LES 10 RECOMMANDATIONS DU RAPPORT

 

Recommandations

Destinataire(s) de la recommandation

Acteur(s) concerné(s)

Calendrier prévisionnel

Support / action

1

Donner une assise constitutionnelle au pouvoir préfectoral de dérogation aux normes

Pouvoir constituant

Gouvernement, Parlement

1 an

Texte de loi constitutionnelle

2

Supprimer la liste limitative de domaines pour lesquelles la dérogation est possible.

Premier ministre

Gouvernement

6 mois

Décret

3

Permettre au préfet de déroger à des normes relevant de services ou d'opérateurs locaux qui échappent aujourd'hui à sa compétence

Premier ministre

Gouvernement

6 mois

Décret

4

Étendre le droit de dérogation à des dispositions réglementaires de fond. Envisager la suppression des régimes particuliers existants dans un souci de simplification

Premier ministre

Gouvernement

6 mois

Décret

5

Analyser le risque pénal et, le cas échéant, sécuriser l'acte de dérogation préfectorale

Gouvernement / Parlement

Gouvernement / Parlement

6 mois

Rapport parlementaire d'information
/ loi

6

Prendre en compte, dans l'évaluation des préfets, leur contribution aux démarches de simplification des projets locaux et de différenciation territoriale

Gouvernement /
élus locaux

DMATES11(*)
Associations d'élus locaux

6 mois

Bonne pratique / objectifs interministériels fixés par le Premier ministre

7

Associer étroitement les élus locaux à l'exercice du pouvoir préfectoral de dérogation

Gouvernement / Parlement

Gouvernement / Parlement

6 mois

Loi
(élargir les missions de la commission de conciliation des documents d'urbanisme)

8

Utiliser le droit de dérogation comme un signal d'alerte permettant de détecter des normes trop complexes, inutiles ou inefficaces

Gouvernement / Parlement

Gouvernement / Parlement

Permanente

Rapport parlementaire d'information
/ loi

9

Évaluer les régimes législatifs de dérogation et envisager, le cas échéant, leur extension. Envisager, à titre expérimental, une habilitation législative dans le domaine de la construction, du logement et de l'urbanisme

Gouvernement / Parlement

Gouvernement / Parlement

1 an

Rapport parlementaire d'information
/ Loi

10



Former et informer les services préfectoraux ainsi que les élus locaux sur les potentialités du droit de dérogation aux normes

Gouvernement /
élus locaux

DMATES
Associations d'élus locaux

6 mois

Bonne pratique

AVANT-PROPOS

La simplification des normes et leur adaptation aux spécificités territoriales sont des objectifs constants de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales. Cette dernière a ainsi adopté, en mai 2024, un rapport intitulé : « Différenciation : la diversité des territoires dans l'unité de la République »12(*).

Cette même logique d'adaptation aux circonstances locales justifie l'intérêt de la délégation pour le pouvoir préfectoral de dérogation aux normes. Elle a ainsi consacré d'importants travaux à ce dispositif, prévu alors à titre expérimental par le décret du 29 décembre 2017. Son rapport, publié le 11 juin 2019, a donné lieu au dépôt d'une résolution, adoptée par notre assemblée fin 2019.

Tenant compte de cet avis, le Gouvernement a généralisé l'outil en 2020. Toutefois, ce dernier n'a pas produit les résultats escomptés, de sorte que la délégation a souhaité lancer, en octobre 2024, une mission flash pour étudier les voies et moyens propres à le développer.

Cette mission s'inscrit dans un contexte favorable : en effet, dès son installation, le Gouvernement de Michel Barnier a opportunément adopté, le 28 octobre 2024, une circulaire visant à encourager le recours au droit de dérogation, dans le droit-fil des recommandations de notre délégation.

Compte tenu des intentions affichées par le Gouvernement et des fortes attentes des élus locaux, la délégation a souhaité investir à nouveau ce sujet pour que ce droit préfectoral devienne enfin un véritable outil au service du développement des territoires.

Vos rapporteurs ont placé les questions suivantes au coeur de leurs auditions et déplacements :

- en quoi ce pouvoir de dérogation peut-il faciliter l'action publique locale ?

- comment renforcer le dialogue entre les élus et les services de l'État dans l'exercice de ce nouveau pouvoir préfectoral ?

- pourquoi les préfets font-ils un usage encore limité de cet outil ?

- est-il opportun d'assouplir la procédure actuelle ?

- faut-il étendre le champ de ce pouvoir à de nouveaux domaines de compétence du préfet ?

- faut-il prévoir des possibilités de déroger à des normes de nature législative ?

- comment le droit de dérogation peut-il servir de « signal d'alerte » pour conduire les pouvoirs publics à prendre des mesures de simplification de normes législatives ou réglementaires applicables aux collectivités ?

Afin d'écrire son rapport à « l'encre du terrain », la mission a procédé à de nombreuses consultations, à la fois des élus locaux et des services préfectoraux.

S'agissant des élus, la délégation a souhaité, à l'occasion du Congrès des maires en novembre 2024, lancer une consultation afin de recueillir leurs attentes sur les normes, en particulier sur le droit de dérogation dévolu au préfet. Plus de 2 600 élus ont répondu au questionnaire, ce qui confirme, une nouvelle fois, l'intérêt qu'ils portent à ce sujet ainsi que la confiance qu'ils placent dans notre délégation. Cette confiance nous oblige. Par ailleurs, vos rapporteurs ont réalisé des déplacements dans deux départements : Cher et Lozère13(*) afin d'aller à la rencontre des édiles, au travers des associations départementales des maires.

Concernant les services préfectoraux, la mission a nourri sa réflexion de nombreux échanges. Elle a ainsi recueilli, sous forme soit d'auditions au Sénat ou en préfecture, soit de contributions écrites, l'avis de 10 préfets. Cette mission s'inscrit ainsi dans le cadre du « contrôle de proximité » que le Sénat entend développer afin d'apprécier, au plus près du terrain, l'exercice par les préfets de leurs prérogatives au service des territoires.

I. I. UN OUTIL NOVATEUR CONSACRÉ EN 2020 APRÈS UNE PHASE EXPÉRIMENTALE

A. LE DÉCRET DU 29 DÉCEMBRE 2017 : UNE MESURE EXPÉRIMENTALE LANCÉE POUR DEUX ANS

Le décret du Premier ministre du 29 décembre 2017 relatif à l'expérimentation territoriale d'un droit de dérogation reconnu au préfet14(*) ouvre, pour une durée de deux ans, la possibilité de déroger à des normes arrêtées par l'administration de l'État, telles que des décrets du Premier ministre ou des arrêtés ministériels. Cette possibilité de dérogation
prend la forme de décisions non réglementaires15(*) relevant de la
compétence du préfet. Ce pouvoir ne permet pas de déroger à des normes
réglementaires ayant pour objet de mettre en oeuvre une disposition législative. Il ne permet pas davantage au préfet de prévoir une dérogation générale et permanente : le cadre réglementaire de la décision demeure.

Ce décret est pris au visa de l'article 37-1 de la Constitution16(*). Il résulte en effet de cette disposition constitutionnelle que le pouvoir réglementaire peut, dans le respect des normes supérieures, autoriser des expérimentations permettant de déroger à des normes à caractère réglementaire sans méconnaître le principe constitutionnel d'égalité devant la loi dès lors que ces expérimentations présentent un objet et une durée limités et que leurs conditions de mise en oeuvre sont définies de façon suffisamment précise. Le choix est fait, à défaut de préciser d'emblée les normes réglementaires susceptibles de faire l'objet d'une dérogation, d'identifier précisément les matières dans le champ desquelles cette dérogation est possible ainsi que les objectifs auxquels celle-ci doit répondre et les conditions auxquelles elle est soumise.

1. Les matières concernées par l'expérimentation

Le décret énumère les sept matières dans le cadre desquelles le préfet peut faire usage de cette faculté.

Matières ouvertes au droit de dérogation préfectorale

- subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ;

- aménagement du territoire et politique de la ville ;

- environnement, agriculture et forêts ;

- construction, logement et urbanisme ;

- emploi et activité économique ;

- protection et mise en valeur du patrimoine culturel ;

- activités sportives, socio-éducatives et associatives.

2. Les conditions à remplir

Enfin, le texte fixe quatre conditions cumulatives pour mettre en oeuvre une dérogation. La dérogation doit à ce titre :

- être justifiée par un motif d'intérêt général et par l'existence de circonstances locales ;

- être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;

- ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé ;

- avoir pour effet d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques.

La décision de dérogation doit par ailleurs prendre la forme d'un arrêté motivé qui doit être publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, dérogeant à la règle de non-publication des décisions individuelles.

3. Les départements concernés par l'expérimentation

Le décret de 201717(*) ouvre cette expérimentation à 17 départements et 3 territoires ultramarins. Elle concerne ainsi les préfets des régions et des départements de Pays de la Loire, de Bourgogne-Franche-Comté et de Mayotte, les préfets de département du Lot, du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Creuse ainsi que le représentant de l'État à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin et le préfet délégué dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.


* 11 Direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur. Il s'agit d'une direction du ministère de l'Intérieur.

* 12 « Différenciation : la diversité des territoires dans l'unité de la République ». Rapport d'information n° 629 (2023-2024), déposé le 23 mai 2024 et signé par Françoise Gatel et Max Brisson. https://www.senat.fr/notice-rapport/2023/r23-629-notice.html

* 13 Le déplacement en Lozère s'est inscrit dans le cadre d'une réunion plénière « hors les murs » de la délégation.

* 14 Décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l'expérimentation territoriale d'un droit de dérogation reconnu au préfet.

* 15 Un acte réglementaire fixe une règle générale et impersonnelle, qui s'impose à tous, tandis qu'un acte non réglementaire (qualifié parfois d'« individuel ») s'applique exclusivement à un ou plusieurs destinataires de manière nominative).

* 16 L'article 37-1 de la Constitution dispose que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».

* 17 Saisi d'un recours contre ce décret, le Conseil d'État a jugé ce dernier régulier (CE, 17 juin 2019, n° 421871).

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