PARTIE I
AVIS DE TEMPÊTE SUR LA DÉMOCRATIE
LOCALE ?
S'interroger aujourd'hui sur l'avenir de la commune et du maire, c'est d'abord chercher à comprendre les menaces qui pèsent sur cet avenir.
Or, les nuages s'amoncellent sur la démocratie locale et il convient d'en prendre la mesure. Il n'est plus possible d'ignorer l'alerte donnée par ces élus qui renoncent à leur mandat et il faut comprendre quelles évolutions ont progressivement affaibli la force du modèle communal.
Il n'est pas d'avenir possible sans espoir. Heureusement, la vitalité de l'institution communale, l'attachement profond de nos concitoyens à l'égard de nos communes et de leurs maires et l'engagement civique de nos élus constituent, à cet égard, un phare dans la tempête.
I. UN AVENIR ASSOMBRI
A. DES SIGNES AVANT-COUREURS : CRISE DES VOCATIONS ET AFFAIBLISSEMENT DE LA PARTICIPATION ÉLECTORALE
La mission d'information a lancé ses travaux à la fin du mois de janvier 2023, alors que des inquiétudes se faisaient jour sur le découragement progressif des élus municipaux.
Les élections municipales de 2020 avaient déjà suscité certaines craintes. En novembre 2019, un sondage commandé par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) annonçait que 28,3 % des maires sortants avaient décidé de ne pas se représenter et que 23 % hésitaient encore3(*), alors qu'en 2014, lors des précédentes élections municipales, la part des sortants non candidats ne s'élevait qu'à 27 %4(*).
Surtout, une fois la séquence électorale passée, les annonces de démissions de maires ou de conseillers municipaux se sont multipliées. Si le phénomène n'était pas inédit, son ampleur paraissait supérieure aux années précédentes, sans que personne ne soit en mesure de le quantifier exactement.
La première décision de la mission d'information a donc été de demander au ministère de l'intérieur de collecter les informations des préfectures sur le sujet et de les lui transmettre.
Les statistiques recueillies ne laissent pas place au doute : la crise des vocations municipales est une réalité et son aggravation depuis le dernier renouvellement des conseils municipaux ne peut plus être niée.
Les auditions de la mission d'information, enrichies par la consultation des élus locaux qu'elle a organisée, permettent de comprendre les ressorts de cette crise qui ne se limite pas aux seuls élus démissionnaires. Peu à peu, sous l'effet de la dégradation des conditions d'exercice du mandat municipal, l'écart se creuse entre les aspirations des élus municipaux et la réalité de leur mandat.
Se conjuguant à cette crise des vocations, la baisse de la participation aux élections municipales accentue le risque d'un affaiblissement de la démocratie locale.
1. La crise des vocations municipales : une réalité
La crise des vocations municipales est susceptible de couvrir deux phénomènes : la baisse des candidatures ou des intentions, pour les maires en place, de se porter à nouveau candidat lors des prochaines élections municipales ; l'augmentation des démissions volontaires d'élus municipaux en cours de mandat.
Or, les travaux de la mission établissent que si l'ampleur du premier phénomène est encore limitée, le second se signale par une aggravation sensible de la situation.
a) Une baisse des candidatures encore limitée
Lors du premier tour des dernières élections municipales, on dénombra 106 communes sans aucun candidat, dont quatre communes de 1 000 habitants ou plus5(*). C'était presque trois quarts de plus que six ans auparavant où seulement 62 communes avaient été dans ce cas et une seule de 1 000 habitants ou plus.
Ce phénomène est certes marginal par rapport à l'ensemble des 34 965 communes, mais il illustre le risque d'une diminution progressive de l'engagement municipal, que confirme la décrue du nombre de candidats aux dernières élections municipales. De 926 068 en 2014, il est passé à 902 465 en 2020, soit -2,55 %, ce qui représente une proportion plus importante que la baisse du nombre de communes, par fusion, sur la même période (-1,5 %).
Cette baisse d'engagement a-t-elle touché les candidats aux postes de maire ? Afin de mieux la mesurer, le rapporteur a interrogé le ministère de l'intérieur sur le nombre de maires élus en 2014 qui se sont présentés à nouveau en 2020.
Malheureusement, cette statistique ne fait pas l'objet d'un suivi systématique par les préfectures et les données transmises sont donc lacunaires : l'information complète n'est disponible, en 2014 et en 2020, que pour 39 départements. Or dans ceux-ci, trois situations se rencontrent : celle dans laquelle le nombre de maires s'étant présentés à nouveau aux suffrages des électeurs est supérieur en 2020 (par exemple en Ariège ou dans le Gard), celle dans laquelle il est inférieur, mais où le nombre de fusions de communes explique largement la baisse (par exemple le Cantal, le Lot, le Rhône ou l'Yonne), celle dans laquelle il est inférieur sans que ceci résulte de la seule recomposition de la carte communale (par exemple dans les Alpes-de-Haute-Provence, le Loiret, le Nord, les Yvelines ou en Vaucluse).
La proportion de représentation dans ces départements est quasiment le même en 2020 et 2014 puisqu'il est d'environ des deux tiers6(*) : la situation paraît donc stable de ce point de vue.
Faut-il craindre une aggravation à l'avenir ?
Un tel risque d'une baisse des candidatures en 2026 ne peut être appréhendé que par le biais de sondages sur le souhait des maires en place de se représenter ou non.
Dans le cadre de la consultation qu'elle a organisée, la mission a donc interrogé les maires sur leurs intentions à l'issue du mandat en cours.
Résultats de la consultation des maires pour la question :
Source : Mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France
Sur 2 093 maires ayant répondu à ce qu'ils envisageaient de faire à l'issue de leur mandat, 28 % indiquent d'ores et déjà souhaiter quitter la vie politique et un tiers se représenter. Le dernier tiers ne se prononce pas encore. Les ordres de grandeur sont les mêmes lorsqu'on ajoute les réponses des conseillers municipaux ou des adjoints7(*).
Ces niveaux de réponse sont très proches de ceux qu'avait recueillis l'AMF en 20198(*) dans son sondage précité. Même si le taux de non-représentation demeure élevé, on ne peut pas conclure, à ce stade, à une aggravation.
La situation, sur le front des démissions en cours de mandat, est, quant à elle, bien différente.
b) L'augmentation inquiétante des démissions municipales
Précisions méthodologiques : les statistiques des démissions
La loi fait obligation aux maires ou adjoints démissionnaires d'adresser leur démission au préfet pour qu'elle devienne définitive. Par ailleurs, ils doivent également l'informer des démissions de conseillers municipaux9(*).
Ce faisant, le ministère de l'intérieur est en mesure de suivre les cessations de mandats ou de fonctions municipales. Il centralise ces informations dans le répertoire national des élus (RNE), en précisant le motif de la vacance enregistrée.
Cet outil a toutefois longtemps présenté une faiblesse : jusqu'en janvier 2021, il ne comprenait qu'un nombre restreint de motifs de cessation de fonction (décès, démission volontaire ou d'office, autre...) et les services préfectoraux manquaient de rigueur dans l'enregistrement des motifs, privilégiant à l'excès le motif généraliste « autre »10(*). Depuis cette date, la liste des motifs a été affinée et leur renseignement fait l'objet d'une plus grande attention des préfectures, ce qui a nettement amélioré la fiabilité de ce recueil statistique.
Il n'en reste pas moins que les comparaisons longitudinales, couvrant des périodes antérieures et postérieures à 2021, s'en trouvent fragilisées : il est ainsi très vraisemblable que, de 2014 à 2020, de nombreuses démissions volontaires ont été plutôt enregistrées sous le motif « autre ». Afin de neutraliser ce biais, la méthode retenue, pour faire des comparaisons temporelles, a été de retenir l'ensemble des vacances de siège de maire, quel qu'en soit le motif, hors décès.
Selon les chiffres fournis par le ministère de l'intérieur à la mission d'information, depuis 2020 jusqu'au 10 mai de cette année, 1 078 maires ont démissionné volontairement11(*), ce qui représente, en à peine trois ans de mandat, 3 % de l'effectif total des maires12(*). Ces démissions se répartissent à 30 % (327) dans les communes de 1 000 habitants et plus, et 70 % (929) dans les communes de moins de 1 000 habitants, ce qui reflète quasi parfaitement la répartition des communes selon la strate démographique13(*).
Interpellé par Franck Menonville lors des questions d'actualité au Gouvernement du 5 avril 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, a tenté de relativiser cette statistique en faisant valoir qu'elle était comparable à ce qui avait été observé lors du précédent mandat municipal. Se fondant sur le nombre de vacances de sièges de maire, pour tout motif, hors décès, il a estimé que « 1 293 : tel [est] le nombre exact de maires qui ont démissionné depuis le début de leur mandat. Pour autant, il faut toujours se méfier des chiffres : entre 2014 et 2020, quelque 2 925 maires avaient démissionné. La moyenne est donc comparable : de l'ordre de quarante par mois » 14(*).
Cette comparaison présente toutefois deux défauts.
D'une part, elle assimile la totalité des démissions enregistrées sous le motif « autre » à des démissions volontaires. Or, comme on l'a vu (cf. encadré méthodologique), il est probable qu'aient été classées dans cette catégorie des vacances de sièges de maires relevant d'autres motifs que celui d'une démission volontaire15(*).
D'autre part, elle compare les trois premières années d'un mandat à la totalité d'un autre. Ce faisant, elle néglige d'examiner les niveaux respectifs des trois premières années de chaque mandat et elle ne tient pas compte de la dynamique des vacances constatées au fil des années du mandat précédent.
Le tableau ci-dessous met en lumière cet aspect :
Nombre de vacances de sièges de maires,
hors décès,
de 2014 au 10 mai 2023
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
224 |
476 |
573 |
688 |
593 |
337 |
255 |
502 |
585 |
222 |
Trois premières années du mandat 2014 |
Trois dernières années du mandat 2014 |
Trois premières années du mandat 2020 |
Progression |
||||||
1 273 |
1 618 |
1 342 |
+5,4 % |
||||||
Progression entre les deux moitiés de mandat |
+27,1 % |
Source : Mission d'information sur l'avenir de la
commune et du maire en France
à partir des statistiques fournies par
le ministère de l'intérieur
Or, on constate que le niveau actuel de vacances de sièges de maires, hors décès, est, à 1 342, 5,4 % supérieur à celui observé lors des trois premières années du mandat de 2014, qui s'élevait à 1 247.
L'augmentation n'est pas uniforme selon les strates démographiques des communes : si, pour celles de moins de 1 000 habitants le niveau de vacances de sièges au début du mandat 2020 est quasi identique, voire légèrement inférieur, à celui du début du mandat 2014 (respectivement 839 et 852), en revanche, l'essentiel de l'augmentation se concentre dans celles de 1 000 habitants et plus (respectivement 503 contre 421, soit une augmentation de près de 19,5 %).
Surtout, l'avenir se présenterait sous un jour plus sombre si les trois années qui viennent suivaient la même dynamique que celle observée lors de la deuxième moitié du mandat de 2014 (+27,1 %) : le chiffre des vacances se monterait alors à plus de 3 000, ce qui représenterait 8,8 % de l'effectif total des maires. Or, le nombre de démissions enregistrées au cours du premier semestre 2023 semble le confirmer : si le rythme de ces démissions ne se ralentit pas, on en comptera 623 à la fin de l'année.
D'ailleurs, d'autres indicateurs corroborent cette analyse d'une aggravation de la situation, même certains sont moins fiables que les premiers, faute, en ce qui les concerne, que la remontée d'informations auprès des préfectures ou leur traitement soit aussi systématique que pour les démissions de maire.
Le premier de ces indicateurs est le nombre annuel de décisions préfectorales relatives aux démissions de maires, quel qu'en soit le motif : selon les chiffres fournis au rapporteur par le ministère de l'intérieur, on en compte 1 058 pour la période 2014-2016 et 1 430 pour la période 2020-2022, soit une augmentation de 35 %.
Le deuxième indicateur est celui du nombre de vacances de sièges de conseillers municipaux enregistré au RNE.
Selon les chiffres fournis par le ministère de l'intérieur à la mission, de 2014 à 2016, le nombre de vacances de sièges de conseillers municipaux, pour tout motif, hors décès et renouvellement général16(*), était de 32 846. De 2020 à 2022, il était de 35 565, ce qui correspond à une augmentation de 8,28 %. En valeur absolue et à seulement mi-mandat, le nombre de ces vacances représente presque 7 % (6,94 %) de l'effectif des conseillers municipaux élus en 2020.
Les communes de 1 000 habitants et plus sont plus touchées par l'aggravation de la situation : l'augmentation, en ce qui les concerne, est de 13,1 % contre 1,6 % pour celles de moins de 1 000 habitants.
On peut avoir une idée plus précise de la part des démissions volontaires dans ce total pour 2021 et 2022 puisque, depuis 2021, le motif « démission volontaire » est suivi avec plus de rigueur dans le RNE. Il représente, pour ces deux années, 25 539 cas de vacances, soit 87,2 % du total des vacances pour ces deux années : il s'agit, très largement, de la cause principale des vacances observées. Ceci représente 78 % du total pour les communes de 1 000 habitants et plus et 95 % pour celles de moins de 1 000 habitants17(*).
La tendance semble continuer à la hausse en 2023. Interrogé par le rapporteur sur ce point, le ministère de l'intérieur a ainsi estimé que « sur un trimestre complet en 2023, 3 304 démissions volontaires ont été enregistrées. Ce chiffre est en légère hausse (+2,4%) par comparaison à 2022 (12 910 démissions volontaires de conseillers municipaux, soit 3 227 en moyenne par trimestre). Il est également en hausse (+4,6%) en comparaison avec une année de mi-mandat équivalente lors de la précédente mandature, c'est-à-dire en 2017 : 12 641 vacances de conseillers municipaux avaient été enregistrées pour tout motif (sauf décès), soit 3 160 en moyenne par trimestre en 2017 ».
Au total, selon la dernière évaluation fournie à la mission par le ministère de l'intérieur, au 10 mai 2023, le nombre de démissions volontaires de conseillers municipaux depuis 2020 s'élevait à 29 214.
Corollaire du précédent, le troisième indicateur est celui du nombre de scrutins locaux organisés entre deux renouvellements généraux des conseils municipaux. Cette statistique inclut, notamment, les élections partielles ou complémentaires destinées à remédier aux vacances au sein des conseils municipaux18(*). Elle présente toutefois le défaut de comprendre également toutes les consultations locales organisées par les communes, ce qui affaiblit sa portée pour notre sujet. Néanmoins, la tendance dessinée confirme l'analyse d'une nette augmentation des démissions municipales. De 1 040 scrutins organisés de 2014 à 2016, nous sommes passés à 1 335 de 2020 à 2022, soit une progression de 28,4 %.
Enfin, le dernier indicateur est celui des délégations spéciales mises en place, à l'initiative du préfet, pour administrer des communes dépourvues de conseil municipal en raison soit d'une impossibilité de le constituer, soit d'une démission de tous les conseillers, soit d'une annulation définitive de l'élection19(*). Entre les périodes 2014-2016 et 2020-2022, ce nombre a augmenté de plus de la moitié (+54,7 %), passant de 86 à 133. Il s'agit certes là de situations extrêmes. Toutefois, le fait remarquable est que si l'on observe un nombre identique de délégations spéciales en 2014 et 2020 (46), en revanche, les années qui suivent, il est au moins le double en 2021 (69) et 2022 (18) de celui de 2015 (35) et 2016 (5) : les dissolutions de conseils municipaux ou l'impossibilité de les constituer se sont donc aggravées d'un mandat à l'autre.
Pour résumer, le nombre de démissions municipales constatées pour ce second mandat se situe à un niveau absolu qui est, en lui-même, inquiétant et cette inquiétude ne peut être que renforcée par la dynamique dans laquelle il semble que nous soyons engagés. Ce phénomène touche les maires comme les conseillers municipaux.
Cette réalité ne peut plus être niée et il serait dommageable de ne pas en prendre la mesure. Elle est le symptôme d'une insatisfaction croissante des maires vis-à-vis des conditions d'exercice de leur mandat.
2. Un divorce consommé entre les aspirations des élus et les réalités du mandat municipal ?
Interrogé par le rapporteur sur les raisons de la crise des vocations municipales, Michel Gros, membre du bureau de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), a souligné que les maires ont « le sentiment d'une perte de sens. Les politiques publiques manquent de visibilité, de continuité. Elles changent trop vite et empêchent les maires de construire une politique de long terme. [...] Leurs interlocuteurs sont nombreux ; ce n'est pas simple à gérer pour les communes rurales dépourvues d'ingénierie. On constate avec une certaine amertume une marche forcée vers l'intercommunalité depuis la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. [...] Résultat, les communes-centres se renforcent au détriment des communes rurales, sauf si le président de l'intercommunalité est maire d'une commune rurale. [...]
« Quand nos administrés s'interrogent, le premier réflexe est d'aller à la mairie. Mais lorsqu'on interroge le maire sur les poubelles qui débordent ou la réparation d'un réseau d'eau, que répond-il ? Cela ne dépend pas de moi, mais de l'intercommunalité... Cela le décrédibilise.
« Les maires ont le sentiment d'une perte de sens. Ils s'interrogent sur leur engagement, hésitent parfois à poursuivre. Ils ne comptent pas leurs heures. Mais nos concitoyens se comportent de plus en plus comme des consommateurs et ne voient pas le travail nécessaire pour faire avancer les dossiers. »20(*)
Perte de pouvoir des communes, complexité ou illisibilité des politiques publiques, multiplicité des interlocuteurs, difficultés techniques dans l'exercice du mandat, relation contrariée à l'intercommunalité, exigences trop pressantes des citoyens, le diagnostic ainsi formulé a été confirmé à de nombreuses reprises par les personnes entendues par la mission d'information, comme par exemple Emmanuel Éloré, ancien maire d'Andouillé-Neuville, en Ille-et-Vilaine, pour qui « [l]e travail de maire est un travail passionnant, qui devient cependant de plus en plus lourd dans les petites communes, rurales en particulier ». Soulignant comme déterminants dans sa décision de démissionner de son mandat la complexification de l'exercice de la compétence « urbanisme » et les enjeux des relations entre les communes et l'intercommunalité, il a indiqué avoir « le sentiment que le maire, peu à peu privé de compétences, est réduit à l'état de marionnette. »21(*)
Ce qui apparaît à travers ces réflexions, c'est un divorce entre les aspirations des élus, qui veulent être utiles à leur territoire et à leurs concitoyens, et la réalité des conditions d'exercice de leur mandat, qui ne leur permettent plus toujours de répondre à ces aspirations.
La consultation des élus municipaux organisée par la mission d'information confirme cette impression et permet d'en cerner les causes.
· Des conditions d'exercice du mandat loin d'être toujours satisfaisantes ; des maires qui ont le sentiment d'être toujours plus sollicités
Il s'avère que moins de la moitié (47,6 %) des maires répondants jugent les conditions d'exercice de leur mandat satisfaisantes. Seuls les élus dont la commune est urbaine ou se situe dans un territoire périurbain en sont majoritairement satisfaits.
La part de ceux qui les jugent mauvaises est certes limitée (13,9 %), mais elle illustre le fait qu'une frange non négligeable des maires fait face à d'importantes difficultés dans l'exercice de leur mandat.
Résultats de la consultation des maires pour la question (2093 réponses) :
Source : Mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France
La mission a également interrogé les maires sur l'implication qu'exige d'eux leur mandat depuis leur première élection. Or, le résultat est spectaculaire : les trois quarts des répondants (76,5 %) estiment que, depuis leur première élection, elle est plus ou beaucoup plus importante. Elle est identique pour seulement 14 % d'entre eux.
La situation s'est visiblement dégradée avec le temps puisque 85 % des élus dont c'est au moins le deuxième mandat jugent l'implication exigée plus importante. Et même ceux dont c'est le premier mandat font majoritairement (55,6 %) état d'une intensité plus forte depuis leur prise de fonction.
· Des difficultés d'exercice du mandat bien identifiées
Afin de mieux comprendre les causes de leurs difficultés, il a été demandé aux maires répondants de noter, sur une échelle de 0 à 10, les principales difficultés rencontrées dans l'exercice de leur mandat. Ceci a permis d'établir le classement suivant :
Résultats de la consultation des maires pour la question (2093 réponses) :
Source : Mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce classement.
En premier lieu, un facteur majeur de difficultés pour les maires tient à l'appréhension de la norme applicable. Il s'agit bien entendu de la complexité normative en elle-même qui, avec la note 8,34, est classé premier facteur de difficulté, mais aussi des conséquences de cette complexité : les risques de mise en cause de la responsabilité des élus, notamment pour des décisions erronées (6,95), et les risques contentieux (6,73).
Ceci corrobore l'analyse de Martial Foucault, professeur de sciences politiques et directeur du centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), pour qui les deux principales sources d'insatisfaction des maires sont : « l'absence de reconnaissance de la part de l'État, en particulier du pouvoir exécutif ; l'inflation normative, qui rend la fonction de plus en plus technique, à l'opposé de ce que porte la notion d'engagement politique. Cela est particulièrement le cas des municipalités qui ne disposent pas d'un secrétaire de mairie. »22(*)
La deuxième catégorie de difficultés tient à la charge de travail des maires, qui rend plus difficile la conciliation avec la poursuite d'une vie professionnelle (pour ceux qui travaillent, cette difficulté est notée 7,61). La charge des réunions et procédures est également dénoncée à ce titre (7,24) et, dans une moindre mesure, la difficulté de concilier mandat et vie personnelle (6,29 et 6,7 pour ceux qui sont dans la vie active).
La troisième catégorie est celle des moyens mis à la disposition des communes et des maires. Si l'insuffisance des moyens financiers occupe la troisième place du podium (7,17), le manque de personnel technique ou administratif se situe à la moyenne (6,37).
La quatrième catégorie est celle du rapport à la population : si les exigences plus pressantes des citoyens sont mises en avant comme une difficulté importante (6,76), en revanche, le manque de reconnaissance des citoyens ne compte pas au nombre des difficultés les plus fortes à gérer (5,90).
Enfin, parmi les facteurs qui leur étaient soumis, les répondants ont classé aux dernières places la gestion de l'équipe municipale ou le fait de manquer de relais auprès de l'intercommunalité ou des autres collectivités territoriales.
· Les motifs du renoncement au mandat
On a vu plus haut qu'un peu moins d'un tiers des maires consultés envisageaient de ne pas s'engager dans un nouveau mandat.
La mission s'est intéressée aux raisons de ce renoncement. Elles se partagent entre déceptions et sentiment du devoir accompli.
Résultats de la consultation des maires pour la question (2093 réponses) :
Source : Mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France
Ainsi, un peu moins de 48 % des 587 maires répondants envisageant de s'arrêter en 2026 estiment avoir rempli leur devoir civique et 36 % être trop âgés. Ces motivations rendent compte d'un engagement qui a atteint son but et passe le relais aux autres générations. Elles colorent la décision de ne pas se présenter à nouveau d'une note positive.
À l'inverse, la charge excessive de la fonction sur la vie personnelle ou professionnelle détourne près de 45 % d'entre eux d'un nouveau mandat. Et 35 % de ceux qui renonceront citent la déception que leur a causé leur mandat comme raison de leur choix. Le sacrifice qu'exige la fonction est, dans ce cas trop lourd, et les satisfactions du mandat insuffisantes.
· Un désenchantement du mandat en cours ?
La mission d'information a interrogé les maires sur leur décision de se présenter en 2020 : si c'était à refaire, y retourneraient-ils ? Cette question permet de mesurer l'éventuel désenchantement des élus sur la pratique de leur mandat : estiment-ils que cela en a valu la peine ?
Résultats de la consultation des maires pour la question (2093 réponses) :
Source : Mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France
Or, si l'on peut se féliciter que près des trois quarts des maires répondants confirment leur décision (73 %), on constate qu'un peu plus d'un quart soit hésitent (12 %) soit regrettent (14 %) cette décision. À l'épreuve du mandat, le choix de s'engager n'est plus si évident pour ces derniers.
· Des craintes pour l'avenir
Un dernier phénomène mérite d'être souligné. Les maires sont pessimistes pour l'avenir de la commune. Il leur a été proposé, dans le cadre de la consultation, d'évaluer, sur une échelle de 0 à 10, si la situation des communes était appelée à s'améliorer ou à se dégrader. Leurs réponses s'échelonnent ainsi :
Résultats de la consultation des maires pour la question (2093 réponses) :
Source : Mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France
La note moyenne est très basse, à 3,06, et les trois quarts des maires choisissent une note inférieure à 4.
3. Le relatif affaiblissement de la participation aux dernières élections municipales, un signe de désintérêt des citoyens pour l'action publique municipale ?
Pour la première fois sous la Cinquième République, lors des élections municipales de 2020, le taux de participation au premier tour est tombé en deçà de 50 %, à 44,6 %, rompant nettement avec les niveaux précédemment atteints : 63,6 % en 2014, 66,5 % en 2008 et 67,4 % en 2001.
On ne saurait attribuer cette abstention au premier tour à la seule crise de la covid-19. En effet, la faiblesse de la participation s'est confirmée, au mois de juin, lors du second tour de ces élections (41,8 %), dans un contexte sanitaire pourtant moins contraignant.
Cette inflexion historique du taux de participation à l'élection qui a toujours été, après l'élection présidentielle, celle qui mobilisait le plus les électeurs, ne laisse pas d'inquiéter. En effet, quelles en sont les causes ?
Martial Foucault, qui a interrogé les maires sur leur interprétation de cette baisse de participation, a indiqué, devant la mission d'information, qu'à leurs yeux, elle était le reflet du « développement de profondes tensions démocratiques dans leurs territoires [...]. En 2020, les maires interrogés estimaient que cette baisse était passagère. Les Français, attachés à leur maire, retrouveraient le chemin du bureau de vote. 83 % des mêmes maires interrogés en 2022 faisaient part de leur inquiétude à ce sujet, craignant un désintérêt politique plus profond. Le point de bascule, en deux ans, est considérable. [...] Pour les maires, ce phénomène serait notamment lié aux fractures territoriales, et au sentiment de relégation qu'elles suscitent et que ne contrecarre pas toujours la réinstallation des services de l'État. »23(*)
À cette lumière, on mesure que l'affaiblissement de la démocratie communale, dans ses moyens d'action et dans sa capacité à répondre aux attentes des citoyens, est un affaiblissement de cette démocratie dans l'engagement civique. L'avenir des communes et celui de l'expression démocratique locale sont donc liés.
* 3 Martial Foucault, « Troisième enquête de l'Observatoire de la démocratie de proximité », AMF-CEVIPOF/SciencesPo, novembre 2019, p. 3.
* 4 Ibid.
* 5 Le Monde, « Quelqu'un va bien finir par se bouger » : le scrutin incertain des 106 communes sans candidats aux municipales, 7 mars 2020.
* 6 Respectivement 67 % et 66 %.
* 7 30,9 % souhaitent continuer au même poste, 30,8 % ne se prononcent pas et 26,8 % envisagent de quitter la vie politique.
* 8 Comme on l'a vu plus haut, ce sondage établissait que 28,3 % des maires sortants avaient décidé de ne pas se représenter et que 23 % hésitaient encore.
* 9 En vertu, respectivement, des articles L. 2122-15 et L. 2121-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT).
* 10 De 2014 à 2020, ce motif indéterminé représentait ainsi 78,9 % des motifs de vacance de mandat de maire enregistrés.
* 11 Des démissions d'office ou déchéance peuvent également intervenir, mais d'ampleur très limité, elles ne sont pas prises en compte de ce calcul.
* 12 Le total de maires en fonction est de 34 982.
* 13 Sur 34 965 communes en 2021, 71,5 % comptent moins de 1 000 habitants et 28,5 %, plus (DGCL, Les collectivités locales en chiffres 2021).
* 14 JO Sénat, Séance du 5 avril 2023, p. 3482.
* 15 On constate ainsi que, jusqu'au mois de janvier 2021 le nombre de vacances pour décès n'est jamais supérieur à 42 par an alors qu'à partir de 2021, il est trois fois supérieur. La différence est telle qu'il est impossible de l'expliquer uniquement par une augmentation de la mortalité due à la crise sanitaire de la Covid-19. Elle renvoie nécessairement à une sous-déclaration du motif « décès » dans les vacances de mandat, au profit de la catégorie « autre ».
* 16 Le ministère de l'intérieur précise que, « initialement entendu comme désignant les fins de fonction précédant le renouvellement général », ce motif a pu être « utilisé localement à d'autres fins ».
* 17 La différence, pour les communes de 1 000 habitants et plus, s'explique par le fait que, dans ces communes, lorsqu'il n'y a plus de possibilité de remplacer une vacance par un suivant de liste, il est procédé à une élection partielle qui renouvelle tous les conseillers municipaux (1 896 cas de vacances associés à ce motif de 2020 à 2022).
* 18 Ces dernières élections interviennent, dans les communes de moins de 1 000 habitants, les vacances atteignent un tiers de l'effectif du conseil municipal ou qu'il reste moins de cinq membres à ce conseil et, dans celles de 1 000 habitants et plus, lorsqu'il n'est plus possible de combler des vacances par appel du suivant de liste.
* 19 Article L. 2121-35 du CGCT.
* 20 Audition des représentants d'association de maires, le 14 mars 2023.
* 21 Audition sur la crise de vocation des maires, le 1er mars 2023.
* 22 Audition sur la crise de vocation des maires, le 1er mars 2023.
* 23 Audition sur la crise de vocation des maires, le 1er mars 2023.