EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 29 mai 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de MM. Christian Klinger et Victorin Lurel, rapporteurs spéciaux, sur le financement public de la filière forêt-bois.

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons la communication de nos collègues Christian Klinger et Victorin Lurel, rapporteurs spéciaux de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », sur le financement public de la filière forêt-bois.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Le rapport que les Français entretiennent à leur forêt est empreint de passion ; nous le savions et les auditions que nous avons conduites l'ont confirmé. Ce rapport passionné explique sans doute pourquoi nos interlocuteurs, quelles que soient leurs fonctions, ont souvent tenu des propos alarmistes sur le devenir de la forêt française. Nous avons notamment entendu ces phrases : « la forêt jurassienne est condamnée », « les feux de forêt de 2022 ne sont qu'un avant-goût de la suite », « de plus en plus de forêts sont émettrices de carbone », « les élus locaux risquent gros sur le plan pénal s'ils n'entretiennent pas leurs forêts » et « les obligations liées aux plans de gestion forestière ne sont absolument pas respectées ».

Ces remarques pourraient paraître exagérées. Après tout, la France est un pays forestier et nos atouts en la matière sont considérables. La France est l'un des rares pays au monde à connaître tous les types de climat forestier : forêt tempérée, tropicale, subtropicale mais aussi boréale. On estime aussi qu'un hectare de forêt guyanaise compte davantage d'essences d'arbres que l'ensemble du continent européen.

Cette situation est le résultat d'une politique initiée depuis Colbert, qui a été à l'origine du régime forestier tel que nous le connaissons, même si toutes ses initiatives n'ont pas été aussi heureuses

Il nous faut préserver ce patrimoine exceptionnel et le défi est de taille puisque nous comptons 26,9 millions d'hectares de forêt, dont 17,6 millions d'hectares sont dans l'Hexagone et 8,3 millions d'hectares dans les outre-mer. Les forêts couvrent un tiers de la surface de la France.

Ce défi sera difficile à relever. D'abord, il nous faut améliorer notre connaissance de la forêt française. Nous avons la chance de pouvoir compter sur l'Observatoire des forêts françaises, placé sous l'égide de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN). Depuis soixante-cinq ans, l'IGN tient un inventaire précis des forêts mais uniquement dans l'Hexagone. L'inventaire forestier des outre-mer n'a pas encore débuté, malgré le vote d'un crédit de 15 millions d'euros dans le cadre de la loi de finances pour 2024. Notre première proposition vise à établir un traitement juste de tout le territoire national. Il s'agit de prévoir, au premier semestre 2025, un bilan d'étape de l'inventaire forestier ultramarin et d'élargir l'ensemble des missions de l'IGN aux outre-mer.

Le deuxième défi tient au fait que, depuis vingt ans, les aléas que subissent les forêts se multiplient : tempêtes, réchauffement climatique, nuisibles, inondations ou destructions liées à la densification giboyeuse. Par ailleurs, les acteurs économiques concernés sont insuffisamment structurés. De plus, nous regrettons la tentation parfois observée de « mettre la forêt sous cloche » et certains individus - des militants - refusent l'idée même d'un entretien de la forêt, qui suppose de couper des arbres et d'en replanter. Il faut être plus sévère pour réprimer les opérations sauvages visant à empêcher l'action des propriétaires exploitants.

Ce volet répressif doit s'accompagner d'un volet préventif, qui suppose d'éduquer les jeunes générations en les sensibilisant à la cause forestière. Notre troisième proposition vise donc à développer les classes de découverte forestière, qui pourraient bénéficier, pour partie, d'un financement public à destination des familles les moins aisées.

La forêt française compte bien d'autres handicaps. Certes, elle ne cesse de s'étendre, surtout parce que des terres agricoles disparaissent, remplacées de façon naturelle par des espaces boisés. Mais, dans l'Hexagone, les trois quarts des surfaces forestières appartiennent à des propriétaires privés. Ainsi, 3 millions de petits propriétaires privés possèdent en moyenne moins de quatre hectares. Or, dans les faits, un lien existe entre la superficie des parcelles et l'utilisation de documents de gestion. La tenue d'un plan simple de gestion n'est obligatoire qu'à partir de 20 hectares. Les contraintes de gestion ne peuvent pas seulement être liées à ce type de critères et doivent avant tout dépendre de données plus pertinentes et environnementales. C'est le sens de notre quatrième proposition : lier davantage les contraintes de gestion forestière à la durabilité de la forêt et non aux seules caractéristiques des propriétés. Ces propositions supposeront de coordonner un grand nombre d'acteurs. Or, nous avons constaté un certain éparpillement des compétences.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - La gestion de la forêt se trouve à la croisée d'un grand nombre de politiques publiques, qui touchent notamment aux domaines de l'environnement, de la décarbonation, de la sécurité civile, de l'exploitation économique, du tourisme, de la biodiversité, des paysages ou encore de la construction et de l'ameublement. Un grand nombre d'acteurs sont donc amenés à intervenir dans le secteur forestier et une multitude de financements publics différents en résulte. Aucun de ces acteurs n'est réellement capable de mesurer avec précision et exhaustivité le total des financements publics consacrés à la filière forêt-bois, pas même Bercy.

Nous avons donc décidé de le faire nous-même. Nous sommes partis d'une première évaluation de la Cour des comptes, datant de 2020 et en cours de mise à jour, pour intégrer certaines dépenses. À l'issue de nos travaux, nous évaluons le total des dépenses publiques annuelles consacrées à la filière forêt-bois à 1,45 milliard d'euros, qui se décomposent ainsi : 816 millions d'euros de crédits budgétaires, qui reposent sur un grand nombre de programmes, 60 millions d'euros de financements européens, 28 millions d'euros de financements interprofessionnels et 403 millions d'euros de dépenses fiscales. Concernant ces dernières dépenses, nous nous interrogeons sur la pertinence de certains dispositifs, en particulier celui de l'exonération de 75 % de la valeur des droits de mutation à titre gratuit pour les terrains en nature de bois et forêt, connu sous le nom de dispositif « Sérot-Monichon ». À ce stade, nous nous contentons de questionner mais, s'il fallait trouver des sources d'économies dans les mois à venir, cette piste pourrait être pertinente.

À ces sommes identifiées s'ajoutent des dépenses dont les montants ne sont pas certains. Pour certains postes, il faut évaluer la nature forestière de la dépense, ce qui pose problème. Il faut soit figer une quote-part au sein d'une dépense plus large, soit être plus précis dans certaines évaluations. Pour ce qui concerne les dépenses que les collectivités territoriales consacrent aux forêts, nous les évaluons à 47 millions d'euros par an mais ce montant demeure partiellement estimatif. Notre sixième proposition vise donc à déterminer, en lien avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR), des modalités d'identification plus précises de la nature forestière de certaines dépenses, pour que les collectivités territoriales puissent les évaluer.

À tous les montants cités s'ajoutent des dépenses issues de programmes divers, que nous détaillons dans le rapport et qui s'élèvent à environ 48 millions d'euros par an, ainsi que quelques dépenses liées à des parcs naturels nationaux, à la lutte contre les incendies ou au soutien à des industries du bois. Au total, environ 15 % des dépenses de la filière sont donc partiellement estimatives.

Nous avons cherché à être complets mais l'exercice est difficile. C'est pourquoi nous demandons au Gouvernement de produire un recensement exhaustif des dépenses publiques consacrées à la filière, afin de déterminer un coût annuel de la politique forestière de la France, en créant par exemple une nouvelle annexe au projet de loi de finances. Il s'agit de notre septième proposition.

Plus globalement, nous considérons que ce total de 1,45 milliard d'euros pourrait être orienté plus efficacement, pour faire de la France la puissance forestière qu'elle devrait être.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - En premier lieu, nous considérons que ces moyens doivent permettre de mieux connaitre l'impact des politiques publiques forestières. À titre d'exemple, la France doit rattraper son retard dans le recours à certains outils, dont le Lidar, une sorte de sonar ayant vocation à compléter les relevés humains, pour mettre à jour l'inventaire forestier en permanence, y compris dans les outre-mer.

De la même manière, nous avons appris qu'il existait un différentiel de 3,6 millions d'hectares entre le cadastre et les relevés opérés par l'IGN. Cette différence incroyable est due au fait que les surfaces nouvellement boisées ne sont pas déclarées. Nous demandons donc à la DGFiP de lancer à court terme une campagne de régularisation du cadastre forestier, afin de le fiabiliser, en comparant les données géographiques et cadastrales. Il s'agit de notre huitième proposition.

Par ailleurs, une trentaine d'établissements sont liés à la filière forêt-bois. Malgré l'indéniable volonté de ces acteurs de travailler en bonne intelligence, la répartition des compétences et la gouvernance sont trop complexes et gagneraient à être rationalisées.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Nous avons aussi eu l'occasion de mesurer les obstacles rencontrés par la filière bois, qui constitue un moteur important de l'économie française. En 2021, elle a généré 27,6 milliards d'euros de valeur ajoutée, soit 1,1 % du PIB. De plus, les emplois directs de la filière bois représentaient plus de 415 000 équivalents temps plein (ETP), ce qui correspond à 1,38 % de la population en emploi et à 12,4 % du total des emplois des filières à base industrielle de la France.

Malgré ces chiffres, la situation économique de la filière inquiète. En 2022, le déficit commercial du secteur s'est établi à 9,5 milliards d'euros, ce qui représentait une dégradation de 900 millions d'euros par rapport à 2021. Cette augmentation du déficit résulte principalement du déficit lié aux pâtes, papiers et cartons, ainsi qu'aux meubles et sièges en bois. Une meilleure structuration d'une partie de la filière semble indispensable et cette nécessité motive notre neuvième proposition : les activités de transformation doivent faire l'objet d'un plan national de soutien. Une meilleure structuration repose également sur l'augmentation de la taille des propriétés forestières exploitées. Ce dernier point est essentiel puisque 60 % de la production française de bois d'oeuvre et d'industrie est concentrée dans les propriétés de plus de 100 hectares, alors qu'elles ne représentent que 30 % des surfaces forestières.

Compte tenu des effets du changement climatique et des priorités de la planification écologique, certains indicateurs de performance du programme 149 « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt », de la mission budgétaire « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », méritent d'évoluer pour mieux correspondre aux nouvelles caractéristiques des forêts. C'est notre dixième et dernière proposition.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce travail me rappelle celui de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air. Il est intéressant de se concentrer sur les aspects économiques et budgétaires de ces questions. Il n'y a rien de tel pour préparer l'examen des prochains projets de lois de finances que d'entrer dans le détail des chiffres comme l'ont fait les rapporteurs spéciaux.

Quant à la cinquième recommandation, qui porte sur les dépenses fiscales, elle constitue une bonne suggestion. La disposition aura bientôt un siècle et il nous faudra étudier les raisons qui avaient motivé la création de ce dispositif, qui méritera une mise à jour et sans doute des évolutions.

M. Antoine Lefèvre. - Vous évoquez la nécessité d'une rationalisation en ce qui concerne le grand nombre d'acteurs jouant un rôle dans la filière. Que pensez-vous d'une éventuelle fusion entre l'Office national des forêts (ONF) et le Centre national de la propriété forestière (CNPF) ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Concernant la dixième recommandation, prendrez-vous en considération les externalités positives, c'est-à-dire les services systémiques rendus par la forêt, dans l'appréciation de ce que vous appelez la « performance économique » ?

Vous avez souligné la nécessité de faire connaître la forêt à des fins pédagogiques. De nombreuses initiatives sont déjà menées et je mentionnerai le programme « Dans 1 000 communes la forêt fait école », développé par la FNCOFOR. Je voudrais que tous les collèges de l'Aube aient une forêt pédagogique de référence car il s'agit d'un outil extraordinaire. Pour financer ces projets, nous utilisons une disposition que nous avons votée : le mécénat au profit des communes forestières. Il faut dynamiser ce mécanisme fiscal et en faire un outil pour développer les connaissances des élèves sur les atouts de notre forêt.

Mme Isabelle Briquet. - Par rapport à votre estimation du montant total des dépenses publiques annuelles, à quel niveau se situe l'estimation de la Cour des comptes en 2020 ?

M. Grégory Blanc. - Dans mon territoire de pépiniéristes, fortement touché par les feux de forêts en 2022, nous constatons une difficulté à produire des plants d'arbres, ce que vous ne mentionnez pas. Cependant, si nous souhaitons structurer la filière de manière durable et replanter, il s'agit d'un sujet important ; quel est votre avis sur la question ?

M. Marc Laménie. - Un opérateur important est souvent évoqué : l'ONF, qui a perdu beaucoup de moyens humains au fil des années. L'Office est en charge des forêts domaniales et communales et sa perte d'effectifs est problématique. Quel regard portez-vous sur son devenir ?

Concernant la huitième recommandation, qui vise à mettre à jour le cadastre forestier, la tâche est immense tant les propriétaires et les petites parcelles sont nombreux ; comment procéder ?

M. Michel Canévet. - Vous avez évoqué le nombre important d'organismes concernés. Quelles considérations ont conduit à leur création ?

Vous avez mentionné un déficit commercial significatif et croissant, qui semble paradoxal compte tenu des atouts dont nous disposons. Comment améliorer la situation ?

Enfin, concernant l'agrandissement proposé de la taille moyenne des parcelles forestières privées, des conflits d'usage ne risquent-ils pas d'apparaître, notamment en raison des besoins en terres agricoles ?

M. Jean-Marie Mizzon. - Vous n'avez pas évoqué le vol du bois en forêt, qui a tendance à se développer et devient inquiétant. Votre rapport ne serait-il pas l'occasion de proposer des mesures pour lutter contre ce phénomène, qui représente une source de préjudice grave pour les propriétaires et les communes concernés ?

M. Olivier Paccaud. - Ma question porte sur la huitième recommandation, qui vise à lancer une campagne de régularisation du cadastre forestier. Lors de vos auditions, avez-vous eu affaire à des représentants de la DGFiP ou des directions départementales des finances publiques (DDFiP) ? Des bureaux sont-ils dédiés à la problématique de la forêt ? En matière de cartographie, la forêt est très bien documentée et depuis longtemps. Je suis étonné que des lacunes existent. La DGFiP a-t-elle oublié de faire son travail ? L'a-t-elle mal fait ?

M. Georges Patient. - Comment expliquer les particularités de la forêt de Guyane ? Elle continue d'appartenir à 95 % à l'État et les communes n'en sont pas propriétaires, contrairement à ce qui se passe dans l'Hexagone. De plus, il n'existe toujours pas d'inventaire forestier ultramarin malgré l'importance reconnue de notre forêt, qui s'étend sur plus de 8 millions d'hectares, ce qui représente une large part des 27 millions d'hectares que compte la France entière. Par conséquent, l'ONF est omnipotent en Guyane et n'hésite pas à mettre ces surfaces sous cloche, interdisant quasiment toute exploitation.

Mme Sylvie Vermeillet. - Vous avez évoqué la prévisibilité de la disparition des forêts du Jura, sujet m'inquiète. De manière plus générale, les forêts du Grand Est sont confrontées au réchauffement climatique et doivent faire face aux incendies, mais aussi à un insecte, le scolyte, qui les ravage et décime 3 millions de mètres cubes de bois par an. L'ONF semble s'organiser pour se débarrasser des arbres touchés par le scolyte, ou les traiter, mais ne se préoccupe pas du problème en amont. Où en sont la recherche et la science sur ce phénomène, qui ne doit pas être perçu comme une fatalité ?

M. Bernard Delcros. - J'aurai deux questions portant sur les aspects financiers. D'abord, vous avez rappelé le morcellement de la forêt privée, qui en complique la gestion. Des dispositifs financiers ont existé, notamment fiscaux, pour encourager les regroupements et l'agrandissement des parcelles à travers des acquisitions ; connaît-on l'efficacité de ces dispositifs ?

Concernant les dépenses fiscales, vous avez évoqué la somme de 403 millions d'euros et l'exonération de 75 % sur les droits de mutation. Il existe aussi des réductions d'impôt. Quelle lisibilité avons-nous de l'ensemble de ces dispositifs ? Leur efficacité a-t-elle été évaluée ?

M. Claude Raynal, président. - Je ferai une remarque sur la recommandation portant sur les indicateurs de performance. De nombreuses demandes ont été formulées lors de différents examens de projets de lois de finances, via des amendements, qui ont été rejetés d'un revers de main. Sur cette question, il faudrait négocier au préalable avec le Gouvernement.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Antoine Lefèvre, concernant la possible fusion entre l'ONF et le CNPF, la loi de 1963 pour l'amélioration de la production et de la structure foncière des forêts françaises, dite « loi Pisani », visait à opérer une distinction entre un opérateur public et un opérateur dédié aux propriétaires forestiers privés, pour prendre en compte des perceptions différentes d'une même nature d'occupation du sol. La fusion fait l'objet d'un débat ancien et est régulièrement présentée comme une évolution souhaitable. À moyen terme, elle génèrerait des difficultés, compte tenu des différences de statuts, de contrats d'objectifs et de natures de propriété entre forêts domaniales, communales et privées. Par conséquent, nous n'avons pas repris cette proposition.

Cependant, le rapprochement technique et scientifique des deux établissements doit être encouragé et les échanges doivent se poursuivre. Ces échanges sont facilités par une structure de coopération, le réseau mixte technologique (RMT) pour l'adaptation des forêts au changement climatique (Aforce), qui réunit un certain nombre d'opérateurs, parmi lesquels l'Office français de la biodiversité (OFB), le CNPF ou l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), qui travaillent ensemble à la pérennité de notre forêt.

Vanina Paoli-Gagin, les externalités positives ne figurent pas dans les indicateurs économiques. Nous souhaitons notamment prendre en compte le volume récolté, la part des forêts gérées durablement et les bois commercialisés.

Grégory Blanc, vous avez mentionné les difficultés rencontrées pour produire des plants. Effectivement, il en faut beaucoup et la production ne suit pas. Les crédits budgétaires ont augmenté en la matière. Nous avons pris en compte cette question dans le cadre de la restructuration de la filière bois. Par ailleurs, nous rencontrons des difficultés à trouver de la main d'oeuvre pour planter.

Michel Canévet, en ce qui concerne le déficit commercial, la forêt produit mais, souvent, le bois part à l'étranger pour revenir transformé. Différents plans ont été mis en place, qui doivent notamment permettre d'accroître nos capacités de séchage, qui devrait entraîner le développement de la filière de transformation et de commercialisation. Le déficit commercial de 9,5 milliards d'euros est largement dû aux activités de production des pâtes, papiers et cartons, qui représentent un déficit de 3,9 milliards d'euros, mais aussi aux activités liées à l'ameublement et aux sièges en bois, qui enregistrent un déficit de 3,4 milliards d'euros. En revanche, la balance commerciale s'améliore légèrement pour les produits des industries du bois et le déficit pourrait même légèrement diminuer. Il nous faut restructurer la filière et faire de la France un champion de la transformation du bois. Notre réseau s'appuie sur de trop petites structures : nous comptons 1 500 scieries en France mais aucune n'est capable de rivaliser sur le plan international.

Jean-Marie Mizzon, nous n'avons pas directement abordé la question du vol de bois en forêt. Cependant, nous avons traité celle du renforcement des sanctions contre les militants qui saccagent le matériel forestier, elle pourrait y être adjointe.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Madame Paoli-Gagin, le mécénat aux communes et les forêts pédagogiques sont de bonnes mesures, mais elles rencontrent des problèmes de financement. L'intervention de financements privés n'est pas du tout une mauvaise idée. Il y a encore des problèmes de conception et d'efficacité des outils pour intégrer les externalités positives aux évaluations : c'est un vieux problème en économie.

Isabelle Briquet, la Cour des comptes a évalué en 2020 à 1,16 milliard d'euros les dépenses totales en faveur de la filière forêt-bois. La cour procède depuis à une réévaluation sur la base de chiffres plus récents, comme nous l'avons fait. Comme nous l'expliquons dans le rapport, nous avons une approche plus large que la Cour de la notion de « dépense forestière », d'où cette évaluation de 1,45 milliard d'euros dispersés dans toute sorte de programmes et d'opérateurs.

Monsieur Laménie, il faut évidemment améliorer les données statistiques. Il y a là un problème de conception, de coordination et d'attribution des moyens aux différents opérateurs. Nous avons tous protesté contre la réduction trop importante des effectifs de l'ONF et la situation s'améliore, la loi de finances initiale pour 2024 ayant octroyé des ETP supplémentaires.

En ce qui concerne le cadastre, un énorme travail est à faire. L'inspection générale des finances, l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) et le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) ont fait des propositions chiffrées dans la campagne de régularisation cadastrale pour créer 100 postes de techniciens d'animation forestière pour un budget de 7 millions d'euros par an. Un appel à projets pour la création d'associations syndicales de gestion foncière a été lancé dans les documents-cadres de gestion de la forêt. Les propositions émises dans leur rapport de mars 2024 sont intéressantes.

Il n'est pas normal qu'avec 27 millions d'hectares de surface de forêts la filière soit déficitaire de 9,5 milliards d'euros ni que nous vendions du bois brut tout en important du bois travaillé de Chine ou d'ailleurs. Manifestement, il faut renforcer les structures intermédiaires et revoir l'organisation de la filière : il faut une grande politique forestière sur le temps long. Il y a des financements importants, mais il faut mieux coordonner les opérateurs et préciser les indicateurs de performance.

En ce qui concerne l'agrandissement des parcelles, plus de 60 % des volumes de bois livrés proviennent des parcelles de plus de 100 hectares. Il y a un seuil de rentabilité, et il faudrait, par des dispositifs fiscaux incitatifs, favoriser le regroupement des parcelles pour que celles-ci fassent plus de 4 hectares. Il faudrait également imposer des documents-cadres de gestion, notamment des plans simples de gestion (PSG). Ceux-ci sont actuellement obligatoires pour les parcelles forestières privées de plus de 20 hectares, mais faut-il également les rendre obligatoires en deçà de ce seuil ?

Monsieur Paccaud, un bureau doit peut-être se consacrer au dégel du cadastre. L'IGN doit y réfléchir : l'absence de coordination entre la DGFiP, les DDFiP et l'IGN est curieuse. Avec les nouveaux outils technologiques, notamment le Lidar, on devrait pouvoir augmenter la précision des mesures.

Georges Patient a expliqué les particularités de la Guyane, où la forêt est possédée à 95 % par l'État. Le décret qui fixe les missions initiales de l'IGN ne concerne que l'hexagone et ne prend pas en compte les outre-mer. Pourtant, sur les 27 millions d'hectares de forêts, il y en a plus de 8 millions en Guyane ; on y trouve plus de 2 000 espèces végétales, contre 200 en métropole. Cela fait des années que l'inventaire est repoussé. La nouvelle génération d Lidar est supposée être un outil révolutionnaire. Le Gouvernement doit prendre l'engagement de commencer l'inventaire au deuxième semestre 2024 pour qu'il y ait quelques résultats à la fin de 2025. Comment faire pour concilier préservation de la biodiversité et exploitation économique en Guyane ? Il faudra trancher ce sujet.

Sylvie Vermeillet a posé la question de la prévisibilité de la disparition des forêts du Grand Est. Je connais moins le sujet qu'elle, mais je suis également moins pessimiste. En ce qui concerne les scolytes, je suis incapable de répondre sur l'état de la recherche. De Gaulle disait en substance que, en France, il y a beaucoup de chercheurs, mais pas assez de trouveurs... La science va à son rythme, mais il faut peut-être davantage de recherche appliquée.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Le dégel du cadastre sous le prisme forestier est le cadet des soucis de la DGFiP. Bien souvent, les propriétaires ne font pas les démarches nécessaires en cas de changement d'affectation des terrains et de déprise agricole. Peut-être l'intelligence artificielle permettra-t-elle un jour de recouper les données du cadastre avec des images satellites, afin d'envoyer directement des courriers aux propriétaires fonciers ?

Georges Patient, le recul de la forêt est alarmant en Guyane, où 30 000 hectares ont été perdus ces dix dernières années, mais le rapport établit que ce recul concerne presque tous les outre-mer : 1 000 hectares perdus en Nouvelle-Calédonie, 2 600 hectares en Guadeloupe... La situation est préoccupante non seulement dans l'hexagone, mais également dans les outre-mer.

Sylvie Vermeillet, l'Inrae et l'OFB tentent de trouver des solutions sur le temps long pour faire face à l'invasion des scolytes, mais il n'y a pas de recette miracle. Les scolytes se trouvent aussi dans le massif vosgien. La seule solution est actuellement de couper à blanc pour éviter leur progression dans les parcelles limitrophes, avant de replanter, mais cette solution présente des limites.

Bernard Delcros, les dispositifs fiscaux, s'agissant de la lutte contre le morcellement, ne fonctionnent pas, car celui-ci s'accentue. Ils sont assez coûteux : le régime fiscal dit « Monichon » coûte effectivement 91 millions d'euros par an, mais son efficacité est sujette à caution. Peut-être faudrait-il conditionner l'exonération fiscale à un plan simple de gestion et favoriser la vente de parcelles provisoirement exonérées pour créer des associations de gestion par massif ? Il faut trouver une solution pour regrouper le petit parcellaire inexploité, qui ne profite à personne ni économiquement ni écologiquement. Ces questions excèdent un peu notre mission de contrôle budgétaire...

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Ce dispositif pèse tout de même 91 millions d'euros sur 403 millions d'euros de dépenses fiscales.

Isabelle Briquet demandait pour quelles raisons notre évaluation différait de celle de la Cour des comptes. Pour arriver à un total de 1,16 milliard d'euros, la Cour des comptes fait la moyenne totale des dépenses budgétaires entre 2015 et 2018, alors que nous avons travaillé sur la période entre 2019 et 2022. La Cour des comptes prend en considération des crédits budgétaires portés par les différents ministères concernés, ainsi que les dépenses fiscales mais en retenant un périmètre moins large que nous. Par ailleurs, elle fait face, comme nous, à une évaluation floue des dépenses forestières des collectivités territoriales. Elle prend également en compte divers fonds européens, des financements interprofessionnels ou des fonds portés par d'autres organismes publics, ainsi que, parfois, le mécénat.

Le ministère de l'agriculture a publié un document officiel, « alim'agri », qui indique qu'il y a 17 millions d'hectares de forêts en métropole en 2021, qu'environ 138 espèces d'arbres se trouvent dans la forêt métropolitaine - il y en a en réalité environ 200 d'après ce qui nous a été dit -, et que 72 % de ces forêts sont composées de feuillus et 28 % de résineux. À l'époque, l'industrie du bois produisait 37 millions de mètres cubes - nos chiffres sont actualisés ; elle comportait 395 000 emplois et la construction en bois 28 000 emplois, soit un peu plus que les 415 000 emplois que nous avons comptés. En 2020, la filière comptait 2 336 entreprises, qui produisaient 19 millions de mètres cubes de bois d'oeuvre, 10 millions de mètres cubes de bois d'industrie et 8 millions de mètres cubes de bois d'énergie. Aujourd'hui, ces chiffres ont un peu augmenté, car des emplois ont été créés.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

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