B. UN MAUVAIS DÉBAT
Les
exigences d'une réduction de leurs contributions posées par
l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Autriche, et la Suède se sont
exprimés sur la base de conceptions erronées qui sont une menace
pour l'ensemble de l'édifice budgétaire européen et,
à travers lui, la construction européenne.
Il est démontrable par ailleurs qu'une vigilance sans failles à
l'égard de la dépense européenne et de l'exigence d'une
meilleure équité contributive peuvent soulager beaucoup les
finances publiques de pays dont la prétention se centre sur la
fiction commode des soldes nets
.
1. Un débat qui repose sur des données comptables erronées
Les
données comptables sur lesquelles ce débat est construit sont
biaisées.
L'approche comptable comporte d'abord des biais du fait de la prise en compte
de certaines recettes pour calculer les soldes nets.
A tout le moins, les " ressources propres traditionnelles " qui sont
des ressources communautaires devraient être exclues du calcul des soldes
nets.
En 1996, ces ressources s'étaient élevées
à près de 13,6 milliards d'écus soit environ
19,1 % des ressources propres totales. Au terme d'une correction des
données avancées pour exprimer les soldes nets pour tenir compte
du caractère communautaire de ces ressources, les soldes de chacun des
Etats sont modifiés comme indiqué plus bas.
Pays |
Ecart |
Solde biaisé |
Solde corrigé |
Belgique |
1.000,6 |
-746,2 |
254,4 |
Danemark |
272,0 |
193,4 |
465,4 |
Allemagne |
-3.291,2 |
-10.894,4 |
-7.603,2 |
Grèce |
163,2 |
3.932,7 |
4.095,9 |
Espagne |
612,0 |
7.218,1 |
7.830,1 |
France |
1.4824,0 |
-459,8 |
1.022,6 |
Irlande |
217,6 |
2.260,3 |
2.477,9 |
Italie |
1.074,4 |
-1.402,3 |
-327,9 |
Luxembourg |
27,2 |
-79,3 |
-52,1 |
Pays-Bas |
1.659,2 |
-2.446,8 |
-787,6 |
Autriche |
244,8 |
-905,1 |
-660,3 |
Portugal |
149,6 |
2.381,1 |
2.530,7 |
Finlande |
136,0 |
27,1 |
163,1 |
Les
soldes ainsi corrigés font apparaître une situation très
différente de celle, fictive, sur la base de laquelle est aujourd'hui
conduit le débat.
Le montant des contributions nettes est fortement réduit, passant de
19,3 milliards d'écus à 9,8 milliards
. Certains
Etats passent ainsi d'une situation de contributeurs nets à une
situation de bénéficiaires nets, tel le Royaume-Uni.
Surtout, tous les contributeurs nets voient leur situation
améliorée.
En valeur, la contribution nette de l'Allemagne est réduite de
30 %, passant de 10,9 milliards à 7,6 milliards
d'écus, celle des Pays-Bas est diminuée de près de
68 %, passant de 2,4 milliards à 787,6 millions
d'écus.
L'écart entre l'Allemagne, le plus important contributeur net, et
l'Espagne, le plus important bénéficiaire net, passe de 18,1
à 15,4 milliards d'écus.
En bref, la reconnaissance juridiquement et économiquement
fondée du caractère communautaire des ressources propres
traditionnelles réduit considérablement la portée des
données comptables usuellement apportées au débat.
D'autres biais comptables proviennent du champ des dépenses prises en
compte.
L'on relèvera d'abord que
les données utilisées
laissent de côté quelques 9 % du budget communautaire
correspondant pour l'essentiel à des crédits d'action
extérieure et aux dépenses administratives
dont une partie
considérable revient à des intervenants appartenant à des
Etats de l'Union.
Il en va ainsi tout particulièrement des programmes PHARE et TACIS dont
chacun sait combien leur mise en oeuvre doit à des
" conseils ", cabinets ou entreprises, dont les sièges sociaux
sont localisés dans les Etats les plus développés d'entre
les 15.
Compte tenu de la présence relative des entreprises allemandes ou des
cabinets anglo-saxons ou nordiques dans ces pays, il est évident que les
dépenses versées en dehors de l'Union et donc non prises en
compte dans les calculs qui forment la base des exigences de certains de nos
partenaires leur profitent plus qu'à d'autres.
De la même manière
, le défaut de prise en compte des
dépenses administratives
interdit qu'on puisse apprécier
sérieusement les retours des certains Etats, la Belgique, le Luxembourg
notamment, à partir de données fragmentaires retenues.
L'on relèvera ensuite que la répartition des dépenses
entre Etats qui est effectuée sur la base des versements de la
Commission ne peut prendre en compte la destination finale des fonds. Compte
tenu de l'internationalisation des agents économiques européens
qui concerne tout particulièrement les entreprises des Etats les plus
développés il y a là un obstacle sérieux à
une appréciation correcte du circuit de la dépense
européenne et donc une limite considérable à la
validité comptable des soldes nets.
2. l'absence de prise en compte de la dimension économique de l'intervention budgétaire
Comptablement erronées, les données sont dénuées de toute prise en compte de la dimension économique du sujet.
a) La question du point de vue des recettes
S'agissant des recettes, l'on fait comme s'il était
légitime d'exclure du débat toute référence aux
données économiques qui, pourtant, influencent beaucoup la
variation des versements de chaque Etat.
A structure et niveau de dépenses inchangés, la
dégradation du solde d'un pays peut d'abord provenir d'un
différentiel de croissance favorable à ce pays. Ce facteur a
joué de façon importante s'agissant des Pays-Bas dans un
passé récent.
De la même manière, le poids du prélèvement
effectivement supporté par les Etats dépendait avant l'adoption
de l'euro pour onze d'entre eux et continuera de dépendre pour les Etats
ne participant pas à la troisième phase de l'Union
économique et monétaire des variations du change de leur monnaie
face à l'écu et désormais à l'euro.
Il est surtout facile de démontrer que la hiérarchie des
contributeurs est, dans l'ensemble, conforme à la hiérarchie des
capacités contributives.
Part relative de chaque Etat membre dans le financement du budget communautaire
(En %)
|
1995 (1) |
1996 (2) |
1997 (3) |
1998 (3) |
1999 (4) |
Belgique |
4,0 |
3,9 |
3,9 |
3,7 |
3,9 |
Danemark |
1,9 |
1,9 |
2,0 |
2,0 |
2,0 |
Allemagne |
31,4 |
29,2 |
28,2 |
27,3 |
26,4 |
Grèce |
1,5 |
1,6 |
1,5 |
1,6 |
1,5 |
Espagne |
5,4 |
6,4 |
7,1 |
6,5 |
6,9 |
France |
17,5 |
17,5 |
17,5 |
17,0 |
17,2 |
Irlande |
1,0 |
1,0 |
0,9 |
1,0 |
1,0 |
Italie |
9,5 |
12,6 |
11,5 |
12,8 |
13,0 |
Luxembourg |
0,2 |
0,2 |
0,2 |
0,2 |
0,2 |
Pays-Bas |
6,4 |
6,2 |
6,4 |
5,9 |
6,0 |
Autriche |
2,6 |
2,6 |
2,8 |
2,5 |
2,7 |
Portugal |
1,3 |
1,4 |
1,4 |
1,3 |
1,4 |
Finlande |
1,3 |
1,4 |
1,4 |
1,3 |
1,4 |
Suède |
2,4 |
2,8 |
3,0 |
2,8 |
2,9 |
Royaume-Uni |
13,6 |
11,6 |
11,8 |
14,0 |
13,5 |
(1)
Rapport Cour des comptes des CE
(2) Compte de gestion et bilan financier de la Commission pour 1997
(3) Budget 1998
(4) Projet de budget pour 1999
Le
tableau qui précède rappelle que
la France est le
deuxième contributeur au budget européen
(17,2 % du
total), loin derrière l'Allemagne (26,4 %), mais aussi loin devant
le Royaume-Uni (13,5 %) et l'Italie (13 %). Ces quatre Etats
financent plus de 70 % du budget communautaire. Il est intéressant
de rapprocher ces résultats de la part prise par le PIB de ces Etats
dans le PIB communautaire. Elle s'élevait en 1997 à quelque
73,5 %.
Il faut également apprécier l'évolution des contributions
des Etats membres dans le temps. L'entrée de trois nouveaux Etats
membres s'est traduite en 1995 par un allégement mécanique de la
part contributive des Etats déjà membres. On constate que la
contribution de l'Allemagne s'allège rapidement entre 1995 et 1999. La
part de sa contribution dans le total se replie de 5 points alors
qu'à l'inverse, la part contributive de notre pays est stable. La
contribution du Royaume-Uni évolue au gré des fortunes diverses
de la livre et d'écarts de croissance plus ou moins favorables. Quant
à l'Italie sa contribution a connu un ressaut du fait de la
montée en charge de la " ressource-PNB ".
En tout état de cause, les données disponibles pour 1997
démontrent que, dans l'ensemble, la hiérarchie des contributeurs
est conforme à la hiérarchie économique des Etats
appréhendée au moyen de leurs parts dans le PIB européen.
Quote-parts des Etats membres dans le financement de l'Union
européenne
et dans le PNB de l'Union européenne à
15
(en pourcentage du total, données pour 1997, y compris la correction
en faveur du Royaume-Uni)
|
B |
DK |
D |
GR |
E |
F |
IRL |
I |
L |
NL |
A |
P |
FIN |
S |
UK |
Part du PNB de l'UE |
3,1 |
1,9 |
26,0 |
1,5 |
6,6 |
17,2 |
0,8 |
14,2 |
0,2 |
4,5 |
2,6 |
1,2 |
1,4 |
2,7 |
16,1 |
Part dans le financement du budget de l'UE |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Dont ressources propres traditionnelles |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Dont contributions TVA et PNB |
3,1 |
2,0 |
29,1 |
1,7 |
7,8 |
19,0 |
0,8 |
12,4 |
0,2 |
5,1 |
3,0 |
1,5 |
1,5 |
3,2 |
9,6 |
La
situation de quelques pays doit toutefois être mise en évidence.
L'Italie et, plus encore, le Royaume-Uni contribuent moins que leur
situation de richesse le justifierait
. La "correction britannique" explique
ce phénomène pour le Royaume-Uni. Pour l'Italie, la
modicité des recettes prélevées au titre des ressources
propres traditionnelles (prélèvements agricoles et droits de
douane) "justifient" une partie de l'écart tandis qu'il faut
probablement trouver dans les "particularités" de son assiette-TVA
l'explication du reste de l'écart.
En contrepartie, l'Allemagne et, à un moindre degré, les
Pays-Bas contribuent plus que leur part dans le PIB européen
. Pour
les Pays-Bas, l'essentiel de cet écart provient des recettes de droit de
douane, ce qu'on appelle "l'effet-Rotterdam". Pour l'Allemagne, cet effet ne
joue pas mais ce pays doit assumer une part importante des effets de la
réforme des contributions TVA et PNB et de la correction britannique,
même si l'Allemagne bénéficie en la matière d'un
plafonnement particulier.
b) La question du point de vue des dépenses
S'agissant des dépenses, l'on peut évoquer les
crédits non répartis. Une part importante de ces crédits
concerne, on l'a dit, les crédits de politique extérieure de
l'Union, parmi lesquels les crédits consacrés aux programmes
PHARE et TACIS.
Outre les observations mentionnées plus haut, il faut ajouter que l'aide
ainsi prodiguée se traduit par un supplément de croissance dans
les pays qui en bénéficient, supplément de croissance qui,
à son tour, engendre un courant d'importations.
Or, ces phénomènes sont susceptibles de " profiter "
très inégalement aux 15.
L'exemple du commerce extérieur est particulièrement
éclairant. La place toute particulière de l'Allemagne dans les
échanges de l'Union européenne avec les pays d'Europe centrale et
orientale doit être soulignée. Les exportations allemandes vers
ces pays représentent 41 % des exportations des 15 et, avec
35,4 milliards d'écus en 1997, plus de 5 fois les exportations
françaises ou encore plus de 19 fois les exportations espagnoles.
Elles se sont par ailleurs accrues sur un rythme très
élevé de 20 % l'an.
Exportations vers les pays d'Europe centrale et orientale
(en millions d'écus)
Pays |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Europe des 15 |
48.053 |
58.722 |
70.828 |
87.291 |
Europe des 11 |
|
51.785 |
62.121 |
76.281 |
Belgique/Luxembourg |
1.7520 |
2.122 |
2.710 |
3.422 |
Danemark |
1.038 |
1.198 |
1.438 |
1.685 |
Allemagne |
20.155 |
24.797 |
29.053 |
35.387 |
Grèce |
765 |
887 |
1.135 |
1.437 |
Espagne |
865 |
1.050 |
1.439 |
1.872 |
France |
3.349 |
4.077 |
5.265 |
6.525 |
Irlande |
165 |
314 |
407 |
486 |
Italie |
7.412 |
9.101 |
11.508 |
13.215 |
Pays-Bas |
2.647 |
3.033 |
3.199 |
4.220 |
Autriche |
4.480 |
5.484 |
6.227 |
8.200 |
Portugal |
57 |
83 |
135 |
161 |
Finlande |
1.602 |
1.725 |
2.178 |
2.792 |
Suède |
1.373 |
1.780 |
2.225 |
2.936 |
Royaume-Uni |
2.393 |
3.071 |
3.909 |
4.953 |
Ces
observations ne sont pas anodines. Les coûts budgétaires de la
préparation à l'élargissement et ceux à venir de
l'adhésion effective des nouveaux membres peuvent, objectivement,
être considérés comme un investissement dont tout laisse
à penser que les retours ont profité et profiteront certes aux
Etats concernés mais aussi, à titre principal, parmi les 15
à l'Allemagne et aux petits pays fortement exportateurs de l'Union
européenne.
Il fallait intégrer cette perspective au débat. Elle conduisait
à s'opposer très fermement aux prétentions à la
correction des soldes budgétaires.
Enfin, la construction européenne est productrice d'externalités
positives aux premiers rangs desquelles figurent la liberté du commerce
et de l'industrie, et la création d'une zone monétaire unique.
Ces externalités profitent sans doute à tous mais probablement
davantage aux pays les plus prospères les plus industrialisés et
les plus exportateurs.
3. Un débat qui joue contre l'Europe
Ce
débat est enfin en totale contradiction avec les principes mêmes
de l'intervention budgétaire européenne.
Il convient en effet de restituer les choses.
Le budget communautaire dans son volet dépenses est dépendant des
politiques communes auxquelles il apporte un soutien financier.
Le débat sur l'opportunité de ces politiques communes et sur
leur qualité est un débat légitime. Mais, apprécier
ces politiques à partir du critère de la part des retours de
chacun des Etats au titre de ces politiques n'est pas légitime.
L'introduction d'un tel critère, outre qu'il distrait l'attention du
nécessaire examen lucide de la pertinence des options
européennes, a nécessairement pour effet de ruiner les politiques
communes.
La renationalisation, incontrôlable, de la politique agricole commune un
temps évoqué aurait ainsi anéanti la signification
même de ce dernier épithète.
Produit d'un manquement au principe de solidarité financière qui
anime l'Union européenne, elle aurait également abouti à
une remise en question des politiques structurelles dont les mécanismes
essentiels consistent précisément à mobiliser cette
solidarité et qui, en outre, ne sont pas sans effet sur les conditions
même d'existence du monde agricole et rural.
Il est frappant d'observer que dans ce jeu dangereux, l'Europe avait tout
à perdre et la France, en tant que telle, rien.
La renationalisation des deux principales politiques de l'Union
européenne se traduirait pour la France par une économie de
11,1 milliards d'euros et la nécessité d'inscrire en
crédits budgétaires nationaux 11,5 milliards d'euros, perte
minime de 0,4 milliard d'euros.
Le montant des dépenses budgétaires nationales à inscrire
en France serait légèrement supérieur au montant des
dépenses que devrait supporter le budget allemand. La France
supporterait 9,6 milliards d'euros au titre de la PAC et
3,8 milliards d'euros au titre des actions structurelles, ce chiffre
étant évalué sur la base d'un cofinancement des dites
actions à 50 %, soit au total 13,4 milliards d'euros.
Quant à elle, l'Allemagne devrait financer sur une base nationale,
6 milliards d'euros au titre de la PAC et 6,8 milliards au titre des
actions structurelles, soit un total de 12,8 milliards d'euros.
Dans un tel scénario-catastrophe pour l'Europe, notre voisin
économiserait comptablement 8,7 milliards d'euros, soit 0,48 %
de son PIB. On rappelle que les exportations intra-européennes de
l'Allemagne expliquaient, en 1997, 14 % de son PIB, soit
250,3 milliards d'écus contre, par exemple, pour la France un
niveau d'exportations intra-européennes de 165,3 milliards
d'écus, soit 13,8 % de son PIB.
Le débat sur les soldes budgétaires, extrêmement
périlleux pour l'Europe, doit donc être considéré
par ailleurs comme absurde étant donné les enjeux sous-jacents.
Il ne s'agit en effet de rien moins que de la construction européenne
dont, à l'évidence, les apports ne peuvent être
réduits aux tristes données comptables mises sur la table.
La construction européenne a toujours été mise en
péril lorsque des prétentions de " justes retours "
sont venues distraire l'attention de l'essentiel, la définition d'un
mode d'intervention adapté aux objectifs essentiels de l'Union, au nom
de considérations financières étrangères au
principe de solidarité communautaire.
C'est malheureusement ce qu'a démontré la négociation qui
a précédé le lit du nouvel accord interinstitutionnel.