B. LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION VISANT À PÉRENNISER ET ÉTENDRE CE DISPOSITIF
Souhaitant évaluer l'intérêt de ce mécanisme innovant, la délégation du Sénat aux collectivités territoriales a publié un rapport d'information le 11 juin 2019, soit 18 mois après le lancement de l'expérimentation18(*). Il souligne que le pouvoir de dérogation « joue d'ores et déjà un rôle utile dans les territoires où il est expérimenté. Il a pu, en effet, selon les cas, réduire les délais d'obtention de décisions, voire " sauver " des projets complexes ou souffrant de défauts bénins ».
Compte tenu de son intérêt, la délégation a souhaité alors qu'il soit pérennisé et étendu à l'ensemble du territoire national. Le 24 octobre 2019, notre assemblée a adopté une proposition de résolution reprenant les préconisations du rapport de la délégation19(*).
C. UNE GÉNÉRALISATION EN 2020 QUI INTERVIENT À CADRE JURIDIQUE CONSTANT
Suivant la position du Sénat, le Gouvernement a publié, le 8 avril 2020, le décret n° 2020-412 pérennisant le droit de dérogation reconnu au préfet20(*). Cette généralisation est intervenue à cadre juridique constant, à savoir selon les règles et conditions identiques à celles qui ont été expérimentées (cf supra).
La circulaire du Premier ministre du 6 août 202021(*) expose les raisons qui conduisent à cette pérennisation : « Au regard de l'évaluation positive réalisée à son terme, le Gouvernement a décidé de généraliser ce droit de dérogation à des normes réglementaires par le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 afin de renforcer vos marges de manoeuvre locales dans la mise en oeuvre des réglementations nationales. Ce texte répond aussi à une forte attente des élus et acteurs locaux et renforce le principe de déconcentration ».
Elle précise également : « L'évaluation de l'expérimentation territoriale établie à partir des rapports des préfets, unanimement favorables, confortée par les travaux de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat a conduit le Gouvernement à décider de sa généralisation ».
La circulaire insiste de manière très pédagogique sur le périmètre de cette procédure novatrice, rappelant qu'elle ne permet pas au préfet de prévoir une dérogation générale et permanente. Le cadre réglementaire de la décision demeure : « La mise en oeuvre du droit de dérogation ne se traduit pas par l'édiction d'une nouvelle norme générale en lieu et place de la norme à laquelle vous décidez de déroger. Il ne s'agit pas d'une délégation du pouvoir réglementaire vous permettant d'adapter ou de simplifier localement des normes réglementaires nationales. En effet, le droit de dérogation s'exerce à l'occasion de l'instruction d'une demande individuelle et se traduit par la prise d'une décision au cas par cas. Il n'a pas pour objectif d'exonérer de manière durable de règles procédurales, ni de généraliser des mesures de simplification de normes ou d'accorder de manière générale et non individualisée des dérogations. En revanche, il vous permet de décider de ne pas appliquer une disposition réglementaire à un cas d'espèce, ce qui la plupart du temps devrait conduire à exonérer un particulier, une entreprise ou une collectivité territoriale d'une obligation administrative ».
Cette instruction de Matignon prévoit enfin une double obligation d'information à la charge du préfet de département :
- information systématique du préfet de région de l'intention de prendre un arrêté de dérogation ;
- information systématique des secrétaires généraux des ministères intéressés en amont de la prise d'un arrêté préfectoral de dérogation par le biais de la communication à la DMATES du projet d'arrêté et de l'analyse justifiant son adoption.
Saisi d'un recours contre ce décret de généralisation, le Conseil d'État l'a jugé régulier ( CE, 21 mars 2022, n° 440871) considérant, en particulier, que les dispositions du décret attaqué n'ont ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte au principe d'indivisibilité de la République. Le décret ne permet pas aux préfets de déroger à des normes réglementaires visant à garantir le respect de principes consacrés par la loi. Dans ces conditions, sont écartés les moyens tirés de la méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs et du principe de non-régression consacré par l'article L. 110-1 du code de l'environnement22(*).
* 18 Rapport d'information n° 560 de MM. Jean-Marie BOCKEL et Mathieu DARNAUD, publié le 11 juin 2019.
* 19 Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la consolidation du pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets ; Texte n° 664 (2018-2019) de MM. Jean-Marie BOCKEL et Mathieu DARNAUD, déposé au Sénat le 11 juillet 2019.
* 20 Décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet.
* 21 Circulaire du 6 août 2020 relative à la dévolution au préfet d'un droit de dérogation aux normes réglementaires.
* 22 Le Conseil d'État juge en effet que les dispositions du décret attaqué n'ont pas d'incidence directe sur l'environnement.