c) Une application au droit boursier nécessaire mais encore controversée
En matière de fusions et acquisitions, le Sénat a défendu, à l'occasion de la transposition de la directive OPA, une conception large de la réciprocité , en particulier en cas d'offres concurrentes sur une même société cible. Ainsi aux termes de l'article L. 233-33 du code de commerce, l'exception de réciprocité, qui se traduit par l'abandon du principe de neutralité de l'organe de direction pour la mise en place de mesures de défense à l'encontre une offre (prévu par l'article 9 de la directive), peut être invoquée par la société cible dès lors qu'un des offrants - et non pas la totalité d'entre eux - n'applique pas un régime de gouvernance équivalent.
Le contenu et la portée de cette réserve de réciprocité ont alimenté des débats doctrinaux , un certain nombre de praticiens ayant émis des doutes sur l'efficacité et le caractère opérationnel de ce principe, dont la mise en oeuvre repose en grande partie sur l'appréciation de l'AMF, appelée à se prononcer en cas de contestation par l'initiateur de l'offre 171 ( * ) .
En outre, l'application différenciée de l'exception de réciprocité en Europe, compte tenu des options ouvertes par la directive aux Etats-membres 172 ( * ) , crée de nouvelles différences de traitement qui ne figuraient pas parmi les objectifs initiaux de la directive. Il était cependant nécessaire d'initier ce débat, en espérant qu'il soit traité de manière plus harmonisée et cohérente à l'avenir.
Lors de son audition par la mission d'information, M. Jean-Cyril Spinetta, président-directeur général d'Air France-KLM, a fait valoir un point de vue nuancé sur la réciprocité, s'agissant des sociétés de l'indice CAC 40 considérées comme les plus vulnérables à une OPA :
« Certains journaux financiers tiennent de telles listes. Elles mentionnent seize sociétés du CAC 40, qui sont toutes d'une extrême rentabilité. C'est précisément ce qui attire les prédateurs. Le deuxième fait important est que les agresseurs relèvent souvent du capitalisme familial, contre lequel il n'existe pas de riposte ni de parade efficace . Troisième point, les agresseurs sont protégés par leurs législations nationales. Des normes se mettent en place qui instaurent une réciprocité des protections, cependant je ne suis pas certain que ces règles jouent de manière équilibrée. [...]
« J'ai été frappé de constater qu'au moment où une menace, réelle ou supposée, planait sur Danone, Saint-Gobain rachetait le leader mondial du plâtre tandis que des banques françaises s'emparaient de banques italiennes. Il importe d'être pragmatique et attentif quant au moment où cette ouverture jouera à notre détriment , alors qu'elle a pour le moment représenté un avantage. Compte tenu de ce que sont les usages et les règles du jeu, il faut probablement, lorsque des risques se manifestent, essayer d'éviter qu'ils se concrétisent, mais mieux vaut en parler le moins possible . Il est vraisemblable qu'une défense est d'autant plus efficace qu'elle est discrète. Communiquer beaucoup, et constater que les opérations se réalisent malgré tout, décrédibilise ceux qui se sont exprimés. »
Cet appel au pragmatisme, que l'on retrouve chez d'autres personnalités, souligne la nécessité d'une terminologie prudente , si l'on ne veut pas risquer de porter inutilement atteinte à l'image de notre pays et lui donner la réputation d'un esprit protectionniste qu'il ne mérite en aucune façon.
* 171 L'article 231-42 du règlement général de l'AMF dispose :
« Toute personne qui conteste l'équivalence des mesures (...) transmet simultanément à l'AMF et à la société visée les moyens et les documents sur lesquels elle fonde sa contestation. A compter de la réception de ces documents, la société visée dispose d'un délai de dix jours de négociation pour faire part à l'AMF de ses observations.
« L'AMF rend sa décision dans un délai de cinq jours de négociation à compter de la réponse de la société visée.
« L'AMF peut demander toute justification et information complémentaire. Le délai est alors suspendu. Il recommence à courir à réception des éléments requis.
« L'AMF rend publique sa décision ».
* 172 Une courte majorité d'Etats membres (14 sur 25) a choisi d'exercer cette option, prévue à l'article 12 de la directive (cf. infra ).