II. UN PREMIER AXE : CENTRALISER DAVANTAGE LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE DE L'ÉTAT EN RENFORÇANT LES PRÉROGATIVES DE LA DIRECTION DE L'IMMOBILIER DE L'ÉTAT
A. MIEUX RÉPARTIR LES RÔLES ENTRE OCCUPANTS ET PROPRIÉTAIRES EN RENFORÇANT LES PRÉROGATIVES DE LA DIRECTION DE L'IMMOBILIER DE L'ÉTAT
1. Problématique, la répartition des rôles doit être clarifiée
Les faibles traductions de l'affirmation de la distinction entre État propriétaire et ministères occupants favorisent des difficultés multiples :
- en matière de cessions, la répartition des rôles ne garantit pas une relation saine entre l'administration libérant un bien et la direction de l'immobilier de l'État. Si la décision d'inutilité d'un bien relève du ministère, la direction de l'immobilier de l'État intervient ensuite pour le vendre, selon un cadre procédural strict. Or, pendant cette période, qui dure en moyenne 16,7 mois 75 ( * ) , le ministère assure les coûts de portage associés au bien mis en vente (entretien et gardiennage essentiellement), et surtout ne dispose pas du produit de cession qu'il attend de réutiliser ;
- le dispositif de cession avec décote dans le cadre de la loi de mobilisation du foncier public 76 ( * ) , dit « cession Duflot », ne s'accompagne pas d'un partage de l'information : après avoir établi une décision d'inutilité, les ministères ne sont en effet pas avertis des projets retenus par les préfets ;
- il arrive que des logements libérés par un ministère dans le cadre de la rationalisation du parc résidentiel et rendus à la direction de l'immobilier de l'État en vue de les céder soient réattribués à d'autres bénéficiaires publics, comme l'ont indiqué à vos rapporteurs spéciaux les représentants du ministère de la justice. Ces expériences ne facilitent le sentiment d'une mobilisation conjointe en faveur de la rationalisation ;
- surtout, les opérateurs demeurent les principaux maîtres de leur politique immobilière. Or l'État leur met à disposition gratuitement une partie de son parc immobilier : pour 252 d'entre eux, ces biens mis à disposition représentent même plus de la moitié de leur implantation immobilière totale. Contrairement aux services de l'État, l'utilisation d'immeubles majoritairement de bureaux par un opérateur ne donne pas lieu au paiement d'un loyer budgétaire. En outre, l'État ne dispose pas d'une connaissance complète de leur patrimoine immobilier, alors même que le parc immobilier qu'ils utilisent est évalué à 27,5 millions de mètres carrés en 2016 et un montant comptable brut de leurs biens estimé à 58 milliards d'euros , soit un montant proche du patrimoine immobilier de l'État (66 milliards d'euros) 77 ( * ) .
Le fonctionnement des loyers budgétaires illustre la fragilité de la situation actuelle 78 ( * ) . Alors même qu'ils sont censés incarner la relation entre le propriétaire et les occupants, ils « n'ont pas atteint l'objectif d'incitation à la rationalisation immobilière qui leur a été fixé en 2010 et revêtent un caractère essentiellement symbolique (...). Leur effet sur les réductions de surfaces réalisées par les administrations » est impossible à mesurer 79 ( * ) .
Pire, maintenus au milieu du gué pour leur symbolique mais non activés, ils cristallisent les critiques des gestionnaires pour leur caractère stérile et chronophage, ce qui explique les réflexions en cours autour de leur suppression . Cependant, vos rapporteurs spéciaux soutiennent la logique dont ils procèdent et leur intérêt pour retracer le coût complet, intégrant la fonction immobilière, des différentes politiques publiques. C'est pourquoi ils recommandent de les conforter en les renforçant et en les étendant aux opérateurs de l'État (cf. infra ), dans le cadre d'une réforme globale visant à conférer à la direction de l'immobilier de l'État les prérogatives du propriétaire.
2. La direction de l'immobilier de l'État doit disposer des prérogatives qui reviennent à tout propriétaire : décider de la vente et en disposer de son fruit
Actuellement, la direction de l'immobilier de l'État ne maîtrise pas les décisions de céder un bien : c'est le ministère qui dispose de la compétence de décision d'inutilité du bien . Les services du domaine interviennent pour l'évaluation et la procédure de cession. Certes, les administrations doivent pouvoir disposer des moyens nécessaires à la conduite de leurs missions. Pour autant, il devrait revenir l'État propriétaire, dans un dialogue avec les ministères, d'assurer cette mise à disposition et la projection nécessaire pour définir la stratégie immobilière.
En tant que représentante de l'État propriétaire, la direction de l'immobilier de l'État doit pouvoir gérer les actifs immobiliers de l'État en opérant lui-même les choix de conservation et de cession d'un bien. Vos rapporteurs spéciaux recommandent ainsi de l'investir de la responsabilité des décisions de cession d'un bien immobilier pour trois raisons complémentaires :
- un renforcement des prérogatives de l'État propriétaire nécessaire à une politique immobilière plus efficace ;
- une rationalisation du processus de cession, dès lors que l'État assumerait alors les coûts de portage du bien. La différence de perception entre ministère et direction de l'immobilier de l'État découlant d'un inefficace partage des rôles disparaitrait alors ; leurs relations se concentreraient sur un dialogue entre propriétaire et utilisateur, permettant également d'anticiper les évolutions à venir ;
- un préalable à la définition d'une politique immobilière conçue comme une gestion d'actifs, permettant de prendre du temps pour élaborer des scénarios de valorisation et d'élargir le spectre des possibilités du seul arbitrage propriété-cession vers la location.
Recommandation n° 1 : Afin de renforcer une vision globale du parc, permettre à la direction de l'immobilier de l'État d'opérer l'arbitrage entre conservation et cession de ses biens immobiliers en la rendant unique responsable des décisions de cession, dont elle assumerait en contrepartie les coûts associés. |
Responsable de la décision de cession, la direction de l'immobilier de l'État doit aussi être l'unique bénéficiaire de son produit : vos rapporteurs spéciaux soutiennent la suppression du « droit au retour » accordé au ministère précédemment occupant. S'ils comprennent son intérêt initial pour inciter les ministères à la rationalisation immobilière, ils souscrivent aux analyses de l'inspection générale des finances selon lesquelles son effet incitatif connaît une baisse structurelle depuis 2011. Après un encadrement de ce droit au retour en 2009, ils estiment que la maturité de la politique immobilière de l'État est désormais suffisante pour le supprimer. Deux raisons principales motivent cette recommandation :
- d'une part, le droit de retour entretient une inégalité entre ministères en fonction de leur dotation immobilière initiale 80 ( * ) , qui compromet leur capacité à disposer des crédits nécessaires à l'entretien des bâtiments qu'ils occupent ;
- d'autre part, sa suppression contribuerait à accroître les moyens financiers à la disposition du propriétaire pour conduire sa politique immobilière suivant une stratégie s'écartant des impératifs budgétaires au profit d'une vision pluriannuelle.
Compte tenu des spécificités de son parc, le ministère de la défense doit développer des structures propres, en complément de la vision globale portée par la direction de l'immobilier de l'État. Vos rapporteurs spéciaux ont d'ailleurs constaté qu'un tel pragmatisme s'imposait également en Italie et au Royaume-Uni. Pour prendre en compte cette réalité, ainsi que pour permettre de répondre aux défis d'investissement, vos rapporteurs spéciaux soutiennent toutefois le maintien d'un droit de retour au profit du ministère de la défense.
De même, cette suppression doit s'accompagner de la définition d'un nouvel outil d'intéressement des ministères à la rationalisation de leurs implantations immobilières, telle que la possibilité mentionnée par l'inspection générale des finances de transposer l'incitation actuelle, portant sur le produit de cession et donc sur le pouvoir du propriétaire, aux loyers budgétaires, plus conforme au statut d'occupant. La mission de l'inspection générale des finances proposait ainsi de « laisser aux occupants tout ou partie du bénéfice des économies réalisées grâce à leurs mesures de rationalisation immobilière (notamment économies de loyers, réels ou budgétaires) » . Un tel dispositif devrait en tout état de cause être sécurisé dans la durée , afin d'éviter que ces dotations soient in fine ponctionnées en cours de gestion. Aussi une possibilité plus simple pourrait-elle être envisagée, sur le modèle des pratiques en vigueur au Royaume-Uni, de réputation (« nommer et faire honte »).
Recommandation n° 2 : Pour augmenter la part des crédits immobiliers interministériels, unifier l'affectation des produits de cessions en supprimant le « droit au retour » des ministères civils. Conformément à leur statut d'occupant, leur incitation à la rationalisation immobilière serait alors assurée par l'utilisation des loyers budgétaires ou par le recours à la réputation. |
* 75 Chiffre réalisé en 2015.
* 76 Loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.
* 77 Relevons en particulier le patrimoine de l'Office national des forêts (ONF), estimé à plus de 10 milliards d'euros, et celui des Voies navigables de France (VNF), évalué à 9,4 milliards d'euros.
* 78 Voir page 73 pour une présentation du mécanisme des loyers budgétaires.
* 79 « Rénovation du cadre institutionnel et modernisation des outils de la politique immobilière de l'État », Inspection générale des finances, novembre 2015.
* 80 Rappelons par exemple que les ventes supérieures à 5 millions d'euros entre 2006 et 2014 représentent 1 % des cessions, mais 60 % de leur produit.