EXPOSÉ GÉNÉRAL

" (...) le malaise actuel de la justice pénale tient moins à l'indifférence du législateur qu'à l'accumulation de réformes ponctuelles, partielles, ajoutant toujours de nouvelles formalités, de nouvelles règles techniques qui ne s'accompagnent ni des moyens matériels adéquats, ni d'une réflexion d'ensemble sur la cohérence du système pénal.

C'est ce rapiéçage, parfois même ce bégaiement législatif, qui paraît irréaliste et néfaste, dès lors que l'on prend conscience que les difficultés actuelles ne peuvent être résolues par des demi-mesures. "


Commission Justice pénale et droits de l'homme- 1990.

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes aujourd'hui soumis au Sénat a été déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 16 septembre 1998 et adopté par celle-ci le 30 mars 1999. A l'origine de ce texte, figurent notamment les travaux de la commission de réflexion sur la justice mise en place en janvier 1997 par le Président de la République. Celle-ci était en effet notamment chargée de rechercher les moyens de mieux assurer le respect de la présomption d'innocence.

Le principe de la présomption d'innocence est posé dans de multiples textes de droit interne ou de droit international. Ainsi, l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme prévoit-il que " Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ".

La présomption d'innocence est un droit individuel dont la violation peut entraîner des dommages irréparables pour la personne qui la subit, mais également pour son entourage. Or, la présomption d'innocence n'apparaît pas pleinement respectée dans notre pays. Tandis que certaines mesures utilisées dans le cadre de notre procédure pénale peuvent y porter gravement atteinte, l'écho médiatique donné à certaines affaires, à tous les stades de la procédure, peut réduire à néant la réputation d'une personne, sans que la reconnaissance éventuelle de son innocence puisse réparer le préjudice subi.

Votre commission attache une particulière importance au présent projet de loi. Elle a en effet conduit une réflexion approfondie sur ce sujet au cours des dernières années, créant en son sein en 1994 une mission d'information sur la présomption d'innocence et le secret de l'instruction 1( * ) . Après de très nombreuses auditions, la mission avait formulé une trentaine de propositions, dont quelques unes ont été reprises dans le présent projet de loi.

Votre commission aborde donc l'examen de ce texte avec la volonté de poursuivre son action en faveur d'un renforcement de la protection de la présomption d'innocence.

I. LE CONTEXTE DU PROJET DE LOI : LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE MALMENÉE, DES VICTIMES IGNORÉES

Le présent projet de loi a pour ambition d'apporter des réponses aux atteintes à la présomption d'innocence que peuvent subir nos concitoyens dans le cadre même de la procédure pénale, mais aussi du fait de la médiatisation croissante de notre société. Des mesures aussi graves que la garde à vue ou la détention provisoire peuvent être à l'origine, pour ceux qui les subissent, de dommages irréparables, même si le dispositif législatif a déjà connu de multiples adaptations destinées à mieux protéger les personnes mises en cause avant qu'intervienne une condamnation.

A. LA GARDE À VUE

Le régime actuel de la garde à vue est le fruit d'une longue évolution. Il a été modifié substantiellement par les lois du 4 janvier et du 24 août 1993.

Officiellement, la garde à vue n'existait pas jusqu'à l'entrée en vigueur du code de procédure pénale en 1958. Historiquement en effet, les actes d'enquête relevaient de la compétence des magistrats. Aucune disposition générale relative à l'intervention de la police n'existait donc, mais des pratiques permettant l'écoulement d'un certain délai avant la présentation d'une personne à un magistrat se sont cependant développées.

La loi du 8 décembre 1897 a joué un rôle important dans le développement de pratiques d'enquête officieuse impliquant éventuellement qu'une personne soit retenue. En autorisant l'avocat à assister son client lors des interrogatoires par le juge d'instruction, la loi a eu pour effet le développement d'une phase d'enquête préalable à l'instruction, permettant notamment d'interroger une personne en dehors de la présence de son avocat. Un décret du 20 mai 1903 prévoyait un délai de vingt-quatre heures pour qu'une personne arrêtée soit conduite devant le procureur de la République. En 1943, une circulaire est venue préciser les conditions de la garde à vue, sans toutefois que celle-ci soit légalisée. En 1958, le législateur, lors de l'élaboration du code de procédure pénale, a officialisé et encadré cette pratique.

Les lois du 4 janvier et du 24 août 1993 ont apporté des modifications importantes au régime de la garde à vue, améliorant notamment les droits reconnus aux personnes gardées à vue. Au cours des années précédentes, des inquiétudes s'étant faites jour quant à la conformité du régime de garde à vue aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Le 27 avril 1992, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, dans une affaire Tomasi, en application de l'article 3 de la Convention, selon lequel " nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

1. Les conditions de la garde à vue

Le régime de la garde à vue est actuellement le suivant :

- au cours d'une enquête de flagrance , un officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l'enquête, garder à sa disposition toute personne présente sur le lieu de l'infraction ainsi que les personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits ou sur les objets ou documents saisis. Les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucun indice laissant présumer qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps nécessaire à leur déposition ;

- au cours d'une enquête préliminaire , un officier de police judiciaire peut garder à sa disposition toute personne à l'encontre de laquelle il existe des indices faisant présumer qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;

- enfin, un officier de police judiciaire peut également garder une personne à sa disposition pour les nécessités de l' exécution d'une commission rogatoire , les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucun indice ne peuvent être retenues que le temps nécessaire à leur audition.

Le délai de la garde à vue est de vingt-quatre heures , quel que soit le type d'enquête et la nature de l'infraction. Seuls les mineurs de treize ans se voient appliquer un régime spécifique de rétention, dont la durée ne peut excéder dix heures . La garde à vue peut être prolongée de vingt-quatre heures sur autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction en cas de commission rogatoire. En matière de trafic de stupéfiants , la garde à vue peut faire l'objet d'une prolongation supplémentaire de quarante huit heures . Il en va de même en matière de terrorisme , à cette réserve près que la prolongation n'est possible qu'à l'égard des personnes majeures.

2. Les droits de la personne gardée à vue

La personne gardée à vue bénéficie de certains droits prévus par les articles 63-2 à 63-4 du code de procédure pénale :

- elle peut, à sa demande, faire prévenir par téléphone une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l'un des ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et soeurs ou son employeur. Cette demande peut être formulée à tout moment par la personne gardée à vue. Si l'officier de police judiciaire estime, en raison des nécessités de l'enquête, ne pas devoir faire droit à la demande, il doit en référer sans délai au procureur de la République, qui décide s'il y a lieu d'y faire droit. En ce qui concerne les mineurs, l'information d'un proche est de droit, mais peut être différée de vingt-quatre heures au maximum sur décision du magistrat compétent ;

- la personne gardée à vue a le droit, à sa demande, d'être examinée par un médecin , désigné par le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire. La personne peut demander à être examinée une seconde fois en cas de prolongation de la garde à vue. Par ailleurs, à tout moment, le procureur ou l'officier de police judiciaire peut d'office désigner un médecin pour examiner la personne gardée à vue. Enfin, un examen médical est également de droit si un membre de la famille de la personne gardée à vue le demande.

Le médecin se prononce " notamment " sur l'aptitude au maintien en garde à vue et le certificat qu'il délivre est versé au dossier.

- enfin, la personne gardée à vue a le droit de demander à s'entretenir avec un avocat , lorsque vingt heures se sont écoulées depuis le début de la garde à vue. La personne peut désigner l'avocat avec lequel elle souhaite s'entretenir. Si elle n'est pas en mesure de le faire ou si l'avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier, qui est informé de la demande par tous moyens et sans délai. L'avocat doit pouvoir communiquer avec la personne, au cours d'un entretien dont la durée ne peut excéder trente minutes, dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien. Il est informé de la nature de l'infraction recherchée et peut présenter à l'issue de l'entretien des observations écrites qui sont jointes à la procédure. L'avocat ne peut faire état de l'entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue.

Il convient enfin de préciser que l'intervention de l'avocat n'est possible que lorsque trente-six heures se sont écoulées si l'enquête concerne la participation à une association de malfaiteurs, les infractions de proxénétisme ou d'extorsion de fonds aggravés ou une infraction commise en bande organisée . En matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants , l'intervention de l'avocat n'est prévue que lorsque soixante-douze heures se sont écoulées depuis le début de la garde à vue.

3. Une mesure couramment utilisée

Le nombre des mesures de garde à vue a fortement augmenté entre 1988 et 1992, avant de connaître une diminution brutale en 1993. Depuis lors, le nombre des mesures de garde à vue a recommencé à croître.

La baisse brutale du nombre de gardes à vue intervenue en 1993 a notamment été expliquée par les difficultés d'application de la loi du 4 janvier 1993. En 1997, 382.228 gardes à vue ont eu lieu, 59.169 ayant une durée supérieure à 24 heures .

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