N° 77
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 octobre 2024
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1)
sur la
prise en charge des
militaires blessés,
Par M. Marc LAMÉNIE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de :
M. Claude Raynal, président ;
M. Jean-François Husson, rapporteur général
; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel
Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de
Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli,
vice-présidents ; M. Michel Canévet,
Mme Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie,
secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc,
Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet,
Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole
Ciuntu, MM. Raphaël Daubet,
Vincent Delahaye, Vincent
Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin,
Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet,
Éric
Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine
Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel,
Hervé Maurey,
Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud,
Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François
Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher
Szczurek,
Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre
Vogel.
L'ESSENTIEL
La prise en charge des blessés1(*) militaires se décompose en deux phases. Il y a d'abord la phase aiguë de la blessure, où la prise en charge est essentiellement assurée par le service de santé des armées (SSA)2(*). Elle ne relève pas de la mission « Anciens Combattants ».
Ensuite, la prise en charge fait intervenir des acteurs relevant de la mission « Défense » et de la mission « Anciens Combattants ». Elle apparaît très complète et des efforts importants sont encore fournis pour l'améliorer, ce qui mérite d'être salué. Pour autant, le parcours administratif des blessés reste long et lourd, et des adaptations aux situations personnelles sont encore possibles.
I. UN FINANCEMENT À HAUTEUR DE 865 MILLIONS D'EUROS POUR LA MISSION « ANCIENS COMBATTANTS » MAIS UNE MAJORITÉ DE CRÉDITS PROVENANT DE LA MISSION « DÉFENSE »
La mission « Anciens combattants » compte 144 980 bénéficiaires d'une pension militaire d'invalidité (PMI). Le dispositif ATHOS, qui s'adresse à des militaires victime de syndrome post-traumatique, compte au 1er juillet 2024 430 membres. Ce nombre est cependant en augmentation rapide et une capacité d'accueil de 1500 places est considérée comme nécessaire.
Pour couvrir ces besoins, 865 millions d'euros ont été programmés par la mission « Anciens combattant » en 2024. Il s'agit des crédits dédiés aux pensions militaires d'invalidité (PMI) et droits rattachés, au financement de l'Institution Nationale des Invalides (INI), à une partie des crédits de l'action sociale et de la subvention pour charge de services publics de l'Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) ainsi qu'à une partie des crédits de l'allocation de reconnaissance du combattant, dont bénéficient environ 27 % des ayants droit d'une PMI.
L'essentiel de cette enveloppe budgétaire - 690 millions d'euros - est consacré aux seules PMI.
La majorité de l'effort budgétaire lié à la prise en charge des militaires blessés relève cependant de la mission « Défense ». Interrogé, le ministère des Armées indique qu'il n'existe pas d'estimation du coût agrégé de la prise en charge du soin et de la réhabilitation des militaires blessés. Le rapporteur relèvera néanmoins que, sans prise en compte de l'administration chargé d'accompagner le blessé dans la durée, le SSA bénéficie à lui seul d'un financement à hauteur de 1,6 milliard d'euros.
II. UNE PRISE EN CHARGE COMPLÈTE DU BLESSÉ DE GUERRE
A. LA RÉHABILITATION PHYSIQUE ET PSYCHIQUE
Le blessé peut bénéficier de séjours dans des organisme spécialisés dans la réhabilitation physique et psychique des invalides.
La prise en charge de la réhabilitation physique des invalides est historique et réalisée par différents établissements médico-sociaux. L'Institution Nationale des Invalides, établissement fondé en 1674, est un acteur historique de la réhabilitation, spécialisé dans la prise en charge de l'invalidité lourde, en coopération avec le SSA. Elle héberge les militaires dont l'invalidité et trop lourde pour permettre une réhabilitation dans un centre de pensionnaires.
La prise en charge institutionnelle de la blessure psychique est bien plus récente et connait un développement actif aujourd'hui, à travers notamment le contrat d'objectif et de performance de l'INI qui le prévoit expressément. En outre, le déploiement du dispositif ATHOS, confié à l'ONaCVG, doit permettre aux blessés psychiques d'être accueillis dans des centres de réhabilitation non-médicalisés destinés à les aider à se réinsérer dans la société. Ce dispositif - en développement - est encore très récent et ne dispose que d'une capacité d'accueil limité.
B. L'ACCOMPAGNEMENT ET LA RÉINSERTION DES BLESSÉS
Outre les dispositifs de réhabilitation, le militaire blessé - et dans certains cas sa famille - peut bénéficier d'un nombre important de dispositifs d'accompagnement et de réinsertion.
Le militaire blessé peut bénéficier d'un accompagnement social de la part de l'action sociale des armées, avec notamment des congés spécifiques et un suivi psychologique du blessé et de sa famille.
Le blessé bénéficie également d'un suivi particulier de la part de Défense Mobilité, l'opérateur de l'accompagnement professionnel des armées. Il peut y peut faire appel même après son départ des armées, sans limite de temps, et demander à bénéficier d'une formation, d'un programme de reconversion ou encore d'une aide au lancement d'une entreprise.
La grande majorité des blessés sont également des ressortissants de l'ONaCVG et peuvent à ce titre prétendre à l'accompagnement et à l'action sociale que l'Office met en oeuvre pour tous ses bénéficiaires.
C. LA RECONNAISSANCE ET LA RÉPARATION PAR L'INDEMNISATION
Le militaire blessé en service, si sa blessure provoque une invalidité d'une certaine gravité et s'il peut démontrer que sa blessure est imputable au service, peut demander une pension militaire d'invalidité (PMI). Il peut également demander une indemnisation des préjudices complémentaires dite « Brugnot ».
La PMI et l'indemnisation Brugnot visent à indemniser monétairement le militaire des conséquences de sa blessure. La PMI prend notamment la forme d'une rente d'une durée de 3 ans et, si au bout de cette durée, l'invalidité persiste, le bénéfice de la PMI devient viager. Le montant de la PMI est déterminé selon le grade et le degré d'invalidité du blessé.
Selon les circonstances de la blessure, le blessé peut également prétendre à des titres de reconnaissance, comme la Médaille du Blessé ou le titre de reconnaissance de la Nation. Certains de ces titres - la carte du combattant et le titre de reconnaissance de la Nation - donnent la qualité de ressortissant de l'ONaCVG.
III. UN PARCOURS DU BLESSÉ QUI RESTE COMPLEXE MALGRÉ DES EFFORTS DE SIMPLIFICATION
A. UN PARCOURS ADMINISTRATIF LOURD AUX INTERVENANTS NOMBREUX
Lors de son parcours administratif, le blessé pourra avoir jusqu'à trois référents administratifs différents selon qu'il soit en position d'activité ou de non activité au sein des armées, ou qu'il ait quitté l'institution. Il sera également amené à interagir avec de très nombreux intervenants (soignants, défense mobilité, action sociale des armées, ONaCVG, etc.) et à réaliser des demandes pour bénéficier des différents dispositifs auxquels il peut prétendre (PMI, maison ATHOS, accompagnement professionnel, etc.).
Ce parcours peut également être très long : le délai de traitement moyen des PMI est de 7 mois. Selon le type de blessure, le congé en position de non-activité peut durer jusqu'à 8 ans, et une infirmité permanente suivra malheureusement le blessé tout au long de sa vie et pourra entrainer de nouvelles démarches en cas d'aggravation ou de rechute.
De plus, le parcours administratif ne dépend pas du parcours de soins du blessé. En effet, chacun des trois référents administratifs (unité de rattachement, organisme administratif en charge du suivi des militaires en position de non-activité ou ONaCVG) peut potentiellement intervenir à toutes les étapes du parcours de soins et de réhabilitation.
Deux types de difficultés se posent alors. D'une part le militaire peut avoir du mal à identifier les bons interlocuteurs et doit être accompagné par un assistant social professionnel pour faire valoir ses droits. D'autre part l'administration peut rencontrer des difficultés de coordination et de partage de l'information, la transmission d'un dossier d'un acteur à l'autre ou le traitement d'un dossier par deux entités différentes étant toujours facteur de risque.
Les blessés de guerre sont parfois confrontés à une absence de correspondance entre parcours administratif et parcours de soins.
B. D'IMPORTANTS EFFORTS DE SIMPLIFICATION ET D'AMÉLIORATION DE LA PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS
Conscient des difficultés liées au parcours du blessé, le ministère des Armées a mis en place un plan blessé 2023-2027. Bien que très récent et non entièrement mis en place, ce dernier contient un nombre important de mesures particulièrement opportunes : fusion et simplification des demandes de PMI et d'indemnisation Brugnot, automatisation des demandes de renouvellement et de mise au niveau du grade des PMI, meilleure prise en compte de la blessure psychique et ouverture de 10 maisons ATHOS, mise en place d'une plateforme numérique de centralisation de l'information et des démarches pour les militaires blessés et leurs familles, etc. Cette initiative doit être saluée.
Néanmoins, l'absence de recul sur la mise en oeuvre de ces mesures empêche actuellement d'en tirer des conclusions.
Par ailleurs ces avancées étant récentes, elles sont encore mal connues de leur public cible et, de ce fait, ont encore du mal à l'atteindre. En particulier, une plus grande communication apparaît nécessaire pour les dispositifs de réhabilitation psychique, dont l'une des difficultés est actuellement de parvenir à capter la population des bénéficiaires potentiels.
À titre d'illustration, la plateforme numérique mise en place par le ministère des Armées était jusqu'à peu ignorée des associations qui pourtant accompagnent des blessés dans leurs démarches administratives.
Enfin, certaines situations personnelles restent encore mal prises en compte.
IV. LES LIMITES DE LA POLITIQUE DE PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS : APPRÉHENDER LA SITUATION SPÉCIFIQUE DES BLESSÉS PSYCHIQUES ET LA PERTE DE VALEUR DE LA PENSION MILITAIRE D'INVALIDITÉ
A. LE CAS DES BLESSÉS PSYCHIQUES HORS ARMÉES
Le cas le plus problématique actuellement est celui du blessé psychique dont la blessure se déclenche après son départ des armées, en particulier s'il n'est pas ressortissant de l'ONaCVG. En effet, la blessure psychique est souvent incompatible avec la réalisation de toute démarche administrative et l'accès à un accompagnement est dans ce cas bien plus compliqué pour le blessé, qui ne pourra pas non plus bénéficier des congés auxquels il aurait pu prétendre s'il avait encore fait partie de l'armée.
Or, le blessé psychique est particulièrement vulnérable, susceptible de tomber dans des comportements addictifs et de s'isoler socialement. Il a besoin d'un accompagnement fort et proactif pour permettre sa réinsertion. Hors de l'armée, si l'ONaCVG n'est pas en mesure de l'aider le temps de la réalisation de ses démarches et du traitement de sa demande de PMI - qui est, au regard de la situation du blessé, très long -, le blessé ne pourra véritablement se retourner que vers la solidarité des associations de blessés. Si ces dernières sont des acteurs importants de l'aide aux blessés et des partenaires particulièrement précieux de l'État pour la prise en charge de ces derniers, il n'apparait pas satisfaisant qu'elles soient la seule entité en mesure d'intervenir pour certaines catégories de blessés.
B. CERTAINS BLESSÉS NE SONT PAS RESSORTISSANTS DE L'ONACVG
Dans certains cas, parfois simplement parce qu'ils n'ont pas fait la démarche, certains blessés quittant les armées ne deviennent pas ressortissants de l'Office. Cela aura deux conséquences : ils ne peuvent pas avoir recours à l'ONaCVG pour un accompagnement dans leurs éventuelles démarches futures et ils ne peuvent pas avoir recours à l'action sociale de l'ONaCVG.
C. LA POLITIQUE DE RECONNAISSANCE DES BLESSÉS EST UNE VICTIME COLLATÉRALE DU GEL DES RÉMUNÉRATIONS PUBLIQUES
La principale mesure de reconnaissance et de réparation en faveur des blessés, la PMI est calculée en fonction d'un point d'indice lui-même indexé sur la progression des rémunérations publiques. De ce fait, le gel des rémunérations publiques a indirectement entrainé une perte de valeur des pensions militaires d'invalidité face à l'inflation.
Or, ces pensions constituent une mesure de reconnaissance et d'indemnisation concédée à des militaires blessés à l'occasion de leur service au sein des armées, devant indemniser la gêne fonctionnelle et le manque à gagner causés par leur sacrifice.
Parallèlement, il convient de noter que la charge financière que représentent les PMI baisse d'année en année, au gré de la diminution de la population des bénéficiaires qui est particulièrement âgé.
Sans remettre en cause la trajectoire structurellement baissière des crédits qui sont consacrés aux pensions militaires d'invalidité, une réflexion mériterait d'être menée sur quant à leur adaptation et leur évolution, notamment en période de forte inflation.
* 1 Si le terme blessé est systématiquement utilisé, celui-ci couvre également le cas des militaires ayant contracté une maladie imputable au service.
* 2 Voir le rapport d'information « Le service de santé des armées, une pièce maitresse de notre outil de défense », Dominique de Legge, rapporteur spécial de la mission « Défense », publié le 27 septembre 2023.