SESSION 2
LE RÔLE DES PARLEMENTS
NATIONAUX
DANS LE PROCESSUS DÉCISIONNEL EUROPÉEN
I. INTERVENTION DE M. GÉRARD LARCHER, PRÉSIDENT DU SÉNAT
Monsieur le Président de la Commission des Affaires européennes du Sénat, cher Jean-François Rapin,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, mes chers Collègues,
Mesdames et Messieurs les Professeurs d'université et Chercheurs,
Mesdames et Messieurs, chers Amis invités venus de l'étranger,
Vous vous interrogez, depuis le début de vos travaux ce matin, sur le rôle des Parlements nationaux au sein de l'Union européenne.
La réponse à cette question, qui peut surprendre, n'est en fait pas si évidente.
La question n'en est pas moins lancinante lorsque l'on examine le système institutionnel de l'Union européenne. D'un côté le Conseil, qui réunit des membres de chaque gouvernement ; de l'autre, le Parlement européen, chargé de représenter les citoyens de l'ensemble de l'Union.
D'un côté, le suffrage direct, via le Parlement européen, de l'autre, une forme de représentation indirecte, à travers les Etats membres.
Alors, quel rôle pour les parlements nationaux dans ce schéma ?
Si la question se pose avec acuité, c'est que les citoyens nous font entendre une voix insistante, récurrente. L'Europe paraît à beaucoup d'entre eux éloignée de leurs préoccupations, froide et technocratique. Sollicités par la Commission des Affaires européennes, les élus locaux ont fait part du même sentiment d'éloignement.
Ainsi s'affirme le « déficit démocratique » de l'Union, si souvent décrit et commenté.
Le taux de participation est un symptôme de ce déficit démocratique : force est de constater que, quel que soit le pays, à de très rares exceptions près, la participation est systématiquement plus forte aux élections parlementaires nationales qu'aux élections européennes.
Ce que l'on attend des Parlements nationaux dans ce contexte, c'est qu'ils introduisent plus de démocratie et donc de légitimité dans la prise de décision européenne.
Mais comment y parvenir ?
Bien sûr, l'idée que les Parlements nationaux n'auraient aucun rôle à jouer au niveau européen est unanimement récriée.
Votre première table ronde a montré qu'a minima, le contrôle des politiques européennes des gouvernements par les Parlements nationaux devait s'exercer avec rigueur.
Seuls les Parlements nationaux, chacun vis à vis de son Gouvernement, peuvent véritablement contrôler l'action européenne des membres du Conseil et donc rendre plus démocratique le fonctionnement de cette institution. Le Parlement européen n'a pas cette compétence : il peut, sur certains sujets, adresser des questions au Conseil ; de même, il entend le Président du Conseil européen après chaque réunion de ce dernier. Mais il s'agit là, avant tout, d'information, à bien distinguer du contrôle.
Si le rôle des Parlements nationaux est reconnu par les Traités, nous tâtonnons pour définir précisément leur place au sein du système institutionnel européen. Celle ci doit encore s'affirmer, dans la pratique.
Le rôle des Parlements nationaux ne dépend pas, d'ailleurs, uniquement des Traités. Il s'agit pour les Parlements nationaux de se saisir des outils qui existent et, pour les autres institutions, de leur laisser l'espace pour le faire. Vaste défi !
Vous abordiez le rôle des Parlements nationaux dans le processus décisionnel européen. Le contrôle de subsidiarité et le dialogue politique avec la Commission européenne constituent effectivement des outils utiles, mais nous voyons bien que leur portée demeure limitée.
Depuis 2007, seuls trois « cartons jaunes » ont été adoptés et deux des textes qu'ils visaient ont pu prospérer ; quant au troisième, son retrait n'est pas forcément à mettre au seul crédit des Parlements nationaux.
Il est donc temps de tirer le bilan de ces outils et peut-être d'aménager des modalités de contrôle de subsidiarité plus agiles, mieux coordonnées, en un mot plus efficaces. Le 29 novembre, nous avons évoqué ce sujet avec la Présidente de la Commission européenne.
Le contexte l'exige, au niveau communautaire comme au niveau national, pour que l'urgence ou la complexité des décisions à prendre ne conduisent à préempter la démocratie, particulièrement dans le domaine de l'union économique et monétaire, champ de prédilection de tous les Parlements, à l'origine même du parlementarisme.
À cet égard, la coopération interparlementaire revêt une dimension cruciale.
J'en suis persuadé : nous pouvons faire beaucoup mieux non plus individuellement, chambre par chambre, mais collectivement, entre Parlements nationaux et avec le Parlement européen. Nous avons en commun cette responsabilité de contrôler les exécutifs et de représenter les citoyens. Il y a là une forme nouvelle de contrôle démocratique à concevoir.
Soyons lucides, les réunions interparlementaires ne sont pas toujours à la hauteur de ces ambitions, mais nous devons réfléchir aux moyens d'en faire de véritables lieux de travail et de contrôle.
La Commission des affaires européennes du Sénat, en lien avec celle de l'Assemblée nationale, a pris l'initiative de proposer à ses homologues une réforme de l'instance qui les réunit : la Cosac. Je suis convaincu que la Présidence française du Conseil de l'Union européenne peut faire bouger les lignes, en valorisant la Conférence des commissions traitant des affaires européennes et en rendant ses conclusions plus opérationnelles. Les réunions de la Cosac ne doivent pas constituer un exercice obligé mais un véritable exercice partagé, qui permette d'exercer en profondeur le contrôle et également de tracer des perspectives. J'attends que cet objectif se mette en oeuvre dès la réunion de la Cosac programmée pour janvier au Sénat.
Enfin, nos systèmes politiques nationaux, au sein desquels les Parlements nationaux ont une place centrale, reposent sur des Constitutions. Elles font plus que poser des règles de droit : elles sont le concentré de notre culture démocratique et institutionnelle, de nos valeurs, de nos droits fondamentaux.
Les frictions récentes dans plusieurs États membres entre ces normes et le droit européen, porteur de nos valeurs communes, sont un sujet de préoccupations pour le fonctionnement de l'Union et pour son unité, mais aussi pour nos citoyens.
Dans ces tiraillements, les Parlements nationaux, socles des Constitutions et proches des citoyens, peuvent devenir des maillons d'unité, de rapprochement. C'est l'ambition que je forme.
Mesdames et Messieurs,
Vous l'aurez compris : à l'heure de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, vos débats, les enjeux qu'ils portent, sont au coeur du projet européen.
La démocratie, y compris au sein de l'Union européenne, est toujours perfectible.
L'approfondir doit demeurer notre boussole. Notre horizon commun.