportations est créé.
Il a cependant indiqué que, malgré ces améliorations,
certaines de ses critiques restaient d'actualité.
Il a ainsi relevé une certaine dualité entre, d'un
côté, un projet de loi certes amendé mais encore
très fortement tourné vers des problèmes de structures
qu'il n'a pas jugé essentiels (définition de l'activité
agricole, définition de l'exploitant agricole, registre de
l'agriculture, contrôle des structures) et, de l'autre, la
réalité économique d'une agriculture française
aujourd'hui exportatrice en Europe et dans le monde, qui détient de
solides positions de marché, s'appuyant sur une industrie
agro-alimentaire compétitive et créatrice d'emplois, notamment en
milieu rural, mais dont la position n'est pas encore définitivement
acquise.
M. Joseph Ballé a, d'autre part, insisté sur les
conséquences de la mondialisation.
Il a, en outre, souligné la pression croissante exercée par la
grande distribution sur les marges des producteurs et des industries
agro-alimentaires. Il en a déduit que, sauf à en accepter le
déclin, il convenait de s'interroger en priorité sur les mesures
à mettre en oeuvre pour permettre à l'agriculture
française de conserver sa compétitivité.
A cet égard, a-t-il précisé, la politique de
qualité que préconise le projet de loi est dans son principe une
bonne chose. Mais il a regretté que, dans l'état actuel des
textes, elle repose en grande partie sur une opposition entre signes
d'identification de l'origine et signes de qualité des produits ne
correspondant ni à la réalité des marchés, ni
à l'intérêt des consommateurs, ni à celui des
producteurs. Il a jugé qu'intégrer les indications
géographiques protégées dans la législation
française sans les lier aux signes de qualité que sont les labels
et les certificats de conformité serait une erreur.
Il a ensuite jugé nécessaire de gérer les
" créneaux " biologiques et du " produit fermier "
au sein de chacune des filières, pour mieux assurer l'adaptation de
l'offre à la demande.
Quant à la multifonctionnalité, M. Joseph Ballé a
considéré qu'il convenait d'en percevoir les limites. Une
agriculture " de jardinage ", assistée, ne trouvant sa
rémunération que dans les concours publics, ne serait pas
longtemps acceptée par le corps social.
De même, a-t-il estimé, les autres acteurs de l'espace rural ne
pourraient accepter une forme de concurrence qui prendrait des aspects
déloyaux. L'agriculteur doit donc avant tout pouvoir continuer à
exercer son métier de producteur et de transformateur.
C'est pourquoi, a-t-il souligné, il convient de se préoccuper des
moyens à mettre en oeuvre pour conforter l'agriculture et le secteur
agro-alimentaire français, et lui permettre de garder sa place dans la
compétition internationale.
M. Joseph Ballé a ensuite exposé les mesures qu'il jugeait
nécessaires afin d'atteindre cet objectif :
- des mesures fiscales tout d'abord, dont il a regretté
l'absence ;
- des réflexions sur la mise en place de nouveaux instruments, en
s'interrogeant sur la mise en oeuvre de formules généralement
qualifiées " d'assurance-revenu ", comme il en existe
déjà chez certains de nos concurrents, voire sur la mise en
oeuvre d'autres instruments financiers de gestion des marchés ;
- de mesures relatives à l'amélioration de la
compétitivité des exploitations, en particulier en faveur de la
promotion de l'agriculture raisonnée et de l'engagement volontaire des
agriculteurs dans l'amélioration de leurs pratiques agricoles.
Il a estimé que l'intégration des préoccupations
environnementales dans l'activité économique dépendait
davantage du recours à de telles politiques que de la mise en place
d'une fiscalité écologique en grande partie inefficace et
inadaptée.
Abordant les contrats territoriaux d'exploitation (CTE), il a
considéré qu'ils constituaient -comme la langue au sens d'Esope-
" la meilleure ou la pire des choses ".
Il a jugé que tout dépendrait du dosage précis qui serait
opéré entre contraintes environnementales, préoccupations
d'aménagement du territoire et projet économique.
Il a souhaité que les CTE permettent de mettre en place des projets
économiques le plus souvent collectifs, reliés aux grandes
politiques de filières et aux réalités des bassins de
production, permettant certes d'intégrer les préoccupations
spatiales et environnementales et de les financer, mais prenant d'abord en
compte l'évolution des marchés.
Il a d'autre part regretté que le financement des CTE demeure une
" grande inconnue ".
M. Joseph Ballé a enfin déploré deux " adjonctions
regrettables " de l'Assemblée nationale au projet de loi.
En premier lieu, il a regretté que l'article 29 sexies
prévoie la nomination d'un commissaire du gouvernement habilité
à participer aux séances des instances dirigeantes de la Caisse
centrale de mutualité agricole. Il a jugé ce commissaire
dépourvu de pouvoir de décision, et son rôle inutile et
redondant.
En second lieu, il s'est opposé à la notion
d'insaisissabilité de l'habitation principale, -par assimilation
aux règles appliquées aux ménages en grande
difficulté financière- qui, à son sens, risquerait de
rendre difficiles certaines transmissions.
M. Roland Combier, directeur général de la CNMCCA, a ensuite
affirmé sa préférence pour une gestion régionale
des CTE, la région lui semblant être un cadre plus adapté
que le département à la réalité économique.
Il a ainsi proposé que les CTE soient rendus cohérents avec les
orientations des contrats de plan Etat-région. Il a, d'autre part,
souhaité que ne soient pas pris en compte les projets à
caractère particulier.
Il a ensuite regretté que soit fait référence, dans le
projet de loi, à la politique d'aménagement du territoire.
Concernant l'article 4, il s'est déclaré favorable à
un assouplissement du plafonnement des aides.
Il a estimé que le seuil de 5 salariés, appliqué aux
titres d'emplois simplifiés agricoles, était trop faible.
S'agissant des productions biologiques, il s'est prononcé en faveur
d'une coordination entre les filières " bio " et les
interprofessions existantes, qui pourraient ainsi être dotées
d'une " section bio ".
Il a également souhaité que soient conclus des " accords de
crise " dans le cadre des interprofessions, et que les indications
géographiques protégées restent liées aux labels et
aux certifications de produits.
Mme Catherine Lion, directeur adjoint de la CFCA, a ensuite souligné les
problèmes d'application posés par les articles 12 bis
et 12 ter et leurs conséquences néfastes sur l'installation
des jeunes. Elle a également regretté la nomination d'un
commissaire du Gouvernement pour participer aux séances de la caisse
centrale de mutualité sociale agricole, telle que le prévoit
l'article 29 sexies de la loi.
En réponse à M. Michel Souplet, rapporteur, et à
M. Marcel Deneux, M. Joseph Ballé a précisé
qu'une assurance " chiffres d'affaires " serait utile, et qu'un tel
dispositif, s'il avait été mis en place plus tôt, aurait pu
épargner aux éleveurs de porcs les difficultés qu'ils ont
traversées récemment.
Il a précisé, en réponse à M. Marcel Deneux,
que l'influence de la grande distribution, d'une part, et du pouvoir du
marché financier, d'autre part, irait en s'accentuant. Pour faire face
à cette évolution, il a préconisé une organisation
renforcée des interprofessions agricoles, afin de constituer des
interlocuteurs de poids face à la grande distribution.
Il a ensuite considéré que les produits biologiques
répondaient à une demande des consommateurs, mais qu'ils
devaient, de préférence, être pris en charge par les
structures existantes.
M. André Lejeune s'est alors étonné de l'opposition
manifestée par M. Joseph Ballé à tout lien entre les
CTE et la politique d'aménagement du territoire.
M. Roland Combier a précisé, à l'intention de M. Marcel
Deneux, que l'insaisissabilité de l'habitation principale pouvait
être un obstacle à une cession ; Mme Catherine Lion a
ajouté qu'une telle mesure aurait de surcroît pour effet de
favoriser l'agrandissement des exploitations plutôt que l'installation
d'agriculteurs. Elle a, en outre, précisé que la
possibilité de la mention géographique devait être
étendue aux labels, dans la mesure où elle existait pour tous les
produits " basiques ".
En réponse à M. Michel Souplet, rapporteur, M. Roland Combier a
insisté sur la nécessité de clarifier les systèmes
de retraites agricoles, et s'est prononcé en faveur d'une retraite
complémentaire obligatoire.
Souscrivant aux conclusions du rapport de M. Régis Bouche sur
l'agriculture face aux risques climatiques, il s'est prononcé en faveur
d'une " assurance récolte ", et d'une expérimentation
" d'assurance chiffre d'affaires ".
Il a enfin précisé que le projet de loi d'orientation pour
l'aménagement et le développement durable du territoire
témoignait d'une perception " en creux " de l'espace rural,
d'où ses réserves concernant un éventuel lien entre les
deux projets de loi.
En réponse à M. Marcel Deneux, Mme Catherine Lion, directeur
adjoint de la CFCA, a rappelé que le projet de loi transposait, pour
partie, deux décrets d'exemption. Elle a reconnu que le ministère
des finances était réservé sur ce sujet.
M. Jean Huchon, président, a insisté sur l'importance des
relations entre la grande distribution et les producteurs.
M. Joseph Ballé, président de la confédération
nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit
agricole (CNMCCA), et président de la confédération
française de la coopération agricole (CFCA), en guise de
conclusion, a également insisté sur cette concentration de la
distribution et sur la nécessité, pour les producteurs, de s'y
adapter.