TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION CONJOINTE DE M. JEAN-JACQUES
AILLAGON, MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION, ET DE LA COUR DES
COMPTES
Réunie le jeudi 10 juillet 2003 sous la
présidence
de M. Jean ARTHUIS, président,
la commission des finances a
procédé à l'audition conjointe de
M. Jean-Jacques
AILLAGON
, ministre de la culture et de la communication, ainsi que de
MM. Jean-François COLLINET
, président de la
3
ème
chambre et
Christian SABBE
, conseiller
référendaire, sur la
communication de la Cour des comptes
à la commission des finances relative à
l'organisation et la
gestion des services déconcentrés du ministère de la
culture.
Le procès-verbal de cette audition est reproduit ci-après.
M. Jean ARTHUIS, président
- Permettez-moi d'abord de remercier
M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication,
d'avoir trouvé le temps de s'abstraire d'une conjoncture, qui ne lui
laisse guère de répit, pour venir devant la commission des
finances du Sénat parler de questions de structures et de
considérations budgétaires.
Telle est en effet la nature de la première partie de l'audition
à laquelle nous allons maintenant procéder pour mettre en
application les dispositions de l'article 58-2 de la loi organique du
1
er
août 2001 relative aux lois de finances, qui
prévoit la réalisation, par la Cour des comptes, de toute
enquête demandée par les commissions de l'Assemblée
nationale et du Sénat chargées des finances sur la gestion des
services ou organismes qu'elles contrôlent.
Aussi, suis-je heureux d'accueillir, conformément à la
procédure que nous avons suivie lors des quatre
précédentes auditions de ce type, M. Jean-François
Collinet, président de la 3
ème
chambre de la Cour des
comptes, ainsi que ses deux collègues, M. Christian Sabbe, conseiller
référendaire et Mme Catherine Démier, conseiller
référendaire et secrétaire générale
adjointe, pour qu'ils nous présentent la communication de la Cour sur
l'organisation et la gestion des services déconcentrés de la
culture.
Au-delà de cet intitulé quelque peu austère, il y a une
question d'autant plus importante qu'elle s'inscrit dans l'un des axes forts de
la politique du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ; cet axe fort, c'est
la décentralisation. Il nous paraît important, à un moment
crucial d'une réforme annoncée, à la fois de
bénéficier des observations de la Cour et de permettre au
gouvernement de réagir et de préciser la façon dont il
entend mettre en oeuvre concrètement les principes qui viennent de
trouver place dans notre Constitution.
Même si, me semble-t-il, la Cour s'est trouvée confrontée
à un contexte institutionnel mouvant, elle n'en a pas moins
procédé à un état des lieux qui témoigne,
au-delà de l'engagement croissant des collectivités
territoriales, d'un phénomène bien connu d'empilement de
dispositifs contractuels ; lequel nuit à un partage clair des
responsabilités entre l'Etat et les collectivités territoriales
et quelquefois entre les différents niveaux de collectivités
territoriales. Il altère, en définitive, la lisibilité de
l'action de l'Etat. Tel est le point de départ de ma lecture du rapport
de la Cour et c'est ce phénomène que j'aimerais notamment que la
Cour et le ministre nous expliquent.
Pour ouvrir cette audition, la parole est donc à M. Jean-François
Collinet, président de la 3
ème
Chambre de la Cour des
comptes.
M. Jean-François COLLINET, président de la
3
ème
Chambre de la Cour des comptes
- M. le ministre, MM.
les sénateurs, pourquoi la Cour a-t-elle choisi le ministère de
la Culture pour conduire cet audit qu'on peut appeler un audit d'organisation.
Ce n'était certes pas pour vous être désagréable, M.
le ministre, mais tout d'abord parce que votre département, qui est
à dimension humaine, se prête donc particulièrement bien
à un audit d'organisation et ensuite parce qu'il est doublement
exemplaire. D'une part, il est engagé de longue date -donc bien avant la
plupart des autres départements- dans un effort de
décentralisation et de déconcentration qui remonte, pour la
décentralisation, pratiquement à la Libération, et pour la
déconcentration, aux années 1975. D'autre part, il est frappant,
dans les efforts qui sont entrepris par la puissance publique en
général pour réformer son organisation, que l'on parle
soit de déconcentration, soit de décentralisation, soit de
réforme de l'administration centrale alors que l'ensemble de ces actions
doit être mené de front. Il est impossible de parvenir à
une bonne déconcentration si l'on n'a pas réformé
l'administration centrale, il est impossible de parvenir à une bonne
décentralisation si l'on n'a pas un bon relais de l'administration
déconcentrée.
De ce point de vue, les trois observations que je vais résumer
manqueront de nuance puisqu'il s'agit d'une synthèse ; mais je vous
laisse le soin, M. le ministre, d'y apporter ces nuances. La Cour a fait trois
constatations : la première est que l'organisation du
ministère demeure encore largement celle d'une administration
centralisée ; la seconde est que la décentralisation s'est,
jusqu'ici, effectuée dans des conditions qui ont manqué de
cohérence et qui étaient lourdes en matière de
gestion ; et, la troisième, est que les services
déconcentrés eux-mêmes n'ont été dotés
à ce jour ni des structures ni des moyens qui leur permettraient de
faire face aux missions renforcées qui leur sont désormais
confiées. Je vais m'efforcer de développer très
brièvement ces trois aspects.
S'agissant de l'organisation du ministère, j'ai dit qu'elle demeurait
largement celle d'une administration déconcentrée. Dois-je
rappeler devant un ministre ce qu'est aujourd'hui une administration moderne
dans un ministère. Elle doit concevoir, impulser, évaluer et
sanctionner, ceci dans la perspective qui est ouverte par la loi organique du
1
er
août 2001 et qui modifie très profondément
l'esprit même de la gestion publique et singulièrement de la
gestion de l'État.
On peut constater que le ministère de la culture s'est orienté
depuis quelques années dans ce sens mais que le processus est loin
d'être encore abouti ; il a adopté le schéma
régional des objectifs culturels à 20 ans et il s'efforce de
traduire ce schéma dans les contrats de plan Etat-régions et dans
les lettres de mission qu'il donne aux DRAC lorsqu'il nomme un nouveau
directeur.
Premièrement, la Cour a observé que toutes les tentatives qui ont
été faites au niveau de l'administration centrale pour parvenir
à un pilotage unifié et coordonné ont, en grande partie,
échoué, et que la direction de l'administration
générale n'a pas réussi à s'imposer aux directions
fonctionnelles en tant que direction capable d'assurer la coordination des
actions territoriales ; ce d'autant moins qu'elle est, depuis 1999, en
concurrence directe avec la délégation au développement et
à l'action territoriale.
Deuxièmement, pour l'essentiel, les directions fonctionnelles ont
maintenu des relations directes et verticales avec leurs représentants
dans les DRAC et conservent une forte propension à flécher leurs
crédits pour indiquer très précisément aux DRAC
quel usage il convient d'en faire. De plus, l'administration centrale est
demeurée beaucoup plus une administration de gestion qu'une
administration d'état-major. La preuve en est que ses effectifs, qui
n'ont pas varié quantitativement depuis 1996, comportent une
pléthore d'agents de catégories B et C et sans doute une
insuffisance d'agents de catégorie A.
Enfin, je noterai qu'on est au tout début d'une culture de
l'évaluation, qui devrait être centrale au sein d'un
ministère, puisque ce n'est qu'en 1995 qu'a été
créé un comité ministériel d'évaluation, et
en 2003 que la direction de l'administration générale a mis au
point un tableau de bord destiné à évaluer les actions des
DRAC. Si une réforme de l'administration centrale s'imposera sans doute,
elle est fortement conditionnée et fortement dépendante de ce qui
va être décidé maintenant en matière de
décentralisation.
Le deuxième constat de la Cour est que la décentralisation s'est,
par le passé, effectuée dans des conditions qui ont manqué
de cohérence et sont très lourdes à gérer.
D'abord, l'esprit qui a prévalu en 1982, était qu'il s'agissait
non pas d'une décentralisation par bloc de compétences mais par
compétences conjointes et parfois concurrentes. Depuis cette date,
l'implication des collectivités locales s'est considérablement
développée puisque le budget qu'elles consacrent à la
culture est deux fois supérieur à celui que l'Etat lui consacre,
d'où une tendance, qui s'est développée depuis une
quinzaine d'années, à développer des relations de
partenariat qui ont abouti à un empilement de dispositifs contractuels
très complexes. Si vous voulez des précisions à ce sujet,
le rapporteur pourra intervenir. Sachez que nous en avons
dénombré neuf. Neuf systèmes contractuels pouvant lier les
collectivités territoriales et l'Etat, qui sont consommateurs de temps
et de moyens.
Depuis 2002, notamment en Provence-Alpes-Côte-d'Azur, puis dans d'autres
régions, a été amorcée une démarche
expérimentale portant le nom de « protocole de
décentralisation culturelle ». Elle vise à unifier
localement le dispositif et à parvenir à un partage des
compétences ; mais, à ce jour, le dispositif est trop
mouvant pour que la Cour puisse porter une appréciation sur les
différentes tentatives pour parvenir à une cohérence de la
décentralisation.
D'autant plus que les choses ne pourront évoluer que progressivement,
s'agissant de décentralisation. Dans les années 1975, on a
amorcé la décentralisation à partir du problème des
archives et des bibliothèques, puis en 2002, à partir du
patrimoine et dans tous les cas la décentralisation pose très
vite des problèmes d'ordre réglementaire ou institutionnel qui ne
peuvent être résolus en un clin d'oeil.
Or, à ce jour et c'est le plus récent constat de la Cour :
les échelons déconcentrés ne sont pas armés pour
remplir leur mission de gestion sur le terrain et d'interlocuteur direct des
collectivités locales. D'abord, la Cour a observé que les DRAC
n'ont autorité ni sur les services départementaux, que sont les
SDAP, ni sur les services à compétence nationale, qui sont
allés se multipliant au cours de la dernière décennie, je
crois qu'il y en a une bonne trentaine. Ensuite, les organigrammes des DRAC
sont très improvisés, ce sont des organigrammes
éclatés, disparates et très cloisonnés, dans
l'esprit de ce qu'est une gestion verticale et de ce qu'elle ne doit pas
demeurer.
Troisième observation de la Cour : la déconcentration des
crédits demeure relativement faible, elle a d'ailleurs eu plutôt
tendance à diminuer au cours des dernières années. On peut
estimer qu'elle porte sur un tiers environ du budget du ministère et
qu'elle est affectée par une très forte sous-consommation des
titres V et VI. Enfin, la répartition des effectifs dans les DRAC est
inadaptée à leurs tâches. Il n'y a pas eu de
redéploiement significatif entre l'administration centrale et les
échelons déconcentrés au cours des dix dernières
années ; les effectifs de l'administration centrale, je l'ai dit,
sont demeurés à peu près constants, autour de 1450/1500
agents. Certes, les effectifs des DRAC ont crû d'un tiers depuis 1991,
mais les 2/3 de ces agents sont affectés aux services patrimoniaux, et
le reste, qui porte sur l'ensemble des autres missions du ministère, est
en état de sous-effectif manifeste. Il est certes toujours très
difficile de chiffrer un sous-effectif, mais on peut estimer entre 6 % et
10 %, selon les services, l'état de sous-effectif dont souffrent
les DRAC actuellement.
Pour conclure, je voudrais revenir sur cette idée qui me paraît
essentielle et qui est celle que la Cour souhaiterait laisser à votre
commission : réformer l'administration centrale, développer
la décentralisation et renforcer la déconcentration, c'est tout
un. Et si l'on essaie de résoudre les problèmes
séparément, on risque fort de n'en résoudre aucun.
Dans cette perspective, le ministère de la culture a certes encore du
chemin à parcourir mais, relativement à d'autres
départements ministériels, la Cour doit objectivement
reconnaître que ce ministère est plutôt en avance qu'en
retard et que, s'agissant singulièrement de la préparation de la
mise en oeuvre de la loi organique du 1
er
août 2001, c'est
certainement l'un des départements ministériels qui, à ce
jour, est le plus près de devenir opérationnel dans la mise en
oeuvre des nouvelles dispositions de gestion budgétaire de l'Etat.
Voici, M. le président, ce que je voulais dire de manière
très résumée.
M. le PRÉSIDENT
- Merci M. le président.
Donc, malgré des observations qui à certains moments pouvaient
éveiller des craintes par leur caractère critique, vos propos de
conclusions sont assez encourageants et doivent permettre au ministre de
s'engager sur une voie prometteuse. M. le ministre, est-ce que vous voulez bien
répondre, à moins que le rapporteur ait des compléments
d'information, sur l'empilement des dispositifs contractuels, par exemple ?
M. Christian SABBE, conseiller référendaire
- M. le
président, s'il fallait donner des exemples, je pourrais vous donner une
liste. Si l'on prend en compte les contrats ville lecture, les contrats ville
ou pays d'art et d'histoire, les contrats éducatifs locaux, les plans
locaux d'éducation artistique, les plans départementaux
d'éducation artistique et culturelle, les relais livre en campagne et,
qui de surcroît doivent s'intégrer dans les contrats
Etat-régions, on arrive à des empilements. Parmi les
contrôles que nous avons pu opérer, nous avons fait un test dans
une région bien gérée, la Bretagne. On nous disait que
c'était invivable pour les conseillers culturels ; ils n'ont
manifestement pas le temps d'aller voir sur place la moindre réalisation
tellement le temps est pris par le montage très compliqué des
dossiers, répartis sur l'ensemble d'une région assez vaste ;
d'où des déplacements pour assister à des quantités
de commissions qui montent les dossiers. Au bout du compte, on arrive à
un empilement qui devient complètement ingérable. Les DRAC nous
disent qu'en fin de compte le dossier reste très théorique, parce
qu'en pratique, une fois qu'elles ont signé et que l'argent vient, on ne
regarde plus vraiment dans le détail ce qui a été convenu
par les collectivités. C'est tout le problème des rapports entre
les collectivités territoriales et l'Etat dans ces domaines, où
par définition, comme le disait M. le président, comme
l'essentiel des crédits vient des collectivités, il n'est pas
totalement illégitime qu'elles se désintéressent un peu de
ce qu'elles ont signé, pour essayer d'être efficace.
M. le PRÉSIDENT
- Merci - Le ministère délivre des
labels et les collectivités feront au mieux, c'est un contrat de
confiance.
M. Jean-Jacques AILLAGON, ministre de la culture et de la communication
- Messieurs les présidents, messieurs les sénateurs, tout
d'abord, j'accueille avec beaucoup de satisfaction, et comme un encouragement
les avis de la Cour des comptes sur la situation du ministère de la
culture. Non seulement, elle n'est pas pire que celle d'autres
ministères, mais et la Cour veut bien le reconnaître, elle est
finalement plus encourageante et meilleure que celle de beaucoup d'autres
ministères.
Cela tient sans doute à la relative jeunesse de ce ministère, qui
n'a été créé qu'en 1959. Il a donc eu moins
d'histoire, moins de temps pour sédimenter des initiatives, des actions,
des dispositifs. Par ailleurs, ce ministère, dans la tradition de
l'après-guerre, s'est d'emblée inscrit dans la perspective de ce
qu'il a appelé lui-même la décentralisation avec d'ailleurs
une ambiguïté sur ce mot. N'oubliez pas que l'après-guerre a
été marqué, à l'initiative de personnalités
comme Jeanne Laurent ou Jean Vilar, par le phénomène de la
décentralisation théâtrale. Qu'était cette
décentralisation ? Ce n'était pas la
délégation par l'Etat aux collectivités locales de
responsabilités qu'il aurait exercées en propre, de façon
autonome, mais bien de la mise en oeuvre, à l'initiative de l'Etat, dans
le cadre d'une concertation et d'un conventionnement avec les
collectivités locales, de dispositifs en faveur de la création
théâtrale et de la diffusion du théâtre. Cette
décentralisation est, finalement, quasiment dans les gènes du
ministère de la culture.
D'autre part, ce ministère s'est engagé de façon
très résolue en 1977 dans un processus de déconcentration
sur lequel je reviendrai. Là aussi, il y a une sorte de disposition
génétique à considérer que le ministère de
la culture est chargé de mettre en oeuvre des modalités
particulières de coordination de son action avec celle des
collectivités locales. Pour ma part, je préfère,
plutôt que de parler de déconcentration ou de
décentralisation - parce que ces mots, notamment celui de
décentralisation, en ce qui concerne le ministère de la culture,
sont ambigus -, parler de la redéfinition des modalités de
l'action territoriale de l'Etat. L'Etat, à travers son ministère
de la culture, n'intervient que très rarement de façon autonome,
de façon singulière, de façon propre dans les territoires.
La plus grande partie du dispositif national d'action culturelle pour des
raisons historiques évidentes, - l'histoire de notre pays en a ainsi
disposé -, est concentrée à Paris et dans l'aire
métropolitaine parisienne. Le plus souvent, à part quelques
services à compétence nationale et quelques établissements
nationaux, partout l'Etat n'intervient que dans le cadre de conventionnement
avec les collectivités locales.
Je suis bien conscient de ce phénomène d'empilement qui tient
à mes yeux à deux raisons: d'une part, il n'y a jamais eu de
volonté délibérée, d'organisation globale, et sans
doute la mise en oeuvre de la décentralisation nous invite à
repenser de façon globale le plan d'intervention territoriale de l'Etat.
Mais il y a également une deuxième raison, c'est que personne n'a
jamais, sauf quelques exceptions, disposé des missions
spécifiques en matière culturelle des collectivités
locales. Si elles ont pris en charge des missions culturelles, elles l'ont fait
de leur propre chef, sans que personne ne leur en fasse la moindre obligation.
Personne, aucun texte, aucune loi n'oblige une ville d'ouvrir et d'animer une
bibliothèque, d'entretenir un musée. Finalement, et c'est la
conséquence de la loi de décentralisation de 1982, ce n'est que
dans le domaine des archives, dans le domaine des services centraux de
prêts des bibliothèques, que la loi disposait que les
départements avaient une responsabilité particulière. Tout
le reste relève de la libre volonté des collectivités
locales, ce qui fait d'ailleurs que ce ne sont pas toujours les
collectivités locales de même niveau qui assument les mêmes
responsabilités. On voit dans certains territoires les
départements faire ce qu'ailleurs les communes ou les régions
font ; on voit les communes faire ce que, dans une autre région,
celle-ci aura décidé d'assumer de façon principale. Le
paysage institutionnel de l'action culturelle dans notre pays est totalement
empirique et il est de ce fait désordonné, ce qui a souvent
obligé le ministère de la culture, pour tenir compte de la
non-hiérarchisation des missions de ses différents
interlocuteurs, de démultiplier selon le cas les dispositifs
contractuels, selon que c'était les communes, lesquelles jouent
d'ailleurs un rôle majeur dans ce dispositif, le département ou la
région qui prenaient telle ou telle initiative.
L'affaire est encore compliquée par le fait, - on le voit bien, le
débat sur la décentralisation nous y invite une nouvelle fois -,
qu'il peut y avoir une vive compétition entre des collectivités
locales de différents niveaux dans la prise en charge de tel ou tel
domaine de l'action culturelle. Dans le domaine du patrimoine, on a bien vu que
la question de savoir vers quel niveau l'Etat pouvait décentraliser sa
responsabilité avait suscité entre les régions et les
départements une certaine tension.
D'autre part, je l'ai observé tout au long de l'année
écoulée, à l'occasion de deux séquences de
réflexions sur la décentralisation que nous avons engagées
dans deux régions test, Midi-Pyrénées et Lorraine, qu'il y
avait de la part des collectivités locales, que ce soient des
régions, des départements ou des communes, une appétence
très diverse quant à la prise de responsabilités. Nous
avons lancé une réflexion sur la prise de responsabilité
des régions à l'égard de la politique en faveur du
patrimoine historique. Mais on n'a vu finalement que quelques régions se
manifester très fortement, en tout cas se proposer de prendre une part
importante de responsabilité. D'autres régions ont
récusé, par principe, la moindre prise de responsabilité.
Dans d'autres cas, les départements ont contesté à la
région la possibilité de jouer un rôle de premier rang -
c'était le cas en Alsace par exemple, où entre la région
et les deux départements, la compétition s'exprime de
façon très vive - et dans certains régions
également une part immense d'indifférence ou de méfiance
à l'égard de cette prise de responsabilité. Les
responsables de ces collectivités craignent que le transfert de
compétences ne s'accompagne pas d'un transfert de moyens suffisants ou,
dans d'autres cas, que la ou les collectivités concernées ne
puissent pas se doter des compétences nécessaires pour assumer
ces missions de façon satisfaisante.
M. le Président, je suis très sensible aux recommandations et aux
pistes de réflexion ou d'actions que nous ouvre la Cour parce que ce
sont exactement dans ces voies là que s'est engagé, au cours de
l'année écoulée, le ministère de la culture et de
la communication.
En premier lieu, il est évident que si nous voulons mettre en oeuvre
cette perspective de meilleur déploiement de notre action territoriale,
il convient de nous doter d'un outil administratif, central, confirmé,
réellement efficace. La dispersion de la responsabilité à
cet égard entre la direction de l'administration générale
et une direction du développement et de l'action territoriale qui vous
le savez, est un devenu une sorte de « fourre-tout » du
ministère ; toutes les fonctions qu'on n'a pas très bien su
placer dans telle ou telle direction, ont fini par se retrouver au sein de
cette direction du développement et de l'action territoriale.
Pour ma part, j'ai engagé le processus de réforme du
dispositif ; il sera délibéré en comité
technique paritaire du ministère dans les semaines qui suivent. Cette
réunion devrait se tenir ce mois-ci, mais l'ardeur de la situation
sociale m'a imposé de différer la délibération sur
ce point.
La direction de l'administration générale devrait, à
l'issue de ce processus, être renforcée, et devenir la mission de
coordination de l'action territoriale de l'Etat ; notre direction de
l'administration générale est pour le moment essentiellement une
direction financière et du personnel ; certains domaines qui
relèvent de la coordination d'un ministère sont même
dans l'état actuel des choses mal prises en compte par la DAG ; je
pense à la coordination des maîtrises d'ouvrage du
ministère.
Cette direction deviendra, d'une part, la grande direction de coordination de
toutes les actions centrales du ministère, y compris dans des domaines
qu'elle aborde peu jusqu'à présent, et d'autre part, la direction
de tutelle des services déconcentrés et de tutelle de l'action
territoriale de l'Etat ; parce qu'il n'est pas sain en effet que chaque
direction sectorielle s'empare de façon exclusive de sa relation avec
tel ou tel secteur de l'action déconcentrée de l'Etat. Donc, les
décisions que j'ai prises, vont tout à fait dans le sens de vos
recommandations.
La deuxième initiative vise à renforcer la relation entre
l'administration centrale et les services déconcentrés, parce
que, paradoxalement, j'ai pu observer en arrivant rue de Valois, que dans le
même temps où l'administration centrale exerçait mal ses
missions de coordination, elle avait laissé très largement
à l'abandon des services déconcentrés.
Donc, nous avons pris le parti de renforcer cette relation en réunissant
une fois par trimestre, à Paris, les directeurs régionaux des
affaires culturelles, y compris, ceux des départements d'outre mer, en
prenant l'initiative de gommer les fossés entre l'administration
centrale et l'administration déconcentrée. Nous avons
procédé à une fusion des catégories B et C des
services centraux et des services déconcentrés de façon
à faciliter la fluidité des personnels entre l'administration
centrale et l'administration déconcentrée. L'administration
déconcentrée étant un peu perçue par les agents de
mon ministère comme une administration de seconde zone ; il faut
qu'à l'esprit de chacun il soit clair qu'avec ses missions
particulières et sa compétence en matière de relations
avec les collectivités locales, elle est un véritable
prolongement de l'administration centrale.
Par ailleurs, j'ai souhaité également que des directives claires
soient données à nos directeurs régionaux ; vous
savez l'importance que j'attache à la clarification donnée,
chaque année, aux directeurs régionaux, par la directive
nationale d'orientation. J'ai observé que certains secteurs de l'action
déconcentrée, en l'occurrence les services départementaux
d'architecture et du patrimoine -les SDAP- ne recevaient jusqu'à
présent aucune directive de ce type, l'année prochaine ces
services seront également dotés d'une directive nationale
d'orientation.
La troisième étape, c'est la réorganisation des directions
régionales elles-mêmes. J'ai pu observer que la sectorisation de
l'administration centrale du ministère de la culture se projetait dans
l'organisation des directions régionales des affaires culturelles et
même dans l'organisation des services déconcentrés de
façon générale. Il nous faut repenser cette organisation
en prenant le parti de renforcer dans le même temps le rôle de
coordination, sous l'autorité du préfet de région et du
directeur régional des affaires culturelles. En effet, je souhaite pour
ma part mettre fin à cet absurde fossé entre les directions
régionales et les services départementaux d'architecture et du
patrimoine, les DRAC et les SDAP. Je crois d'ailleurs que de façon plus
générale, la réorganisation d'actions
déconcentrées de l'Etat et la relation entre les préfets
de région et les préfets de départements, permettront et
faciliteront cette meilleure prise de responsabilité des DRAC à
l'égard des SDAP.
En tout cas, à l'intérieur des directions régionales, j'ai
pu observer qu'aucune politique patrimoniale globale n'était possible
dans l'état actuel des choses, tant la division des tâches
était sectorisée. Les services de l'archéologie, les
services de l'inventaire, les services des monuments historiques, sont
totalement autonomes et ne reconnaissent comme seule filiation que leur
rattachement au service correspondant de l'administration centrale ; j'ai
donc demandé à mes services et à mes directeurs
régionaux, de mettre en oeuvre, dès l'année prochaine, une
réorganisation radicale des services qui se consacrent à la
politique du patrimoine.
Je crois qu'une légende prospère : celle de la
pléthore de nos directions régionales. Pour ma part, je constate
un sous-effectif qui se traduit par l'inefficacité dans certains
secteurs de nos directions régionales des affaires culturelles. J'en
veux pour exemple le tout récent débat sur l'archéologie
préventive. Si nous en sommes arrivés à un tel état
de crise c'est parce qu'on a laissé un établissement public qui
réalisait les travaux, devenir de fait prescripteur des travaux et que
les services déconcentrés n'étaient plus en mesure de
faire leur travail d'instruction des prescriptions, de régulation des
prescriptions, d'instruction des décisions que prendraient, sur la
proposition des directeurs régionaux des affaires culturelles, les
préfets. C'est comme cela que la dérive s'est produite. Mais
quand je constate que dans certaines directions régionales des affaires
culturelles, le service d'archéologie se réduit à une
personne, je sais très bien que cette personne ne peut pas instruire
avec diligence, avec clairvoyance, avec justesse, des dossiers, qui, par la
force des choses, sont très nombreux. Il faut renforcer les services
d'archéologie au sein des directions régionales si on veut que
l'Etat soit réellement en état de faire son travail de
régulateur et de prescripteur et d'encadrer l'action d'un
établissement public, l'Institut national de recherche en
archéologie préventive (INRAP), auquel on ne peut pas livrer sans
aucun discernement, sans aucun contrôle, la mise en oeuvre de la
politique de l'Etat dans un domaine aussi sensible.
Par ailleurs, je le sais, le temps est également venu de clarifier la
relation entre l'Etat, le ministère de la culture et les
collectivités locales. Mais à mes yeux, cela passera tout d'abord
par une clarification, et je vous pose la question de savoir si nous en sommes
capables, de la répartition des compétences culturelles entre les
collectivités locales elles-mêmes ; car, comment voulez-vous
que l'Etat clarifie sa relation avec les collectivités locales quand
celles-ci n'ont d'une part aucune obligation de mettre en oeuvre des actions ou
des initiatives culturelles, et que, d'autre part, ces initiatives, elles les
exercent dans un dispositif et selon des modalités extrêmement
désordonnées.
La loi de 1982 a, je le rappelle, dans le domaine des archives et de la lecture
publique, clarifié - au moins un pan du dispositif : ce sont les
départements qui sont compétents s'agissant des archives et des
services centraux de prêts. J'observe d'ailleurs, et ne cesse de le
rappeler aux adversaires de la décentralisation, que les services
d'archives et les services centraux de prêts n'ont qu'à se louer
de cette initiative ; ces services sont aujourd'hui dans un état de
développement, d'équipement, de dotations en personnels
compétents, que l'Etat n'aurait jamais pu, dans de bonnes conditions,
leur fournir. Quand nous avons, dans le cadre de la loi de
décentralisation, évoqué la décentralisation des
services de l'inventaire, j'ai très rapidement observé que les
conservateurs de l'inventaire étaient tout à fait prêts
à s'engager dans ce dispositif parce qu'ils pressentaient bien qu'il
aboutirait à une amélioration de leur situation professionnelle
et non à une dégradation. Mais en tout cas, il faudra que l'on
fasse ce travail de clarification du rôle des collectivités
locales à leurs différents degrés, sinon il est
évident qu'aucune clarification en retour de l'action de l'Etat ne sera
possible.
Par ailleurs, j'appelle de mes voeux la clarification de la règle du jeu
qui préside à la relation entre l'Etat et les
collectivités locales. Le sujet est infiniment sensible. On en a
aujourd'hui une démonstration s'agissant de la politique nationale des
festivals et dans le domaine du spectacle vivant et de la musique. Nous sommes
aujourd'hui, ministère de la culture, à la tête d'un
réseau très important dans le domaine du
théâtre : les théâtres nationaux, les centres
dramatiques nationaux, les scènes nationales, les théâtres
conventionnés, les compagnies conventionnées et
subventionnées.
La relation avec les collectivités locales est en général
aisée. Quand il y a lieu d'envisager le développement des moyens
de telle ou telle structure, on finit toujours par s'entendre ; de
même que pour choisir le directeur de telle ou telle structure. Mais je
suis pour ma part terrifié par le caractère assez
hétéroclite, disparate, très divers de cette addition de
réseaux. D'une part, j'observe que l'idéal de ceux qui les
mettent en place est toujours de passer au degré supérieur de
conventionnement avec l'Etat. Les scènes conventionnées veulent
devenir scènes nationales, les scènes nationales veulent devenir
centres dramatiques nationaux et aujourd'hui certains centres dramatiques
nationaux viennent me voir pour devenir théâtres nationaux.
D'autre part, ces réseaux, aujourd'hui ne bénéficient
d'aucune logique géographique : ils ne relèvent pas de
l'expression d'une volonté cohérente de l'Etat, à aucun
moment de son histoire. Ils sont le résultat d'une simple
sédimentation hasardeuse qui fait que dans tel département,
où l'on a été audacieux ou astucieux, il y a quatre
scènes nationales, le département de la Seine-Maritime par
exemple, et dans tel autre département il n'y a pas de scène
nationale et même il n'y en a jamais eu, quelle que soit par ailleurs la
qualité des équipements pour le théâtre, la musique
et la danse.
Je crois que le moment est venu pour l'Etat de redéfinir aujourd'hui, et
c'est là d'ailleurs que son rôle stratège, pour reprendre
une expression du Premier ministre, peut et doit jouer, des objectifs
généraux, une rigueur territoriale, un mode de relation avec les
collectivités locales et présider, puisqu'après tout il
est la collectivité publique supérieure, à la
redéfinition ou simplement à la définition de ce que
pourraient être des missions spécifiques de chacune des
collectivités locales à leurs différents degrés
d'organisation.
En tout cas, M. le Président, sachez-le, je suis très sensible
à vos observations : elles vont tout à fait dans le sens de
mes propres réflexions. Le ministère de la Culture et de la
communication s'est engagé dans un processus de
réaménagement de ses structures et j'espère que dans
quelques années l'action publique dans ce domaine pourra en mesurer
l'efficacité. L'on constatera alors à quel point les fruits de
ces réformes sont beaux.
M. le PRÉSIDENT
-. Merci M. le ministre pour toutes ces
précisions. Donc, nous allons essayer, dans le quart d'heure qui
vient, de faire vivre le débat. Le rapporteur général
souhaite-t-il poser une question au ministre ou à la Cour ?
M. Philippe MARINI, rapporteur général
- Très
brièvement, j'ai noté dans le rapport de la Cour des indications
intéressantes sur l'évolution des effectifs, des DRAC en
particulier qui, en 10 ans, ont progressé de 500 personnes. Alors,
je me suis posé la question de la pertinence de ces augmentations
d'effectifs, compte tenu des tâches croissantes à la charge des
collectivités territoriales. C'est la question qui me semble la plus
importante dans la ligne de beaucoup de propos qui viennent d'être tenus
par M. Aillagon.
Ma seconde question n'a rien d'original : elle est très
récurrente, c'est celle de la maîtrise d'ouvrage des constructions
sur les monuments historiques. Chacun d'entre nous a certainement des exemples
de monuments historiques qui croulent parce que les architectes en chef sont
hors d'état de réaliser dans les temps les études et de
diriger les travaux nécessaires, parce qu'ils ne peuvent pas être
partout. Bien entendu ils veillent avec un grand soin à leur pré
carré et leur statut semble relever d'une organisation hors d'âge
et tout à fait opposée aux intérêts bien compris
d'une bonne consommation des crédits publics en même temps que de
la sauvegarde du patrimoine. Dans le rapport de la Cour j'ai trouvé des
réflexions sur la nécessité de faire évoluer la
maîtrise d'ouvrage sur les monuments historiques. J'aimerais entendre vos
avis sur ce problème.
M. le MINISTRE
- Je voudrais répondre brièvement, M. le
rapporteur général. Vous le savez, c'est mon intention, nous en
avons déjà parlé, nous proposerons prochainement une
série de textes à caractère législatif ou
réglementaire ainsi que des mesures de simplification qui
prévoient, notamment, la réorganisation de la maîtrise
d'ouvrage et de la maîtrise d'oeuvre sur les monuments historiques.
Premièrement, s'agissant de la maîtrise d'ouvrage, la règle
que nous souhaitons promouvoir, c'est que le propriétaire est
systématiquement maître d'ouvrage et que, naturellement, il
n'exerce pas cette maîtrise si lui-même la récuse ou s'il
n'a pas la possibilité évidente de l'exercer. S'agissant de
bâtiments qui appartiennent à des collectivités locales, il
est évident qu'une commune de petite taille qui possède un
monument, une église, une abbaye, disproportionné par rapport
à la taille de la commune pourra ou déléguer à une
autre collectivité cette maîtrise d'ouvrage ou recourir aux
services de l'Etat si elle estime que c'est la meilleure solution.
Il faut inverser la pratique actuelle : aujourd'hui la règle c'est
que l'Etat est systématiquement maître d'ouvrage sauf dans des
situations exceptionnelles où il consent à déléguer
la maîtrise d'ouvrage à des propriétaires. Ce
fonctionnement n'est pas inédit. J'ai été directeur des
affaires culturelles de la ville de Paris qui depuis longtemps exerce la
maîtrise d'ouvrage sur les monuments historiques. L'Etat lui
délègue les crédits, ses concours à la
réalisation des travaux et la ville de Paris, qui a des services
d'ailleurs très compétents, exerce directement la maîtrise
d'ouvrage.
Ce sera je crois un grand progrès et cela facilitera naturellement la
consommation des crédits. Vous le savez l'une des maladies du
ministère de la Culture étant la sous-consommation des
crédits du titre V, notamment parce que ces crédits se sont
sédimentés au cours des dernières années de
façon préoccupante.
Deuxièmement, s'agissant de la maîtrise d'oeuvre, il est
évident qu'elle doit être réorganisée. En ce qui
concerne les monuments historiques je proposerai la réforme suivante.
D'une part, le nombre d'architectes en chef des monuments historiques (ACMH)
serait augmenté de façon très sensible. Dès la fin
de cette année, nous engagerons un processus de recrutement de
25 architectes supplémentaires. Ils sont au nombre de 50
actuellement, vous voyez c'est un petit corps, et je crois qu'une bonne partie
des phénomènes de tensions entre les propriétaires et les
architectes en chef trouve sa source dans cette faiblesse de l'effectif des
architectes en chef. Nous proposons donc d'augmenter le nombre d'architectes en
chef en procédant également au recrutement de praticiens qui
auront pu faire montre de leurs capacités à maîtriser de
façon compétente des chantiers sur des monuments historiques.
D'autre part, il serait mis fin à l'affectation automatique et
autoritaire d'un architecte en chef ou en tout cas à l'affectation de
tel ou tel monument à la responsabilité de tel ou tel architecte
en chef. Le propriétaire aura la possibilité de choisir son
architecte en chef sur une liste territoriale d'architectes, susceptibles
d'assurer la maîtrise d'oeuvre sur les travaux. Je crois que cela
modifiera radicalement la nature des relations entre le propriétaire et
l'architecte en chef.
M. le PRÉSIDENT
- Très bien. Cela pourra peut-être
s'accompagner aussi d'une plus grande ouverture des entreprises admises
à participer aux travaux. Même si quelquefois des restrictions
doivent s'imposer. Est-ce que la Cour souhaite apporter une
précision ?
M. Jean-François COLLINET, président de la
3
ème
chambre de la Cour des comptes
- M. le
président, si vous le permettez, je pense que les indications que vient
de nous donner le ministre de la culture même si elles ne sont pas
exhaustives vont tout à fait dans le sens des préoccupations de
la Cour. Quelles sont les trois observations que nous avons fait en ce qui
concerne les architectes en chef des monuments historiques ?
Premièrement ils sont effectivement dans une situation de monopole
très contraignant puisqu'ils sont un passage obligé et vous avez
répondu à cette question. Deuxièmement ils
développent au-delà de leurs activités de fonctionnaires,
des activités d'architectes privés, en partie à partir de
moyens qui sont ceux de l'Etat, et parfois dans des locaux qui sont
dévolus au ministère de la Culture et ceci gratuitement.
Troisièmement et enfin le ministère de la culture n'a pas une
bonne connaissance des conditions dans lesquelles ils développent ces
activités au point que, dans certains cas, les informations que nous
avons pu recueillir nous ont laissé quelques doutes sur la
réalité de l'engagement des architectes en chef dans leurs
activités de fonctionnaires et aucun sur la force de leur engagement
dans des activités privées.
M. le PRÉSIDENT
- Et ils instruisent toujours les demandes
de subventions qu'alloue l'Etat également ?
M. Christian SABBE, conseiller référendaire
- Oui M. le
président, ils contribuent directement aux études, ils en
définissent les montants. Ils font évaluer par un corps qu'on
oublie souvent, les vérificateurs des monuments historiques qui sont 18,
qui ont un monopole dans les mêmes conditions et qui font juridiquement
partie dans la maîtrise d'oeuvre qu'ils sont chargés
néanmoins de contrôler. Si vous ajoutez à cela que les
conservations régionales des monuments historiques qui
représentent la maîtrise d'ouvrage d'Etat n'ont pas, pour les
mêmes raisons qu'expliquait M. le ministre, -des problèmes
d'effectifs-, les moyens de surveiller les prix, on arrive à un
système complètement bouclé où tous les prix sont
définis par ceux qui perçoivent des rémunérations
dessus. Comme le disait le président à l'instant, le vrai
problème qui a un peu interpellé la Cour dans des rapports sur
l'augmentation du nombre des ACMH, est cette évidence : il y a un
besoin puisqu'ils n'ont pas le temps de faire leur travail. Mais dès
lors qu'ils refusent de dire quel temps ils passent sur la partie publique et
sur la partie privée, on ne peut pas conclure à un manque de
temps puisqu'on ne sait pas le temps qu'ils y passent. Quant à donner un
chiffre comme j'ai pu lire dans certains documents, par exemple qu'il faut
augmenter de 50 ACMH le nombre des 50 actuel, et qu'il faudrait
peut-être continuer, ça me laisse très perplexe, sauf
à dire qu'il n'y a plus de monopole.
M. le PRÉSIDENT
- Pardonnez-moi, mais quel est le statut de
l'architecte en chef des bâtiments historiques ? Il est
rémunéré par l'Etat, il perçoit un salaire ?
M. Christian SABBE, conseiller référendaire
- Ils
perçoivent exclusivement des rémunérations sur honoraires,
qui sont assis sur les travaux qu'ils réalisent, tant pour le compte de
l'Etat, que, en maîtrise d'oeuvre, pour les propriétaires
privés ou les collectivités locales.
M. le MINISTRE
- Pour les propriétaires privés, ils
instruisent en plus les demandes de subventions, et pratiquement ils
décident du montant des subventions que l'Etat va verser.
M. Christian SABBE, conseiller référendaire
- Permettez,
M. le président, une petite correction. Ce sont les architectes des
bâtiments de France qui font le contrôle des travaux à
exécuter, mais en revanche l'étude sur les monuments historiques
est faite par un architecte des monuments historiques.
M. le MINISTRE
- Face à une situation qui n'est pas nouvelle,
mais qui est dénoncée depuis très longtemps, il faut
tendre à la clarification de la situation. En tout cas, le monopole tel
qu'il s'exerce actuellement dans des conditions déontologiques et
d'ailleurs économiques très contestables, il faut le bouleverser.
Tout d'abord, pour être complet, j'aurai dû vous dire qu'il faut
repenser l'ensemble des dispositifs de maîtrise d'oeuvre :
architectes des bâtiments de France (ABF), architectes en chef des
monuments historiques, vérificateurs, vous avez tout à fait
raison puisque nous avons trois types de praticiens qui interviennent dans les
mêmes opérations. Je suis pour ma part partisan de mettre fin
à l'intervention conjointe de l'architecte des bâtiments de France
et de l'architecte en chef des monuments historiques sur le même
bâtiment selon qu'il s'agit de travaux de réparation ou de travaux
de restauration ; la frontière entre ces deux types d'intervention
étant parfois très mince. Il n'est pas sain non plus qu'un
propriétaire que ce soit une collectivité publique ou un
propriétaire privé, ait affaire à autant d'interlocuteurs,
d'intervenants qui peuvent de façon très préoccupante le
livrer à des attitudes capricieuses ou désinvolte, ce qui fait
d'ailleurs que les chantiers sur nos monuments historiques sont d'une longueur
extrême. La mauvaise organisation de la maîtrise d'ouvrage et de la
maîtrise d'oeuvre est sans doute l'une des causes de la longueur des
travaux, de la dispersion des crédits, de l'incapacité de
concentrer, à un moment donné, des crédits massifs sur une
opération de façon à la rendre visible, utile aux
monuments et visible aux citoyens.
Il y a quelques semaines ou quelques mois maintenant, je suis allé
à l'invitation de M. Marini dans le département de l'Oise. Dans
l'après-midi, on m'a conduit à Beauvais et après le
déjeuner, à l'arrière de la cathédrale, je vois un
monument recouvert d'un échafaudage. Je demande de quoi il s'agit. On me
dit c'est un bâtiment qui avait brûlé et qui était en
restauration. J'y vois un panneau à l'en-tête du
ministère de la culture et de la francophonie qui était
l'appellation du ministère, à l'époque, où
M. Toubon était ministre, donc il y a dix ans.
Alors on m'a dit qu'on n'avait pas eu le temps de s'en occuper et que l'on
avait d'autres priorités, que si l'on avait su que je passerais par
là, le panneau aurait été changé. Il faut mettre
fin à ces situations absurdes. Donc je crois que la
réorganisation de la maîtrise d'ouvrage, l'attribution
systématique de la maîtrise d'ouvrage aux propriétaires
renforcera le contrôle du propriétaire sur les travaux.
Deuxièmement, une meilleure définition de la répartition
des opérations entre les différents types de maîtres
d'oeuvre publics architectes des bâtiments de France, architectes en chef
des monuments historiques, vérificateurs, tendra à la
clarification. Egalement, la possibilité systématique ouverte aux
propriétaires de choisir son maître d'oeuvre renversera totalement
la relation. Aujourd'hui, le propriétaire subit le praticien, demain le
propriétaire aura choisi le maître d'oeuvre et pourra en amont des
opérations négocier avec lui les conditions de son intervention.
De plus, et je vous donnerai raison, je crois qu'il vaut mieux régler
les conditions déontologiques, éthiques, professionnelles de
l'action de ces praticiens qui aujourd'hui naviguent entre le service public et
le service privé, ce qui en soit est légitime mais la confusion
des deux aboutit parfois à des situations très contestables.
Ce sera en tout cas l'ensemble des réponses à ces interrogations
qui sera inscrit dans les dispositions des textes que nous préparons.
M. le PRÉSIDENT
- Nous avons rendez-vous à la fin de
l'année, M. le Ministre. La parole est à M. Gaillard,
rapporteur spécial.
M. Yann GAILLARD
- Le rapporteur spécial n'a plus grand-chose
à dire parce que l'essentiel a déjà été dit.
Moi je me réjouis beaucoup des préconisations de la Cour. Nous
avions d'ailleurs au moment où nous-même, à la commission
des finances, avions procédé à une étude, notamment
sur la politique du patrimoine, interrogé les magistrats de la Cour.
Donc, il n'est pas étonnant que nous soyons sur la même ligne.
Je crois qu'effectivement les réponses du ministre vont tout à
fait dans un sens encourageant. En ce qui concerne la réforme du statut
des ACMH, il faut ajouter effectivement le problème des
vérificateurs dont nous ne nous sommes pas assez
préoccupés dans notre rapport. Si nous sommes en phase sur ces
points, j'y vois moins clair en ce qui concerne des questions beaucoup plus
générales comme par exemple la concurrence entre les
régions et les départements. C'est dans la nature des choses. Le
ministre a cité l'exemple de l'Alsace. Nous avions été
très sensibles à ce qui se passait en Rhône-Alpes où
il y a une politique du département de l'Isère qui est
très volontariste et qui rend difficile une politique régionale.
Alors les points sur lesquels je suis encore un peu perplexe sont les suivants.
Premièrement, tout ce qui a été dit sur la maîtrise
d'oeuvre est me semble-t-il parfait. C'est la bonne orientation.
Deuxièmement, sur la maîtrise d'ouvrage, j'y vois moins clair
parce que, autant il importe de renforcer les services d'archéologie
pour encadrer l'INRAP, autant j'aurais souhaité que les services
d'archéologie soient sous le contrôle des conservations
régionales des monuments historiques (CRMH). Il y a une
ambiguïté qu'il n'est pas facile à lever.
Troisièmement, j'apprécie beaucoup la position prise par le
ministre qui correspond aux préconisations et de la Cour et à
celles que nous avions faites concernant le rattachement des services
départementaux, peut-être avec double tutelle aux régions,
car la question des rapports entre architectes des bâtiments de France et
architectes des monuments historiques n'est pas très claire.
Je suis plus interrogatif sur les points suivants :
1) Qu'en est-il de l'évolution des grands services constructeurs d'Etat,
établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels
de l'État (EPMOTC) devenus établissements de maîtrise
d'ouvrages culturels (EMOC). Qu'en est-il également de la
nécessaire division de la DRAC Ile-de-France qui est absolument
incapable de faire face à des problèmes comme celui de l'Arc de
Triomphe dont on a beaucoup parlé.
2) Où en est, enfin, le devenir du Centre des monuments nationaux.
L'indiscrétion du Figaro a été très nuisible. En ce
qui me concerne j'ai par exemple le problème dans mon département
du Château de La Motte-Tilly, où tout le monde est
complètement en émoi parce que de toute façon, comme c'est
un legs, on ne peut pas le vendre. Et comme c'est une petite chose, je ne sais
pas si on aura la possibilité de faire un établissement public de
coopération culturelle (EPCC), qui permettrait de gérer au plus
près le domaine qui va avec le château et dont les ressources sont
gaspillées et ne sont même pas perçues en ce qui concerne
les forêts. C'est assez regrettable.
3) Le ministre a annoncé sa volonté de faire une réflexion
générale. J'attire son attention sur le problème de la
musique. Je me demande si ce n'est pas d'ailleurs le secteur le plus en retard.
Mais encore une fois encore, nous sommes tous sur la même longueur d'onde.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie M. Yann Gaillard. M. le
Ministre...
M. le MINISTRE
- Oui, M. le président. Rapidement tout d'abord
sur l'indiscrétion du Figaro. Indiscrétion tout a fait
malheureuse et en partie mal informée. Nous envisageons, en effet,
à l'occasion de la loi de décentralisation d'ouvrir la
possibilité pour les collectivités locales, de devenir
propriétaires ou de se voir attribuer la gestion des monuments
nationaux, à l'exclusion des monuments qui resteront la
propriété de l'État et seront déclarés
imprescriptibles. Il est évident que notre Nation a des devoirs à
l'égard de certains monuments particuliers. Il n'est pas question de
donner la Basilique de Saint-Denis au département de la Seine
Saint-Denis ou le Château de Versailles à la ville de Versailles.
Cela n'aurait pas de sens. Nous sommes gardiens d'un patrimoine
légué par notre histoire. J'ai constitué une commission
d'experts et je proposerai d'ailleurs à votre assemblée d'y
désigner des membres. La commission sera présidée par M.
René Rémond, elle aura pour objet de définir dans le
patrimoine hétéroclite historique de l'État, dont le
ministère de la culture a la garde, ce qui peut relever d'une initiative
de délégation, de transfert de propriété ou de
gestion et ce qui doit rester dans le patrimoine de l'Etat et donc être
géré par l'Etat, par le ministère de la Culture.
Le château de La Motte-Tilly se trouvait en effet dans la liste des
monuments menacés par l'article de Mme Roméro. D'une part, ce
n'est pas l'Etat qui en est propriétaire, c'est le Centre des monuments
nationaux. C'est l'ancienne caisse nationale des monuments historiques qui
possède par legs de la duchesse de Maillé, ce château en
propre. Donc la question ne se posera pas. D'autre part, il est évident
que pour tous les éléments de la propriété de
l'Etat qui relève de cet exercice, il sera toujours pris en compte
naturellement la volonté des personnes qui ont légués ou
qui ont donné à l'Etat . Il n'est pas question de la bafouer.
S'agissant de la maison de Renan à Tréguier , il y aura lieu
de vérifier si dans les dispositions testamentaires de Renan il
était prévu que de façon irréversible ce bien
devait appartenir à la nation. Il ne sera pas envisagé de le
transférer au département des Côtes d'Armor si elles en
manifestaient le désir.
Ce sera je crois une bonne occasion de clarifier les choses et je le rappelle,
il n'y aura de transfert que s'il y a une volonté claire d'une
collectivité locale, si l'Etat reconnaît la compétence de
cette collectivité locale à prendre en charge un monument et si,
naturellement, la collectivité s'engage à l'entretenir dans des
conditions convenables et à l'ouvrir au public.
Le Centre des monuments nationaux va d'ailleurs de ce fait rentrer dans une
période d'ajustement. Il est évident qu'il va perdre la gestion
de certains monuments. Pour ma part je serais également d'avis qu'on
clarifie à cette occasion la relation entre le centre des monuments
nationaux et la réunion des musées nationaux. Certains monuments
sont gérés à la suite d'avatars historiques par la
réunion des musées nationaux, sous prétexte que ce sont
des musées alors que ce sont d'abord des monuments. Le château de
Pau, par exemple est géré par la réunion des musées
nationaux. Je serais d'avis dans certains cas de transférer certains
sites au centre des monuments nationaux, mais également
transférer certaines activités du centre des monuments nationaux
à la réunion des musées nationaux dont le savoir faire est
plus aguerri. Faut-il que nous ayons deux services éditoriaux, un
à la réunion des musées nationaux, un au centre des
monuments nationaux ? Donc j'aimerais bien une clarification qui tendrait
à reconnaître le centre des monuments nationaux comme exploitant
le site ouvert au public et la réunion des musées nationaux comme
organisme public d'édition, de diffusion, de publication et
d'organisation de manifestations telles que les expositions.
Concernant la maîtrise d'ouvrage, on m'a remis hier soir un document
d'analyse au ministère de la culture. Ce document conclut tout d'abord
au fait que, si nous avons des organismes, même des établissements
de maîtrise d'ouvrage, le ministère de la culture lui-même,
comme administration, assure mal le contrôle de ces ouvrages ou de ces
maîtrises d'ouvrages. Donc, comme je vous le disais tout à
l'heure, je souhaite, d'une part, renforcer, au sein de la direction de
l'administration générale, la fonction de contrôle des
maîtrises d'ouvrages et, d'autre part, clarifier la prolifération
de ces innombrables maîtrises d'ouvrages qui sont satellisées
autour du ministère de la culture. D'ailleurs, je crois que la prise en
compte de la réglementation et de la législation
européenne nous contraindra également à mettre fin, dans
certains cas, à la situation de monopole de fait de ces
établissements. Donc nous sommes entrés dans un processus de
clarification de la situation des maîtrises d'ouvrages publiques. Mais
enfin, M. le rapporteur, je vous rassure, je sais votre attachement au
château de La Motte-Tilly, la volonté de la Duchesse de
Maillé ne sera pas bafouée et rien ne sera décidé
sans que toutes les précautions n'aient été prises.
M. le PRÉSIDENT
- Merci M. le Ministre. M. le Président,
pas d'observation particulière sur ce qui vient d'être dit ?
Nous allons essayer d'aller vite maintenant sur la première
séquence, c'est-à-dire celle relative à l'audition
commune, la confrontation entre la Cour et le ministre, pour passer rapidement
à la seconde séquence sur l'exécution budgétaire
2003 mais, à ce moment-là, nous libérerons la Cour. M. le
Président...
M. Jean-François COLLINET, président de la
3
ème
chambre de la Cour des comtpes
- Deux observations
générales très rapidement.
Lorsque je suis entré à la Cour, la Cour était une
institution inquisitoriale ; elle est devenue une institution
« dialoguante », ma présence ici le manifeste. Pour
qu'on puisse dialoguer en matière de contrôle, il faut que l'on
puisse, de part et d'autre, pratiquer la rectitude de la parole. Ce n'est pas
le cas dans toutes les administrations mais je voudrais vous donner acte, M. le
Ministre, du fait qu'entre le ministère de la culture et la Cour, il y a
rectitude de la parole. Deuxièmement, je pense qu'il y a trois
éléments fondamentaux qui vont commander les conditions dans
lesquelles se fera ou ne se fera pas la réforme de l'Etat. Le premier
porte sur la mise en oeuvre de la loi du 1
er
août 2001 dont
j'ai dit qu'elle était relativement avancée au ministère
de la culture ; le deuxième porte sur les problèmes que nous
venons d'évoquer et le troisième porte sur la gestion des
fonctionnaires. Alors, M. le Ministre, nous sommes en train de préparer,
sur la gestion des fonctionnaires au sein de votre département un
relevé de constatation provisoire qui vous parviendra très
prochainement.
M. le PRÉSIDENT
- Qui est aussi encourageant ?
M. Jean-François COLLINET, président de la
3
ème
chambre de la Cour des comptes
- Non parce qu'il y a
vraiment un nombre d'obstacles, qui ne sont pas des obstacles inhérents
à l'activité de ce ministère mais à la gestion par
corps. Lorsque l'on a quarante ou cinquante corps dans un ministère, la
gestion est complètement étrangère à la notion de
profession qui devrait être de mise.
M. le MINISTRE
- Rapidement, je voudrais simplement vous dire que depuis
mon arrivée au ministère de la culture, rue de Valois, je me suis
incontestablement engagé dans un processus de réforme radical de
mon ministère et des modalités de son action et je tiens aussi
à vous dire que je mesure l'effrayante difficulté qu'il y a dans
notre pays à réformer.
M. Philippe MARINI, rapporteur général
- Dans le
prolongement de la question de M. Gaillard tout à l'heure sur un
site particulier, j'aurais voulu demander au ministre s'il est envisagé
- envisageable de poursuivre cette idée de la mise en place d'EPCC pour
gérer des sites ou de toute autre forme, groupement
d'intérêts publics, établissements publics, associant
l'Etat et des collectivités territoriales, de manière à
promouvoir l'ouverture et l'animation de certains domaines qui peuvent
eux-mêmes comporter plusieurs sites et qui doivent être
gérés dans un esprit de promotion à la fois culturelle et
touristique. Et ma seconde question, M. le Ministre, M. le Président,
était d'en revenir aux effectifs, donc plus 500 postes en dix ans. Quand
aurons-nous une vision de la gestion prévisionnelle des effectifs des
DRAC, en particulier, compte tenu de la décentralisation ? Je
serais heureux de les voir maigrir au fur et à mesure des transferts de
compétences.
LE PRÉSIDENT
- M. le Ministre, une réponse brève
à cette question ?
M. le MINISTRE
- Non, M. le Rapporteur général, je crois
qu'il faut tenter d'avoir une vision globale de l'évolution des
effectifs : -administration centrale, services
déconcentrés-, et je crois que la logique paradoxale de la
décentralisation, c'est qu'il faut que les services de l'Etat
déconcentrés soient mieux armés pour constituer, pour les
collectivités locales, des interlocuteurs avertis, compétents,
efficaces et rapides. C'est sans doute dans la balance entre l'administration
centrale et l'administration déconcentrée, ou dans la
redéfinition de leurs rôles, que réside globalement la
clé d'une meilleure réponse donnée à
l'évolution des effectifs du ministère de la culture. J'estime
que dans beaucoup d'actions très sensibles notre présence est
indispensable, même si l'on peut contester, par exemple, qu'il y ait un
conseiller de cinéma dans chaque direction régionale. Toutefois,
il m'est arrivé de me demander si pour certaines fonctions qui
finalement ne mobilisaient pas un agent de façon permanente pendant
toute l'année, on ne pouvait pas « mutualiser » les
effectifs entre deux directions régionales, entre Lorraine et
Champagne-Ardenne par exemple. Cela me semble possible mais le gain sera en fin
de compte très faible. La vérité, c'est qu'il faut, dans
les domaines où l'Etat encadre, où l'Etat contrôle et
partout où l'Etat exécute, que les services soient suffisamment
dotés. Dans ces services-là, notamment le service du patrimoine,
le sous-équipement humain est quand même très
préoccupant et conduit à des drames, je le répète,
ou à des situations explosives comme celle que nous avons connue sur
l'archéologie préventive.
M. le PRÉSIDENT
- Merci. M. le Président,...
M. Jean-François COLLINET, président de la
3
ème
chambre de la Cour des comptes
- On me dit que j'ai
commis une omission impardonnable ; cette enquête sur la gestion des
personnels du ministère de la culture n'est pas seulement de notre
initiative mais à la demande de votre commission des finances.
M. le PRÉSIDENT -
Et vous allez nous la présenter
prochainement
M. Jean-François COLLINET, président de la
3
ème
chambre de la Cour des comptes
- Je ne sais pas ce
que vous appelez prochainement mais avant la fin de l'année
assurément
M. le PRÉSIDENT -
Décidément, nous avons deux
rendez-vous importants d'ici la fin de l'année. La communication de
votre enquête et le projet de loi que prépare M. le Ministre.
Très brièvement, je vais demander à Maurice Blin et
à Philippe Lachenaud d'intervenir, mais vraiment sous l'aspect rapport
de la cour des comptes.
M. Maurice BLIN
- Je n'interviens plus...
M. Jean-Philippe LACHENAUD
- Je voulais insister sur la
nécessité de mener à bien la réforme de la
direction de l'administration générale et des DRAC
simultanément. C'est la clé puisque toutes les directions
verticales du ministère se font la guerre. Quant à moi, je l'ai
faite dans mon temps contre la DAG lorsque j'étais directeur de
l'architecture. Il y a vraiment un problème extrêmement difficile
à résoudre. Je n'ai pas la recette mais je crois que c'est une
des clés de mener en parallèle ces deux réformes. Quant
aux DRAC, évidemment, il convient de trouver une solution
spécifique pour l'Ile-de-France. Je vous l'ai déjà
exprimé, M. le Ministre, mais vraiment, par rapport aux 12 millions
d'habitants, la ville de Paris avec sa politique culturelle magnifique et les
autres départements, il faut vraiment trouver une solution
spécifique.
Ma deuxième réflexion consistait à dire que, plus que la
maîtrise d'oeuvre, c'est vraiment l'organisation de la maîtrise
d'ouvrage qui est importante. Il y a dans le rapport établi par mon
collègue Gaillard des recommandations tout à fait positives, tout
à fait intéressantes ; c'est là la clé d'une
meilleure consommation des crédits, d'une meilleure maîtrise des
coûts des opérations, d'une meilleure maîtrise des
délais dans la maîtrise d'ouvrage. Par contre, le statut des
architectes en chef des monuments historiques est une originalité
française. Si l'on voit les dysfonctionnements, les résultats
globaux sont assez exceptionnels et il est certain que quelques monuments du
type cathédrales ou autres et l'ensemble des patrimoines en France ont
été bien protégés. Il faut quand même une
expertise et une connaissance d'un monument avant de pouvoir intervenir dessus
et un respect des traditions ; moi, personnellement, je pense qu'il ne
faut pas détériorer le niveau d'intervention des architectes des
monuments historiques, il ne faut pas les fonctionnariser, il ne s'agit pas de
les transformer en ABF de deuxième niveau ou de troisième niveau,
ça je crois que ça serait une erreur. Pour une fois il y a un
système spécifique dans l'administration française, est-ce
que c'est vraiment la clé ? Je pense que l'idée d'une liste
des architectes en chef des monuments historiques est une ouverture du choix,
c'est une bonne idée.
Par ailleurs, c'était ma troisième observation, je vais
être très très bref ; je vais faire l'éloge de
la complexité. C'est elle qui fait la diversité, qui fait la
richesse des initiatives, des actions. Nous ne sommes plus au temps de Malraux
et des maisons de la culture. Aujourd'hui, que ce soit la musique, que ce soit
le livre, que ce soit les monuments historiques, il y a heureusement des
multiplicités d'initiatives. Il faut donc qu'il y ait en regard des
multiplicités de systèmes juridiques et des multiplicités
de systèmes de financements. Alors évidemment, pour les
rationalistes et cartésiens ou les centralisateurs, ce n'est
peut-être pas facile à assimiler et à admettre, mais moi je
plaide et je fais l'éloge, donc, de la complexité. Je ferai de
même l'éloge de la politique contractuelle. Même si je pense
qu'il serait souhaitable de faire vraiment un balayage complet de la politique
contractuelle, de la simplifier, de réduire les hypothèses de
politique contractuelle, il ne faut pas rejeter l'idée même de
politique contractuelle parce que d'expérience, elle est un champ
d'innovation. Elle a été un moyen de stabiliser les financements
croisés des différents partenaires dans les projets, un moyen de
donner toute son extension, tout son essor à des initiatives locales, et
un moyen de partenariat. Il y a vraiment toute une série
d'éléments positifs dans la politique contractuelle à
partir du moment où elle serait remise en ordre et où elle serait
stabilisée et elle permet notamment à des établissements
publics du type de ceux qu'évoquait M. Marini, ou à des
centres culturels régionaux de connaître un plein
développement dans le cadre de politiques contractuelles. Voilà
les quelques réflexions, M. le Président, que je voulais
présenter.
M. le PRÉSIDENT
- M. le Ministre, voulez-vous réagir aux
observations de M. Lachenaud.
M. le MINISTRE
- M. Lachenaud connaît bien le ministère de
la culture ; il en a une pratique, il en connaît à la fois
les faiblesses mais également les forces et c'est vrai qu'il faut que
nous tendions à la fois à la clarification, parce que parfois
nous sommes face à des dispositifs confus, et en même temps, on ne
cherche pas à caporaliser par un excès de rationalisme des
actions qui, par la force des choses, relèvent également de
l'émotion, de la prise de responsabilité, de la passion, et qu'on
ne pourra jamais, d'un bout à l'autre du territoire, égaliser.
Donc il faut conserver cette balance subtile entre rigueur et clarté
d'une part, et vitalité d'autre part.
M. le PRÉSIDENT
- Avant de passer à la suite de l'ordre du
jour, je voudrais féliciter les magistrats de la Cour pour la
qualité de leur travail, ainsi que M. le Ministre pour
l'intérêt de ses réponses.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des
finances du Sénat a décidé de publier les conclusions de
la communication sur l'organisation et la gestion des services
déconcentrés du ministère de la culture sous forme d'un
rapport d'information.