N° 528

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 avril 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la réforme de la franchise
en
base de TVA,

Par M. Jean-François HUSSON,

Rapporteur général,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

La commission des finances a lancé le 19 mars 2025, sous l'impulsion de son président, Claude Raynal, un cycle d'auditions « flash » en vue de faire la lumière sur les enjeux économiques, juridiques et budgétaires de la réforme de la franchise en base de TVA prévue par la loi de finances initiale pour 2025.

Cette mesure avait, en première délibération, été rejetée par le Sénat, lors de la première lecture du projet de loi de finances pour 2025 et elle était très fortement contestée, en particulier par les autoentrepreneurs, depuis son adoption définitive. En outre, le cycle d'auditions conduites par le rapporteur général, Jean-François Husson, et ouvertes aux sénateurs membres de la commission, faisait suite au dépôt, sur le site du Sénat, d'une pétition initiée par le président de la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE), demandant l'abrogation de la réforme.

À la suite de ces auditions qui ont permis d'entendre les observations et revendications des différentes parties prenantes, le rapporteur général a présenté une communication qui en tire le bilan devant la commission des finances, le mercredi 9 avril 2025.

I. UNE ÉVOLUTION MAJEURE DE LA FISCALITÉ APPLICABLE AUX PETITES ENTREPRISES, ENTREPRENEURS INDIVIDUELS ET AUTOENTREPRENEURS, INTRODUITE AU SEIN DU PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2025 APRÈS UN PREMIER REJET PAR LE SÉNAT

A. UNE MESURE RÉPONDANT ESSENTIELLEMENT À UN OBJECTIF DE RENDEMENT BUDGÉTAIRE ET PEU ÉTAYÉE

1. L'institution d'un seuil unique de chiffre d'affaires intervient un an seulement après la modification des seuils existants dans le cadre de la transposition de la nouvelle directive européenne relative au régime particulier de TVA des petites entreprises

Le régime de la franchise en base de TVA, codifié à l'article 293 B du code général des impôts (CGI), vise à exempter du paiement de la TVA les petites entreprises, dès lors qu'elles réalisent un chiffre d'affaires annuel inférieur à des seuils déterminés.

Révisés en loi de finances pour 2024 (LFI 2024) dans le cadre de la transposition de la directive (UE) 2020/285 du 18 février 2020, les seuils de chiffre d'affaires de droit commun s'élèvent, dans leur version en vigueur au 1er janvier 2025, à 85 000 euros pour les livraisons de biens et à 37 500 euros pour les prestations de services.

À ces deux seuils de droit commun s'ajoutent deux seuils spécifiques bénéficiant aux activités des avocats, auteurs et artistes-interprètes (50 000 euros pour les activités « coeur de métier » et 35 000 euros pour les activités « connexes »).

Une tolérance, égale à 10 % de ces montants, s'applique l'année au cours de laquelle le dépassement des seuils intervient, permettant de reporter la sortie du régime de la franchise en base de TVA au 1er janvier de l'année suivante.

Seuils de chiffre d'affaires annuel pour l'application
de la franchise en base de TVA en vigueur au 1er janvier 2025

(en euros)

Opérations concernées

Année N-1

Année N

Livraisons de biens, ventes à consommer sur place et prestations d'hébergement

85 000

93 500

Autres prestations de services

37 500

41 250

Opérations « coeurs de métier » des avocats, auteurs et artistes-interprètes

50 000

55 000

Opérations « connexes » des avocats, auteurs et artistes-interprètes

35 000

38 500

Note : l'année N - 1 désigne l'année civile précédente ; l'année N désigne l'année en cours.

Source : commission des finances d'après l'article 293 B du CGI, dans sa version en vigueur au 1er janvier 2025

Ce régime favorable, destiné à alléger la charge fiscale et administrative pour les entreprises, bénéficie à environ 2,1 millions de petites entreprises, entrepreneurs individuels ou microentreprises.

Dans le cadre de l'examen budgétaire pour 2025, le Gouvernement de Michel Barnier a introduit, par amendement, une réforme d'ampleur des seuils d'application de la franchise en base, visant à instituer un seuil unique de chiffre d'affaires annuel fixé à 25 000 euros.

Conservée par le nouveau Gouvernement de François Bayrou, cette mesure a finalement été adoptée à l'article 32 de la loi de finances initiale pour 2025 (LFI 2025).

2. Un rendement budgétaire récurrent incertain, estimé à 780 millions d'euros en année pleine, dont 400 millions d'euros pour l'État

L'institution d'un seuil unique de chiffre d'affaires annuel, abaissé à 25 000 euros, priverait environ 200 000 entreprises du bénéfice de la franchise en base de TVA, sur un total de 2,1 millions d'entreprises actuellement éligibles à ce régime, soit 10 % des entreprises éligibles.

Selon l'administration fiscale, le rendement budgétaire total associé à cette réforme, en termes de recettes de TVA supplémentaires, s'élèverait à 780 millions d'euros en année pleine, toutes administrations publiques confondues. Pour le budget de l'État, cette mesure représenterait ainsi un rendement d'environ 400 millions d'euros.

3. Une justification en termes de distorsion de concurrence peu étayée, reposant principalement sur des considérations de concurrence interne entre franchisés en base et non franchisés en base

Selon le Gouvernement, la révision des seuils de la franchise en base de TVA répondrait, au-delà de l'objectif de rendement budgétaire, à deux motifs distincts relatifs aux conditions de concurrence entre les acteurs économiques concernés :

- d'une part, à l'existence de distorsions de concurrence « internes », entre les entreprises françaises non bénéficiaires de la franchise et les entreprises françaises bénéficiaires de celle-ci : pour une entreprise bénéficiaire de ce régime, la franchise en base de TVA se traduit en effet par une diminution de la charge de TVA égale au taux moyen de TVA nette supportée par l'entreprise ;

- d'autre part, à l'existence de distorsions de concurrence « externes » entre les entreprises françaises et les entreprises européennes, compte tenu du niveau élevé des seuils français de franchise en base de TVA comparé à ceux pratiqués par les autres États membres de l'Union européenne (UE) : suite à la transposition de la directive du 18 février 2020, depuis le 1er janvier 2025, une entreprise franchisée dans un autre État membre de l'UE dispose de la faculté de bénéficier de la franchise pour ses opérations effectuées dans d'autres États membres, dans la limite d'un plafond européen de 100 000 euros.

Cependant, ces deux éléments doivent être fortement nuancés :

- d'une part, concernant les distorsions de concurrence internes, si la franchise en base de TVA constitue un avantage fiscal objectif, celui-ci bénéficie aussi bien aux microentreprises (autoentrepreneurs) qu'aux très petites entreprises : or, pour de nombreux acteurs, il existe une confusion entre le sujet de la franchise en base et celui de la concurrence qu'offre, indépendamment de la TVA, le modèle de la microentreprise par rapport à l'artisan salarié ou indépendant (démarches administratives et comptables simplifiées, charges sociales allégées, etc.). Les auditions organisées par la commission des finances ont montré que le sujet était probablement moins la réforme de la franchise en base de TVA elle-même que, de manière générale, la contestation du régime spécifique des autoentrepreneurs par les autres formes d'entreprises ;

- d'autre part, concernant les distorsions de concurrence externes, les risques allégués demeurent largement théoriques, s'agissant de petites entreprises dont l'activité hors de leur pays d'origine est par nature faible.

La révision des seuils de franchise en base de TVA fut avant tout une mesure de rendement, constitutif d'un énième épisode de la contestation du régime spécifique des autoentrepreneurs.

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